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vendredi 18 avril 2008

Le secteur agricole dans la déclaration de politique générale (DPG) du Premier Ministre Jacques Edouard ALEXIS devant le Parlement

Ce dossier a été préparé sur demande du Ministre de l’Agriculture, Mr Severin, en août-septembre 2006 pour être publié dans la revue AGROCULTURE. Malheureusement, il n’a jamais été publié. Dans la conjoncture actuelle caractérisée par des émeutes de la faim et soldée par le renvoi du Premier Ministre Alexis, je décide de le publier dans mon blog car il contient des idées encore actuelles et susceptibles d’être utilisées dans la conjoncture troublée d’avril 2008.

Port-au-Prince le 5 octobre 2006

Le secteur agricole dans la déclaration de politique générale (DPG) du Premier Ministre Jacques Edouard ALEXIS devant le Parlement

Ing. Jean Robert JEAN-NOEL

A. DIAGNOSTIC RAPIDE DU SECTEUR AGRICOLE[1]

Le secteur agricole haïtien (y compris la pêche, l'élevage et la foresterie) est resté assez important par rapport au PIB. En quatorze ans, la contribution de l'agriculture au PIB réel est passée de 37% à 25% (1990-2004). Cette contribution s’est plutôt stabilisée depuis 1998.

La production agricole est restée trop faible pour satisfaire les besoins alimentaires de la population[2]. La production nationale représentait 55% de l’offre alimentaire globale en 2000. Ce déficit a été comblé par les importations de produits alimentaires. La part de ces importations dans les importations totales connaît une augmentation depuis le début des années 80. De 18,3% en 1981, elle a atteint 26,8% en 2004. La valeur des importations alimentaires par habitant est en nette augmentation à partir de 1994: elle est passée de 14,5 US$ en 1981 à 32 US$ en 2003. Le déficit alimentaire global, estimé à environ 9% au cours de l’année 2000, s’est aggravé pour atteindre près de 20% de l’offre totale en 2004[3].

A l'opposé, la part des exportations de produits agricoles enregistre un net recul depuis le début des années 80. Durant près de 24 ans, cette part a connu une chute vertigineuse de 22 points. De 28,3% en 1981, elle est tombée en 2004 à 6,2%.

En dépit de ce tableau sombre, le secteur agricole reste un secteur stratégique pour Haïti en raison de ses fonctions dans l'alimentation et de l'importance de la population rurale. L’agriculture continue d’être le pilier de l’économie nationale : elle contribue pour près de 25 % au PIB (2004) et représente environ 50 % des emplois en général, 2/3 des emplois en zones rurales et 3/4 des emplois pour les pauvres. Dans l’ensemble, l’agriculture demeure la principale activité économique rurale, bien que les activités non agricoles revêtent également une importance considérable. Environ 37,2 % des travailleurs ruraux ont des activités non agricoles. Bref, en Haïti, l’agriculture reste le moteur de la croissance. Toutefois, ceci ne sera possible que si les stratégies adoptées contribueront à la fois à la création de richesse et à l’épanouissement du monde rural dans son ensemble.

Il semble que tout ceci ait bien été compris par le Premier Ministre Alexis. En effet, quand on pénètre réellement la DPG, on aurait cette impression qu’elle accorde une attention particulière au secteur agricole. Il est reproduit plus bas un résumé assez exhaustif autour des quatre grands points de la DPG pour permettre au lecteur de bien appréhender la présence de ce secteur dans tout le texte.

B. LA DÉCLARATION DE POLITIQUE GÉNÉRALE (DPG) DU PREMIER MINISTRE JACQUES EDOUARD ALEXIS[4].

La DPG est un document articulé autour de quatre grands points qui reprennent l’essentiel de la problématique haïtienne avec comme toile de fond et l’un des secteurs les plus importants, le secteur agricole. On sentira l’empreinte du secteur agricole soit en filigrane, soit directement dans toute la démarche du point (i) au point (iv), c'est-à-dire dans les quatre (4) conditions pour un redémarrage du pays, en passant par les constats en termes de richesses et de défis et les grandes orientations du Quinquennat jusqu’aux actions prioritaires du Gouvernement. Voyons un peu.

(i) Les quatre (4) conditions pour un redémarrage du pays

Dans cette partie du texte, le Premier Ministre Alexis a identifié les conditions suivantes,

· Le dialogue national et la réconciliation nationale,

· La déconcentration administrative,

· La recherche d’équilibre entre le taux de croissance de la richesse et celui de la distribution au niveau de toute la population du pays,

· Le rétablissement de l’autorité de l’Etat ;

(ii) Les constats sous forme de sources de production de richesses et de défis à relever

Quant aux constats le Premier Ministre les a regroupés en richesses et en défis

      • La jeunesse du pays : 52% de la population ont moins de 20 ans ;
      • La solidarité entre les Haïtiens d’ici et de la diaspora ;
      • Le rôle des femmes haïtiennes dans les activités comme le commerce, l’artisanat et autres ;
      • La capacité des hommes et des femmes haïtiennes à se battre pour des causes justes ;
      • Les différents écosystèmes dont dispose l’environnement naturel haïtien ;
      • La capacité de création et d’innovation du peuple haïtien ;
      • La spécificité du patrimoine culturel haïtien ;

Ce sont là les quelques sources de richesses relevées mais aussi certains défis comme :

· La non scolarisation de 500,000 enfants du pays ;

· Les 70% de la population qui n’ont pas accès au logement, à l’eau potable ;

· La non disponibilité de services de santé pour une bonne partie de la population ;

· La disponibilité des services de ramassage d’ordures pour 8% seulement des maisons ;

· La dégradation avancée de l’environnement haïtien,

· Le manque d’électricité, de bons ports et aéroports, de bonnes routes, de logements ;

· L’absence de services de base dans beaucoup de zones du pays ;

· Le manque d’accès des jeunes aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ;

(iii) Les grandes orientations du quinquennat (2006-2011)

Les grandes orientations imprimées au quinquennat par le Premier Ministre sont les suivantes :

(1) La modernisation de l’Etat subdivisée (i) en la refondation de l’Etat tout en l’orientant vers un Etat stratège, décentralisé, de droit et bon gestionnaire ; (ii) en la solidification des institutions démocratiques par le renforcement institutionnel ; (iii) en la déconcentration administrative de l’Etat pour favoriser le processus de décentralisation en étroite collaboration avec les collectivités territoriales.

(2) La création de richesse par l’investissement privé en favorisant l’essor du secteur touristique, du secteur des NTIC, du secteur de l’industrie manufacturière, du secteur des petits producteurs agricoles et du secteur informel.

(iv) Les actions prioritaires du Gouvernement

Les deux grandes orientations conduisent aux huit (8) priorités suivantes :

i. Le programme d’apaisement social (PAS) qui se fera avec l’appui de la communauté internationale et touchera toutes les communes du pays. Il vise, en utilisant toutes les ressources disponibles au niveau des communes, à répondre aux besoins des populations les plus vulnérables urbaines et rurales, à rétablir l’accès aux services de base (eau potable, assainissement, électricité etc.), à relancer le cycle de production d’où son aspect durable, et enfin à créer des emplois pour les travailleurs non spécialisés.

ii. La sécurité et la Justice. Dans ce domaine le GOH vise la reconquête de la souveraineté nationale et une approche intégrée police/justice pour doter le pays d’un système judiciaire responsable, professionnel et capable de faire face aux crimes de toutes sortes.

iii. La gestion du cadre macro économique et du processus budgétaire qui devra permettre à l’Etat de prendre toutes les mesures pour la relance des investissements privés, tout en limitant l’inflation, en assurant un taux de change compétitif afin de dégager les allocations nécessaires pour répondre aux exigences d’investissements sociaux. Le taux de croissance visé pour le prochain exercice 2006-2007 est de 4% et la pression fiscale passera de 9% à 12-13% à moyen terme. Le défi majeur sera de dégager des ressources pour la satisfaction des besoins urgents de la population et la réalisation des conditions nécessaires à la création de richesse sur une base stable pour réduire le taux de pauvreté.

iv. La relance de la production nationale, « poto mitan pwogram sosyal ak economik » du Gouvernement dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire, de l’agriculture, au tourisme en passant par l’artisanat, l’agro alimentaire, la sous traitance. D’où nécessité de la réforme agraire, de formation, d’utilisation de nouvelles techniques, et d’un nouveau type d’entrepreneur susceptible de maîtriser les NTIC, surtout dans le secteur agricole. Les entrepreneurs et l’épargne de la diaspora ne seront pas négligés. D’où les dispositions pour la création d’un « Fonds d’investissement de la diaspora haïtienne ».

v. Les infrastructures productives telles, les pompes d’irrigation, les routes, les ports, les aéroports, la fourniture d’électricité, la régulation du secteur de communication, etc auront une attention spéciale de la part du GOH.

vi. L’environnement, l’eau potable et l’assainissement. « Le grand défi de notre pays en ce début du 21e siècle est celui de la protection de notre environnement », écrit le Premier Ministre. Le GOH travaillera dans le cadre du plan d’action pour l’environnement adopté en 1999. Et tout un ensemble d’actions dans ces domaines est prévu au niveau des communes du pays.

vii. Le développement et la mise en valeur des ressources humaines. Sous cette rubrique, il faut voir la réalisation de la scolarisation universelle et la continuation de la réforme de l’éducation, l’alphabétisation des adultes. Pour y arriver, le GOH insistera sur la question de prévention et des premiers soins, surtout les maladies sexuellement transmissibles, se penchera sur la question de la mortalité infantile et maternelle et organisera des campagnes de vaccination pour les bébés et les enfants en âge d’aller à l’école. Tout ceci dans le cadre d’un partenariat public et privé.

viii. La culture et la valorisation du patrimoine. « La diversité de notre culture et l’héritage de notre patrimoine national forment tous deux notre premier avantage comparatif dans la région caribéenne. », écrit le Premier Ministre. Il poursuit, « le GOH travaillera de concert avec les institutions locales à la sauvegarde et à la réhabilitation du patrimoine national, à l’établissement de plans de gestion et d’exploitation, ainsi qu’à l’élaboration de mesures pour la promotion de ce patrimoine »

En guise de conclusion à sa déclaration : le Premier Ministre croit que toutes ces mesures permettront d’ « arriver le plus près possible des objectifs du millénaire pour le développement » et a annoncé deux documents en préparation en relation avec « la vision de 25 ans », chère au Président de la République, Mr René PREVAL.

C. BREVE ANALYSE MONTRANT L’IMPORTANCE DU SECTEUR DANS LA DPG

Il faut remarquer qu’au point 1 de la DPG, les quatre conditions énumérées par le Premier Ministre pour le redémarrage du pays pourraient s’appliquer au secteur agricole. Il en est de même pour le point 2, les défis à relever et les richesses se retrouveraient pour la plupart dans le secteur. Quant au point 3, la modernisation de l’Etat et ses subdivisions, la création de richesse par l’investissement privé ne pourraient valablement s’envisager sans une attention spéciale au secteur agricole. Pour le point 4 consacré aux 8 grandes priorités, le secteur agricole, qui est principalement lié au monde rural (60% de la population) et au collectivités territoriales, s’intègrerait parfaitement à ces priorités de la DPG et en serait l’élément fondamental.

On n’a pas besoin de trop pousser l’analyse pour permettre au lecteur de comprendre l’importance de l’agriculture dans la DPG. Il lui est recommandé pour sa parfaite édification de relire attentivement le résumé présenté plus haut pour se faire une idée exacte de l’importance du secteur agricole, de ses acteurs, de son espace géographique et de ses relations avec les autres secteurs dans la DPG.

D. LES CONTRAINTES DU SECTEUR AGRICOLE[5]

Pour bien comprendre le contexte d’application de la DPG, il faudra regarder de plus près les contraintes liées au secteur. Le secteur agricole haïtien confronte un certain nombre de problèmes et contraintes dont les plus criants sont énumérés plus bas :

  • Le cadre macroéconomique qui pénalise la compétitivité du secteur agricole.

  • Les faiblesses institutionnelles au niveau du secteur agricole se traduisant par une cacophonie, des duplications et des gaspillages dans les interventions de terrain avec une multitude d’acteurs sans réelle coordination du Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) ;

  • La faible part accordée habituellement au secteur par le budget national en regard de son apport au PIB ;

  • L’absence d’outils financiers nécessaires à la réalisation d’investissements productifs tant au niveau des exploitations agricoles qu’au niveau des entreprises agroalimentaires ;

  • L’instabilité politique et le phénomène de l’insécurité font qu’il est extrêmement difficile d’exécuter des programmes de développement dans le pays.

  • L’insuffisance et l’état de délabrement des infrastructures, en particulier pour le transport des produits ne facilitent pas l’accès des produits aux principaux marchés intérieurs et extérieurs ;

  • L’accès à l’énergie électrique constitue une contrainte majeure au développement de certaines filières agricoles.

  • La faiblesse structurelle des systèmes de production, de transformation et de commercialisation constitue des facteurs de blocage à la croissance de la production agricole.

  • La désorganisation des acteurs impliqués dans les filières et les faiblesses des organisations professionnelles agricoles retardent le développement des chaînes de production et de transformation.

  • La fragilité du milieu physique, la complexité des phénomènes climatiques et la forte pression humaine sur les terres entraînent la dégradation des sols.

  • L’alimentation inadéquate en eau des cultures, la gestion au petit bonheur de la ressource eau avec des pertes énormes évaluées à plus de 50% au niveau des systèmes d’irrigation gravitaires à ciel ouvert, la mauvaise gestion des eaux de surface, souterraines et de pluies (40 milliards de mètres cubes par an dont 90% vont directement à la mer) ;

  • Le faible niveau d’équipement au niveau des terres irrigables (80000 ha sur un potentiel de 400000 ha) ;

  • La faible maîtrise des attaques des ravageurs et des maladies de plantes et d’animaux.

  • L’absence de normes et de contrôle de qualité constitue une barrière pour l’accès à des marchés aux exigences sanitaires strictes.

  • Le foncier peut constituer une contrainte à la production agricole dans certains cas. La tenure foncière est généralement évoquée comme élément de blocage à la réalisation d’investissements productifs pour l’amélioration de la qualité de la terre.

E. LES OPPORTUNITES DU SECTEUR

Les opportunités du secteur peuvent encore être exploitées pour stimuler la croissance et le développement économique en Haïti dans le cadre de la DPG. Elles peuvent être classées en deux (2) catégories, (i) les opportunités de production et (ii) les opportunités de marché.

a. Les opportunités de production

  • Un potentiel très important du secteur rural réside dans la diversité des conditions écologiques et de la forte capacité d’adaptation des petits exploitants.

  • Un potentiel agro-industriel non exploité.

  • Le pays dispose d’un réseau élargi de petits groupements d’agriculteurs et d’associations de producteurs.

  • Un potentiel irrigable de 400000 ha dont seulement 80000 ha sont équipés actuellement ;

  • Certaines filières agricoles présentent un atout considérable non seulement dans la création de revenus mais aussi dans la lutte contre la dégradation de l’environnement.

  • L’agriculture haïtienne est essentiellement organique.

b. Les opportunités de marchés

Quant aux opportunités de marché, elles s’articulent autour du (i) marché intérieur du pays avec le taux de croissance de 2% l’an de la population qui exerce une demande croissante sur les produits agricoles, du (ii) marché dominicain avec la demande de plus en plus forte pour des produits agricoles haïtiens et autour du (iii) marché régional et mondial avec les demandes pour les produits traditionnels (café, cacao, huiles essentielles), pour les mangues, les produits liés aux marchés niche en principe avec moins de concurrence, des marchés de produits de qualité pour lesquels le fait de provenir d’Haïti ferait partie de la définition de la qualité. Il ne faudrait pas oublier les opportunités pour l’exportation des produits agricoles des pays en développement dans le cadre de l’organisation mondiale du commerce (OMC).

F. VISION, MISSION, STRATEGIE ET PROGRAMME DU SECTEUR AGRICOLE AU REGARD DE LA DPG[6].

Pour relancer la croissance économique du pays, la relance de la production nationale, particulièrement de la production agricole s’avère un passage obligé. Il est impératif que le secteur agricole retrouve sa place dans l’économie nationale et puisse contribuer pour une meilleure part au PIB du pays. Pour ce faire, il est indispensable de « donner un bon coup de barre » en redéfinissant la vision et les orientations stratégiques du secteur.

La vision globale met l’accent sur un programme de modernisation institutionnelle et productive du secteur agricole. Au plan institutionnel, il s’agit de (1) développer des Centres pour la recherche appliquée en termes de problèmes et défis du monde paysan, renforcer des structures de services décentralisés au niveau du secteur, (2) établir des réseaux d’informations et développer des émissions agricoles radiophoniques spécifiques (diffusion de prix des produits agricoles, système d’alerte cyclonique, conseil technique etc.).

La modernisation de l’agriculture repose d’abord sur l’amélioration des sources de revenus des agriculteurs et agricultrices par le développement des filières de production bien organisées pour créer de la valeur ajoutée. Il faut passer d’une agriculture de subsistance à une agriculture d’entreprenariat tout en tenant compte des potentialités naturelles dans le cadre d’un développement durable, faisant de l’agriculteur un vrai entrepreneur. Il faut, de plus, favoriser la création de la valeur ajoutée dans le secteur agricole par le développement de l’agro-industrie dans le cadre d’un développement durable, entreprise qui ne sera durable que si on aide les paysans à préserver les ressources de base (eau, sol, flore, faune, etc.). Finalement, il faut combattre l’exclusion de la paysannerie en la faisant participer aux différents aspects du développement national et en lui permettant d’avoir accès aux différents services de base tout en favorisant l’accès aux ressources, et leur contrôle, aux agricultrices dans des secteurs généralement contrôlés par les hommes

Les stratégies à court terme prévoient la mise en oeuvre de larges programmes nationaux visant l’accès aux intrants (engrais, semences de qualité, outillage et pesticides) par le biais d’un système de crédit décentralisé, le renforcement des organisations d’agriculteurs, la réhabilitation des infrastructures rurales de production agricole (systèmes d’irrigation, retenue d’eau, routes agricoles, DCP : dispositif de concentration de poissons etc.), l’amélioration du système de commercialisation des produits agricoles (centres de collecte et de distribution, standardisation des prix, organisation de foires) et des réseaux de communication pour favoriser les échanges des produits. Il faut aussi favoriser l’intensification des activités d’élevage (volailles, gros et menu bétail) et développer l’intégration agro-zootechnique.

Dans le moyen et le long termes, les programmes devront permettre de (1) constituer des villages agricoles pour faciliter l’accès des paysans et paysannes aux services de base ; (2) créer l’environnement nécessaire pour attirer et favoriser l’investissement privé massif ; (3) encourager la création de centres de formation en agriculture à différents niveaux (supérieur, moyen, vocationnel) et restructurer les fermes d’expérimentation agricole ; (4) développer des programmes adaptés d’intensification et de diversification de cultures vivrières, agro-forestières et forestières ; (5) stimuler l’intensification des cultures d’exportation traditionnelles (café, cacao, mangue) et rechercher des marchés pour l’exportation d’autres cultures non traditionnelles (igname, giraumon, fleurs et plantes ornementales, plantes médicinales, miel, l’huile palma christi, rapadou, aloès) ; (6) élaborer et faire appliquer une loi cadre adaptée régissant l’aménagement et l’exploitation des ressources aquatiques et les activités connexes (pêche, aquaculture, traitement et qualité des produits, etc.) ainsi que les procédures administratives et techniques ayant rapport avec l’organisation, la vulgarisation, les mesures conservatoires et coercitives ; (7) intensifier la culture du riz dans les plaines irriguées spécialement dans la région de l’Artibonite ; (8) encourager l’implantation des unités de transformation de produits agricoles en milieu rural ; (9) redynamiser la réforme agro-foncière (sécurisation des parcelles exploitées comme garantie de l’investissement à long terme) ; (10) faire respecter les lois sur l’environnement et travailler à la mise en place d’un cadre juridico légal adapté aux réalités actuelles en vue de sécuriser les transactions dans le secteur agricole et (11) promouvoir la réalisation d’expositions de produits agricoles et de leurs dérivés au niveau national et international.

G. LES RISQUES A LA MISE EN APPLICATION DU PROGRAMME AGRICOLE

La place du secteur agricole dans la déclaration de politique générale (DPG) du Premier Ministre et le programme agricole y relatif sont d’une importance capitale et seront déterminants dans la performance globale de l’action de ce Gouvernement (GOH). Il est clair que l’Agriculture avec son poids représentant le quart du PIB haïtien devrait avoir une influence prépondérante dans la politique de tout Gouvernement Haïtien. D’où son importance dans la DPG de Mr Alexis. Il n’en demeure pas moins vrai que certains risques y afférents, s’ils ne sont pas sérieusement pris en compte, pourraient nuire considérablement à la bonne performance du secteur agricole et , par voie de conséquence , à la bonne performance du GOH.

D’un coté, on devrait insister sur : a) le « fonctionnement en couloir » des divers secteurs du GOH sans la recherche systématique de synergies entre eux, b) l’inadéquation des lois et la nécessité d’une législation adaptée devant régir les différentes activités du secteur agricole, c) la nécessaire nouvelle ingénierie sociale à appliquer, d) la part de budget allouée au secteur agricole toujours nettement inférieure à l’apport du secteur au PIB du pays à augmenter dans la mesure du possible. Autant de risques susceptibles de surgir tout au long du quinquennat !

De l’autre, le secteur agricole pourrait courir des risques énormes par rapport à la situation environnementale du pays haïtien et aussi par rapport à la situation socio politique qui pourrait se détériorer si rien n’est fait en termes de création massive d’emplois, de réduction de l’insécurité, de coordination au niveau du secteur agricole en vue d’éviter les duplications, le gaspillage et les gabegies qui pourraient nuire à la performance globale du secteur. La détérioration de la situation globale pourrait conduire aussi à un wait and see de la communauté internationale. Ce qui serait préjudiciable au GOH et au secteur agricole en particulier. D’où nécessité de redresser la barre le plus rapidement possible avant qu’il soit trop tard. Jusqu’à présent, le GOH dispose encore des moyens de sa politique. Alors, ne perdons pas de temps.

Jean Robert JEAN-NOEL

Port-au-Prince, le 5 octobre 06



[1] Inspiré et tiré du programme du secteur agricole actuellement en préparation.

[2] A titre d'exemple, à l’échelle nationale, la production de riz, la principale céréale de consommation en Haïti, s’élève à 76 000 TM pour l’année 2003. Par contre, la demande pour ce produit est estimée à 400 000 TM environ pour l’année. Il ressort donc un déficit de 324 000 TM supplémentaire à produire pour répondre aux besoins de la population et assurer ainsi son autosuffisance (BRH, 1994).

[3] PFNSA, 2005

[4] Déclaration de politique générale du GOH et article publié par JR JEAN-NOEl dans le Nouvelliste et Haïti en Marche en juin 2006.

[5] Inspiré du programme du secteur agricole actuellement en préparation.

[6] Inspiré de la DPG et tiré du document du travail du GOH présenté à la Conférence des bailleurs tenue à Port-au-Prince le 25 juillet 2006.

COMBINAISON D’OPTIONS DE DEVELOPPEMENT, LA PORTE DE SOTIE POUR HAITI ?



Port-au-prince, le 9 avril 2004

COMBINAISON D’OPTIONS DE DEVELOPPEMENT, LA PORTE DE SOTIE POUR HAITI ?

Jean robert JEAN-NOEL

Au fort de la crise durant l’année 2003, certains de mes amis parlaient de la disparition probable de notre pays. La plupart s’expatriaient, d’autres tergiversaient. A la thèse de disparition, je donnais la réplique habituelle : un pays ne meurt jamais. Un jour où la discussion était beaucoup plus animée que d’habitude, je me surpris à développer une thèse un peu farfelue mais qui a eu pour effet de monopoliser leur attention. La thèse s’intitulait :Les trois options pour que notre pays ne périsse pas i) l’Option haïtienne, ii)l’Option dominicaine, iii) l’Option régionale ou la zone de libre échange des Amérique (ZLEA 2005). Qu’en est-il exactement ?

L’Option Haïtienne de développement

Il a été constaté, faisais-je remarquer à mes amis, qu’à la faveur de cette crise, culminée avec les élections de l’année 2000 et bien avant, une certaine prise de conscience citoyenne qui se traduit par une production abondante au niveau de la littérature, des articles de journaux, des émissions de radio, par un souci de se mettre ensemble dans des associations dont la réflexion centrale reste le développement de notre pays, par une série d’études et propositions par le Conseil National de Réforme Administrative (CNRA), le Bilan Commun de pays entrepris par le Gouvernement d’Haïti avec l’appui du PNUD et le secteur privé, de documents produits par les secteurs public et privé, par certaines actions de terrain menées dans le cadre de certains programmes et projets à caractère structurant au niveau du monde rural, le Projet des petits périmètres irrigués (PPI), le Projet d’Intensification des cultures vivrières (PICV) avec le Ministère de l’Agriculture sous financement du Fonds International de Développement Agricole (FIDA) et tant d’autres avec la FAO, les ONG tant nationales qu’étrangères. Il faut noter aussi le changement de discours au niveau des partis politiques, et du discours novateur de la société civile organisée. C’est cette dynamique si elle est bien canalisée et bien coordonnée qui pourrait déboucher sur cette option haïtienne de développement.

Pour être honnête, l’idée de l’Option haïtienne de développement fait son petit bonhomme de chemin depuis la création en juillet 1999 du Réseau National Haïtien de FIDACIARA (RENAH-FIDACIARA), une branche haïtienne de la RED CIARA, une institution régionale composée de sept (7) pays latino américains et caribéens, basée au Venezuela et financée par le FIDA. Cette idée a été adoptée en 2001 par les institutions membres de la Fondation Haïtienne pour le Développement intégrale Latino Américain et Caribéen (FONHDILAC) ci-devant RENAH-FIDACIARA. L’objectif de la FONHDILAC étant de contribuer au développement intégral d’Haïti, ce qui nous a valu le développement d’un cadre global de référence en six axes, l’humain, le social, l’environnemental, l’infrastructurel, l’économique et la politique et certains éléments d’un plan global de 100 ans avec pour finalité un nouvel homme haïtien compétitif partout, parce que issu d’un système éducatif conçu dans cette optique.

Cette option devrait être exclusivement haïtienne dans sa conception et devrait atténuer très fortement les inégalités sociales issues du système mis en place en 1804, en favorisant graduellement l’inclusion de la paysannerie et les masses défavorisées dans le processus, afin d’éliminer cette dichotomie sociale haïtienne. D’où le titre d’un de mes articles précédents, « l’articulation technique et politique ou la nécessité d’un modèle de développement non exclusif pour Haïti », journal Haïti en Marche du 31 mars au 6 avril 04. Dans notre esprit, cette option pourrait bénéficier de l’appui technique et financier de la communauté internationale mais en aucun cas elle ne devrait la piloter. Car selon le mot de Firmin, « l’étranger n’est pas toujours l’ennemi, mais il est toujours l’intrus ».

L’Option Dominicaine de développement

Emotionnellement, mes amis refusaient d’envisager l’option dominicaine. Pourtant, ils m’écoutaient développer mon argumentation. Je disais à l’époque qu’avec la persistance de la crise multiforme qu’est devenue la situation haïtienne tout était possible. Certes, il était difficile d’accepter une occupation militaire dominicaine mais c’était et c’est encore dans l’ordre des choses possibles. Ils sont mieux équipés que nous et considèrent Haïti comme leur prolongement naturel et surtout comme un marché pour déverser leurs produits. Et puis, une occupation leur permettrait d’effacer l’affront qui leur a été infligé par Boyer. D’ailleurs argumentai-je, l’occupation dominicaine a commencé d’une certaine manière puisque nous avons des milliers d’étudiants et mêmes des écoliers qui font leurs études en République dominicaine, par notre incapacité à répondre à la demande, par notre insouciance en relation avec la question de l’éducation. Certains de nos hommes d’affaires vivent là-bas, leurs enfants également. Il y a donc une intégration lente qui se fait. Il peut arriver un moment où la minorité possédante (bourgeoisie et classe moyenne) trouve qu’elle gagnerait à vivre de l’autre côté et de venir seulement faire du business de ce côté-ci comme certains commencent à le faire, en continuant leur exploitation des masses défavorisées, et surtout en perpétuant le modèle de développement exclusif mis en place en 1804, exploité à outrance par les hommes politiques et à la base de la fortune certains groupes de cette minorité.

Cette option dominicaine trouverait des adeptes au niveau de la plupart des gens de la classe politique, surtout ceux-là qui font de la politique dans le seul et unique but de s’enrichir, une alliance avec les dominicains « en bas table » ne les répugnerait nullement. Même si pour la galerie ils tiendraient un discours nationaliste et démagogique. Il en serait de même pour certains de cette minorité possédante. On créerait du travail, il y aurait une certaine stabilité, quelques infrastructures de bases au niveau de la santé, de l’éducation, de la communication, de l’électricité, et des vestiges coloniaux et historiques à montrer aux touristes venant de l’autre côté et passant une journée de ce côté-ci, etc. Et le tour serait joué. On présenterait ces deux voisins comme un modèle à suivre. Haïti ne périrait pas et deviendrait une partie « autonome » de l’Ile de St Domingue. Ce serait un bel exemple d’intégration dans le cadre de la régionalisation et de la mondialisation, cheval de bataille de l’Occident riche, développé et bien équipé militairement et technologiquement, et travaillant d’arrache pied pour l’extension des marchés susceptibles d’aider ses multinationales à augmenter leurs profits au nom de cette compétitivité sans limite.

L’Option Régionale de développement

La troisième option développée par devant mes amis, c’était l’option régionale. Tout le monde sait qu’en 2005, l’Amérique de l’Alaska à la terre de feu deviendra un grand marché. Depuis 1995, les Chefs d’Etat et de Gouvernement ont pris des engagements en ce sens. Tous les pays de la zone ont pris des dispositions pour se mettre au diapason, sauf Haïti. Certaines visites effectuées dans la plupart des pays de la zone révèlent que les populations sont plus ou moins avisées. A côté de nous, en République Dominicaine, la plupart des planteurs ont déjà des plantations qui visent ce grand marché. Tandis que chez nous c’est plutôt un débat d’intellectuels les plus avisés. Nous sommes trop occupés avec nos petites querelles intestines pour occuper le pouvoir afin de faire le maximum d’argent pour aller vivre dans ces pays, en laissant la place à d’autres politiciens prédateurs pour faire leur beurre. Dans ces conditions pour devenir membre à part entière, il nous faut répondre à des critères de bonne gouvernance, de démocratie, de développement. Puisque nous ne sommes pas en mesure de le faire nous mêmes, les Grands frères (en argent pas en âge) de la Région se verraient obligés de nous venir en aide. Ils nous imposeraient leurs modèles de développement qui ont fait d’ailleurs leur preuve. Haïti se conformerait par rapport au moule de la Région façonnée à la sauce américaine, teintée d’un zeste canadien et pimentée fadement du vinaigre mexicain. Ainsi notre chère Haïti ne périrait point, sauvée par ses pairs et mise sous coupe réglée au grand dam de ses pères fondateurs.

L’Option Internationale de développement

Au moment des discussions en 2003, je n’avais pas pensé à une option internationale de développement car je croyais qu’Aristide terminerait son mandat en 2006 et trouverait une entente avec la Convergence démocratique. Cette option m’avait effleuré l’esprit après le 5 décembre 2003 et surtout après avoir lu le rapport Debray sur les relations entre la France et Haïti en janvier 2004. A partir de l’évolution de la situation haïtienne après la prise du Commissariat des Gonaïves le 5 février 04 par les rebelles du Front de résistance de l’Artibonite, je commençais à penser que la résolution de la crise haïtienne pourrait s’envisager dans le cadre d’une occupation internationale de longue durée et que le développement du pays pourrait s’opérer dans ce cadre-la, ce qui aurait pour effet de fausser toutes mes hypothèses et options de développement. Et la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU du 29 février 04 sur Haïti est venue confirmer mes craintes de voir le développement d’Haïti échapper totalement à nous autres haïtiens. C’est l’option internationale de développement qui est actuellement en application. Elle n’est pas tellement différente de l’option régionale, sauf qu’elle se fera sous mandat de l’ONU avec la participation française non prévue dans l’option régionale. Il y a donc deux nouveaux paramètres : la France et l’ONU. Ces deux entités peuvent atténuer le poids des américains et nous permettre d’exploiter certaines divergences au sein de la Communauté Internationale pour faire passer certains éléments clés de l’option haïtienne, ce qui conduirait à une combinaison d’options profitable à notre pays.

La Combinaison d’options, la porte de sortie pour Haïti

Haïti est sous occupation. La constitution de 1987 est, tout au moins dans sa lettre, en veilleuse pour une période de deux ans environ. Alexandre et Latortue sont, constate-t-on, pour l’instant pilotés de l’extérieur. Mais ils sont des Haïtiens compétents et honnêtes. En tout cas, dans leur discours, ils font référence à six critères qui devraient faire l’unanimité parmi les haïtiens dignes de ce nom :1) les compétences, 2) l’expérience, 3) l’honnêteté, 4) la discipline, 5) la loyauté par rapport à l’Etat et le Gouvernement, et 6) l’engagement démocratique.

Dans la construction du nouvel Etat et du nouveau modèle de développement non exclusif, ces critères doivent être inscrits en lettre d’or dans le processus d’accès à la fonction publique sous ce gouvernement et aussi sous les gouvernements à venir. Et pourquoi pas au niveau du secteur privé haïtien ? C’est déjà le début de l’autre manière de faire de la politique (au niveau du discours).

La classe politique haïtienne a unanimement condamné le gouvernement lavalas pour ses pratiques de corruption ainsi que la société civile. La population haïtienne dans son ensemble a fait de même dans les émissions de libre tribune. Il est donc clair que si nous sommes en accord avec nos dires, nos discours, notre premier devoir c’est d’éliminer la corruption de nos mœurs quotidiennes, et ceci, de nos dirigeants à la petite marchande de rue. Nous devons donc dès à présent prendre une série de mesures contre les contrevenants et nous arranger pour que cela ne se répète plus jamais. Ce ne sera pas facile, mais il faut s’y mettre très sérieusement.

Durant cette période transitoire, au lieu de nous battre entre nous, nous devons penser à la grande concertation nationale pour le développement du pays en faisant appel à tous ses fils et filles. Nous avons les matériaux nécessaires pour cette grande concertation nationale ; relisons Edmond Paul, Firmin, Delatour ; profitons des études, réflexions et propositions dans les tiroirs ; écoutons les diverses revendications et propositions de la population, etc. Nous ne devons pas livrer pieds et points liés le Gouvernement Alexandre-Latortue aux mains de la communauté internationale. La classe politique, la classe d’affaires, la société civile, la population, la presse (tout en restant objective et critique), les associations socio-professionnelles, les organisations de base doivent faire corps pour soutenir le gouvernement et forcer l’international à nous aider à construire ce nouvel Etat et non à nous maquiller l’ancien ou à nous en imposer un. C’est notre devoir de citoyens. C’est le sens de notre combat contre cette occupation, nous devons gagner la bataille politique pour déboucher sur le développement souhaité. Peu importent le temps, les sacrifices à consentir, les privations, nous devons nous atteler à cette noble tâche. D’autant que la façon dont le pouvoir échoit à Alexandre et à Latortue et la précipitation avec laquelle les USA et la France avec l’appui de l’ONU ont dû faire partir Aristide démontrent une grande improvisation et des hésitations, mis à part le rapport Debray et quelques grandes lignes d’orientation. C’est l’occasion pour nous autres haïtiens sans exclusive qui maîtrisent la question et le terrain et qui sont conscients de la situation catastrophique héritée de nos deux cents (200) ans de manque de développement, de saisir cette opportunité en faisant taire nos intérêts mesquins, en plaçant la question nationale au centre des débats, en défendant nos points de vue face à l’international et en imposant de manière intelligente notre option de développement.

Dans cette nouvelle conjoncture, c’est notre option de développement combinée avec celle de la communauté internationale qui nous ouvrira la porte du salut. Comme l’a dit George Michel, face à l’occupant, Haïti a toujours gagné la bataille politique. Faisons en sorte que cette fois-ci la victoire débouche sur le développement intégral de notre pays pour que le citoyen haïtien compétitif puisse évoluer correctement au sein de son organisation et dans son environnement naturel régénéré et équipé d’infrastructures indispensables avec des moyens économiques et financiers suffisants et grâce à une gouvernance politique responsable et incitatrice. Tout un programme, n’est-ce pas ?

Jean Robert JEAN-NOEL,

Ing. Civil, Consultant

L’ARTICULATION TECHNIQUE ET POLITIQUE OU LA NÉCESSITÉ D’UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT NON EXCLUSIF POUR HAÏTI.


Ce texte a ete publie en mars 2003. Le Journal Haiti Marche l'a repris en 2005. Dans la conjoncture actuelle, apres le votre de censure du Senat contre le Premier Ministre Alexis, et les consultations menees par le President Preval pour le choix d'un autre Premier Ministre, certaines idees vehiculees dans ce texte restent d'actualite et pourraient etre utilisees pour faire avancer le pays. D'ou cette publication dans ce blog.

Port-au-Prince, le 25 mars 2003

L’ARTICULATION TECHNIQUE ET POLITIQUE OU LA NÉCESSITÉ D’UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT NON EXCLUSIF POUR HAÏTI.

Par Jean Robert JEAN-NOEL.

I. INTRODUCTION

L’idée d’élaborer ce texte résulte d’un concours de circonstances. Premièrement, il m’arrive de suivre presque religieusement une série d’émissions comme Métropolis de Nancy Roc (Radio Métropole), Ki agrikilti pou Ayiti nan kad mache lib la ou l’Université populaire de William Michel (Radio Guinen), Investir ou l’Université libre de Kesner Roro Pharel (Radio Metropole), Le rendez-vous de l’excellence de Hans Tippenhauer (Radio Vision 2000), L’impasse, quelle issue ? de Gary Pierre Paul Charles (Télé Max), où les débats de fonds sur Haïti sont conduite avec sérieux. Deuxièmement, Himmler Rébu a, au cours d’une émission de « L’impasse, quelle issue ? », prié chaque haïtien selon son domaine de compétences de produire des réflexions susceptibles d’aider le pays à sortir de son sous-développement. Troisièmement, il m’a été donné l’occasion d’entendre le Président de la République proposer l’articulation technique et politique comme thème de réflexion. Quatrièmement, j’ai eu le plaisir de lire deux ouvrages récents : « Le pouvoir des idées » de Daniel-Gérard Rouzier et « La croix et la banière » de Claude Moïse, respectivement un essai sur l’économie et un essai sur l’histoire récente d’Haïti (1994-2002). Ce qu’il y a de commun à tous ces gens c’est leur appartenance à un même pays en crise, leur souci exprimé de voir les choses s’améliorer et leur leadership sur une certaine frange de la population haïtienne. Je me dis voilà des haïtiens qui ne sont pour la plupart pas politiquement sur la même longueur d’onde mais qui patriotiquement pourraient bien se mettre d’accord sur une certaine vision d’Haïti, un cadre global de référence et un plan global pour la concrétisation de cette vision.

J’écris ce document en tant que simple citoyen qui voudrait comme eux apporter ma pierre à l’édification de la nouvelle Haïti et partager avec eux ces réflexions pour les inciter à faire encore mieux dans leur sphère de compétence. Je l’écris aussi en tant que Président de la Fondation Haïtienne pour le Développement Intégral Latino-Américain et Caribéen (FONHDILAC), dont l’objectif global est de contribuer au développement intégral d’Haïti dans le contexte caribéen et latino-américain.

Ce texte essaiera, après une brève définition des deux termes, politique et technique, de montrer leur importance dans le développement d’un pays. Il dégagera le rôle prépondérant de la politique et son articulation par rapport à la technique qui lui est étroitement liée. Il débouchera enfin sur leur nécessaire et indispensable synergie dans la quête du bien-être collectif haïtien. Ce document peut aussi être considéré comme une proposition d’éléments d’un modèle de développement non exclusif, une incitation à faire de la politique autrement en Haïti après la résolution de cette longue crise.

II. DÉFINITIONS

La politique c’est, selon le Petit Larousse, l’ensemble des options prises collectivement ou individuellement par le gouvernement d’un Etat ou d’une société dans les domaines relevant de son autorité ; c’est aussi une manière d’exercer l’autorité dans un Etat ou une société ; c’est enfin une manière concertée d’agir, de conduire une affaire.

La technique c’est, suivant la même source, l’ensemble des procédés et méthodes d’un art, d’un métier, d’une industrie ; c’est l’ensemble des applications de la science dans le domaine de la production.

En fonction de ces définitions, on voit qu’il est très difficile de dissocier la politique de la science et de la technique, surtout en ce qui a trait à la gestion du développement d’un pays comme Haïti.

III. IMPORTANCE DES DEUX THEMES PAR RAPPORT AU DEVELOPPEMENT

Du PNUD au Paysan de Jacmel

Selon un rappel du rapport national du PNUD sur le développement humain 2002, le développement a pour objectif fondamental de créer un environnement qui offre aux populations la possibilité de vivre longtemps en santé. Un paysan de Jacmel a défini le développement en ces termes : devlopman se pa moniman, se dabò moun. Donc le développement ne peut se concevoir sans la politique et encore moins sans la technique. Le développement qui vise le bien être individuel et collectif ne se réalisera jamais sans une politique bien pensée et appuyée par la technique. Cette assertion est encore plus valable quand il s’agit de développement d’un pays pauvre comme Haïti.

Haïti, modèles de développement et slogans

Dans le cas d’Haïti, on a dénombré en matière de modèles de développement deux niveaux, le discours et la réalité.

1. La politique, surtout au niveau du discours, a parfois proposé des modèles de développement qui n’ont rien à envier aux autres pays de l’hémisphère. Citons en exemple les deux modèles rapportés par Daniel-Gérard Rouzier dans son livre, « le pouvoir des idées » : a) le modèle de Firmin axé sur i) la bonne gouvernance, ii) l’éducation académique et religieuses des masses, iii) la création de conditions favorables à l’attrait de capitaux étrangers (p.111) ; et b) le modèle Delatour axé sur i)le marché comme répartiteur de ressources, ii)l’entreprise privée comme principal moteur de croissance, et iii) l’Etat comme régulateur cherchant à établir l’équilibre macro-économique, à assurer l’offre des biens et services publics, à corriger les distorsions et à promouvoir un climat de chance équitable pour tous, (idem p. 177).

Quant à Claude Moïse dans son dernier livre, « La Croix et la bannière », il a proposé une démarche à suivre pour mettre en place un modèle haïtien et son mode d’opérationnalisation : i)Une relecture critique de notre histoire, de notre société, de notre économie,ii) une réflexion théorique globale et originale qui couvre tous les champs (économique, social, culturel,…iii) des projections hypothétiques soumises à la critique et à l’épreuve de la réalité,iv)L’élaboration du modèle haïtien qui tienne compte des observations rigoureuses de notre réalité,des expériences contemporaines du Tiers Monde,des enseignements du capitalisme dominant et de la signification de l’échec historique du socialisme réel ( Pp 130 et 131).

2. Dans la réalité, la politique a le plus souvent proposé des modèles rarement poussés au-delà de slogans. Ceux-là qui ont tenté de les amener au niveau de réflexions structurées ont été soit écartés du pouvoir politique au profit de groupuscules incompétents et malhonnêtes, soit empêchés de les appliquer une fois arrivés au pouvoir, par mainmise de l’Etat prédateur érigé depuis 1804, par asphyxie du monde international, par des luttes intestines pour le pouvoir d’Etat, source de richesse individuelle facile et illicite, etc. Les modèles haïtiens, surtout ceux-là qui ont pu être testés, se singularisent jusqu’ici par un défaut majeur : L’articulation autour d’une personne et non autour d’un système visant le développement intégral du pays haïtien.

Absence de concertation et sous-développement

Il faut rappeler que les modèles proposés n’ont jamais fait l’objet de concertation au niveau national et encore moins totalement soutenus par la technique pour déboucher sur de véritables plans globaux consensuels et applicables sur une période plus ou moins longue (25, 50, 100 ans). D’où le sous-développement du pays haïtien, le seul PMA de la région. Le sous-développement d’Haïti s’explique en premier lieu par la prépondérance de la politique articulée autour d’un homme dont la manière d’agir, d’opérer, donc de diriger de 1804 à aujourd’hui s’écarte en général du principe de la concertation. Elle s’explique aussi par la mise au rancart de la technique dans certaines décisions et interventions de l’Etat dans le domaine du développement, et enfin par l’exclusion de la majorité de la population de la question nationale. L’importance de la politique et de la technique pour le développement du pays n’est plus à démontrer. Il est urgent que les hommes politiques consultent des techniciens avant d’arrêter leurs décisions, surtout si elles peuvent avoir des effets néfastes sur le développement du pays et sur la nation. Car « les individus sont la véritable richesse de la nation ». Et selon Daniel-Gérard Rouzier « en conclusion, la construction d’un Etat performant passe par deux étapes. La première est la plus ardue et vise la mise en disponibilité de fonctionnaires inaptes à leurs postes, la seconde est la plus exaltante et concerne l’embauchage des meilleures compétences disponibles. » (p. 179).

IV. LE ROLE PREPONDERANT DE LA POLITIQUE

L’exemple des pays développés

Dans tous les pays du monde, la politique a toujours joué un rôle prépondérant par rapport au développement. Les décisions politiques déterminent le niveau de développement d’un pays. A l’analyse, tous les pays développés ont bénéficié de la vision de leurs dirigeants. La préoccupation majeure de ces dirigeants s’articule autour de l’avenir de leur pays, son rôle et sa place dans le monde. Leurs politiques de développement, articulées autour des individus composant leur nation, s’appuient toujours sur la technique et la science. Et ils ont considérablement investi dans le développement de la technique et de la science pour rester au sommet. Ils travaillent aussi pour maintenir leurs systèmes de gouvernement. Ces systèmes sont caractérisés par : i) un combat constant contre la corruption, ii) une transparence dans la gestion du pays, iii) un souci constant de faire appel à des compétences pour mener à bien les programmes et projets, iv)une bonne gouvernance politique et économique, etc.

Le système haïtien

La seule comparaison par rapport à notre pays demeure la prépondérance de la politique. Pour le reste, il suffit de prendre le contraire pour caractériser Haïti et ses dirigeants de 1804 à aujourd’hui, mis à part quelques éclaircis sporadiques. C’est comme si, pour se perpétuer, le système mis en place en Haïti devrait conduire à la disparition lente du pays. Ce système conçu comme une toile d’araignée s’articule autour d’un homme, le Chef de l’Etat. Même honnête et compétent, il devient automatiquement prisonnier du système et travaille consciemment ou inconsciemment au profit d’un groupe qui fait alliance partiellement avec l’ancien ou le remplace. En effet, selon Jean Price Mars, rapporté par Daniel-Gérard Rouzier, toute tentative de correction heurterait « les intérêts de toute une séquelle d’individus qui, comme toujours, gravitent autour du Chef de l’Etat et des ses proches. Parasites indécrottables, quémandeurs impénitents, flagorneurs subtils, tous attachés à la pérennité des prébendes dont s’alourdit, en ce pays, l’exercice des hautes fonctions publiques, ils sont les adversaires les plus redoutables de toute tentative sérieuse, de tout effort consciencieux de redressement de la chose publique. » Et plus loin : « ils constituent la matrice d’une opposition d’autant plus dangereuse qu’elle agit dans l’ombre et dans les coulisses, et constituent avec la canaille des bas-fonds de la politique les fossoyeurs inconscients de l’économie nationale. » (p 101 et 102).

Et Claude Moïse de préciser « depuis 1946, tout un grand changement social et politique amène une nouvelle vague de gagnants sortis des classes moyennes. Et ces gagnants sont souvent contraints de s’associer à la bourgeoisie traditionnelle pour consolider leurs gains et privilèges. Les perdants sont toujours les mêmes. Jamais les nouveaux maîtres ne sont parvenus à concilier leurs intérêts avec un quelconque projet de développement national, et donc à modeler le destin du pays. » p. 128.

Cet état de fait persiste encore même sous l’égide de la constitution de 1987, qui dispose pourtant de provisions pour lui tordre le coup. Mais « bayonèt se fè, konstitisyon se papye ». Et le pays périclite au grand dam des techniciens et/ou de la majorité silencieuse qui acceptent ou s’expatrient (ceux qui en ont la possibilité).

La concertation nationale pour un nouveau système

Cette prépondérance de la politique en Haïti mérite d’être corrigée au plus vite à l’occasion d’une grande concertation nationale dont l’objectif serait, selon la FONHDILAC, « la définition d’un cadre de référence suivi d’un plan global de développement d’Haïti de 100 ans », donc la projection d’un nouveau système. Dans cette optique, la grande concertation nationale pourrait se donner « une série d’objectifs spécifiques qui s’intègreront à partir d’une démarche participative dans un schéma global articulé » autour de ce nouveau « système visant un citoyen responsabilisé dans une société économiquement riche, socialement équitable et politiquement responsable. Il est possible dans la conjoncture actuelle, d’obtenir un consensus national et même de déboucher sur un contrat social entre tous les Haïtiens sans exclusive autour de cette vision d’Haïti servant d’exemple à suivre, dans le cadre d’une mondialisation à visage humain et solidaire. » FONHDILAC, Document de présentation, p 2.

Selon Claude Moïse, « un nouveau projet national devrait comporter des propositions claires concernant entre autres la lutte contre la pauvreté, la protection sociale, le sauvetage écologique, la lutte contre l’insécurité, l’éducation pour tous, la scolarisation massive. Sans oublier la refondation de la démocratie haïtienne passant par la réforme constitutionnelle, la réforme judiciaire, la restauration de l’autorité de l’Etat, la revalorisation des services publics. La formulation claire de la politique haïtienne doit être assortie d’une stratégie de développement économique, dans le contexte de la mondialisation accélérée, dans le cadre de l’appartenance du pays à la communauté caribéenne et tout spécialement dans le cadre de ses relations multiformes avec la République voisine. Les compétences de l’intérieur comme de la diaspora devraient être mobilisées et intégrées aux atouts du pays. » (p 129).

Les éléments des modèles Firmin et Delatour et de la proposition de Claude Moïse (Réf..III) et très certainement d’autres propositions jusqu’ici inconnues pourraient être mises sur le tapis à l’occasion de cette grande concertation nationale. Il en serait de même pour les études du PNUD comme le Bilan commun de pays, les travaux de la Commission Nationale de Réforme Administrative (CNRA), les travaux menés par les institutions étatiques, les ministères, les services autonomes, les universités, les ONG, les agences bilatérales et multilatérales, les bailleurs de fonds internationaux, les firmes d’études tant nationales qu’internationales, etc. les documents élaborés par la plupart des partis politiques et des associations de professionnels comme les associations des économistes haïtiens, les associations de médecins, des agronomes, des ingénieurs, etc. pourraient être mis à contribution. Ce serait un travail exaltant et de longue haleine qui mobiliserait tout la nation, en particulier les cadres compétents pour la formulation.

Ce nouveau système favoriserait l’entente entre les Haïtiens. Une fois le système adopté, Haïti pourrait inciter et porter, par une concertation sérieuse et dans le cadre d’un partenariat avec les défavorisés de la terre (Ex : Forum social de Porto Alegre et autres), les tenants de la mondialisation synonyme de libre échange, de compétitivité des biens, des marchandises, de leur libre circulation, à revoir leur copie en y intégrant l’aspect humain et la solidarité avec les autres peuples exploités et à atténuer cette vision de « la mondialisation, qui selon Raymond Barre, ne signifie pas autre chose que la compétition généralisée ». Il est à noter que Haïti demeure encore la Pionnière de la solidarité entre peuples. Demandez à Miranda, à Bolivar, aux esclaves anonymes de la jeune nation américaine (USA aujourd’hui) et à ceux-là qui ont restauré l’indépendance de la République Dominicaine, au-delà de leur tombe ! Ce qu’on a fait dans l’ère industrielle, on peut le refaire dans l’ère de l’information. Qu’est-ce qui nous en empêche ? Les intérêts mesquins de la classe politique ? De l’élite économique ? De l’international ? Ces quelques lignes en caractères gras devraient faire l’unanimité auprès de toutes ces personnes, institutions et particulièrement les composantes haïtiennes. Ne disent-elles pas toutes se battre pour la mise en route de ce coin de terre, appelé Haïti ? Qu’elles le prouvent à cette occasion ! Souvenez-vous de cette affirmation de Firmin « l’étranger n’est pas toujours l’ennemi, mais il est toujours l’intrus. »

V. LA TECHNIQUE AU SERVICE DE LA POLITIQUE

La politique doit viser la mise en place d’un système dont l’objectif premier est le développement intégral d’un pays. Dans le cas contraire, elle ne conduit qu’à l’enrichissement d’un groupe d’individus, à la destruction lente du pays concerné et à l’appauvrissement de la majorité de la population. On en prend pour preuve l’ensemble des pays sous-développés. Dans ces cas bien précis, la technique ne vient à la rescousse de la politique que quand les hommes politiques par leurs agissements sont dépassés. En Haïti, la technique n’est vraiment utile aux hommes politiques que dans la mesure où elle permet de concrétiser les choses immédiates et de prestige. Rares sont nos dirigeants qui ont accordé sa vraie place à la technique. Même dans leur domaine de compétence, ils font rarement appel à des techniciens comme conseillers. S’ils le font, ils ne tiennent pas vraiment compte de leurs conseils. Peut-être aussi que ces conseillers, par peur ou par souci de plaire, ne donnent pas les vrais conseils. Tellement préoccupés par le présent, ces dirigeants oublient souvent que l’avenir se planifie. Les meilleurs dans ce domaine sont les techniciens. Pour planifier correctement l’avenir, il faut en avoir une vision très claire et réaliste, « la vision d’ensemble… et les propositions stratégiques qui se dégageraient d’analyses globales » dirait Claude Moïse. Ceci ne pourra jamais se réaliser sans une réelle volonté politique à grande vision et de bons techniciens pour la concrétisation.

VI. L’ARTICULATION DE LA TECHNIQUE ET DE LA POLITIQUE

La nouvelle démarche pour Haïti

L’articulation de la technique et de la politique débouche, en y combinant d’autres facteurs aussi essentiels, sur le développement économique et social de la nation. Tous les pays développés et en voie de développement sont passés par ce carrefour. Haïti, dans sa quête du bien être collectif avec d’abord la nécessaire et l’indispensable intégration dans le processus de régionalisation, ne pourra s’y soustraire. Elle est condamnée à suivre ceux-là qui ont soit réussi soit bien amorcé leur développement, tout en divorçant définitivement avec l’ancien système et en se tournant de manière consciente vers un nouveau modèle où chacun aura sa place, toute une nouvelle démarche. Car selon Claude Moïse, « pour marquer le point de départ vers le développement économique, le progrès social et la justice, nous devons nous approprier le projet démocratique, prendre le virage vers un parcours historique en rupture avec une certaine tradition de petite production, d’enfermement insulaire et de marronnage ». Dans ces conditions, l’articulation de la technique et de la politique en synergie avec d’autres éléments aussi indispensables à un développement harmonieux devient un impératif, une condition indispensable. C’est la démarche par excellence. Le bien-être de la collectivité haïtienne passe par ce changement de cap, cette nouvelle donne pour Haïti mais si vieille pour les pays développés.

Le nouveau profil du politicien haïtien

Les hommes politiques actuels qu’ils soient du gouvernement ou de l’opposition doivent y adhérer de manière consciente. Il y va de l’avenir d’Haïti dans le concert des nations. La façon de faire de la politique jusqu’ici n’est plus de mise. Tout homme politique qui s’y accroche ne fera que pousser davantage notre pays dans le gouffre du sous-développement, en profitant lui-même et ses satellites au maximum du système mis en place depuis 1804. C’est un travail en profondeur étalé sur une période plus ou moins longue avec pour finalité le changement de mentalité de la classe politique et la transformation de toute une culture. Le nouveau profil du politicien haïtien devra s’articuler autour de cette nouvelle approche, de cette démarche nouvelle. Elle est la seule à pouvoir conduire au développement intégral d’Haïti et au bien-être de la population dans toutes ses composantes, en particulier ceux qui n’ont jamais bénéficié du système. D’où la nécessité d’un nouveau système tel qu’ébauché au point IV. « De là l’importance de dirigeants bien formés, honnêtes, conscients de la mission de cet Etat, acquis à son service comme à une sorte de mystique républicaine et reliés à un authentique mouvement porteur du nouveau projet démocratique. De là, également la recherche de compétences constituées d’un corps d’agents, de cadres, de fonctionnaires également bien formés et conscients de leurs responsabilités. » Claude Moïse, La croix et la bannière, p 118.

VII. CONCLUSION

En guise de conclusion, il est clair que les femmes et les hommes de ce pays ont pris conscience à la faveur de cette longue crise de la nécessité de se mettre ensemble pour proposer une autre façon de faire de la politique. Tout le monde parle de contrat social, de consensus, de pacte national, de concertation, de conférence nationale. Non au nom d’un petit groupe mais au nom de la collectivité. La politique jusqu’ici n’a jamais visé le développement du pays haïtien mais s’est fait au profit de groupuscules dont le souci majeur demeure l’enrichissement individuel et l’exclusion des autres. Tous les hommes politiques haïtiens ont toujours pris le pouvoir au nom du peuple. Par coup d’Etat, élections ou autres, c’est toujours la même rengaine. Durant notre histoire de peuple, toutes les catégories sociales ont occupé le pouvoir soit directement, soit indirectement. Elles ont toutes échoué en rejetant la faute aux autres. Il est donc temps qu’elles se mettent ensemble pour penser pays et collectivité nationale, dans le cadre d’un modèle non exclusif. D’où la vraie raison de ce texte. L’articulation de la technique et de la politique en synergies avec d’autres éléments est indispensable à la concrétisation de cette vision d’Haïti dans le concert des nations, servant de modèle à suivre, dans cette mondialisation à visage humain et solidaire, où l’homme haïtien évoluera chez lui dans un système qui lui offrira la possibilité d’être compétitif par rapport à son homologue caribéen, latino-américain, nord-américain, européen, donc de n’être plus considéré comme un pestiféré chez lui (la plupart) et ailleurs et d’avoir accès à la citoyenneté mondiale tout en restant haïtien intégral. L’élaboration d’un tel projet « exige des acteurs sociaux et politiques un investissement considérable en termes d’intelligence, de lucidité, d’imagination et de modestie pour entreprendre le travail préalable de la redéfinition des règles du jeu. Celles-ci impliquent pour être efficaces et accessibles des propositions claires, simples et justifiées. La construction de l’Etat démocratique en Haïti est à ce prix. » Claude Moïse, La croix et la bannière, p 141.

Avant d’atteindre cette finalité, tous les haïtiens d’aujourd’hui, en particulier ceux-là qui exercent un certain leadership ont, sous peine d’être jugés sévèrement par l’histoire, pour devoir de :

1. Se mettre d’accord sur la nécessité d’une grande concertation nationale dont l’objectif serait la définition d’un cadre global de référence suivi d’un plan global de développement d’Haïti de 100 ans, donc la projection d’un nouveau système. Avant tout, la concertation nationale devrait s’atteler à projeter un homme haïtien vivant dans une Haïti politiquement responsable, économiquement riche, socialement équitable et servant d’exemple dans le cadre d’une mondialisation à visage humain et solidaire. Cette concertation nationale devrait se faire sans exclusive avec la participation de tous les partis politiques, de la société civile, et de toutes les forces vives de la nation.

2. Construire un nouveau modèle non exclusif articulé autour d’un cerveau collectif et caractérisé par : i) une performance à toute épreuve en matière de santé, d’éducation, de justice, de sécurité, etc., ii) un combat constant contre la corruption, iii) une transparence dans la gestion du pays, iv) un souci constant de faire appel à des compétences pour mener à bien les programmes et projets, v) une bonne gouvernance politique et économique, etc. Tout ceci se fera dans « un cadre global de référence axé sur l’humain, le social, l’environnemental, l’infrastructurel, la finance et la politique et suivi d’un plan global de 100 ans divisé en des périodes décennales ou quinquennales » (Réf. FONHDILAC).

3. Se constituer en groupes, associations, institutions ou réseaux de pressions techniques ou autres, bref une société civile forte, pour forcer les hommes politiques une fois le système constitué, le modèle accepté à ne pas le pervertir et à appliquer strictement le cadre de référence et le plan y afférents selon les spécificités de chaque parti politique. Cette société civile aura pour mission principale de veiller à l’actualisation du cadre global de référence et du plan global et à leur application par la société politique (partis politiques, gouvernement et l’Etat). D’où la nécessité de flexibilité de la plupart des éléments du cadre de référence et du plan pour des adaptations éventuelles en fonction de l’évolution au niveau national et mondial. Les Haïtiens d’aujourd’hui comme ceux des générations futures devront toujours s’y colleter. L’avenir du pays haïtien en dépend.

Dans la conjoncture actuelle, il faut être des rêveurs, des fous diraient d’autres, des croyants diraient les plus lucides, pour penser à l’avenir de ce pays. Que l’on nous considère comme rêveurs, fous, croyants ou sages, nous devons avoir à l’esprit que le pays ne pourra pas périr et ne périra pas. Son développement se fera de toutes les manières. Tout n’est qu’une question d’options : 1) l’option haïtienne, 2) l’option dominicaine, 3) l’option régionale (ZLEA en 2005) et 4) une ou des combinaisons d’options. Les haïtiens conséquents choisiront la première et c’est celle ébauchée dans le cadre de ce texte. « Il ne nous reste qu’à mettre ensemble des projets et des rêves : des projets de citoyenneté, des rêves d’harmonie » selon Claude Moïse et avoir comme Daniel-Gérard Rouzier « cette foi inéluctable dans un Dieu d’Amour qui nous commande de faire tout… pour changer la destinée de notre pays et améliorer le sort de nos concitoyens. Alors seulement, serons-nous prêts à accepter et à crier que nous n’avons pas le droit de baisser les bras. »