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jeudi 6 novembre 2008

HAITI:INDICE DE PERCEPTIONS DE LA CORRUPTION ET TOI

Port-au-Prince, le 1er novembre 2008

HAITI : L’INDICE DE PERCEPTIONS DE LA CORRUPTION ET TOI

Jean Robert JEAN-NOEL

Haïti est un pays corrompu. Quand on pense Haïti, on pense corruption. Depuis la naissance de ce pays dans la douleur, la corruption est la seule constante qui a traversé toute son histoire. Le père fondateur d’Haïti fut victime de la corruption car il voulut une certaine équité pour ce pays, répartir mieux la richesse de ce pays exsangue après la terrible guerre de l’indépendance. Après sa mort, la corruption s’est installée en maitre. Malgré certaines éclaircies tout le long de notre histoire de peuple, le système mis en place en 1806 se perpétue en se renouvelant. Certes, on a eu de présidents honnêtes, mais ils ont du tolérer la corruption autour d’eux et pactiser avec le système pour gouverner. Ce qui se traduit aujourd’hui par une forme de culture de la corruption et explique en grande partie notre sous développement actuel. Et ce n’est pas étonnant que, lorsque le monde s’est donné cet outil, « l’indice de perceptions de la corruption », pour mesurer ce phénomène, notre pays se soit classé le plus corrompu ou parmi les plus corrompus de la terre. Alors, qu’en est-il exactement ? Et pourquoi Haïti se retrouve-t-elle parmi les derniers.

Depuis 1995, l'ONG Transparency International publie chaque année un indice de perceptions de la corruption[1] (CPI) classant les pays selon le degré de corruption perçu dans un pays. L'indice est élaboré à l'aide d'enquêtes réalisées auprès d'hommes d'affaires, d'analystes de risques et d'universitaires résidant dans le pays ou à l'étranger.

Sur la base des enquêtes menées depuis 2002 jusqu’en 2007 par cette ONG, Haïti s’est retrouvée à la 89e place sur 102 pays enquêtés en 2002, à la 131e place sur 133 pays en 2003, à la 155e place sur 159 pays en 2005, à la 163e sur 163 pays en 2006 et à la 177e sur 179 pays enquêtés en 2007. Les places occupées par notre pays sont établies sur la base de perceptions et rien d’autre.

Le lecteur doit souligner le mot perceptions. Cet indice est donc établi à partir des perceptions de la corruption de diverses catégories enquêtées. Ces perceptions sont fonction d’une certaine réalité. La perception n’est pas forcement la réalité vraie si je peux me permettre ce pléonasme. Le Président Préval parlant de la corruption en septembre 2008, a essayé de l’expliquer ainsi. Certaines personnes étaient d’accord avec lui et d’autres non. Ce qui est sur, c’est que nous tous nous sommes responsables de la perception générale que les autres se font de notre pays, en particulier de l’insécurité, du kidnapping et de la corruption. Certes, il est établi que notre pays est corrompu ; on en prend pour preuves, « le procès de la consolidation » sous le gouvernement de Nord Alexis au début du 20e siècle, « le procès des timbres » sous le gouvernement de Jean Claude Duvalier dans les années 1970, les enquêtes menées sous le gouvernement d’Alexandre/Latortue (2004/2006). Mais la place occupée par Haïti aujourd’hui est beaucoup plus liée à l’image projetée par nous autres, haïtiens, à notre façon d’opérer et à nos pratiques quotidiennes de gestion.

Haïti s’est donnée de bons outils de gestion ; elle dispose d’un arsenal législatif assez intéressant dans tous les domaines mais les gouvernements successifs ne l’appliquent. La Constitution de 1987 est venue avec des innovations, pourtant on ne se donne pas la peine de prendre des lois d’application. Et quand on s’est donné la peine d’en rédiger quelques unes, on les met au rencart. Où est-ce qu’on peut aller avec de pareilles pratiques. De plus, nous avons une perception très négative de nous-mêmes. Nous dénigrons tout le temps nos frères et sœurs. Nous les écartons parce qu’ils sont sérieux et compétents. Nous les critiquons négativement aussi pour les mêmes raisons. Nous sommes en admiration pour les gens qui ont acquis leur fortune de manière douteuse. Mais nous inventons des histoires vraisemblables pour faire passer nos frères et sœurs honnêtes, sérieux, compétents pour des vagabonds, des corrompus, des dilapideurs. Qui pis est, les vrais corrompus et les corrupteurs sont heureux de voir leurs frères et sœurs honnêtes et compétents pris pour cibles à leur place et se moquent d’eux en sourdine. Voilà notre réalité.

Cette réalité là est encore plus triste quand nous nous faisons complices de l’étranger, en inventant des histoires abracadabrantes sur nos frères et sœurs sans preuves sérieuses juste en faisant travailler notre imagination et en amalgamant. Nous agissons par jalousie, par méchanceté et surtout par souci de destruction. Prenons l’exemple des dernières mesures annoncées par le nouveau gouvernement Préval/Pierre-Louis. Après le passage sur Haïti des cyclones FAY, Gustav, Hanna et Ike, qui ont achevé de mettre à plat notre économie, le gouvernement, face à l’hésitation et à la lenteur de la communauté internationale et face à l’ampleur de la catastrophe, a décidé de déclarer l’état d’urgence pour une quinzaine de jours et a décaissé dans la foulée environ 200 M USD.

Pour engager cette somme durant une quinzaine de jours, il a fallu utiliser des procédures célères comme les contrats de gré à gré. Nous commençons par douter de notre capacité à l’engager, puisque nos chers amis de la communauté internationale parlent tout le temps de notre manque de capacité d’absorption, sans jamais évoquer les multiples conditionnalités et les procédures de plus en plus contraignantes et non harmonisées d’un bailleurs à un autre (JEAN-NOEL, 2004, 2006, in Le Nouvelliste). La somme une fois engagée, au lieu d’attendre les résultats dans les prochains mois, nous critiquons le processus au lieu de féliciter le gouvernement pour avoir engagé à temps l’argent. En outre, nous spéculons sur les noms des personnes qui vont s’enrichir, nous parlons de magouilles. Comme il est de mise en de pareils cas, nous faisons des amalgames. Si un tel est l’ami d’un tel et que ce dernier a eu un contrat de gré à gré, l’autre va faire son beurre, car c’est un prête-nom. Naturellement, nous profitons de la circonstance pour salir la réputation d’honnêtes gens. Et qui pis est, nous augmentons par le fait même l’indice de perceptions de la corruption par rapport à notre pays et ne nous étonnons pas si, en 2008 et en 2009, il se retrouvera à la dernière place.

Cet article, je l’ai écrit pour toi, mon frère haïtien, ma sœur haïtienne. Ne détruis pas l’image de ton pays, n’accuse pas ton frère ou ta sœur sans preuve. Si tu veux participer à la lutte contre la corruption, commence par éviter d’opiner sur ce phénomène sans bien le connaitre. Sais-tu que, par exemple, quand tu ne paies pas tes impôts, quand tu profites de ta position dans l’appareil étatique ou dans le secteur privé, la société civile ou même au niveau de la communauté internationale, pour obtenir des contrats incompatibles à ta fonction surtout quand tu es à la fois juge et partie, tu es un corrompu ? Toi aussi, ma sœur ? Que tu sois fonctionnaire, employé, cadre, parlementaire, ministre, président, la corruption, dépendant de son ampleur et ses conséquences, est un délit et/ou un crime. Lutter contre elle est d’abord une question d’étique et aussi un devoir de citoyen. Ah ! Tu ne savais pas. Eh bien, commençons la lutte maintenant, en remettant en question notre façon d’agir par rapport à nous-mêmes et par rapport à notre pays. Et Haïti en bénéficiera très largement : la corruption va reculer, l’indice de perceptions va baisser drastiquement, l’investissement va augmenter et le développement va se mettre en route.

Ne te sens pas visé personnellement, mon cher, même si tu es frappé en pleine poitrine. Tu dois noter et retenir que quand je parle de toi, je parle aussi de moi, n’est-ce pas? Pour paraphraser à l’envers l’autre, ce grand auteur du siècle de la lumière, celui de Louis XIV. Sans rancune, mon ami (e)!
[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/Indice_de_perceptions_de_la_corruption

lundi 20 octobre 2008

Modification du blog

Chers amis (ies),

Je viens de modifier mon blog. Il s'appelle tout simplement maintenant JEAN ROBERT JEAN-NOEL en lieu et place de HAITI DEVELOPPEMENT. La raison est simple, il y a un autre site qui se nomme HAITI DEVELOPPEMENT.

On y accède toujours en écrivant

www.jrjean-noel.blogspot.com

Votre frère

Jean Robert JEAN-NOEL

dimanche 19 octobre 2008

Entre la faim et la finance, le choix de la mondialisation

Port-au-Prince, le 18 octobre 2008

Entre la faim et la finance, le choix de la mondialisation

Par Jean Robert JEAN-NOEL

En avril 2008, Haïti a été le théâtre de violentes manifestations qualifiées d’émeutes de la faim. Ces émeutes ont balayé les efforts de relèvement du pays amorcés (taux de croissance= 1.8% en sept 2005 et inflation autour de 16% en juin 2006) avec le Gouvernement de transition après le départ forcé du Président Aristide en février 2004. Car ce départ fut suivi de violentes manifestations à Port-au-Prince qui ont rudement frappé l’économie (taux de croissance<0> 40%). Ces efforts du GOH de transition ont été maintenus par le Gouvernement du Premier Ministre Alexis à un niveau plus qu’acceptable (tx de croissance= 3.8% et d’inflation = 7.8% en sept. 2007). Alors que le pays se préparait à présenter à la communauté internationale (CI) sa stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (son fameux DSNCRP[1]) ce 25 avril 2008 pour la recherche de financement correspondant à 2 Mds d’USD sur les 3.86 Mds de besoins globaux pour le financement de cette stratégie de trois ans (2008-2011), les forces du mal[2] ont poussé le peuple dans des zones non réputées en situation d’insécurité alimentaire à mettre à plat l’économie du pays avec comme conséquence une crise gouvernementale qui a duré plus de 4 mois.

Cette crise alimentaire avec ses causes internes et externes doublée d’une crise politique allait paralyser le pays durant toute cette longue période. Certaines institutions nationales et internationales allaient se pencher sur la situation d’Haïti, en faisant des propositions pour sauver l’essentiel, la Présidence, la commission nationale de la sécurité internationale (CNSA) comme coordonnateur d’une proposition de programme de six mois de 6 Mds de gourdes incluant des partenaires nationaux et étrangers, la Fondation haïtienne pour le développement intégral latino Américain (FONHDILAC) avec sa proposition de 50 M d’USD pour la relance de la production agricole dans certaines zones irriguées du pays (32000 ha), les visites des grands de ce monde avec des promesses d’aide à Haïti, les efforts du système des Nations Unies pour trouver du financement, les promesses de la Banque Mondiale, de la BID, etc. Le Sommet de Rome sur la crise alimentaire début juillet 2008 qui a conclu qu’il faudrait 30 Mds d’USD par an pour donner à manger aux 900 millions d’affamés de la planète et qui n’a pu avoir que 6 Mds de promesses de fonds, a consacré, en marge de ce sommet, une journée à Haïti, le pays symbole de cette fameuse crise alimentaire. La conférence de Madrid du 15 juillet 2008[3] consacrée à Haïti a conclu, entre autres, et ce, malgré un programme de sécurité alimentaire et de développement rural présenté par le Gouvernement Haïtien (GOH), sur la nécessité de faire une autre conférence sur la question, cette fois-ci à Port-au-Prince, et sur la nécessité de reprogrammer la conférence sur le DSNCRP.

Entre temps, Haïti se débattant dans ses crises a reçu très peu de sous puisque ne disposant pas de gouvernement légitime donc pas d’interlocuteur pour discuter et négocier avec la communauté internationale. Toutefois, à travers les ONG et certaines agences internationales, des travaux d’urgences sont menés pour atténuer un tant soit peu les effets de la vie chère. Certaines institutions étatiques sont associées à ces travaux. Des engrais et intrants sont vendus à des prix subventionnés et distribués pour profiter de la saison des pluies et de la saison cyclonique qui s’annonçait exceptionnelle cette année avec près d’une vingtaine de cyclones prévus. Le GOH avec l’appui du secteur privé et de la CI fait un effort pour baisser le prix du riz, favoriser l’achat des engrais et les tracteurs à des prix abordables, la FAO se charge de la distribution des semences. On se croise les doigts espérant des récoltes acceptables pour réduire la situation d’insécurité alimentaire, 2.5 millions de personnes en insécurité alimentaire, selon la CNSA avec possibilité d’une aggravation au cas où les prix continueraient de grimper et en cas de cyclones.

Mi aout – début septembre 2008, quatre cyclones en trois semaines ont balayé Haïti. Du jamais vu dans l’histoire haïtienne ! Plus de 500 morts, 800 mille sinistrés, des dégâts matériels avoisinant 500 millions USD en première approximation, plus de 3 millions de personnes en insécurité alimentaire (CNSA, sept 08), une gestion post cyclonique laissant à désirer, un mois après le passage des cyclones, la ville des Gonaïves, victime d’il y a 4 ans, se débat 4 ans plus tard[4] pour se relever. Les boues sont encore dans les rues et empilées dans les coins des cours. Le Gouvernement de Mme Pierre Louis, fraichement mis en place enfin, a déclaré l’état d’urgence et débloque dans la foulée près de 200 M USD dont 57 M pour le secteur agricole engagés en moins de 15 jours dans le cadre d’un programme d’urgence de six mois. Les résultats seront-ils au rendez-vous ? Attendons voir. Toujours est-il que cette pitance n’est qu’une goutte dans la rivière par rapport au besoin du pays suite à ces crises et ces catastrophes. Mais que peut Haïti face au wait and see de la communauté internationale ? Sur plus de 100 M USD sollicités par les Nations Unies pour Haïti, moins de 30% avaient été reçus début octobre 2008. Il faut compter sur ses propres forces. Le GOH a décaissé 200 M, le Président a parlé de mobilisation nationale, tout en continuant à quémander. La situation est tout simplement critique. Espérons que les fonds décaissés permettront d’atteindre 60% des prévisions. Ce serait une bonne note vu notre réputation de corruption endémique. Peut-être qu’avec un tel résultat, nos amis de la CI nous regarderaient différemment et seraient plus disposés à délier le cordon de la bourse.

En tout cas, ils n’ont pas hésité, les Grands de ce monde, à le faire pour eux-autres pour faire face à la crise financière mondiale. Le Congrès américain a voté 700 Mds USD pour sauver ce qui peut être sauvé. Les indices de Wall Street se redressent la tête. Le Président français Sarkozy, le président en exercice de l’Union Européenne, est actuellement aux USA dans le cadre de la gestion de la crise financière. La crise financière est donc différée et peut-être évitée définitivement. Qui sait ? Des centaines de milliards de USD et d’Euros pour essayer de juguler la crise financière mondiale, mais incapacité et manque de volonté des Grands pour mobiliser 30 Mds l’an pour faire face à la crise alimentaire mondiale et éradiquer la faim dans le monde et en Haïti, une fois de plus la mondialisation économique a fait son choix, il est tout simplement financier au détriment de l’essentiel, l’humain. Pourtant un petit effort de la part des Grands de ce monde pour humaniser la mondialisation avec seulement moins de 5% l’an de la coquette somme engagée par le premier des Grands, les USA, changerait définitivement la face du monde. Tu sais, mon ami (e), le choix actuel de la mondialisation n’est à l’évidence pas humain et plus grave encore il n’est plus économique mais financier.


[1] Une œuvre participative et essentiellement haïtienne de source digne de foi
[2] En effet comment expliquer ces soudaines émeutes ? Si on se réfère à la carte de zones en insécurité alimentaire établie pour la période par la CNSA, les Cayes et Port-au-Prince, le théâtre des émeutes, n’y figurent pas.
[3] Conférence de Madrid sur la sécurité alimentaire et le développement rural en Haïti.
[4] Parce que victime à nouveau du passage de deux autres cyclones en une semaine début septembre 2008.

dimanche 14 septembre 2008

INONDATION AUX GONAIVES ET AUTRES ZONES: CAUSES, CONSEQUENCES, PROPOSITIONS ET PERSPECTIVES.


Chers lecteurs,

Ce document a été publie en septembre 2004 après le passage de Jeanne aux Gonaïves. Le Premier Ministre Latortue et son Gouvernement l'avaient partiellement utilisé. Maintenant, après le passage de ces 4 cyclones sur Haïti en 3 semaines, en particulier Hanna et Ike, qui ont déversé des millions de mètres cubes d'eau sur la ville des Gonaïves en moins d'une semaine du 1er au 6 septembre 2008, j'ai décidé de republier ce document sur mon blog, afin de permettre au maximum de gens de savoir ce qui s'est passé en 2004 et mieux comprendre ce qui se passe maintenant. Ce document, mis à part certains chiffres comme par exemple la hauteur d'eau de 2 m en moyenne en 2004 qui est passée à 3 m en moyenne en septembre 2008, ou encore le nom de Jeanne à remplacer par Hanna, le nombre de morts qui est passé de 3000 à moins de 200 aux Gonaïves, la Rivière La Quinte qui heureusement a été curée en aval du Pont Gaudin sur environ 5000 m ainsi que certains drains quelques mois avant le passage de Hanna, l'existence d'un plan directeur pour le bassin versant (BV) financement BID, d'un dossier mini-CCI de 100 M USD pour Gonaïves laissé par le Gouvernement de transition, des travaux de drainage initiés mais inachevés au centre ville, du pont inachevé de la Savane Désolée, qui aurait pu être d'un grand secours s'il était achevé, et des interventions qui se faisaient toujours sans aucune coordination en dépit d'une unité de coordination et de réhabilitation des Gonaïves (UCRG) mise en place par le Gouvernement de transition mais dont on ignore si elle existe encore, ce document, dis-je, reste encore valable dans son essence et pourra aider les décideurs à mieux intervenir. Il faudrait toutefois revoir à la hausse le nombre d'emplois a créer sur l'ensemble du pays vu l'ampleur de la catastrophe due cette année au passage de ces 4 cyclones (FAY, GUSTAV, HANNA et IKE) en 3 semaines. Du jamais vu en Haïti!

Lisez en pensant que ce dossier a été préparé pour ce qui se passe maintenant, surtout avec la famine et les risques d'épidémies confrontés par Gonaïves et les autres zones du pays touchées par les 4 cyclones avec leurs lots de plus de 300 morts, des milliers de cadavres d'animaux et de centaines de millions de USD de dommage et du million de sans abris. Il faut réagir vite et bien. Cette fois-ci, la catastrophe est nationale. Et elle risque de se reproduire tout de suite. Alors, cessons de nous chamailler et mettons nous au travail si nous ne voulons pas voir disparaitre notre chère Haïti. Et nous avec.

Port-au-Prince, le 29 septembre 2004
INONDATION AUX GONAIVES ET AUTRES ZONES: CAUSES, CONSEQUENCES, PROPOSITIONS ET PERSPECTIVES.
Par Jean Robert JEAN-NOEL

Le samedi 18 septembre 2004, la tempête tropicale Jeannne est passée très lentement au large des côtes Nord de l’île d’Haïti. Selon les témoignages des habitants de la ville des Gonaïves (105,587 hab, IHSI 2003), il a plu toute la journée : pluie fine dès 10 h am et pluie diluvienne dans l’après-midi et dans la soirée. Ce qui a provoqué une inondation monstre au niveau de la commune des Gonaïves et des autres zones avec plus de trois mille (3000) morts dont plus de deux mille cinq cents (2500) aux Gonaïves, plus de 3000 ha de terres dévastées, plus de quarante mille (40000) familles sinistrées, dépourvues de tout, décapitalisées et dans une situation sanitaire précaire et catastrophique. Que s’est-il passé et quelles perspectives envisagées ?

Les principales causes de l’inondation aux Gonaïves

1.   Nous ne disposons d’informations exactes sur la quantité de pluie qui s’est abattue sur Haïti et en particulier sur les bassins versants (700 km2) de la Rivière La Quinte ; les estimations varient entre 9 et 13 pouces de pluie durant environ 24 heures. Cette rivière prend sa source au pied du versant sud ouest de Marmelade presque à hauteur de St Michel en passant par Ennery, Passe-Reine et reçoit sur son parcours (45 km environ) les eaux des nombreuses ravines en particulier de la Rivière La Branle au nord, de la Rivière Bayonnais au sud avant de se jeter dans la mer au niveau de Grammont dans la baie des Gonaïves. Mise à part la ravine Bassin ou Sedren qui draine les versants nord de la ville des Gonaïves, la Rivière La Quinte demeure l’exutoire naturel et principal de tous les autres versants (700 km2) surplombant la Commune des Gonaïves. A noter que tous ces versants sont dans un état avancé de dégradation, que la Rivière La Quinte n’a pas été curée depuis dix (10) ans, et a une section transversale assez réduite en déça du pont La Quinte et des brèches au niveau des berges.

2.   La Rivière La Quinte est toujours utilisée à des fins d’irrigation par des riverains tout le long de son parcours. Les prises non équipées de vannes de garde sont en général des prises sur berge renforcées par des barrages de fortune en travers de la rivière. En période de crues, les eaux ont tendance à s’échapper par ces brèches pour envahir les localités environnantes et la ville des Gonaïves. Dans le cas de JEANNE où l’on enregistrait une crue exceptionnelle et historique, ces prises de fortune ont très largement contribué à l’inondation des localités environnantes et de la ville des Gonaïves. Ce qui, dans le cadre d’un plan éventuel de reconstruction de la région, nécessiterait des conciliations et des compromis optima en ce qui a trait aux deux rôles essentiels de la Rivière La Quinte, le drainage naturel des versants de la région gonaïvienne et l’alimentation des systèmes d’irrigation.

3.   La ville est située au niveau de la mer avec des élévations comprises entre 1 m au centre ville et 4 m dans la zone de Gatereau et au pied du morne Biénac. La pente orientée est-ouest est très faible et ne favorise pas en temps normal l’écoulement des eaux vers la mer. D’où la tendance à la stagnation des eaux favorable au développement rapide des moustiques. Gonaïves est réputée pour ses moustiques « gwo tan kou yon bis o cap » selon la célèbre comparaison de Kompè Filo. Avec l’élévation du niveau de la mer en période de cyclones ou de mauvais temps, l’évacuation des eaux de pluies et de crues de la Rivière La Quinte devient très difficile et le niveau d’eau au niveau de la ville a tendance à grimper. Et c’est ce qui s’est produit ce samedi 18 septembre 2004 en atteignant plus de 2 m de hauteur moyenne.

4.   Depuis les travaux d’infrastructures liés au tri-cinquantenaire de l’indépendance d’Haïti (1954) entrepris par P.E Magloire où il fut procédé aux travaux de voirie urbaine, d’assainissement et de drainage du centre ville, la commune des Gonaïves a connu trois (3) grandes période de travaux d’infrastructure qui ont une incidence sur la situation actuelle, 1) la mise en place des équipements d’irrigation et de drainage au niveau de la Plaine des Gonaïves (1972-1979) à l’est du centre ville sur 2500 ha environ, 2) la réhabilitation de rues en adoquins et l’assainissement de rues aux Gonaïves avec les TPTC (1983-1992) et 3) le curage de ces mêmes infrastructures au niveau de la commune des Gonaïves, le nettoyage de la ville , la mise en place et la réparation d’équipements urbains à Raboteau et au centre ville (1993-1997) dans le cadre des programmes JOBS de PADF , de création d’emplois et PURE de l’UCG financés par l’USAID, la BID, la Banque Mondiale et l’Etat Haïtien. L’absence d’entretien de ces infrastructures de drainage depuis près de dix (10) ans a très largement contribué à l’inondation de la ville et de ses environs.

5. Dans les cinquante dernières années, Gonaïves a connu un développement anarchique en matière d’urbanisme. La ville s’est bidonvillisée dans ses périphéries et s’est agrandie considérablement jusqu’à absorber une grande partie de la plaine cultivable. Et les constructions sont érigées dans certaines zones sur des drains artificiels et des exutoires naturels. Ce qui complique la circulation des véhicules et des humains et empêche l’évacuation des eaux usées et de pluie. C’est là aussi une des causes de l’inondation de la ville.

Problèmes et Conséquences de l’inondation aux Gonaïves:

- lourde perte en vies humaines (2500 et plus)

Niveau Infrastructures :

§     Une ville et ses environs immédiats (Ennery, Passereine, etc) dévastés
·                     Route nationale coupée au niveau de Passe-Reine et Routes départementales impraticables et isolement de l’Artibonite par rapport au Nord-Ouest et au Nord
·                     Centrales électrique et téléphonique non fonctionnelles, pas de possibilités d’alimenter les maisons et de communiquer ;
·                     Système d’eau potable partiellement endommagé et absence d’électricité pour  remplir le réservoir principal ;
·                     Stations de radio et de télévisions fortement endommagées d’où impossibilité de sensibiliser et d’informer la population ;
o        Hopitaux, centres de santé, dispensaires et cliniques privés hors d’état de fonctionnement ;
·                     destruction de maisons d’habitation, d’édifices publics, des drains et voirie
·                     Formation d’un étang à Savanne désolée au niveau de Nan Maton et de l’Aérogare des Gonaïves. Cet étang formé couvre environ 25% de la superficie Savane Désolée (3000 ha) et un kilomètre de route nationale totalement inondée sur une hauteur moyenne d’un mètre rendant ainsi la ville difficilement accessible.

Niveau Institutions :

§     toutes les archives sont inondées et perdues
§     La non-organisation de l’aide aux sinistrés
§     Désarticulation de l’ensemble des institutions et organisations de la société civile et de l’Etat au niveau local

Niveau socio-économique :

§     Des gens traumatisés, démunis, et dépourvus du minimum vital
§     des chômeurs frappés dans leur essence
§     affaiblissement d’une économie déjà anémiée (avec des potentiels immenses (200 000 habitants)
§     situation sanitaire catastrophique (cadavres d’animaux, d’humains, eaux polluées, etc.)
§     destruction des produits alimentaires stockés,
§     famine généralisée et décapitalisation de la commune et de ses environs
§     recrudescence des actes de vandalisme qui sévissaient déjà avant l’inondation
§     pertes de récoltes, de bétails, de véhicules, de matériels de toutes sortes
§     Des gens livrés à la fureur des « chimè », sans abri et laissés-pour-compte

Propositions

Les propositions et perspectives envisagées tiennent compte de l’urgence de la situation gonaïvienne et des autres zones touchées mais aussi de la nécessité de regarder vers le long terme.

Recommandation no 1 : Entreprendre une opération coup de poing

Durant les trois semaines qui vont suivre, il faudrait envisager, avec la coordination du Comité de Coordination mis en place par le Gouvernement, une opération coup de poing avec la Santé Publique, les TPTC, le MARNDR et la police nationale renforcée par la MINUSTAH, les délégations départementales concernées, les Mairies, les Organisations de la Société Civiles, COSUVIGO, UARADCOME, AEA, Association des Ingénieurs des Gonaives, les Associations d’irrigants au niveau de Bassin Bleu, de Chansolme et de Port-de-Paix, les ONG CARE, CECI, PADF, etc en :renforçant les structures étatiques sur place (locales et dépêchées) tout en pensant à des rotations périodiques des brigades d’intervention (question de maintenir l’efficacité de l’opération) ; sollicitant l’appui de la communauté internationale si nécessaire ; identifiant et en travaillant avec les institutions et organisations nationales et locales comme les firmes de construction et de location de matériels lourd ( VORBE, HL, Haitian Tractor, SOGED, etc).

Résultats attendus :

ü  Nettoyage systématique des diverses zones touchées, en particulier la ville des Gonaïves, à l’enlèvement des cadavres d’humains et d’animaux et à leur enterrement dans des fosses communes séparées ;

ü  Désinfection de toutes les zones en utilisant des produits puissants capables d’éliminer systématiquement tous les germes de maladies liés à la stagnation d’eaux polluées, mais non toxiques pour les humains ;

ü  Identification des institutions et organisations susceptibles de mener à bien de telles opérations ;

ü  Meilleures possibilités d’interventions dans des zones touchées avec des routes d’accès plus faciles, des risques réduits de contamination et des informations plus fiables ;

Recommandation no 2 : Mise en place de trois (3) unités de coordination et de Gestion par zones touchées par l’inondation.
Parallèlement à la recommandation No 1, la Mise en place d’un « Task force » réparti en trois (3) unités composées des institutions étatiques, des collectivités territoriales et de la société civile locale, accompagnées par la police nationale et la MINUSTAH et qui travailleront en étroite collaboration avec la Coordination centrale. Ces unités seront des unités de Coordination et gestion mises en place de manière concertée et non partisane :
·                     une unité pour la ville des Gonaïves
·                     une unité pour les zones environnantes : Mapou, Passereine, Ennery, Coridon, Gros-Morne, etc.
·                     une unité pour le Nord-Ouest

Taches des unités, catégorie urgence Urgente
  1. Rencontre avec les responsables de la société civile locale, les collectivités territoriales, les institutions étatiques sur place, Par Ex pour Gonaïves Comité de support à la ville des Gonaïves » (COSUVIGO) , le Délégué, le Maire, les responsables de Santé, des TPTC, du MARNDR et de la Police Nationale etc.
  1. Recensement des sinistrés par quartier, par bloc de maisons, etc.
  1. Aménagement d’espaces pour les sans-abris
  1. Mise en place d’un comité de distribution par bloc ou quartier (personnes honnêtes et sérieux)
  1. Mise en place de brigades sanitaires pour désinfecter la ville, pour se débarrasser des cadavres d’humains et animaux.
  1. Distribution de kits par famille (aliments, médicaments préventifs, draps, vêtements, serviettes, pâtes, savons, ustensiles de cuisine, etc.) pour au moins 2 semaines de subsistance. A faire famille par famille. (40 000 kits) A titre indicatif 40000 @ 2500 G = 100,000,000 G ou (2,857,143.00 USD). S’assurer que chaque famille en trouve un.
  1. Distribution d’eau par camions- citernes journellement pour la cuisson, la lessive, la boisson en y mettant des comprimés de purification d’eau et l’hygiène. La centrale thermique de 1 MW construite spécialement pour les Pompes d’irrigation pourra être utilisée, si elle n’est pas gravement endommagée ; et la plupart des pompes non endommagées pourraient être actionnées pour l’alimentation des camions citernes.
  1. Mise en place de cliniques mobiles pour les soins d’urgence

Taches des Unités, catégorie Urgence
  1. Appui au nettoyage des maisons et recapitalisation des familles à raison de 1000 G/famille pour les tâches de nettoyage et brigades de pompier pour nettoyage à pression dans certains cas ;
  1. Mise en place d’un programme HIMO pour le nettoyage de la ville, le curage des drains, des canaux, le curage et le colmatage des brèches au niveau des rivières et ravines pour la conservation de sols et de l’eau au niveau des versants pour la réparation des routes en terre et en adoquins et la recapitalisation de 15,000 familles les plus démunies à raison de 1 emploi/ famille, soit 15000 emplois journaliers avec une rotation tous les six (6) mois, on toucherait 60000 familles en deux ans. Il faudrait pour cela la somme de 35,235,000.00 USD sur une période de deux (2) ans avec une participation locale d’une journée non payée. Pour ce travail, ces unités seront accompagnées par les spécialistes des programmes que le Gouvernement Haïtien se chargera de recruter pour veiller à la bonne exécution du programme et à une gestion transparente des fonds.
  1. Le recrutement des organisations et des groupes de bases organisés qui seront chargés de recruter eux-mêmes les travailleurs, ouvriers spécialisés et contrôleurs susceptibles de garantir le succès du programme.
  1. Le choix des sites et des aires d’intervention
  1. S’assurer de la formations des organisations et des groupes pour l’exécution des travaux selon un certain standard mais aussi pour bien gérer et produire des rapports périodiques répondant aux normes en la matière.
Tâches des Unités et de la Coordination centrale, actions à court, moyen et long termes
  1. Réparation et équipement des édifices publics et communautaires, construction de nouveaux édifices publics et communautaires ;
  1. Reconstruction de la ville suivant le plan d’urbanisme réalisé par la firme BETA et commandité par l’UCG et nécessité de réactualisation de ce plan d’urbanisme et de son application stricte dans la reconstruction ;
  1. Réhabilitions de l’environnement, réhabilitation et développement des infrastructures socio économiques de base, systèmes d’irrigation, Voirie urbaine, routes nationales et départementale, électricité, eau potable, communications, etc, au niveau de toutes les zones touchées ;
  1. Etude des causes de l’inondation et proposition d’un Plan d’Action axé sur l’Humain, le Social, l’Environnemental, l’Infrastructurel dans un cadre économique, financier et politique participatif, incitateur et tourné vers le local en tenant compte de la pensée globale ;

Recommandation No 3 : Lancer un vaste programme de création d’emplois (35000 emplois journaliers) à travers le reste du Pays en complément au programme 15000 emplois évoqué à la recommandation No 2.

Il est impératif pour le Gouvernement de créer des emplois temporaires sur une période de deux (2) ans. La création de 35000 emplois temporaires permettra au gouvernement de souffler et de soulager la misère de la majorité utilisée à des fins de déstabilisation. Les 35000 emplois journaliers avec des rotations trimestrielles permettront au Gouvernement de toucher en deux ans 280000 familles, soit 1,400,000 personnes. La somme requise pour créer ces emplois est de 82,215,000.00 USD.

A noter que ces deux programmes de création d’emplois (50000 emplois journaliers) exigeront des dépenses de l’ordre de 117,450,000.00 USD , soit 1,087,500 Personnes-mois (P-M) de travail sur 2 ans, plus que les 750,000 P-M prévus par le CCI.

En comptant les autres programmes d’infrastructures prévus par le CCI qui vont prendre plus de temps pour être mis en branle, le Gouvernement pourrait facilement atteindre 200,000 P-M de plus.

Recommandation No 4 : Profiter de la triste situation liée au passage de JEANNE pour une grande concertation nationale inclusive en vue d’un plan global de développement d’Haïti

La mise en branle d’un plan global de longue durée (50-100 ans) dans le cadre d’une grande concertation nationale convoquée par le Gouvernement Haïtien interpellant toutes les forces vives de la Nation tant en Haïti que dans la diaspora, en particulier les institutions, les organisations de la société civile, les partis politiques, les groupes de base organisés et le Gouvernement Haïtien (GOH).

Ce plan débouchera sur des propositions concrètes pour l’émergence d’un nouvel Homme Haïtien évoluant dans un cadre social plus convivial et inclusif, dans un environnement naturel régénéré et équipé d’infrastructures socio économiques de base grâce à un cadre économique et financier ouvert, attractif et incitateur et un cadre politique orienté essentiellement vers le développement intégral et global du Pays Haïtien, devenu par l’implémentation d’un tel plan, le porte drapeau d’une mondialisation à visage humain par l’emprunt, l’adaptation et le renforcement des valeurs fondamentales de la pensée globale.

CONCLUSION

En guise de conclusion, il est à souligner que si le Gouvernement n’applique pas ces recommandations même partiellement et certaines dans l’immédiat, la situation actuelle déjà très difficile à gérer aura tendance à s’empirer et à devenir explosive et pourra entrainer le Pays dans un tourbillon de violences susceptible de compromettre très sérieusement son avenir.

Nous ne voulons pas être alarmistes, mais dans la conjoncture actuelle avec les forces en présence, les intérêts divergents qui les caractérisent et surtout le spectre de l’aggravation de la situation qui arrange la plupart d’entre elles et non des moindres, le Pays pourra connaître les pires moments de son existence avec à la queue une occupation réelle et de longue durée sans aucune participation de ses fils et filles, même les plus compétents, mis à part ceux-là qui sont toujours à toutes les sauces et qui ne sont en fin de compte d’aucun pays, guidés seulement par leurs intérêts mesquins. Ne perdons pas de temps et agissons pendant qu’il est encore temps.
Jean Robert JEAN-NOEL
Ing Civil, Consultant
PDT de FONHDILAC

vendredi 11 juillet 2008

VIE CHERE : ENTRE ROME ET MADRID, HAITI N’A D’YEUX QUE POUR MICHELE

Ce texte peut être diffuse par n'importe quel média qui le juge utile, surtout s'il s'agit d'un média qui le reçoit au même moment de sa sortie sur le blog de l'auteur.

VIE CHÈRE : ENTRE ROME ET MADRID, HAITI N’A D’YEUX QUE POUR MICHELE

Par JEAN ROBERT JEAN-NOEL

Dans mon dernier texte sur la conjoncture haïtienne du 14 juin 2008 (réf. www.jrjean-noel.blogspot.com) , j’ai analysé la situation politique, l’insécurité et la problématique agricole par rapport à la Conférence de Rome sur la crise alimentaire mondiale du 3 au 5 juin 2008. Haïti a été à l’honneur en marge de cette conférence en cette journée du lundi 2 juin qui lui a été consacrée. Au cours de cette journée, il a été décidé, entre autre, d’envoyer une mission inter agence (FAO, FIDA, PAM, BM)[1] du 16 au 28 juin 2008 en Haïti et l’organisation de la conférence de Madrid le 15 juillet 2008 sur Haïti dont le thème définitif retenu est « sécurité alimentaire et développement rural en Haïti[2] ».

Entre temps, après le revers de Robert Manuel à la chambre basse, 2e Premier Ministre désigné par le Président Préval après la déconvenue d’Eric Pierre par la même chambre des députés, en particulier le fameux groupe CPP (concertation des parlementaires progressistes), le Président a pris soin de désigner au poste de Premier Ministre une femme, Mme Michèle D Pierre-Louis. Depuis, tous les médias ne parlent que de Michèle, presse parlée, écrite télévisée et les fora sur internet. Que faut-il en penser ?

L’occultation des problèmes réels du pays

Michèle a déchaîné les passions, délié les langues. Sa vie privée est étalée au grand jour, ses capacités aussi heureusement. Des prises de position pleuvent. Même le Président s’y est mêlé. Une fois de plus, Haïti a fait preuve de son incapacité à se pencher sur ses vrais problèmes : l’aggravation de la vie chère avec l’augmentation des prix du carburant qui va avoir des répercutions sur le coût de la vie et qui pourrait être l’étincelle qui provoquerait l’explosion générale cette fois-ci, la situation de vulnérabilité de notre pays en pleine saison cyclonique, la grande nécessité de trouver des réponses à ces problèmes qui pourraient valoir à notre pays une déchéance encore plus terrible, susceptible de compromettre définitivement son développement, etc., etc.

La priorité au développement d’Haïti

Le débat autour de Michèle a relégué à l’arrière plan la conférence de Madrid, qui pourrait être, si elle était bien préparée par nos responsables, la planche de salut pour notre pays pour redémarrer avec le processus de développement mis en veilleuse depuis avril 2008. Les émeutes de la faim ont empêché la conférence du 25 avril 2008 sur le financement du DSNCRP[3] qui aurait pu permettre à Haïti d’avoir accès à des fonds additionnels de l’ordre de 2 milliards de USD (J. E Alexis, avril 2008). Certes, la conférence de Madrid sur la sécurité alimentaire et le développement rural n’aura pas cette prétention, mais elle permettra à Haïti de se replacer sur l’échiquier international, d’aborder avec sérénité les aspects urgents de la problématique vie chère et jeter, avec ses partenaires de la communauté internationale, les bases pour un redémarrage du processus du développement durable du pays haïtien, ne serait-ce que dans les domaines du développement agricole et rural.

Que peut-on espérer de Madrid ?

Le thème de la conférence en dit long : « Sécurité alimentaire et développement rural en Haïti ». Organisée par l’Espagne et coprésidée par la France et l’Argentine, la conférence de Madrid du 15 juillet 2008, qui réunira la communauté internationale, les bailleurs de fonds et les pays amis autour d’Haïti, devrait déboucher sur une meilleure compréhension des derniers événements qui ont secoué notre pays en avril 2008, sur des engagements financiers vis-à-vis d’Haïti pour l’aider à faire face à la crise de vie chère, à combattre la faim par la distribution de nourriture à plus de 250000 personnes les plus vulnérables, par la création d’emplois dans les domaines d’assainissement, de routes, d’irrigation, de conservation de sol et de l’eau (environnement), etc., et par la relance de la production agricole tant au niveau des terres irriguées (80000 ha) qu’au niveau des montagnes humides, plaines, montagnes et plateaux secs (700000 ha) en saison pluvieuse.

En outre, cette conférence devrait permettre d’harmoniser les diverses initiatives et actions prévues au niveau de la présidence, des ministères de l’agriculture, des travaux publics, de la CNSA[4] et des agences du système des nations unies (SNU). Les besoins d’Haïti en financement pour faire face à cette grave crise devraient aller chercher, à mon humble avis, dans les 500 M de USD sur une période 2 ans et ½, et ce, en dehors des prévisions du DSNCRP. Ce qui permettrait à notre pays de créer plus de 100000 emplois journaliers pour les défavorisés durant cette période et envisager des actions durables pour le développement d’Haïti.

Cette conférence pourrait enfin statuer sur la nouvelle date de la conférence sur le DSNCRP renvoyée sine die en avril 2008 à cause des émeutes de la faim et leurs conséquences sur la situation globale du pays haïtien (instabilité politique, insécurité, coup d’arrêt au processus de développement, etc.).

En guise de conclusion, ce pays a trop de choses sérieuses à faire pour se concentrer uniquement sur les beaux yeux de Michèle D Pierre-Louis, encore que c’aurait été compréhensible. Mais descendre en dessous de sa ceinture, c’est vraiment le comble !

Que ceux-là qui ont réellement contribué au développement de ce petit pays « le plus pauvre de l’hémisphère occidentale » et qui se sentent moralement à point par rapport à eux-mêmes dans leur âme et conscience et par rapport à Haïti « lui jettent la première pierre » !

Sinon regardons ensemble ce que nous pouvons faire pour sortir notre pays du bourbier. Madrid pourra être notre planche de salut pour positionner Haïti comme « le pays modèle » dans la cadre de cette lutte mondiale contre le fléau de la faim. Pourquoi pas ? Haïti fut, selon Jean Généus (Autant en emporte la révolution, 2008), le pays modèle en matière de solidarité par sa « contribution dans la lutte de libération des peuples de l’Amérique latine » dont d’une certaine manière l’Argentine, face aux puissances coloniales européennes d’alors dont l’Espagne et la France. Les trois se mettent ensemble pour organiser la conférence de Madrid, à nous de profiter de leur solidarité actuelle pour le bien être de notre pays au lieu de nous chamailler sur le corps d’une femme de 61 ans. Et si c’était un homme comme on en a eu durant deux cents ans avec toutes sortes de mœurs et à tous les niveaux de l’appareil étatique, on en chuchoterait tout simplement comme on en avait l’habitude.

Laissons Michèle en Paix. Que son sort soit décidé uniquement au regard de la constitution de 1987 et de sa politique générale eu égard au programme proposé pour le développement d’Haïti. Au parlement de prendre objectivement ses responsabilités. Et ensemble regardons momentanément du coté de Madrid en ce 15 juillet 2008.



[1] FAO : organisation des Nations unies pour l’agriculture. FIDA : Fonds international de développement agricole. PAM :Programme alimentaire mondial. BM : Banque Mondiale.

[2] Le terme « souveraineté » alimentaire préalablement choisi a été remplacé par « sécurité » alimentaire. En tout cas, Haïti a intérêt à profiter de cette conférence pour initier des actions pour sa souveraineté alimentaire.

[3] Document Stratégique National pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté, notre nouveau cadre de coopération avec la communauté internationale (CI) qui a remplacé le Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) depuis octobre 2007.

[4] Commission nationale de sécurité alimentaire