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dimanche 2 août 2020

HAITI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS (5), CORONAVIRUS OCCULTE PAR LES QUESTIONS SOCIOPOLITIQUES ET ECONOMIQUES

HAITI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS (5), CORONAVIRUS OCCULTE PAR LES QUESTIONS SOCIOPOLITIQUES ET ECONOMIQUES

JEAN-ROBERT JEAN-NOEL

1er AOUT 2020

Dans l’analyse conjoncturelle du mois de Juin 2020, nous avons essayé, pour changer un peu, de donner la priorité à un fait divers significatif, la cérémonie d’hommage à Antoine Joachim[1], un bel exemple de citoyen authentique, un modèle à suivre pour projeter l’Haïti de demain, sans pour autant oublier les questions socioéconomiques confrontées par le pays.  Dans l’analyse de la conjoncture du mois  de juillet 2020, malgré la présence de la pandémie du coronavirus et les risques de cas importés encourus par le pays avec la réouverture des frontières, en particulier les deux  aéroports internationaux, on relève la prédominance de l’actualité sociopolitique liée : (i) au nouveau Code Pénal ; (ii) à la démission en bloc des membres du Conseil Electoral Provisoire (CEP) ; (iii) à la question de l’énergie ; (iv) à la révocation/démission de ministres et leur remplacement ; (v) à la nomination de nouveaux directeurs généraux (EDH, ULCC) ; (vi) au remplacement du Commissaire du Gouvernement Jacques Lafontant par Ducamel Gabriel ; (vii) à « la déclaration d’engagement Juillet 2020 » d’une grande partie de l’opposition politique ; (viii) à l’abandon du navire gouvernemental par certaines personnes ; (ix) au passage, dans la nuit du 30 juillet 2020, au large du Nord de la Tempête ISAAS après avoir frappé sévèrement la République Dominicaine ; (x) à la  mort due à une complication respiratoire de Kompè Filo, notre monument national, le 31 Juillet 2020, une grosse perte pour Haïti, une figure de proue de la presse haïtienne qui se passe de présentation. Dans l’ensemble, à l’analyse de la conjoncture haïtienne et mondiale, Haïti et le monde sont toujours à la croisée des chemins, et, cette fois-ci encore, en donnant préséance aux questions sociopolitiques et donc économiques par rapport à la pandémie coronavirus.

 Cette analyse  s’attardera sur la pandémie dans le monde et en Haïti. Parmi les nombreux faits saillants énumérés, on fera une analyse axée sur la situation sociopolitique et économique, en particulier (i) les remous de l’actualité en relation avec le nouveau code pénal, (ii) la question de l’énergie, la nomination d’un nouveau directeur de l’EDH, le dossier de l’énergie dans sa globalité et (iii) la situation socioéconomique du pays en termes de déficit budgétaire , de la dégringolade de la gourde par rapport au dollar, d’inflation, de vie chère, de la situation au niveau de Cité Soleil, bataille entre gangs et Kidnapping. Cette analyse se base comme d’habitude sur des observations propres de l’auteur, des informations rapportées par les médias traditionnels, les médias en ligne, les réseaux sociaux, etc., et se termine sur des conclusions appropriées basées sur une entente entre nous.

A.           SITUATION DE LA PANDEMIE AU NIVEAU MONDIAL ET EN HAITI

Au 1er Aout 2020, la pandémie continue de faire rage dans le monde, en particulier aux USA, au Brésil, en Inde, en Russie, les 4 pays les plus touchés, avec des conséquences graves au niveau de l’économie mondiale.

La pandémie se traduit, au 1er Aout 2020, par 17,613,859 cas confirmés, 679,996 morts et 10,330,958 de personnes récupérées au niveau mondial[2] ; tandis qu’en Haïti, on enregistre officiellement pour la même date, 7424 cas confirmés de contamination, 161 morts, et 4604 personnes récupérées. Il aurait fallu se pencher sur deux pays qui ont des liens très étroits avec Haïti, les USA et la République Dominicaine. On se contentera de regarder de plus près le cas des USA, pour deux raisons c’est le pays le plus touché de la planète par la COVID-19, c’est notre plus grand pourvoyeur en transfert de devise par l’intermédiaire de la diaspora haïtienne qui y demeure. La situation est extrêmement grave dans trois états plus ou moins proches de notre pays. Il s’agit de la Floride, de Georgia  et du Texas. Dans ces trois Etats du sud des USA, la pandémie fait rage. On pourrait évoquer le cas de la République Dominicaine, notre 2e partenaire commerciale de l’Est de l’île d’Haïti que nous partageons avec eux, séparée par une frontière poreuse.

Pourtant, malgré le retour forcé ou volontaire de dizaines de migrants en provenance de l’Etat voisin de l’Est et des milliers de nos compatriotes en provenance des USA, on enregistre une baisse inexplicable de cas de contamination dans notre pays. Par contre, la situation économique dans ces deux pays influence négativement notre pays.

Situation économique au niveau mondial, le cas des USA

La situation économique au niveau mondial est catastrophique. Les prévisions sont assez sombres. Notre voisin de l’Est, qui vient de réaliser les élections présidentielles, avec la victoire de Luis Rodolfo Abinader CORONA du Parti Révolutionnaire Moderne (PRM), en sait quelque chose à partir de l’aggravation de la situation sanitaire due au déconfinement et au passage récent de la Tempête ISAAS. Quant aux USA, le déconfinement, les manifestations enregistrées après le meurtre de George Floyd, et l’attitude irresponsable de M. Trump, le président américain, face à la pandémie, ont largement aggravé la situation sanitaire et économique aux USA. 

La récession bat son plein chez le grand voisin du nord qui rentre « officiellement en récession[3] ». En effet, selon une dépêche de l’Agence France Presse : « Le chômage repart à la hausse aux États-Unis, où beaucoup de commerces ont dû refermer et où les voyages ont été restreints face à la flambée de nouveaux cas de COVID-19, après une chute historique du PIB au deuxième trimestre. » « Les inscriptions au chômage grimpent de nouveau, pour la deuxième semaine d'affilée, alors qu'elles étaient en baisse depuis le mois d'avril. Du 20 au 25 juillet, 1,43 million de nouveaux Américains ont pointé au chômage.» Face à cette situation, le président, qui tablait sur une relance de l’économie américaine, pour refaire son retard par rapport à son rival démocrate, Joe Biden, à 100 jours de l’élection présidentielle de Novembre prochain, se retrouve empêtré davantage face à son rival qui l’accuse d’avoir mal géré la pandémie et d’être le principal responsable de la situation actuelle du pays.

Selon la dépêche citée plus haut, la description de la situation économique aux USA fait frémir et l’on craint ses conséquences sur notre pays : « Usines à l'arrêt, commerces fermés, bureaux désertés... Entre avril et juin, le PIB a chuté de 32,9% en rythme annualisé, mesure privilégiée par les États-Unis et qui compare le PIB à celui du trimestre précédent, et projette l'évolution sur l'année entière à ce rythme. » Plus loin, il est précisé ceci : « Cette chute vertigineuse de la richesse nationale est la «plus forte contraction trimestrielle depuis que le gouvernement a commencé à publier ces données» en 1947, a encore commenté Diane Swonk…«Le précédent record était une baisse de 10% au premier trimestre 1958», a-t-elle ajouté. Enfin, « Les comparaisons historiques peinent à refléter l'ampleur de la situation. Même au cœur de la Grande Récession de 2009, qui avait suivi la crise financière, la baisse avait été quatre fois moins élevée. »

        Le coup de massue de Joe Biden à Trump

«C'est un échec présidentiel. Si le président Trump avait pris des mesures immédiates et décisives, des dizaines de milliers de vies et des millions d'emplois n'auraient jamais été perdus», a assené  le candidat démocrate à la Maison-Blanche, Joe Biden.

Alors que les analystes économiques haïtiens craignent les retombées économiques et sanitaires en lien avec nos voisins du Nord et de l’Est, le pays haïtien qui confronte des problèmes de toutes sortes,  se concentre sur les questions sociopolitiques qui occultent la pandémie.

B.              LES QUESTIONS SOCIOPOLITIQUES OCCULTENT LE CORONAVIRUS EN HAITI

Au lieu de nous pencher sur des questions sérieuses liées à la survie du peuple haïtien, nos hommes et femmes politiques ainsi qu’une bonne partie de la société donnent de préférence la préséance aux questions sociopolitiques. L’actualité a été dominée essentiellement par Les retombées sociopolitiques du décret sur le code pénal (« code pénal immoral » selon le secteur chrétien, grosses manifestations pacifiques au Cap et à Delmas).

A entendre les spécialistes du droit, on s’y perd davantage. L’approche manichéenne de la question empêche le simple citoyen de comprendre de quoi il en est vraiment. Les gens au pouvoir essaient de se justifier, les auteurs réels du décret ont fait sortir tout un plaidoyer explicatif, traduisant le bien fondé de leurs travaux, qui ont commencé sous la présidence de Préval, continué sous celle de Martelly, déposé à la Chambre Haute sous celle de Moïse, et publié sous forme de décret par la présidence et le gouvernement Moïse-Jouthe. Quant aux juristes de l’opposition politique, ils ont été les premiers à condamner le décret en s’appuyant sur un certain nombre d’articles controversés selon leurs interprétations. Et  un juriste dont je n’ai pas retenu le nom a conclu ceci : « en matière pénale, tout ce qui n’est pas interdit est permis ». Quant à la Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH), elle a tout rejeté en bloc, en déclarant «inconstitutionnels » l’ensemble des décrets pris par l’Exécutif en l’absence du Pouvoir Législatif. Cela me ramène à ce questionnement, les décrets pris par les gouvernements de transition, comme celui[4] de la présidence  d’Alexandre et celui de la présidence de Privert, sont-ils « inconstitutionnels»? Si oui, pourquoi continue-t-on de les appliquer?

En tout cas, la présidence, qui profite du « boulevard » dû au dysfonctionnement du Parlement, entreprend, avec le gouvernement Jouthe, un certain nombre d’actions de développement comme la continuation des travaux du barrage de Marion, de ceux de la route Carrefour Joffre-Port-de-Paix, de la route Cayes-Jérémie, de la route Carrefour Charles-Corail, des travaux de réhabilitation du périmètre de Latannerie. Le Président Moïse a procédé à l’inauguration de l’Aérodrome de Jérémie et de la route le desservant, sans oublier les travaux de rénovations urbaines, en particulier à Port-de-Paix. Pour ne pas les citer.

La question de l’Energie

Par ces temps de blackout au niveau de l’ensemble du pays, en particulier au niveau de la zone Métropolitaine de Port-au-Prince, où l’on n’a pas eu durant un mois une étincelle d’électricité et ça continue, la Présidence et la Primature ont procédé à la révocation du Ministre de la Justice, Lucmane Délile et à son remplacement par le Directeur de l’ULCC. Le ministre de la Jeunesse et des sports a démissionné suite à des déclarations fracassantes en lien avec les centres sportifs construits avec les fonds PETROCARIBE. Elles ont également tenté de relancer le processus électoral, en demandant aux institutions ayant envoyé des membres au CEP de confirmer ou de déléguer d’autres personnalités à l’institution électorele. Coup de théâtre, les conseillers électoraux en place depuis 2016, ont démissionné en bloc, mettant ainsi l’Exécutif dans l’embarras. Enfin, c’est la nomination des Directeurs généraux de l’ULCC et de l’Electricité d’Haïti (EDH). Si celle de l’UCC est passée inaperçue, la nomination de Michel Présumé à l’EDH a provoqué des remous  comme celle de la plupart des maires qui deviennent des agents intérimaires sous la tutelle du ministère de l’intérieur. Ce qui fait dire à certains observateurs que le pays ne compte actuellement qu’une dizaine d’élus, le Président et ce qui reste du Sénat. On comprend la sortie de l’opposition politique et des groupes de la Société civile sous le label de « la déclaration d’engagement Juillet 2020», réclamant en substance le départ du Président maintenant ou au plus tard le 7 Février 2021.

Le mouvement des employés de l’EDH contre la nomination de Présumé, l’arrêt de travail observé par ces derniers qui aggrave la question d’électricité (Blackout pired), la rareté artificielle de carburant vite corrigée mais susceptible de rebondissement, la bataille entre gangs armés pour l’occupation de nouveaux territoires, les dommages collatéraux qui s’ensuivent (pertes en vies humaines, arrachements des pilonnes électriques pour en faire des barricades dans la zone de Croix-des-Bouquets entre autres, les accusations des organisations des droits humains à l’encontre du Président Moïse qui serait de connivence avec la fédération des Gangs, le G9 et alliés, on dirait que le Président[5] associe tout cela, entre autres, à sa lutte contre l’oligarque du secteur Energie. Il suffit de suivre son intervention au Cap-Haïtien face aux journalistes pour en avoir une idée assez claire de sa ligne de défense par rapport aux remous  de l’actualité qui domine le pays durant cette conjoncture analysée, en particulier l’électricité

La question de l’électricité « 520 MW, grosse promesse ou gros rêve? »

Cette question a dominé l’actualité à  côté des autres points analysés ou effleurés plu haut. Lors de l’intervention du Président, il a fourni des détails sur plusieurs points dont l’électricité. Un visionnement attentif de la vidéo (voir réf.5) permet d’avoir une compréhension assez édifiante de la position du Président. Normalement, il aurait  été préférable d’attendre la fin du processus avant d’aborder à nouveau cette histoire de courant 24/24. En tout cas, il en a parlé  en détails, et le Premier Ministre de préciser que le pays sera doté de 520 mégawatts (MW) et le Nouvelliste de titrer : « 520 mégawatts, grosse promesse ou gros rêve[6] ? ». « 520 mégawatts, c’est l’équivalent de dix fois la puissance installée de la centrale hydroélectrique de Péligre, la plus importante infrastructure du secteur de l’électricité dans le pays. 520 mégawatts, c’est colossal ».

Il est aussi question de doter le pays, en attendant la mise en place des 520 MW, d’une forniture d’électricité à l’aide de barges moyennant la réparation du circuit de transport. Selon les précisions du Nouvelliste « Depuis 1994, il était question que des barges, bateaux transportant des centrales électriques, accostent pour alimenter la capitale. Dans les prochaines semaines, si les promesses se matérialisent, ce sera chose faite. Restera à payer la consommation et à rendre l’opération viable au-delà de la communication et de la satisfaction de la promesse tenue. Toujours selon les plans dont Le Nouvelliste a obtenu copie, des centrales solaires, au gaz naturel et des centrales thermiques vont être construites, les réseaux et les infrastructures en panne seront réparés ou reconstruites, agrandis ou construits. Sur le papier, le pays aura du courant électrique comme jamais. Pour le moment, deux inconnus : les délais de réalisation et les financements.»

C.               EN GUISE DE CONCLUSION

Par rapport à la situation du pays pour la période sous étude, le déficit budgétaire a atteint, en Juin 2020, 34 Mrds de gourdes (découvert budgétaire selon le PM Jouthe) ; la gourde se dégringole (120 G pour 1 USD à la vente) ; l’inflation en Mai est  de 23.4%, selon IHSI ; l’insécurité globale est en nette augmentation (400 morts violentes depuis Janvier 2020, selon une organisation de droits humains) ; les routes nationales sont loin d’être sures (Carrefour Paye, Villard sur la Nationale No 1, la Nationale No 2 à certains endroits, etc.) ; la même chose se constate dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, des foyers d’insécurité à Cité Soleil, Village de Dieu, à Tabarre à Pont Croix-des-Missions et Pont Tabarre, à Croix-des-Bouquets, etc. ; l’insécurité alimentaire se sent dans le panier de la ménagère (+2000 G/ménage/jour) ; la vie chère s’installe de plus en plus ; la pauvreté augmente ; le kidnapping refait surface à la faveur de la situation sociopolitique. La COVID-19 est là, sous-jacente, et pourra s’amplifier à la faveur du ralentissement de la mise en application des mesures barrières.

Le Gouvernement doit réagir rapidement. La réouverture des classes est programmée pour le 10 Aout 2020. Avec la fin de l’état d’urgence sanitaire et les interdictions associées, l’opposition politique annonce la reprise de ses activités, toujours avec le même objectif, le départ volontaire ou forcé de Jovenel Moïse. La noirceur s’annonce donc plus sombre, surtout si le mode opératoire de « peyilok » reste le même.

Dans l’analyse de la conjoncture du mois d’Avril 2020, nous avons proposé de mettre en place un programme post-COVID axé sur le secteur agricole et la sécurité alimentaire[7]. Selon certaines sources, les ministères de l’économie et des Finances (MEF) et de la planification travailleraient sur un Plan de relance Economique post-Covid (PREPOC 2020-2022) en support au budget 2020-2021 et 2021-2022 ; souhaitons qu’ils tiennent compte de l’analyse conjoncturelle du mois d’avril et des réflexions produites en Mai 2020 (Réf.7). Il nous faudrait coute que coute trouver une forme d’entente entre nous pour faire avancer le pays, en mettant de côté nos querelles intestines, en nous battant pour notre chère Haïti avec le même leitmotiv : HAITI D’ABORD ET AVANT TOUT, et non en donnant la priorité à nos clans respectifs. Que Dieu nous vienne en aide !!!