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lundi 19 mai 2008

HAITI 08 : VIE CHERE, CAUSES, CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES

Port-au-Prince, le 19 mai 2008

HAITI 08 : VIE CHERE, CAUSES, CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES

Par Jean Robert JEAN-NOEL

Le Monde fait face à une crise alimentaire due en grande partie à une hausse quasi généralisée des prix. Cette crise fait la une des médias du monde entier. Elle ne laisse personne indifférent ni les riches qui l’ont créée ni les pauvres qui la subissent et n’ont pas su l’éviter. De Washington à Rome, les responsables des grandes institutions comme la Banque Mondiale (BM), le Fonds Monétaire International (FMI), la FAO, le Programme alimentaire mondiale (PAM), le Fonds International de développement agricole (FIDA) ont fait pour la plupart des déclarations peu orthodoxes et des réactions frisant l’improvisation ou tout au moins la précipitation. Cette crise[1] touche de plein fouet une trentaine de pays dont Haïti avec comme conséquences toutes les casses enregistrées au Cayes, la 3e ville du pays, et à Port-au-Prince, la Capitale d’Haïti, le renvoi du Premier Ministre, Jacques Edouard Alexis, par le groupe des seize (16) sénateurs au niveau du Sénat, le 12 avril 08, et la non acceptation un mois plus tard du Premier Ministre désigné, Ericq Pierre, par le groupe des 53 députés récemment formé au niveau de la chambre basse et dont 51 membres ont voté contre le rapport favorable de la commission de la chambre basse , et ceci, après un vote favorable du Sénat quatre jours plus tôt.

Cette cherté de la vie dont les effets ont favorisé une perception d’Haïti comme le déclencheur de la prise de conscience mondiale en la matière, et sur laquelle se greffe une crise gouvernementale, quelles sont ses causes, ses conséquences, les perspectives qui pourraient en découler et les risques à gérer et à éviter ? Cet article tentera de répondre à ces interrogations, tout en se référant à la masse d’informations largement diffusées au niveau des médias parlés, écrits et télévisés, au dossier de réponse à la cherté de la vie coordonné par la commission Nationale de Sécurité Alimentaire (CNSA), à certains documents comme le DSNCRP, certaines études dont celle de la Fondation Haïtienne pour le développement intégral latino américain et caribéen (FONHDILAC)[2], aux rencontres avec certaines autorités, avec la communauté internationale (CI) basée en Haïti, avec la société civile, et à certains documents publiés sur le blog de l’auteur : www.jrjean-noel.blogspot.com .

LES CAUSES DE LA VIE CHÈRE

Les causes de la cherté de la vie en Haïti sont conjoncturelles tant internes au pays qu’externes, mais aussi et surtout structurelles.

Les causes conjoncturelles externes

Comme décrit au début de cet article, la crise est mondiale. Elle est liée entre autre à cinq facteurs principaux (i) l’augmentation continue du cours du carburant qui a franchi ces derniers temps le seuil historique de 125 USD le baril, (ii) l’augmentation des cours des produits céréaliers en particulier de celui du riz avec une forte demande pour des pays émergeants comme la Chine et l’Inde et des mesures conservatoires de certains grands producteurs mondiaux de riz pour satisfaire leur consommation interne ; (iii) la récession mondiale avec le ralentissement de l’économie américaine dont tributaire celle d’Haïti et celle de la République Dominicaine, surtout en matière des transferts de la diaspora haïtienne très présente dans ces deux pays ;(iv) la situation climatique dans certains pays producteurs de céréales et (v) la concurrence des biocarburants, en particulier de l’éthanol produit à base de maïs, ce qui fait dire à un haut responsable d’une institution mondiale que les riches ont besoin du biocarburant pour remplir le réservoir de leur voiture et les pauvres de la nourriture pour remplir leur estomac.

Les causes conjoncturelles internes

Pour remplir leur estomac, les pauvres d’Haïti se sont rués dans les brancards, parce que certes ils sont manipulés par des forces politiques, de la corruption et de la drogue, mais aussi et surtout parce que leur gouvernement (GOH) s’est contenté depuis deux ans de parler de sa réussite macro économique, du contrôle de la question sécuritaire, de sa lutte contre la corruption plutôt partisane, de ses grands chantiers avec le maillage routier national perdu dans les dédales des procédures de passation de marché , de ses surplus budgétaires non dépensés au niveau micro économique, et surtout parce qu’ils se sont sentis berner par ce GOH qui n’a pas su tenir ses promesses dans le cadre de ce fameux programme d’apaisement social mort-né qui a suscité beaucoup d’espoir mais qui n’a accouché que d’une souris à cause, parait-il, d’une grande incohérence et d’une incompréhension au sein même de l’exécutif et du GOH. Livrés à eux-mêmes dans leur quotidienneté, frustrés par l’indifférence d’un GOH (déficit criant de communication) plus enclin à satisfaire les exigences de la communauté internationale, en particulier les bailleurs qui ne cessent de complimenter Haïti comme l’un des meilleurs élèves dans l’application des accords internationaux, les pauvres des Cayes et de Port-au-Prince, loin d’être les plus vulnérables du pays (réf. Carte de vulnérabilité de CNSA), ont déversé leur frustration sur le secteur privé en particulier et la MINUSTAH, avec à la clef un coup très dur à l’image d’Haïti en reconstruction difficile depuis deux longues années.

Les causes structurelles

Cette réaction des pauvres liée à la cherté de la vie est enracinée dans des causes beaucoup plus structurelles. Depuis Estimé (1946-1950), Haïti n’a jamais pratiqué une politique systématique orientée vers l’agriculture, mises à part quelques éclaircies non soutenues. Ce qui a provoqué une chute continue du poids du secteur agricole par rapport au PIB du pays haïtien jusqu’à sa stabilisation ces dix dernières années autour de 25%. En retour, les GOH successifs n’ont pas su traduire dans le budget de la République les bonnes intentions exprimées dans les discours, mis à part le GOH de transition dans le CCI et la première année du GOH Alexis dans le cadre des huit grands chantiers qui ont consacré environ 10% au secteur agricole. Actuellement, le poids du secteur dans le budget est autour de 3%. Ajoutés à tout cela, la faiblesse caractérisée du Ministère de l’Agriculture et son poids politique négligeable qui font que, depuis 1971 avec l’initiation de la libéralisation économique, et, surtout depuis 1986 avec le choix délibéré de la libéralisation économique, les mesures arrêtées par le GOH pour combattre, justement à l’époque (P.G Magloire), la vie chère ont su se faire à l’encontre du secteur agricole. Les grands projets agricoles financés par la communauté internationale depuis 1950 (dirigisme) et après 1987 avec la systématisation de la participation (approche participative, responsabilisation) jusqu’à aujourd’hui n’ont pas pu provoquer le relèvement du secteur agricole, sauf dans de rares cas trop ponctuels et partiels pour avoir l’impact global souhaité. Dans ces conditions, le secteur agricole n’a pas su répondre aux besoins de la population en terme de production et aussi en termes d’emplois, d’autant que les GOH successifs n’ont pas su ou voulu développer une politique systématique d’emplois orientée vers les plus défavorisés et les plus vulnérables, et ont systématiquement continué ou favorisé leur politique de ponction du monde rural en lui laissant les miettes et en le poussant vers l’exode, ce qui a changé la géographie du pays avec les problématiques bidonvilisation et diaspora (G. Anglade).

LES EFFETS OU CONSÉQUENCES

Toutes les conditions étaient donc réunies pour l’explosion d’avril 2008. ce qui s’est traduit par (i)les casses enregistrées et les pertes énormes sur le plan humain (5 morts et des blessés, sur le plan économique (pertes de dizaines de millions de USD en terme de déchoucage des magasins ) et un sérieux coup à l’image du pays sur le plan international ; (ii) le renvoi de l’ex Premier Ministre Alexis par le Sénat comme solution politique à la crise de la vie chère, alors qu’un mois plus tôt il a eu un vote de confiance de la chambre basse ; à notre humble avis, un remaniement en profondeur du GOH aurait évité l’incertitude politique d’aujourd’hui ;(iii) le renvoi de la conférence de Port-au-Prince sur le DSNCRP, qui aurait pu permettre à Haïti d’avoir accès à des fonds complémentaires d’environ 2 milliards (J.E. Alexis) pour le financement de cette stratégie dont le montant total est estimé à 3.86 milliards de USD (réf. document DSNCRP en circulation) ;(iv) la possible crise gouvernementale qui se dessine par la non acceptation par la chambre basse de Mr Pierre sous prétexte technique d’incohérence (manque de cohésion) dans ses pièces (orthodoxie constitutionnelle), ce vote ,en réalité, politique introduit une nouvelle donne sur l’échiquier politique, forçant désormais les décideurs politique à composer avec cette nouvelle réalité de blocs parlementaires qui n’ont pas de couleur politique (diversité des partis donc non idéologique) ou, tout au moins, n’obéit pas aux directives des partis politiques, donc des forces difficilement contrôlables et susceptibles de versatilité ; (v) la nécessité pour les décideurs haïtiens, en particulier le Président Préval, de continuer à composer toujours avec les partis politiques qui contrôlent une partie du parlement, même minoritaire, au niveau de la chambre basse, ce qui devrait, en principe, compliquer la tâche de l’exécutif et celle des autres acteurs en termes de réponses à la vie chère et à la nouvelle situation politique qui se complexifie.

LES REPONSES/PERSPECTIVES

Face à cette complexité ajoutée à la question clef de la vie chère, un certain nombre d’initiatives est en cours actuellement dans le pays.

(i) Les initiatives du Palais National. Au moment même du vote du Sénat contre J. E Alexis, le Président accompagné du Secrétaire d’Etat à l’Agriculture, Mr Gué, a présenté un plan pour la réduction du prix du riz grâce à une entente avec le secteur privé et un apport en terme d’appui budgétaire au GOH de la CI. Dans ce même ordre d’idées, Mr Gué a présenté un plan de relance de la production agricole en termes de fourniture d’intrants à des prix subventionnés (engrais, semences, pesticides), de crédit, de mise à disposition de tracteurs agricoles, etc.

(ii) Les initiatives déjà en cours. Ces initiatives se maintiennent et se renforcent au niveau surtout des ONG avec une multitude d’actions d’urgence mais aussi durables. Les projets de l’Etat continuent leur petit bonhomme de chemin au niveau du FAES, de PL480, des ministères sectoriels. Il faut noter que la plupart des initiatives visent le moyen et le long terme. Les actions en cours pourraient se situer autour de 2 milliards de USD[3]. Certaines initiatives sont en cours à l’approche de la nouvelle saison cyclonique qui démarrera le 1er juin 08. Il faut souligner que l’ensemble de ces actions qu’elles soient urgentes ou durables mériterait une bonne coordination.

(iii) Le plan de réponse à la vie chère coordonné par la CNSA. Ce dossier de six mois d’un montant global d’environ 6 milliards du GHT s’adresse au plus défavorisés (2500000 personnes) et vise la création d’emplois, l’assistance alimentaire et la relance de la production agricole. Ce programme vient en appui au GOH, son élaboration a démarré sous l’instigation du Premier Ministre Alexis qui a sollicité l’appui de la communauté internationale le jeudi 3 avril 2008 lors d’une réunion spéciale à la Primature. Ce programme attend le prochain gouvernement pour être mis en œuvre.

(iv) La proposition de la FONHDILAC. Suite au plan de relance de la production agricole présenté au Palais National, l’équipe de la FONHDILAC qui, à travers le programme d’assistance technique pour renforcer les associations d’irrigants (PAT-RAI), vient de réaliser une étude diagnostic sur 75 associations d’irrigants (AI) a décidé d’élaborer une note conceptuelle sur un programme de relance de la production agricole sur 70 périmètres irrigués (PI) (32000 ha) appartenant à 35000 familles et éparpillés sur 9 départements. Ce programme de relance vise à 1) améliorer la desserte d’eau sur 70 PI par la réparation des ouvrages essentiels en créant 16650 emplois durant 6 mois, 2) renforcer 70 AI par la formation et un accompagnement de proximité, 3) fournir un appui substantiel à la production par la formation, l’introductions de nouvelles techniques culturales, de nouvelles variétés à haute valeur ajoutée, la mise à disposition d’intrants, de crédit, la transformation et la commercialisation des produits agricoles, etc. Ce programme d’une durée globale de 24 mois se chiffre à environ 50 M USD.

(v) L’attitude favorable de la communauté internationale (CI). Depuis le déclanchement de la crise, la CI ne cesse de manifester ses bonnes intentions vis-à-vis d’Haïti. Le système des nations unies (SNU) sur place fait un travail remarquable de réflexions et de coordination et maintient le contact avec les différents niveaux du système en dehors du pays. Les autres membres de la CI comme les ambassades, les agences bi et multilatérales, les bailleurs de fonds maintiennent informé leur gouvernement, leur siège central. Ce qui a valu à Haïti la visite de certaines personnalités comme le ministre à la coopération de la France, le secrétaire général de l’OEA, le Directeur Général de la FAO pour ne pas les citer. Plusieurs bailleurs, agences et pays ont annoncé leur appui financier à Haïti, BID, UE, BM, FIDA, USA, Canada, etc. C’est à Haïti de faire preuve d’intelligence et de montrer sa capacité de négociation, de gestion, de coordination et d’absorption.

(vi) L’utilisation intelligente du DSNCRP. Le nouveau cadre de coopération avec la CI, le DSNCRP, est en principe accepté par la majorité des acteurs comme le cadre de référence sur lequel va baser le nouveau programme gouvernemental. Ce cadre mérite d’être adapté aux conditions actuelles créées par la crise alimentaire liée à la cherté de la vie. Il faudrait peut-être revoir certains aspects macro économique à la baisse. On laisserait le soin aux économistes haïtiens de guider le GOH dans les négociations sur ces aspects-là. D’un autre coté, il faudrait greffer sur le DSNCR un programme d’urgence et prévoir dans ce cadre un financement pour la grande concertation nationale sur la vision de 25 ans basée sur l’humain, le social/le culturel, l’environnemental, l’infrastructurel, l’économique/finance et la politique avec la possibilité de revisiter la constitution de 1987. La grande concertation nationale devrait trouver des réponses valables à ces grandes questions pour réconcilier le pays avec lui-même et avec l’ensemble de ses fils tant en Haïti que dans la diaspora.

LES RISQUES

Ces réponses et perspectives verraient le jour dans la mesure où Haïti deviendrait véritablement le centre des préoccupations de ses fils qui, au lieu de s’aider comme ils le font jusqu’ici, se mettraient au service de leur pays.

Pour cela, il faudrait à tout prix (i) éviter l’installation de l’instabilité politique par la non mise en place et à temps d’un nouveau GOH, (ii) rester dans les limites imposées à chaque pouvoir de l’Etat, l’exécutif, le législatif et le judiciaire avec une surveillance accrue de la presse et de la société civile tant au niveau urbain que rural, (iii) bien gérer les périodes électorales à venir par le respect par chacun et par chaque entité d’un code d’éthique à établir entre haïtiens, (iv) savoir que les catastrophes naturelles sont des phénomènes récurrents et cycliques et qu’il faudrait prévoir des fonds pour leur gestion, et (iv) éviter le désintérêt de la communauté internationale et , en particulier, de la communauté des bailleurs vis-à-vis d’Haïti.



[1] Même s’il est impropre de parler de crise alimentaire dans le cas d’Haïti. Nous utilisons le mot crise pour faciliter la compréhension du lecteur habitué à ce vocable par la presse tant nationale qu’internationale, qui parle même d’émeutes de la faim. Or dans le cas d’Haïti on ne peut pas encore parler de famine mais de pénurie (J.A. Victor).

[2] Etude de diagnostic de 75 associations d’irrigants (AI) dans le cadre du programmes d’assistance technique pour renforcer les AI (PAT-RAI)

[3] Dans le document en relation avec la conférence de Port-au-Prince du 25 juillet 2006, 1.3 milliards de USD de projets étaient en cours à l’annexe II. Cette conférence a permis au GOH d’avoir des promesses de la CI de750 M USD. Ce qui ferait approximativement 2 milliards de projets en cours actuellement.

vendredi 16 mai 2008

L’APPROCHE HEXAGONALE

L’APPROCHE HEXAGONALE

(Version actualisée)

JR JEAN-NOEL

AVRIL 2006




L’APPROCHE HEXAGONALE

PAR Jean Robert JEAN-NOEL

1. HISTORIQUE

L’idée de développer une approche globale adaptable au domaine du développement a toujours été une préoccupation de certains cadres haïtiens depuis plus de trente ans. Dans les projets de développement de l’époque, l’approche prédominante était plutôt dirigiste à l’image de la majorité des régimes politiques des pays en développement.

Les approches participatives commençaient à émerger timidement à la faveur du processus de démocratisation qui avait tendance à remplacer les régimes dictatoriaux dans les pays en développement. Elles s’imposaient déjà dans les pays développés en majorité démocratiques. Dans ces derniers pays, au niveau des universités et de certains projets, il y a eu des recherches sur les méthodes participatives. Le concept participation a gagné peu à peu ses gallons.

En Haïti, les projets commençaient à être participatifs autour des années 1980. La Constitution haïtienne de 1987 va donner ses lettres de noblesse à la Participation, la décentralisation, le combitisme et va libérer les énergies en ce sens. Il faut noter que depuis la fin de la dictature duvaliériste, on a enregistré une explosion d’organisations dans le pays qui ont adopté vaille que vaille la participation comme cheval de bataille.

Dans les années 1990, tous les projets sont devenus participatifs. Le concept participation a définitivement gagné ses lettres de créance. Tous les bailleurs de fonds, les agences bilatérales et multilatérales en font leur cheval de bataille. Le FIDA, la Banque Mondiale, la BID, l’Agence Française, etc, pour ne pas les citer, vont exiger la mise en application des approches participatives dans les projets financés. D’où la nécessité d’harmonisation de ces approches.

Le Ministère de l’Agriculture des Ressources naturelles et du Développement Rural (MARNDR) avec la participation du Projet d’irrigation de l’Arcahaie et surtout du Projet des petits périmètres irrigués (PPI) va s’atteler à ce travail d’harmonisation dans le cadre de sa politique d’irrigation et de ses méthodologies. Certains textes ont été élaborés et diffusés, des séminaires- ateliers organisés, des émissions de radio réalisées et des cassettes distribuées.

Dans ce même ordre d’idées, le projet PPI va intégrer la RED CIARA en juillet 1999 lors de la 7e Réunion annuelle à Port-au-Prince avec la mise sur pied du réseau national haïtien de FIDACIARA (RENAH-FIDACIARA) constitué à l’époque d’une douzaine d’institutions. Le réseau s’est transformé un peu plus tard en 2001 en une fondation, la Fondation haïtienne pour le développement intégral latino américain et caribéen (FONHDILAC). Cette fondation a senti, en fonction même de son objectif principal de contribuer au développement intégral d’Haïti dans le contexte caribéen et latino américain, la nécessité de développer l’approche hexagonale.

2. VISION ET OBJECTIF

Dans la mouvance de la mondialisation, de la lutte contre la pauvreté par la création de richesse, par la gestion de la connaissance et de l’innovation, la gestion des ressources humaines, naturelles, physiques et financières, la gestion des conflits politiques, la question de responsabilisation individuelle et collective demeure une évidence. L’approche participation-responsabilisation paraissait limitée en ce sens qu’elle s’adresse à l’individu et aux collectivités sans aborder globalement les autres aspects fondamentaux du développement. D’où l’approche hexagonale. Cette approche correspond en tout point aux vœux de la constitution de 1987 dans ses aspects participatifs (le combitisme), de déconcentration et de décentralisation et sied bien à l’approche de développement local en vogue actuellement.

L’approche hexagonale vise, tout en s’appuyant sur la démarche participative, à développer un cadre harmonieux pour l’évolution de l’humain dans un cadre social équitable, dans un cadre naturel régénéré et bien équipé par des infrastructures adaptées, dans un cadre économique et financier incitatif et dans un cadre politique responsable et démocratique. D’où l’accent mis sur les six capitaux : le capital humain, le capital social, le capital environnemental, le capital infrastructurel, le capital financier et économique et le capital politique. Ce qui peut se schématiser de manière logique avec l’humain à l’intérieur du social, les deux à l’intérieur de l’environnemental, et l’aménagement de l’environnemental de manière telle à ce que l’ensemble soit en harmonie, le système financier et économique pour réaliser cet ensemble et le perpétuer dans le cadre d’une gouvernance économique régulatrice et le système politique pour la gestion globale et le maintien de l’équilibre harmonieux du système global.

En référence à la démarche participative, l’approche hexagonale est une adaptation de l’approche anglo-saxonne[1] dont les éléments de base s’articulent autour de cinq axes : le capital humain, le capital social, le capital naturel, le capital physique et le capital financier, auxquels on ajoute, pour l’haitianiser, le capital politique. D’où le nom de l’approche hexagonal avec six éléments fondamentaux indispensables pour le développement d’un pays pauvre comme Haïti. Les six axes devront avoir une parfaite articulation entre eux de façon à favoriser une harmonisation de l’ensemble. Cette harmonisation devra être recherchée de manière continue par les acteurs appelés à appliquer l’approche et à y évoluer.

La FONHDILAC a une vision assez claire de Haïti dans les cinquante (50) à cents (100) prochaines années. C’est dans cette optique qu’elle adopte une série d’objectifs qui s’intègreront à partir d’une démarche participative dans un schéma global articulé autour d’un système visant un citoyen responsabilisé[2] dans une société économiquement riche, socialement équitable et politiquement responsable[3].

Il est possible dans la conjoncture actuelle, d’obtenir un consensus national et même de déboucher sur un contrat social entre tous les Haïtiens sans exclusive autour de cette vision d’Haïti. Cette Haïti pourrait servir d’exemple à suivre dans le cadre d’une mondialisation à visage humain. Haïti qui, dès sa création, fut le premier état à ériger en valeur le principe de solidarité entre les peuples, en offrant la liberté à tous les opprimés de la terre et en aidant les leaders de l’indépendance de l’Amérique latine comme Miranda et Bolivar, et plus tard vers 1860, les leaders de la République Dominicaine à restaurer leur indépendance[4].

3. JUSTIFICATION

Les réflexions[5] menées au sein de la FONHDILAC de 1999 à 2001 jusqu’à maintenant et les contraintes institutionnelles que nous confrontons quotidiennement dans la construction du développement nous font prendre conscience de manière aiguë du déficit criant de cadre de référence et de l’absence de plan global de développement dont souffre notre pays. Cette faiblesse a toujours transparu dans la gestion du pays depuis sa naissance en janvier 1804. Elle nous a valu d’être le seul PMA de l’Amérique. Il suffit de regarder nos indicateurs par rapport aux autres pays de la région pour comprendre l’étendue de l’échec. Cette marche à reculons n’a jusqu’à présent pas de réponse au niveau du secteur politique et pousse de plus en plus d’haïtiens au désespoir, ce qui se traduit par une migration massive vers d’autres pays de la région. On estime à plus de deux (2) millions d’habitants les Haïtiens vivant à l’extérieur du pays, parmi lesquels des cerveaux éminents qui ont largement contribué au développement de leur pays d’adoption.

La situation actuelle du pays fait que la majorité des jeunes haïtiens se considèrent comme en transit et n’attendent qu’une occasion pour laisser cette « galère ». Paradoxalement, elle a provoqué une prise de conscience chez certains individus, groupes et institutions, qui se manifeste par un certain nombre d’interventions touchant tous les secteurs de la vie nationale, et par une forte tendance à se mettre ensemble pour faire des propositions sur des aspects les plus variés visant le développement intégral du pays. C’est ce que nous qualifions au sein de notre réseau d’option haïtienne de développement par rapport à d’autres options qui pourraient nous être imposées de l’extérieur pour forcer Haïti à se mettre au pas en ce qui a trait à la Zone de Libre Echange des Amériques (ZLEA) dont le démarrage a été prévu pour 2005.

Au regard de cette situation, notre réseau a profité de la 9e réunion du réseau régional FIDACIARA en novembre 2001pour proposer une réorientation du réseau régional, et, par la suite (janvier 2002), pour changer sa mission et la réorienter vers le développement intégral du pays haïtien. C’est dans cette perspective qu’il faudra situer le cadre de référence et le plan de développement d’Haïti sur lesquels, entre autres, planche actuellement notre réseau, la FONHDILAC, avec la collaboration future mais obligée d’autres individus, groupes et/ou institutions travaillant pour la même cause. Etant entendu que la FONHDILAC ne pourrait prétendre à elle seule réaliser une tâche aussi colossale et aussi complexe et qui, de surcroît, concerne tous les Haïtiens sans exclusive.

4. AXES FONDAMENTAUX DE L’APPROCHE HEXAGONALE

Un cadre de référence pour le développement intégral d’un pays doit être défini de manière sérieuse pour résister à l’épreuve du temps. Les axes fondamentaux doivent être conçus avec beaucoup de rigueur, au point qu’avec le temps les modifications à y apporter pour son actualisation ne nécessiteront pas de remise en question de l’essence. Il est donc impératif de bien les choisir, pour que les éléments qui graviteront autour puissent, en fonction même de l’évolution, être modifiés, ajoutés et même remplacés au besoin.

Partant de ce raisonnement, les axes fondamentaux du cadre de référence pourraient être, au regard même de la ligne stratégique adoptée :

1) L’axe humain

2) L’axe social,

3) L’axe environnemental,

4) L’axe infra structurel,

5) L’axe financier,

6) L’axe politique.

L’AXE HUMAIN

La FONHDILAC entend par cadre humain toutes les ressources humaines dont dispose le pays haïtien, la quantité, la qualité des ressources humaines disponibles : le nombre d’habitants/ km2, le PIB/ habitant, le taux de mortalité infantile, l’espérance de vie, le taux de scolarisation, le taux d’analphabétisme, le nombre de kcal/ habitant/jour ; les aspects organisationnels, institutionnels et légaux ou réglementaires ; les politiques, stratégies et méthodes élaborées, appliquées et prévues, les résultats obtenus ; les potentialités et perspectives dégagées ou à dégager, etc.

L’AXE SOCIAL

Le cadre humain se réfère au système social ou institutionnel : les institutions étatiques, privées, les organisations socioprofessionnelles, les organisations de base à caractère social et économique ; les aspects organisationnels, institutionnels et légaux ou réglementaires ; les politiques, stratégies et méthodes élaborées, appliquées et prévues, les résultats obtenus ; les potentialités et perspectives dégagées ou à dégager, etc.

L’AXE ENVIRONNEMENTAL

Le cadre environnemental s’articule autour des ressources naturelles : le climat, la disponibilité de l’eau, la quantité et la qualité de l’eau de boisson, les précipitations, les eaux de surfaces, les eaux souterraines, la mer, le vent, la qualité de l’air, la température, la superficie du pays, son utilisation, son niveau de dégradation et d’érosion, les montagnes, les plaines, les forêts, les sols, la biodiversité ; les aspects organisationnels, institutionnels et légaux ou réglementaires ; les politiques, stratégies et méthodes élaborées, appliquées et prévues, les résultats obtenus ; les potentialités et perspectives dégagées ou à dégager, etc.

L’AXE INFRASTRUCTUREL

Le cadre infra structurel correspond au niveau d’aménagement du territoire : les routes, les ouvrages d’art, les infrastructures agricoles, hydroagricoles et de drainage, le réseau d’eau potable, les infrastructures de santé, d’éducation, les bâtiments administratifs, les monuments historiques, les places publiques, l’aménagement urbain et rural, le réseau de communication et de nouvelles technologies, l’électricité, les usines, les industries ; les aspects organisationnels, institutionnels et légaux ou réglementaires ; les politiques, stratégies et méthodes élaborées, appliquées et prévues, les résultats obtenus ; les potentialités et perspectives dégagées ou à dégager, etc.

L’AXE FINANCIER

Le cadre financier fait référence à tous les aspects financiers et économiques du pays, la gouvernance économique, les ressources financières disponibles, l’état de l’économie, la place de l’économie du pays par rapport aux autres pays, la dette externe, les différends bailleurs de fonds du pays, les mécanismes de financement, le produit intérieur brut (PIB), le produit national brut (PNB), les indicateurs macro économiques ; les aspects organisationnels, institutionnels et légaux ou réglementaires ; les politiques, stratégies et méthodes élaborées, appliquées et prévues, les résultats obtenus ; les potentialités et perspectives dégagées ou à dégager, etc.

L’AXE POLITIQUE

Le cadre politique se circonscrit autour de la gouvernance politique, l’organisation de l’Etat, la façon de gouverner, la coordination des institutions étatiques et gouvernementales, les collectivités territoriales et locales, les services administratifs, etc.

5. CADRE D’APPLICATION

L’approche hexagonale adaptée à la situation haïtienne et en lien avec d’autres approches classiques et à la mode, permettra de procéder à une évaluation exhaustive de l’état actuel du pays, en se basant sur les informations disponibles et à générer pour dégager des conclusions, recommandations et perspectives intéressantes, et déboucher, en collaboration avec des partenaires de la FONHDILAC, sur la préparation d’un cadre de référence et sur un plan de développement de cinquante (50) et même de cent (100) ans.

Dans ce cas précis, l’humain c’est l’individu haïtien avec ses faiblesses, ses atouts, et ses potentialités. Le social se réfère aux groupes sociaux et culturels, aux catégories sociales, au système social. L’environnemental se réfère au 27750 km2 du territoire, son niveau de dégradation, les causes de cette dégradation, les risques inhérents à cette dégradation, la gestion de ces risques, ses potentialités, ses possibilités de régénération, etc. L’infrastructurel se réfère à l’état actuel des infrastructures urbaines, rurales, historiques, les potentiels, les atouts, les contraintes, etc. La finance et l’économie s’articulent autour de la gouvernance économique, les réserves, l’état actuel de l’économie, le système financier, les potentiels, les atouts et les faiblesses du système, les potentialités en matière économique et financière, etc. La politique, c’est la gouvernance politique, la situation prévalant depuis l’indépendance, les faiblesses, les atouts,les contraintes liés au système mis en place et qui a conduit au résultat d’aujourd’hui, ce qu’il y a lieu de faire pour mettre en place un système performant.

L’approche peut être appliquée au niveau méso et micro comme cadre de diagnostic, d’analyse et d’application. Ce qu’on a essayé de faire dans le cadre des projets mis en œuvre par la plupart des institutions membres de la FONHDILAC. A titre d’exemple, dans l’irrigation, l’humain, c’est l’irrigant. Le social, c’est l’association d’irrigation et les autres organisations. L’environnemental, c’est le bassin versant surplombant le périmètre d’irrigation concerné. L’infrastructurel c’est le système d’irrigation, les réseaux de drainage, de routes, l’habitat rural. La finance et l’économie, c’est le financement mis en place par les BF, le système économique et financier au niveau du périmètre considéré. La politique c’est la gouvernance politique au niveau local, la Mairie, tout en tenant compte de la politique de l’état en la matière.

L’approche peut avoir des applications dans divers d’autres domaines d’activités. C’est aux spécialistes de faire les adaptations nécessaires pour les domaines d’application souhaités. Elle a cette potentialité de permettre d’aborder une problématique dans toute sa globalité avec l’élément humain comme axe fondamental par excellence, tenant et aboutissant de tout processus de développement.

6. LE CROISEMENT DES SIX CAPITAUX : CADRE GLOBAL DE REFERENCE POUR LE DEVELOPPEMENT DURABLE

L’approche hexagonale est étroitement liée à l’approche participative et ses diverses dérivées : le partenariat, la synergie, la responsabilisation individuelle et collective, la mise en réseau aux niveaux local, national, régional et mondial. Elle peut constituer le cadre de diagnostic, d’analyse et d’application de tout le processus de développement durable à ces divers niveaux.

Ramenée au niveau d’un pays pauvre comme Haïti, l’approche hexagonale suit le cadre logique suivant :

i. Le capital humain comme tenant et aboutissant du processus de développement local et national ;

ii. Le capital social comme élément fondamental de socialisation ;

iii. Le capital environnemental ou naturel comme cadre naturel, environnemental et géographique d’évolution de l’humain et des groupes sociaux ;

iv. Le capital physique et infrastructurel comme cadre de confort de l’humain et de l’humain regroupé en société ;

v. Le capital financier et économique, à partir de la bonne gouvernance, comme cadre de financement de l’ensemble et cadre d’évolution des activités économiques et financières susceptibles de contribuer à l’autonomisation de l’humain et des catégories sociales évoluant dans le système et le perpétuer, et

vi. Le capital politique comme élément fondamental de coordination d’incitation, d’orientation et de régulation grâce à la bonne gouvernance.

D’où le tableau de croisement suivant ou grille ou cadre global de référence permettant d’envisager de manière logique et intégrale tout le processus de développement autour des six capitaux comme axes de développement et de trente six éléments satellitaires maintenant le système en équilibre permanent.


Cadre de Référence Global

A

B

C

D

E

F

Axe Humain

Axe Social et Culturel

Axe Environ-nemental

Axe Infra-structurel

Axe Economique

et Financier

Axe Politique

I

Axe Humain

Les ressources humaines

Socialisation

Éducation au respect de l’environnement

Éducation au respect des infrastructures

Éducation économique

Éducation politique

II

Axe Social et Culturel

Participation à la vie associative

Système social

Participation à la gestion de l’environnement

Participation à la gestion des infrastructures

Participation à la vie économique

Participation à la vie politique

III

Axe Environ-nemental

Respect de l’environnement

Structures de gestion de l’environnement

Ressources naturelles

Aménagement respectueux de l’environnement

Priorisation de la protection de l’environnement

Gestion de l’environnement

IV

Axe Infra-structurel

Respect des infrastructures

Structures de gestion des infrastructures

Structures de protection de l’environnement

Aménagement du territoire

Répartition équitable des infrastructures

Gestion des infrastructures

V

Axe Economique

et Financier

Respect des règles de la vie économique

Investissements dans l’éducation

Structures de participation à la vie économique

Investissements dans la vie associative

Investissements protecteurs de l’environnement

Investissements dans les infrastructures

Le système économique et financier

Gestion des ressources financières

VI

Axe Politique

Respect des règles de la vie politique

Politique de développement des ressources humaines

Structures de participation à la vie politique

Régulation de la vie associative

Politique de protection de l’environnement

Politique d’aménagement du territoire

Définition des grands choix économiques et financiers

La gouvernance



[1] DFID, department for international development, sustainable livelihoods guidance sheets

[2] J R Jean-Noël, Approche Participative défis et exigences : un citoyen responsabilisé est un citoyen informé, sensibilisé, sachant communiquer, motivé, formé, faisant partie d’une association qui, elle- même, est en réseau avec d’autres structures tant nationales qu’internationales. Un accès à la citoyenneté avec des droits et des devoirs vis-à-vis du pays.

[3] B Ethéart, réunion du 31/01/02

[4] Michel Soukar, émission radiophonique de Signal FM

[5] En deux ans le réseau a organisé une dizaine d’ateliers sur des thèmes très variés touchant essentiellement le développement rural intégral.