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samedi 30 novembre 2013

HAITI, DECHOUCAGE OU ENTENTE ?


HAITI, DECHOUCAGE OU ENTENTE ?

JEAN-ROBERT JEAN-NOEL

30 NOVEMBRE 2013


Malgré la mise en application partielle de mes suggestions par la Présidence (Réf. http://www.jrjean-noel.blogspot.com/2013/10/haiti-de-betise-politique-en-betise.html), dont la convocation de la Chambre Basse pour le vote de la loi électorale dans les mêmes termes que le Senat, la non caducité du Parlement par le Président,  le 2e lundi de Janvier 2014, (M. Lucien JURA en a clairement fait mention au nom du Président de la République), on a relevé la persistance des manifestations de rue, surtout après l’interpellation des trois (3) ministres du Gouvernement Martelly-Lamothe, Intérieur, Justice et Affaires Etrangères, qui ont échappé de peu, le 5 novembre 2013,  à un vote de non confiance de la part du Sénat  et à cette stratégie de dégrainer les membres du Gouvernement  comme des « pat bannan’n » prêtée au Sénat majoritairement opposé au Président, en dépouillant le gouvernement par grappe de ministres par interpellation successive. On aurait tout vu et tout entendu.

Toujours est-il que, contrairement au discours du Président à Vertières axé sur le dialogue, la concertation, l’unité, celui du Président de l’Assemblée nationale à l’ouverture de l’Assemblée nationale convoquée par le Président de la République, est belliqueuse, tirant à boulets rouges sur M. Martelly, responsable de tous les maux du pays, un discours de leader d’opposition, d’un homme indigné, qui laisse quand même une fenêtre ouverte au dialogue malgré lui. Tandis que la situation conflictuelle Haïtiano-Dominicaine atteint une dimension internationale en faveur d’Haïti, les dominicains semblent opter pour le renvoi massif d’ « haïtiens » dans leur pays d’origine, en se basant sur des « prétextes fallacieux », en mettant en application l’arrêt de la Cour Constitutionnelle dominicaine de manière rétroactive en violation de leur propre Constitution de 2010. D’où le titre de notre article du mois de novembre 2013, « Haïti, déchoucage ou entente ? ».

Les manifestations de rue
Les manifestations de rue anti et pro-martellistes ont marqué à l’encre rouge le mois de novembre 2013. Celles de l’opposition, conduites par les bases LAVALAS(le Parti de l’Ex-Président, Jean Bertrand ARISTIDE, et le MOPOD ( regroupement de partis comme le RDNP de Mme MANIGAT, la KID d’Evans PAUL, le PNDPH de Tunep DELPE pour ne citer que ces personnalités, et coordonné par l’éminent professeur, Jean-André VICTOR, avec comme slogan, la démission de Martelly et Dessalines pral kay Pétion (Dessalines va chez Pétion), ont débouché, le Lundi 18 novembre, à Delmas et Pétionville, sur des casses de voitures et de magasins dont une fois de plus, une fois de trop (?), celui du Jeune et dynamique entrepreneur, Mathias PIERRE, le GAMA.

De l’autre coté, ce même 18 novembre, un groupe de manifestants pro-martelliste a sillonné les rues de la zone métropolitaine demandant l’ « unité et la paix », et le discours du 18 novembre 2013 au Cap-Haïtien du Président Martelly a été dans la même veine, la main tendue pour le dialogue avec l’opposition anti-martelliste. Après le discours, le Président Martelly a pris lui-même la tête d’une foule immense de sympathisants pour faire le parcours de Vertières jusqu’à la ville  du Cap-Haïtien avec le slogan : « Martelly 5 an, si yo pa vle 10 an » (Martelly pour 5 ans, si on ne veut ce sera pour 10 ans).

Les manifestations anti-Martelly se sont multipliées, ce 29 novembre 2013, en deux endroits de la zone métropolitaine, à Tabarre et à Port-au-Prince. Une branche de LAVALAS voulait rendre hommage aux victimes des élections avortées du 29 novembre 2007 à Ruelle Vaillant, tandis qu’une autre branche voulait manifester devant l’Ambassade américaine, à Tabarre, « pour demander aux américains de débarrasser le pays de Martelly ». La Police Nationale et la MINUSTAH ont bloqué toutes les issues d’accès à l’ambassade. Ce qui a donné lieu à des jets de pierres et à des pneus enflammés de la part des manifestants et à la riposte des forces de l’ordre faisant usage de gaz lacrymogène.

La volonté de négocier
Le vote de la loi électorale par la Chambre basse dans les mêmes termes que le Sénat, la prolongation du mandat des sénateurs jusqu’en 2015, le discours du 18 novembre 2013 du Président, la poursuite du dialogue entre l’Exécutif et le Législatif à travers « Religions pour la Paix » traduisent clairement la volonté du pouvoir exécutif de réviser « ses dérives dictatoriales ». Pourtant le MOPOD ne démord pas « Elections en 2013 ou démission », tandis que l’OPL croit que les élections ne sont pas vraiment importantes par rapport à la question dominicaine, même si elle exige déjà un autre conseil électoral provisoire. D’autres voix vont dans le même sens, surtout en ce qui a trait à la question dominicaine. N’est-ce  pas REPAREN ? La peur inspirée par les manifestions MOPOD-LAVALAS, qui deviennent de plus en plus violentes et qui libèrent les semeurs d’insécurité (cambriolages, mort d’hommes, casses de magasins, de voitures, fermeture par précaution des bureaux de la Communauté Internationale en Haïti, ce vendredi 29 novembre 2013, dans la zone métropolitaine), commence  à augmenter le rang de l’entente par rapport au déchoucage.

Aggravation de la situation et durcissement de la position dominicaine
Le dernier développement de la situation conflictuelle haïtiano-dominicaine, la position du Président dans son discours à Trinidad and Tobago, la position très ferme de la communauté internationale vis-à-vis de la République Dominicaine, l’entêtement de  cette dernière à rapatrier sans sommation nos frères de la diaspora dominicaine sous n’importe quel prétexte, le rappel de leur Ambassadeur à Port-au-Prince, et la réciprocité haïtienne en la matière traduisent clairement une aggravation de la situation conflictuelle.

Un fait anodin à rappeler pour démontrer l’intransigeance dominicaine : lors de la réunion de la FAO à PANAMA  du 27 au 28 Novembre 2013 consacrée au « Programme triennal de relance agricole » d’Haïti, aussitôt la nouvelle du rappel de l’ambassadeur dominicain connue, les délégués dominicains ont discrètement laissé la salle de conférence. Un autre fait, après le discours du Président Martelly à Trinidad, les autorités dominicaines ont annulé la 2e rencontre de médiation du Venezuela entre Haïti et la République Dominicaine. Il faudrait donc s’attendre à un durcissement de la situation du coté dominicain. Heureusement que certains intellectuels haitiens avaient pressenti tout cela et avaient appelé au boycott des produits dominicains.

Le prix à payer
En tout cas, ce que les haïtiens doivent savoir, l’aggravation de la situation conflictuelle actuelle aura des répercussions très graves sur les deux pays. L’industrie de la construction et du tourisme dominicains repose en partie sur les haïtiens, tandis que l’agriculture dominicaine repose en majeure partie sur la main d’œuvre haïtienne. Il faut noter que depuis 2007, les investissements haïtiens en RD dépassaient le milliard de USD (réf. http://www.radiokiskeya.com/spip.php?article3881). Par contre, nous avons environ 15,000 étudiants en République Dominicaine. Et notre ventre dépend en grande partie des dominicains. Il y aura donc un prix à payer des deux cotés. D’où la nécessité de dialogue pour résoudre ce conflit déclenché par les dominicains dans leur phobie anti-haïtienne. Les conséquences seront peut-être plus graves du coté haïtien. Il nous faudra user encore plus de diplomatie pour les confondre. C’est le prix à payer pour sauvegarder un peu de dignité.

A ce stade de notre analyse  de la situation globale du pays sur le plan politique, faudra-t-il le  déchoucage de Martelly à cause de « ses dérives dictatoriales » ou l’entente avec lui face à la question dominicaine?

Deux poids et deux mesures
M. Desras, le Président du Sénat, a fait remarquer que M. Martelly avait convoqué l’Assemblée Nationale grâce à la « vox populi vox dei ». Comme l’a souligné M. Dejean Bélisaire sur Radio Métropole, c’est déjà une bonne chose du fait que M. Martelly entende la voix du peuple. Les « dérives dictatoriales » pourront donc être corrigées. Est-ce une raison suffisante pour le déchouquer ? En demandant le dialogue, il a compris qu’il est sur une mauvaise pente, en acceptant de faire des concessions, même à son corps défendant, il a fait preuve d’une bonne intelligence politique.  Dans la note de la société civile publiée dans Le Nouvelliste du16 octobre 2013, il a été démontré que la démocratie haïtienne repose sur trois piliers, l’Exécutif, le Parlement et le Judiciaire, et que, sans le Parlement qui pourrait être déclaré caduc par le Président le 2e lundi de janvier 2014, elle s’effondrerait. Qu’est-ce qui se passera en déchouquant le Président Martelly, donc l’Exécutif ? Assurément, notre démocratie se tiendra-elle débout comme par magie, sans l’Exécutif et surtout sans ce « vagabond » de Martelly ? Cet argument ne tient pas la route. Ce qui est valable pour le Parlement est aussi valable pour le Judiciaire et pour l’Exécutif ! Au cas où M. Martelly se conformerait aux exigences de la démocratie naissante haïtienne, comme il en a montré les signes, il faudrait une autre note de la Société Civile  signée par les mêmes personnes pour demander à l’opposition de cesser le processus de déchoucage du pouvoir Exécutif pour qu’il n’y ait pas deux poids et deux mesures.

Les points à régler pour une entente
Il est clair que M. Martelly parle trop et se comporte trop en Sweet Micky donc polémiste. Est-ce une raison de le priver du reste de son mandat  dans une conjoncture politique aussi difficile à gérer avec la République Dominicaine ? Jusqu’ici, l’opposition aidée du Sénat est arrivée à lui forcer la main. Pourquoi demander maintenant sa démission ? La loi électorale est votée, le Tiers du Sénat restera en place jusqu’en 2015, le processus électoral est  relancé ; Me André Michel n’est plus un fugitif ; Me Francisco René est écarté, comme l’a sollicité le Barreau de Port-au-Prince etc., etc.  Forçons-lui la main pour la publication de cette loi électorale et d’autres lois votées et en souffrance, pour reprendre le processus électoral selon cette loi votée et publiée,  pour clore le dossier de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, pour corriger tout ce qu’il y a à corriger.

Pour les observateurs avertis, il est clair que, en dépit de tout ce qu’on peut lui reprocher, le Gouvernement Martelly-Lamothe travaille assez bien dans le domaine du développement, en particulier de la reconstruction. Il suffit de sillonner le pays pour le constater et même à Port-au-Prince il y a des chantiers importants qui sont en cours. On peut leur reprocher d’utiliser trop de matériels lourds et pas assez de main d’œuvre mais ce sont aussi des chantiers très exigeants techniquement. Il faut leur demander tout simplement, dans certains cas, d’utiliser la main d’œuvre locale  sur base de contrat chaque fois que c’est possible pour créer le maximum d’emplois temporaires possibles. Sur la base de ces considérations, l’opposition MOPOD-LAVALAS et le Sénat d’un coté et l’Exécutif de l’autre pourraient trouver un terrain d’entente pour sauver notre démocratie naissante sans déchoucage de l’Exécutif. Ainsi, ensemble on pourrait faire face à l’épineuse question dominicaine qui nous concerne tous collectivement et chacun individuellement.


L’épineuse question dominicaine
Les mesures adoptées jusqu’ici par Haïti depuis la sortie en Septembre 2013 de cet arrêt anticonstitutionnel et inhumain de la Cour Constitutionnelle dominicaine portent leurs fruits. C’est un dossier bien géré par l’actuelle administration. Le dernier acte en date de cette administration demeure le discours du Président à Trinidad qui a favorisé une prise de position drastique de la CARICOM vis-à-vis de la République Dominicaine ajoutée à la position individuelle de la plupart des Etats de la Région, de l’OEA, de l’ONU. C’est « une victoire » pour la diplomatie haïtienne. Cette manière d’agir enrage les dominicains qui réagissent en expulsant des « Haïtiens »  par centaine. C’est comme une course contre la montre. Très certainement avant des sanctions probables de la Communauté internationale, ils vont intensifier les expulsions pour se débarrasser du maximum d’apatrides vers Haïti, si ce n’est la totalité. C’est pourquoi, nous devrions être vigilants et dénoncer toutes les mesures prises en ce sens et dans le cadre de ce dossier par la République Dominicaine, faire le maximum de bruit sur chaque fait et geste de notre voisin ; c’est notre responsabilité d’haïtiens partout où nous nous trouvons sur la planète terre. D’où la nécessité de nous joindre à cette administration pour ne pas donner  cette impression de division et faire croire à cette rumeur qu’ils ont payé la plupart d’entre nous pour déstabiliser le Gouvernement actuel.

Haïti d’abord et avant tout : Déchoucage ou Entente ?
En guise de conclusion, parfois, dans la vie, il faut « bouche nenw pou bwè dlo santi » (en français : « boucher son nez pour boire de l’eau de mauvaise odeur »). On peut ne pas aimer quelqu'un et faire alliance avec lui pour une bonne cause. Pour Haïti, j’en connais qui sont au pouvoir, qui sont dans l’opposition et qui sont capables de se sacrifier pour Haïti. C’est pourquoi je demande à chacun de nous de mettre de coté, pour une fois, nos petits intérêts de groupe, de clan, de parti et de classe pour embrasser ceux d’Haïti. Ce qui nous lie est beaucoup plus important que ce qui nous divise. Terminons cet article par une partie de l’excellent discours du Président Martelly devant l’Assemblée de la CARICOM à Trinidad, le Mardi 26 Novembre 2013 : « L’Arrêt du 23 septembre 2013 de la Cour Constitutionnelle de la République Dominicaine, ravit des droits acquis de toute une communauté d’hommes, de femmes et d’enfants s’étendant sur plusieurs générations, à partir de 1929. Ce qui est tout à fait paradoxal car l’Article 18, alinéa 2 de la Constitution Dominicaine de 2010 dispose que : “ sont dominicains (toutes personnes possédant la nationalité dominicaine avant l’entrée en vigueur de cette Constitution “. En précisant “ avant l’entrée en vigueur de cette Constitution ” il est clair que cet article réaffirme le principe de non rétroactivité de la loi relatif à la possession de la nationalité dominicaine. En outre, l’article 110 de la Constitution Dominicaine de 2010 garantit la non-rétroactivité de la loi, qui est un principe général du droit visant à assurer la sécurité juridique et, en conséquence, ayant encore plus de valeur que la loi elle-même...Ainsi, son caractère rétroactif crée pour ces centaines de milliers de personnes un gouffre juridique que le droit international réprouve. Bien plus, il fait planer un risque élevé de violation massive des droits de toute une communauté, y compris la menace immédiate de refoulement, de déportation et de répressions connexes. »

N’est-ce pas suffisant et indispensable pour laisser tomber le déchoucage et le remplacer par une entente nationale autour d’un seul slogan : « Haïti d’abord et avant tout » ? Je sais que nous sommes manichéens, ne choisissons pas avec la pensée « pour ou contre Martelly », mais  avec la conviction intime, cette petite voix intérieure : « pour ou contre Haïti ». Alors, déchoucage ou Entente ?