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dimanche 5 avril 2020

CORONAVIRUS (COVID-19), LE MONDE ET HAITI A LA CROISÉE DES CHEMINS(?)


CORONAVIRUS (COVID-19), LE MONDE ET HAITI A LA CROISÉE DES CHEMINS(?)
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
5 AVRIL 2020 REVU LE 6 AVRIL 2020

Le Coronavirus/COVID-19 est en Haïti officiellement depuis le 19 Mars 2020. On enregistre  en  Haïti, 21 cas confirmés, 1 mort (5 Avril) et une personne guérie , et dans  le monde, 1,255,861 cas confirmés, 68,869 morts et 259,692 personnes guéries à date[1]. Cette pandémie met le monde à genoux au propre comme au figuré. Mise à part la Chine, l’usine du monde, le premier pays touché, qui amorce une certaine reprise, l’économie mondiale est en lambeau. La première puissance mondiale ne sait pas à quel saint se vouer, plus de 6.5 M de personnes au chômage, les autres puissances économiques, en particulier celles du G7, sont en confinement total comme l’Italie et ramassent des morts à la pelle. Et les solutions ne sont pas pour demain. Haïti, qui vient de connaitre le phénomène de « peyilok », prolongé par le kidnapping, la rébellion policière, était déjà moribonde et enlisée[2] avant l’arrivée du COVID-19. C’est un pays très fragilisé, pataugeant dans une crise socioéconomique et politique qui va s’aggravant, avec un taux de croissance négative économique (-1.2%[3]) en 2019, un taux de change franchissant, ces derniers jours, la barre psychologique de 100  G pour 1 USD, un taux de chômage supérieur à 65%, et une insécurité alimentaire touchant 4.1 M de personnes, qui fait face au COVID-19. N’est-ce pas le moment de se demander si le monde et Haïti ne sont pas à la croisée des chemins? 

A.    LA SITUATION MONDIALE ET LE COVID-19

La situation au niveau mondial est plutôt catastrophique et chaotique. Quand on regarde le nombre de cas de contamination et le nombre de morts enregistré par jour, on ne trouve pas d’adjectifs plus appropriés pour qualifier la situation mondiale actuelle. Mis à part la chine, la Russie et Cuba, on a comme l’impression que tous les gouvernements ont été pris de court par la pandémie COVID-19. Les systèmes de santé ne répondent pas correctement aux effets de la pandémie et ne proposent pas de solutions adéquates aux politiques pour des décisions rationnelles. Tout le monde  singe la Chine, le confinement partiel ou total, l’Italie, l’Espagne, la France, l’Allemagne, le Canada, la République Dominicaine, Haïti, pour ne citer que ceux-là. Or le confinement signifie l’arrêt des activités économiques, la fermeture des frontières, la non circulation des personnes et le ralentissement de la circulation des biens, le ralentissement des services non essentiels, la concentration maximale sur la réponse de santé face au coronavirus. Donc, il va sans dire que l’économie mondiale est en train de prendre un sacré coup dont peut-être elle ne se relèvera jamais, en tout cas pas sous sa forme actuelle. Le système politique à l’occidental également (?). Cela est une autre histoire. Concentrons-nous sur l’aspect économique et financier.

En 2009, l'économie mondiale s'est contractée de 1,7%

L’économie mondiale subit les conséquences du COVID-19, le marché financier également. Il suffit de regarder ce qui se passe au niveau du marché boursier mondial. La récession marche à grand pas et s’accélère avec le coronavirus. Par rapport à 2009, la plus récente année de récession mondiale, l'économie mondiale s'est contractée de 1,7%. Il faut rappeler que notre pays a étonné le monde en 2009 avec un taux de croissance du PIB de 2.9%.

Selon Wikipedia[4], « La crise économique mondiale des années 2007-2012, quelquefois appelée dans le monde anglophone Grande Récession (Great Recession, en référence à la Grande Dépression de 1929), est une récession dans laquelle sont entrés la plupart des pays industrialisés du monde, mis à part le Brésil, la Chine et l'Inde, à la suite du krach de l'automne 2008, lui-même consécutif de la crise des subprimes de 2006-2007. Les États-Unis ont été les premiers à entrer en récession, en décembre 2007, suivis par plusieurs pays européens au cours de l'année 2008, ainsi que la zone euro dans son ensemble. La France n'entre comptablement en récession qu'en 2009. Cette crise économique mondiale est considérée comme la pire depuis la Grande Dépression ».

En 2020, il est prévu une contraction de 0.9% de l’économie mondiale

Or, quand on regarde la situation actuelle du monde, c’est l’ensemble des pays qui sont touchés par le COVID-19. Tout le monde avait déjà prévu une récession mondiale pour 2020, mais personne n’avait prévu le coronavirus. Son arrivée a surpris tout le monde. Ce qui explique les réponses désordonnées des gouvernements face à ce virus. Si on se réfère au rapport publié le mercredi 1er Avril 2020 par les Nations Unies et repris par le Journal haïtien, Le Nouvelliste[5], il est prévu une contraction de 0.9% de l’économie mondiale en raison de la pandémie, une contraction encore plus forte de la production mondiale, « si les restrictions imposées aux activités économiques se prolongent jusqu'au 3e trimestre de 2020 et si les réponses budgétaires ne soutiennent pas les revenus et les dépenses de consommation ». Selon le département des affaires économiques  et sociales des Nations Unies (DASA), « Les restrictions croissantes à la circulation des personnes et les blocages en Europe et en Amérique du Nord frappent durement le secteur des services, en particulier les industries qui impliquent des interactions physiques telles que le commerce de détail, les loisirs, l'hôtellerie, et le transport ».

En 2020, une récession supérieure à celle de 2009 (1.7%+) ?

Donc, eu égard à ce qui s’est passé lors de la récession de 2009, aux prévisions par les économistes en lien avec la récession de 2020 sans coronavirus, à l’intrusion du Covid-19 et ses conséquences sur l’économie mondiale et aux hypothèses un peu trop optimistes des Nations Unies, ne serait-il pas possible de nous retrouver en 2020 avec une récession supérieure à celle de 2009 (1.7%+)

Les pays vulnérable et les petits Etats insulaires comme Haïti seront grandement affectés et beaucoup plus que les grands pays. Rappelons que ces petits états vivent du tourisme, de la sous-traitance avec des ouvriers peu qualifiés et de l’agriculture en ce qui concerne Haïti (65% produits alimentaires importés). « Les gouvernements peuvent être contraints de réduire les dépenses publiques à un moment où ils doivent augmenter leurs dépenses pour contenir la pandémie et soutenir la consommation et l'investissement ».

En guise de conclusions à cette partie : « Bien que nous devions donner la priorité à la riposte sanitaire pour contenir à tout prix la propagation du virus, nous ne devons pas perdre de vue ses effets sur la population la plus vulnérable et ce que cela signifie pour le développement durable. Notre objectif est d'assurer une reprise résiliente de la crise et de nous remettre sur la voie du développement durable », souligne Elliott Harris, économiste en chef des Nations Unies et Sous-Secrétaire général au développement économique.

B.    LA SITUATION HAÏTIENNE VS COVID-19

Haïti n’a pas eu trop de difficultés à passer de « peyilok » lié à la situation politique, au kidnapping et au confinement lié au COVID-19. D’ailleurs, dès le début du mois de Mars 2020, j’avais fait un tweet intitulé « vers un autre peyilok eu-égard à ces phénomènes qui ont traversé toute l’année 2019 et les deux premiers mois de l’année 2020 et à la menace de COVID-19. L’annonce des mesures gouvernementales en relation avec cette pandémie ne m’a pas du tout surpris. Je savais que le virus devrait toucher Haïti rapidement vu qu’il était en République Dominicaine et dans toute la Caraïbe. J’avais toujours pensé que les cas détectés avec un peu de retard  sont liés aux faiblesses de notre système de santé. Il en est de même pour l’ampleur de la maladie dans le pays. A mon avis, la maladie touche déjà beaucoup plus de personne. J’aimerais me tromper.

En tout cas, dès l’annonce des deux premiers cas de coronavirus, le nouveau Gouvernement a adopté un certain nombre de mesures administratives, économiques, fiscales, monétaires et financières, la fermeture des frontières terrestres et maritimes, des écoles, des industries, le couvre-feu à partir de 8h PM à 5h AM, le travail à distance, la subvention pour les familles les plus défavorisés (1.5 M de familles) pour le secteur éducation (20 à 30% des 100,000 professeurs de tous les niveaux primaire, secondaire, professionnel et universitaire), le secteur des industries de la sous-traitance (60,000 travailleurs), le secteur transport y inclus les motocyclistes, les primes spéciales pour le personnel de santé et le personnel de la Police Nationale d’Haïti (PNH), la réduction du taux directeur par la Banque centrale (BRH), de la réserve obligatoire, le moratoire sur les prêts, les cartes de crédit, le gel des paiements d’avril à juillet 2020, la prise en compte de deux dates charnières, le 30 septembre 2019 et le 31 Mars 2020  etc. L’interview de Kesner PHAREL de Télé Métropole[6] avec le Gouverneur de la BRH, M. Jean Baden DUBOIS, et le Ministre de l’économie et des finances, M. Michel Patrick BOISVERT est très éloquente et facilite la compréhension du contexte de ces mesures visant globalement à sauver des vies par rapport au COVID-19 mais aussi à répondre aux effets des phénomènes qui ont bloqué le pays et qui ont dessiné une forme et un type de confinement à l’haïtienne.

En dépit de ces mesures, le phénomène du kidnapping n’a pas cessé. En pleine période de confinement, les bandits n’ont pas chômé et ont continué à harceler la population. Un exemple frappant, le kidnapping du Dr Bitar de l’Hôpital Bernard Mews, l’un des centres hospitaliers les plus actifs du pays. Les autorités et même l’opposition ont élevé la voix pour inciter les bandits à libérer le docteur qui s’est donné tant de peine pour soigner les bandits lors des affrontements entre gangs rivaux. Le pays a continué à enregistrer des actes de vandalisme, même si le covid-19 a pris le pas sur l’actualité politique qui a toujours dominé la scène haïtienne.

On comprend que, dans ces conditions, la situation du pays ne peut être qu’inquiétante. Les gens mal intentionnés sur les réseaux sociaux  se donnent à cœur-joie pour diffuser de fausses informations sur le coronavirus. La sortie médiatique de la vedette infectée et guérie, Roody Roodboy,  n’a pas arrangé les choses. La plupart des membres de la population ont mal interprété ses propos. La sortie de certains journalistes à sensation n’a pas permis à la population de bien comprendre les menaces et risques que représente le COVID-19. En témoigne le comportement de la population dans le transport public, au niveau des marchés publics, dans des manifestions culturelles à Côte-de-Fer, et des manifestions de soutien au journaliste Louko DESIR, maladroitement interpellé par le Parquet de Port-au-Prince, pour des propos certes un peu trop sensationnalistes, basés sur des déductions suite à une conversation avec des étudiants haïtiens en Russie en lien avec des matériels médicaux, dont  des masques, commandés  en chine  par le Gouvernement haïtien et qui pourraient être  contaminés, mais qui ne nécessiteraient pas une telle démonstration de la part du Commissaire du Gouvernement de Port-au-Prince. Ce qui a permis à notre Louko national de tester sa popularité lors de sa libération sous la pression de la population.

En de pareille circonstance, il faut éviter ces genres d’incidents qui ne mènent nulle part. Louko n’avait aucun intérêt à « sonner » la sonnette d’alarme de cette manière-là et  le commissaire n’avait aucun intérêt à agir comme il l’a fait. Les deux auraient pu nous aider à mieux nous concentrer sur la courbe exponentielle du COVID-19 qui ne manquera pas de progresser jusqu’à son pic infernal avant d’amorcer sa descente qui, tout au long de ce processus de montée et de descente, sera accompagnée de milliers de morts et des dizaines de milliers de guérisons. Donc, pour Haïti,  le pire est à venir à moins que le Bon Dieu en décide autrement!

Les effets combinés du peyilok et du COVID-19 font présager un avenir sombre pour notre pays à tous les points de vue. Nos économistes, spécialistes en sécurité, planificateurs, bref nos opérateurs de développement ont raison de s’alarmer. Le franchissement du seuil psychologique de 100 G pour 1 USD en est la première manifestation, même si, en toute sincérité, ce franchissement est plutôt lié, à mon humble avis, à des spéculations qu’à un problème réel. Pour le peu de connaissance dont je dispose en la matière (hommage à Pharel pour mes 30 ans dans l’Université de Métropole et de Group Croissance), le ralentissement actuel de l’économie haïtienne, les annonces de l’apport des bailleurs de fonds internationaux, ne devraient de préférence que ralentir une telle dégringolade. Le déficit budgétaire, les anticipations négatives, la grimaçante récession économique de 2020, l’accélération du chômage aux USA,  expliqueraient-ils cette dégringolade de la gourde par rapport au dollar qui lui-même est très sérieusement secoué par cette pandémie mondiale? J’en doute. Il faudrait nous  trouver d’autres arguments plus costauds.


C.    LES PERSPECTIVES : SOMMES-NOUS A LA CROISEE DES CHEMINS D’UN NOUVEL ORDRE MODIAL ?

Il est clair pour chacun de nous que rien ne sera plus comme avant. Nous ne verrons pas, pour la plupart d’entre nous et non des moindres, les effets néfastes et globaux de la crise liée au COVID-19. Le monde ne sera plus ce qu’il était avant cette pandémie. La pandémie enfantera une autre façon de faire les choses. On espère que ce sera pour le mieux et non pour le pire. Haïti, à moins d’un miracle, sera frappée de plein fret dans son capital humain, dans son capital social, dans son capital économique et financier, et peut-être dans son capital politique et de gouvernance. On espère qu’elle en sortira plus forte car habituée à relever des défis encore plus terribles que le coronavirus. A titre d’exemple, le défi de son indépendance dans un monde esclavagiste.

Le ministre de l’économie a prévu des pertes autour de 30% du PIB et une chute du taux de croissance de 2.7%, si cette situation ne perdure que trois mois. Sans être un prophète de malheur, je trouve très optimistes ces prévisions du ministre. J’avais prévu pour les épisodes de « péyilok » des pertes et dommages supérieurs à 35% du PIB en comparaison aux effets/impacts  du cyclone Matthew sur notre pays (32% du PIB). Je maintiens cette prévision, si l’on tient compte des effets de « peyilok », du kidnapping, des violences, des émeutes et du COVID-19. J’aimerais me tromper. Avec un pays moribond et chaos debout avant le COVID-19, une situation d’insécurité alimentaire (4.6 M dont 2.6 M de personnes en situation d'urgence, projection CNSA) qui va s’accélérant avec la dégringolade de la gourde, l’augmentation du taux de chômage, le ralentissement des maigres activités économiques, les éléments objectifs pour une reprise sont loin d’être réunis et probants. Les incertitudes liées au COVID-19, tant au niveau Haïti qu’au niveau mondial, ne laissent présager aucune issue favorable pour l’instant. Il faut attendre l’atteinte des pics  mortels et la maitrise des effets du virus par les grandes économies mondiales, pour savoir les grandes orientations qui sortiront de la fin de la guerre contre le COVID-19.

 C’est à ce moment qu’on pourra contempler le bout du tunnel. En attendant, Haïti doit travailler sur deux fronts : un plan d’urgence de réponse à COVID-19 et un plan de relèvement et de développement post-COVID-19. Les éléments des deux plans se retrouvent dans les divers documents et les réflexions sur Haïti, dans les tiroirs et les bibliothèques. Il faut les sortir, les épousseter, ajouter, corriger, revoir et les finaliser rapidement et approfondir la mise en application au niveau de chaque secteur, avec le secteur santé comme élément central pour le plan d’urgence, et le secteur agricole (inverser la tendance, 65% produits alimentaires locaux, et 35% produits importés) comme locomotive de la croissance inclusive pour le plan de développement, en ayant à l’esprit qu’il n’y a pas de frontière étanche et de compartimentage réel entre l’Urgence, le relèvement et le développement. Les trois sont parfois imbriqués, souvent articulés et toujours intégrés. Tout est dans la stratégie de mise en œuvre et dans l’ordonnancement du chronogramme/calendrier d’exécution.

En guise de conclusion, la question de départ demeure sans réponse pour le monde et Haïti. Les cinq puissances mondiales qui ont droit de véto au niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies se regardent avec méfiance, déplaçant chacune ses pions sans proposer de solution globale à cette crise. Sont-elles dépassées par les événements ou sont-elles en face d’une équation insolvable? En tout cas, l’Assemblée Générale des Nations Unies met la pression (réponse multilatérale) pour faire bouger les choses en faveur de l’ensemble des pays victimes du COVID-19, en particulier les plus vulnérables dont Haïti. Sommes-nous à la croisée des chemins vers un autre ordre mondial ou le maintien de l’ordre ancien modifié? L’avenir se chargera de la réponse.