HAITI : PETROCARIBE VS CEANT
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
30 SEPTEMBRE 2018
Revu le 1er Oct 2018
Après les émeutes des 6,7 et 8 Juillet 2018 suite à la hausse ratée des cours
du carburant en Haïti, on s’attendait à des décisions drastiques de la part du
pouvoir en place, la mise à pied du Premier Ministre (PM) Lafontant, la
révocation du Chef de la Police Nationale d’Haïti (PNH), la mise en place d’un
gouvernement d’austérité et inclusif. Tout de suite après les émeutes, le
dossier PETROCARIBE a pris de l’ampleur à partir d’une campagne intensive sur
les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels. Cette intensification de
la campagne anticorruption dans les
médias a occulté tout le reste, y inclus le processus de ratification du PM
Jean Henry Céant par le Parlement. PETROCARIBE a donc pris le pas sur Céant.
Un gouvernement HIMO
Sans entrer dans une analyse fine, il est clair que les décisions
arrêtées sont très en deçà des espérances du peuple haïtien. Mise à part la
démission du gouvernement (GOH) de Jack Guy Lafontant, le Chef de la PNH n’a
pas été ébranlé, le gouvernement du PM Céant (GOH), s’il est un tantinet
inclusif, est loin d’être un gouvernement d’austérité. Avec 22 ministres et 5 secrétaires
d’Etat, c’est beaucoup plus un GOH de création d’emplois que je
qualifierais de gouvernement HIMO. On s’attendait à un gouvernement de 12
ministres au maximum. L’ancien ministre de l’éducation nationale, Nesmy
Manigat, en a fait tout un plaidoyer et moi-aussi, en termes de réduction du
nombre des ministres. Malheureusement, il n’en est rien.
Très certainement, les négociations avec les alliés (anciens et
nouveaux) ont été plus que difficiles, sans oublier le Parlement. Il a fallu
peut-être trouver des places pour tout ce beau monde. C’est ce qui expliquerait
le temps mis pour la présentation de l’énoncé de politique au Parlement par le
PM Céant, avec la certitude d’y avoir une majorité confortable pour la
ratification de sa politique générale. En tout cas, l’énoncé de politique
générale du PM Céant a été confortablement voté par les deux branches du
Parlement. Une fois de plus, l’intérêt public a été sacrifié au profit de l’intérêt
politique. PETROCARIBE aidant, les analystes ont passé à pieds joints sur cet
état de fait.
Kote Kob Petwokaribe-a
En effet, PETROCARIBE a occupé et occupe le devant de la scène au cri de
« kote kob petwokaribe a ». C’est le cri du pays tout entier, c’est
le cri d’une bonne partie de la diaspora haïtienne. Les manifestations de rue
se multiplient avec des tentatives de casse au début. Heureusement, elles sont
vite redevenues pacifiques. Aucun leader. C’est un mouvement citoyen contre la
corruption en Haïti. Après l’exposition des photos des indexés dans les deux
rapports du Sénat au Champs de Mars, cela devient une sorte d’amalgame ;
tout le monde y passe, même les principaux auteurs des deux rapports des
commissions sénatoriales.
Dans le discours d’investiture du nouveau GOH Céant, le Président de la
République a insisté sur ce dossier[1].
Le nouveau Premier Ministre également. L’Etat s’engage à faire la lumière sur
ce dossier. Les institutions étatiques (CSCCA, ULCC, UCREF) se sont fait
entendre et ont promis d’y donner suite, en réclamant des moyens pour des
études approfondies du dossier. La rue, qui ne fait pas confiance à ces
institutions, demande des comptes et veut un procès tout de suite. Dans cet
imbroglio, l’Etat doit agir vite et bien pour éviter les débordements.
D’ailleurs, profitant de la situation, les bandits se font entendre à
Village de Dieu, un Sénateur a failli perdre la vie, Ti Rosemond, ce superbe
ex-footballeur de l’Aigle Noir, devenu entraineur de football depuis, a perdu
la sienne. Arcahaie, Chabanne/Petit-Goâve, Chalon/Miragoâne bloquent les
Nationales No 1 et 2 selon l’humeur des bandits ; très récemment, Gressier,
profitant d’une question de litige terrien, a bloqué la Nationale 2 paralysant
quatre (4) départements géographiques, le Sud-Est, les Nippes, le Sud et la
Grande-Anse. Ces exemples traduisent un malaise dans le pays, en particulier au
niveau de l’Ouest et de la zone métropolitaine de Port-au-Prince.
Quelques éléments clés de la politique générale du PM CEANT
C’est vrai que l’effet Céant n’a pas pu occulter PETROCARIBE, mais le
nouveau Premier Ministre a compris qu’il faut agir vite et bien. Dans son
énoncé de politique, il a su tenir compte des priorités du Président : (i)
Réformer l’Etat et maintenir la stabilité sociale ; (ii) Transformer Haïti
en une destination d’investissement ; (iii) Augmenter la production
agricole ; (iv) Construire les infrastructures énergétiques ; (v)
Renforcer les infrastructures hydrauliques et sanitaires ; (vi) Améliorer
les infrastructures et la qualité de l’éducation; (vii) Promouvoir la
stabilité à l’aide des projets sociaux.
En plus de ces priorités, aucun autre aspect essentiel de la vie nationale n’est négligé. Chaque thème est, pour la plupart, succinctement diagnostiqué, et fait l’objet de réponses appropriées par secteur/domaine. La stratégie de la caravane du changement est retenue comme cadre de mise en œuvre, d’imbrication et d’intégration des actions.
En plus de ces priorités, aucun autre aspect essentiel de la vie nationale n’est négligé. Chaque thème est, pour la plupart, succinctement diagnostiqué, et fait l’objet de réponses appropriées par secteur/domaine. La stratégie de la caravane du changement est retenue comme cadre de mise en œuvre, d’imbrication et d’intégration des actions.
Il faut citer, entre autre, la lutte contre la corruption avec le
dossier PETROCARIBE comme cheval de bataille et le renforcement des
institutions étatiques pour améliorer l’administration publique, la
déconcentration administrative et rendre la décentralisation effective; les aspects sociaux
et économiques comme l’éducation (infrastructures et qualité) du préscolaire à
l’enseignement supérieur, la santé (infrastructures sanitaires et la qualité
des soins de santé), les affaires sociales et le Travail (les filets de
protection sociale, la création d’emplois), la lutte contre la pauvreté (59% de la population) et la pauvreté extrême
(25% de la population) en 2013, les infrastructures routières, hydroagricoles, la
culture, le tourisme, l’environnement avec la mise en place des centres
germoplasmes, l’énergie 24/24 avec les micro centrales intelligentes, les kits
solaires (kay Pam Klere) , les ressources minérales, la diaspora, l’économie
(1.7% en moyenne de croissance de l’économie
depuis 2010, 2.1% pour 2018 avec une projection de 4% pour 2019); les affaires
étrangères, la planification et la coopération externe pour la redynamisation
du cadre de coordination de l’aide au développement (CAED) en vue d’un dialogue
permanent avec nos partenaires techniques et financiers pour faciliter l’investissement
dans le pays, les aspects politiques : l’état de droit, la justice, l’organisation
des élections de 2019, etc.
73e Session de l’assemblée générale des Nations Unies et l’énoncé
de politique générale
Dans ce même ordre d’idées, le Président Moïse a repris, à la 73e session de l’Assemblée générale des Nations
Unies, certains thèmes soulevés par l’énoncé
de politique générale du PM CEANT comme la lutte contre la corruption, les
actions chiffrées[2] à
entreprendre en relation avec ses sept (7) priorités dont l’énergie avec la
construction d’un réseau de distribution (400 M USD), l’éducation (15,000
salles de classe), la santé (122 centres de santé au niveau des sections
communales), l’agriculture (450,000 ha pour 675 M USD), eau potable (220 M de
m3 pour 300 M USD) , etc, dont le montant global est 2,8 Mrds d'USD. A son retour au pays, le 28 septembre 2018, le
Président a été accueilli par les officiels du GOH à l'aéroport international, Toussaint Louverture, pour un bilan à la nation de sa participation à la 73e assemblée. La communaut é internationale mettra-elle ces moyens à la disposition d'Haiti, Ne serait-ce que partiellement?
Moyens pour le procès PETROCARIBE, HIMO et le développement
En tout cas, le GOH CEANT n’a pas les moyens de sa politique. Le budget 2017-2018 a
été rectifié mais ne correspond pas aux besoins financiers des actions prévues
dans la politique générale. Ce 30 septembre 2018 marque la fin de l’année
fiscale. Le budget 2018-2019 doit être repris et adapté à la politique générale
du nouveau Premier Ministre, en particulier aux 7 axes prioritaires du
Président, découlant des dix plans départementaux établis dans le cadre de la
stratégie de la caravane du changement. A cela, il faudra ajouter les fonds
pour l’organisation des élections de 2019 et pour l’approfondissement et le
procès du dossier PETROCARIBE. Le gouvernement CEANT qui s’engage à donner
suite à ce dossier, devra, coute que coute, trouver les moyens financiers pour
organiser ce procès en toute transparence sous peine de se retrouver totalement
occulté par ce dossier qui empoisonne l’administration Moïse. De plus, la
situation actuelle du pays exige des actions urgentes de la part du nouveau
gouvernement comme, entre autre, un vaste programme de création d’emplois, la
haute intensité de main d’œuvre (HIMO), à travers tout le pays, pour l'apaisement social, et des actions sectorielles durables visant de faire d'Haiti un pays émergent à partir de 2030. C'est bien beau, mais il faut les moyens!