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dimanche 9 mai 2010

HAITI : HIMO, UN OUTIL POUR LA RECONSTRUCTION

HAITI : HIMO, UN OUTIL POUR LA RECONSTRUCTION
Jean Robert JEAN-NOEL
7 mai 2010

J’ai décidé de produire cet énième article sur la haute intensité de main d’œuvre (HIMO) pour plusieurs raisons. Certains cadres ont une opinion erronée par rapport à cette méthode d’exécution. A la phase actuelle du plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti (PARDNH), le gouvernement a lancé un vaste programme de création d’emplois à haute intensité de main d’œuvre avec l’appui financier de la communauté international (PAM, PNUD, FAO, USAID). Les institutions impliquées ont une compréhension différenciée de certaines unités liées à l’HIMO comme personne-jour (P-j), personne-mois (p-m), et ont des difficultés à les traduire en emploi réel journalier ou mensuel.

Une anecdote succulente

Je souris encore quant à cette remarque d’une personne accusant les responsables du MARNDR de bluffeurs lorsqu’elle a lu dans le document post séisme dont l’un des résultats est la création à partir de la méthode HIMO de 45 millions de personnes-jours de travail sur une période 3 ans. Son argument, comment peut-on créer 45 millions de personnes-jour alors qu’on n’a dans le pays que 10 millions de personnes ? « C’est du bluff, et puis, quelle est cette histoire de HIMO dans l’agriculture ?», argumente-elle de manière convaincue comme la plupart de « nos spécialistes en tout improvisés ». J’ai tenté gentiment de lui expliquer sans avoir l’impression de la convaincre réellement, car comme la plupart des « haïtiens ayant fait de grandes études à l’extérieur», elle m’a écouté d’une oreille distraite. Au désespoir de cause, je l’ai conseillée d’aller sur mon site pour lire mon « plaidoyer pour l’utilisation de la HIMO dans le cadre du développement durable d’Haïti (www.jrjean-noel.blogspot.com). Elle m’a affirmé avoir lu mais je suis sur que non ou qu’elle n’a rien compris. Son problème est (i) une aversion contre la HIMO, (ii) une certaine suffisance par rapport à sa formation et (iii) une incompréhension de la notion de personne-jour et par extension de la méthode HIMO elle-même.

La confusion

Ce manque de compréhension de cette méthode se fait sentir dans des échanges entre certains cadres. Lors des discussions avec des cadres haïtiens et aussi des cadres étrangers, j’ai senti une grande confusion par rapport à cette méthode de travail. On la compare souvent à la méthode haute intensité d’équipement (HIEQ). On la confond au roy-roy, une dénaturation de la HIMO sous le soleil d’Haïti pour apaiser la tension sociale. L’idée générale répandue est la suivante, HIMO= emploi temporaire, HIMO=gaspillage d’argent, HIMO= corruption. Et ceci malgré les exemples réussis de travaux d’adoquinage (pavées de béton) de rues dans la plupart des villes d’Haïti dont Carrefour, Cité Soleil, Port-au-Prince, Petite Rivière, Croix-des-Bouquets, de réhabilitation de systèmes d’irrigation, de pistes rurales, etc.
Ce que les gens doivent retenir c’est que, en matière travaux de génie civil et de génie rural, bref de construction, on ne peut utiliser que l’homme (main d’œuvre) ou la machine (équipement). Quand on utilise beaucoup de main d’œuvre, on parle de main d’œuvre intensive ou de haute intensité de main d’œuvre (HIMO). Quand on utilise beaucoup d’équipements, on parle de haute intensité d’équipements (HIEQ). Naturellement, on peut mixer les deux. La HIEQ ne peut se faire sans une utilisation même minimale de main d’œuvre. L’HIMO peut se faire sans équipement, mais le meilleur chantier HIMO est celui qui utilise un minimum d’équipement. Toutefois, dans le cas d’Haïti, il nous faut nous faire à l’idée qu’il est impératif de nous servir de cette main d’œuvre abondante dont nous disposons.

La nécessité d’utiliser la masse de main d’œuvre non qualifiée

Mon argument est simple. Pour arriver à développer Haïti ou, tout au moins, à démarrer le développement, la seule chose dont nous disposons en abondance actuellement comme ressource naturelle est notre masse de main d’œuvre non qualifiée. Avant d’arriver à une masse critique de gens qualifiés par une politique agressive et soutenue d’éducation, il nous faut coute que coute utiliser cette masse de main d’œuvre non qualifiée avec un minimum d’encadrement. Toutes les petites villes de la Cote Sud du pays ont pu changer de visage grâce à une utilisation rationnelle de cette masse de main d’œuvre. Il en a été de même pour la mise en place de nos petits et moyens systèmes d’irrigation et même en partie le grand système de l’Artibonite (32000 ha). En tenant compte d’un certain nombre de préalables, l’utilisation de la HIMO peut se révéler un outil très efficace.

Les conditions du bonne utilisation de la HIMO

Pour arriver à bien utiliser cette méthode de travail, cet outil grand consommateur de main d’œuvre, la première chose est de nous fixer des objectifs bien précis et de nous donner les moyens financiers de les atteindre. Il faut essayer d’équilibrer le coût des matériaux par rapport au coût de la main d’œuvre. Il faut aussi une bonne organisation de chantier, en procédant au recrutement des travailleurs/ouvriers « soit par jour », « soit sous forme de contrat », en plaçant chaque groupe d’équipes dans des endroits bien précis, et en assurant un contrôle de tous les instants. Il faut procéder régulièrement au paiement périodique, etc. Dès ces conditions réunies, les résultats ne tarderont pas à se matérialiser en termes de quantité de travaux réalisés et d’emplois créés, d’argent dépensé, de disponibilité de produits, de services, de réduction de risques, de protection de vies et de biens.

Comment passer de personne-jour à l’emploi réel?

Pour les résultats physiques, il n’est pas difficile de les chiffrer. Par contre pour le nombre d’emplois, on sent beaucoup de confusions, ou, dans certains cas, une volonté délibérée d’abuser de l’unité personne-jour, ou carrément une grande ignorance dans le chiffrage de l’emploi réel. En réalité, une personne qui travaille durant une journée représente 1 personne-jour (P-j) de travail, durant 2 jours, cela fait 2 p-j, durant 100 jours, cela fait 100 p-j. De même 100 personnes qui travaillent durant une journée représentent 100 p-j, 1000 personnes durant une journée représentent 1000 p-j.

Maintenant, prenons l’exemple des 45 millions de p-j de travail du ministère de l’agriculture à raison de 20 jours de travail par mois ; le nombre de personne-mois se calcule en divisant le nombre total de p-j par 20 (45000000/20 = 2250000 p-m) ; de même, le nombre d’emplois durant les 3 ans ou 36 mois se calcule ainsi : 2250000/36 = 62500 emplois environ par mois. C’est un calcul arithmétique simple. Mais cela fait beaucoup plus impressionnant de parler de 45 millions de personnes-jours que de parler de 62500 emplois/mois durant trois ans. C’est, entre autres, la raison pour laquelle que la plupart des rapports des ONG, des bailleurs de fonds et du gouvernement fourmillent de personnes-jours de travail en ce qui a trait au nombre d’emplois créé.

Conclusion

En guise de conclusion, dans le cadre de cette phase de relèvement qui va s’étendre sur au moins 18 mois et même dans la phase de reconstruction proprement dite, Haïti n’a aucun intérêt à mettre de coté une méthode de travail, un outil, qui a fait ses preuves à travers le monde et en Haïti lorsqu’elle est appliquée selon les règles de l’art, et qui pourra largement contribuer à la reconstruction du pays. L’expérience haïtienne en la matière n’est plus à prouver. Notre main d’œuvre n’est certes pas qualifiée mais elle fait preuve d’intelligence et d’une grande capacité d’adaptation avec un minimum d’encadrement. Elle apprend bien sur le tas. En témoigne son apport dans la réalisation de la route Port-au-Prince-Mirebalais au niveau de la réalisation des ouvrages de drainage en maçonnerie et en béton.
Il est clair qu’il faut que le pays s’arrange pour profiter de cette opportunité liée au 12 janvier 2010 pour former cette main d’œuvre sur le tas et de manière formelle en mettant en place des écoles moyennes, des écoles professionnelles pour atteindre le niveau de masse critique de main d’œuvre qualifiée, et aussi de cadres pour l’accompagnement de cette main d’œuvre. Tout ceci nous ramène à la question globale d’éducation, garante de notre développement intégral et durable et de cette compétitivité de plus en plus féroce pour tout Etat, surtout celui d’Haïti qui se veut « émergeant et moderne à l’horizon 2030 ». N’est-ce pas, Mr le Premier Ministre ?
Eh bien, Mr le Président, faites preuve de leadership en vous appuyant sur l’intelligence collective haïtienne et en invitant les autres qui ne sont pas de votre camps à se mettre autour de vous pour la grande « combite nationale », la grande concertation nationale, qui nous sortira de cette « économie rentière » basée sur l’exploitation de la pauvreté et des catastrophes naturelles qui provoquent des dégâts/dommages périodiques à cause de la grande vulnérabilité environnementale du pays haïtien, pour répéter l’expression de mon ami hollandais, Dr Van Vliet. Est-il trop tard? L’avenir immédiat nous éclairera.