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vendredi 13 juillet 2018

HAITI: HAUSSE DES COURS DES CARBURANTS, CAUSES, CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES


HAITI: HAUSSE DES COURS DES CARBURANTS, CAUSES, CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
13 JUILLET 2018

En février 2018, le Gouvernement Haïtien  (GOH) et le Fonds Monétaire International  (FMI) ont signé un accord de six mois (Staff Monitoring Program) dans lequel il est prévu, entre autres, de ne plus subventionner l’électricité et le carburant. Depuis, tout le monde sait que le prix des carburants allait augmenter en fonction de la hausse enregistrée dans ce secteur sur le plan international. L’opposition politique et certains  syndicats avaient mis en garde le GOH contre une éventuelle  hausse des cours du carburant, sous peine de déchoucage du Président. Le GOH a attendu le démarrage du Mondial 2018 (14 juin-15 juillet 18), en particulier le 6 juillet, jour du quart de finale  Brésil-Belgique (1-2), pour annoncer cette hausse de plus de 85 G par Gallon. Il faut noter que le Mercredi 4 et le jeudi 5 juillet, deux jours sans match de football, la tension était très forte au niveau de la Croix-des-Bouquets, de Tabarre, de la Nationale No 1 au point de jonction avec la route 9 menant vers Cité Soleil non loin du poste de police de CANAAN, etc.,  à partir des rumeurs d’augmentation du prix des  carburants, et ma voiture a reçu un coup de pierre au niveau de la porte droite sur la route de Tabarre-Croix–des-Bouquets, mercredi vers 10h PM.  Le même jour, un autre ami a dû emprunter en pleine nuit la route de Titanyen-Saut D’Eau-Mirebalais pour arriver à dormir chez lui quelque part à la Plaine du Cul de Sac.  Cette annonce et la défaite du Brésil aidant, ce fut une explosion de violence, le pillage, l’incendie des magasins, des entreprises du secteur des affaires dont, entre autres, les entreprises de Réginald Boulos, la casse des parebrises et l’incendie des véhicules en stationnement ou de passage, neufs et usagés. Un vrai déferlement de violence nettement disproportionné par rapport à l’acte d’augmentation du prix du carburant, marqué par l’absence de réaction de la Police Nationale d’Haïti (PNH) et qui a poussé le Président Moïse à faire retrait de la mesure d’augmentation le samedi soir 7 juillet où la violence a atteint son paroxysme. Quelles  sont les causes,  les conséquences de cette mesure avortée et les perspectives pour Haïti?

Les causes
Le GOH a besoin d’argent pour faire fonctionner le pays et investir dans son développement. Il n’a plus les moyens de subventionner le carburant. Au niveau international,  c’est la hausse des cours du pétrole. Haïti importe le pétrole et le revend à perte. Le GOH a signé un accord avec le FMI pour réduire le déficit budgétaire dont la subvention du carburant est en partie responsable. Il n’avait pas le choix. Malheureusement, le GOH a péché par une communication non appropriée, par l’ignorance du discours de l’opposition politique qui venait de faire une alliance conjoncturelle visant le déchoucage du Président, par l’ignorance des deux jours d’avertissement (4 et 5 juillet) qui ont servi d’exercice à l’opposition politique. En effet, lorsqu’un ami a questionné les habitants de la zone du pont de Tabarre, ils ont avoué ne pas reconnaitre les gens qui ont bloqué le pont et ses environs et qui ont envoyé des pierres pour effrayer les automobilistes. C’était une orchestration assez impressionnante, bien huilée qui s’est réalisée avec une rapidité étonnante pour quelque chose soi-disant improvisé. Cette orchestration s’est répétée en plusieurs endroits en même temps. Ces deux jours auraient dû interpeller le GOH, être analysés par les stratèges de la sécurité et les pousser à prendre des mesures préventives par rapport  à cette annonce effective du 6 Juillet 2018 juste après le coup d’envoi du match Brésil-Belgique. C’était clair, le GOH  a basé cette mesure sur un coup de poker, la victoire du Brésil.

Les conséquences
C’était tout simplement de l’enfantillage qui a couté des pertes en vies humaines, des dizaines de millions de dollars au pays, des pertes d’emplois considérables, un coup à l’image du pays difficilement évaluable et surmontable, une perte de confiance dans les dirigeants, une aggravation de l’insécurité, une revue à la baisse du taux de croissance à deux mois et demi de la fin de l’exercice fiscal en cours, et très certainement une instabilité gouvernementale avec le départ éventuel du Chef du GOH et du Chef de la Police, tous les deux coupables de négligence et considérés comme des fusibles pour sauver la tête du Président Moïse. On ne gouverne pas un pays de cette manière.  La prise de parole du Président pour annuler la mesure n’a pas eu l’effet escompté et est venue  un peu tard après les dégâts ; les arrestations des présumés coupables de pillage, d’incendie, de vol traduisent une certaine reprise en main de la situation mais il faut éviter des dérives. Une mesure pareille comme cette hausse du prix des carburants aurait dû être accompagnée d’une planification minutieuse, impliquant les services secrets du pays, le GOH, la PNH, le contrôle des points névralgiques de la zone métropolitaine, la protection des entreprises, des hôtels, des stations d’essence, etc.  Par rapport à cette défaillance des principaux organes de l’Etat préposés à la sécurité du pays, il faudra des sanctions sévères. L’Etat devra sévir.

La mise à pied du Chef du GOH et du Chef de la PNH devra se faire le plus rapidement possible. Il faut avant tout réfléchir à leur remplacement dans les prochains jours   pour ne pas tomber dans l’instabilité gouvernementale qui a commencé avec le remplacement du ministre des affaires sociales pour cause de corruption dans cette affaire de kits scolaires et s’est poursuivie avec la nomination récente des cinq ministres, Intérieur et Collectivités Territoriales, Justice, Agriculture, Haïtiens vivant à l’Etranger, Culture et Communication. Comme les deux devront être ratifiés par le Parlement, il faudra impliquer le Parlement dans le choix de ces personnalités selon un profil correspondant à la réalité du moment. Le Parlement devra  faire preuve de patriotisme et ne pas laisser les intérêts mesquins et individualistes de ses membres prendre le dessus sur les intérêts du pays.

Les responsabilités
Haïti vient  de vivre un moment douloureux lié à l’irresponsabilité du GOH mais aussi du Parlement qui est à la base du choix de la plupart de ces ministres qui ont failli à leur mission. C’est aussi la responsabilité de l’opposition parlementaire dont certains membres influents ont refusé de reconnaitre l’autorité du Président issu du même processus électoral qu’eux et qui militent à visière levée pour le déchoucage du Président et incitent le peuple à agir en ce sens. Il en est de même pour l’opposition politique radicale qui a menacé le pouvoir en place en cas d’augmentation du prix des carburants, qui a revendiqué ce qui s’est passé les 6 et 7 Juillet 2018 lors de sa dernière conférence de presse du 12 Juillet 2018 et qui passe des mots d’ordre, dans le cadre d’une opération baptisée « Souke branch Pye bwa-a », pour répéter ce qui s’est passé le weekend dernier jusqu’à la chute du Président Moïse et la mise en place d’un gouvernement de transition. Le Mouvement Populaire Dessalinien (MOPOD) s’est exprimé aussi et propose, pour sortir de la situation découlant des événements du 6 et 7 Juillet 2018, « la conférence nationale souveraine » avec la mise sur la table la présidence de Jovenel Moïse. Qui va organiser cette conférence nationale souveraine? L’opposition? La Société Civile? Très certainement pas le pouvoir en place! En tout cas, c’est le même objectif visé par le MOPOD que l’opposition radicale mais sous une autre forme, la chute de Jovenel Moïse.

Il ne faudra pas  que cette obsession de jeter le Président Moise prenne le pas sur cette nécessaire entente pour la nomination d’un nouveau Chef de Gouvernement et d’un nouveau Chef de la Police. Sans ce dépassement de soi et ce patriotisme au-dessus de tout amour-propre plaçant Haïti au centre des débats et au-dessus de la mêlée, l’instabilité gouvernementale pourrait déboucher sur le néant haïtien avec une occupation en bonne et due forme cette fois-ci. C’est peut-être le souhait secret de la plupart d’entre nous. A moins que l’opposition politique arrive, avant, à jeter Jovenel Moïse et proposer une solution innovante et non cet habituel « ote-toi que je m’y mette » qui nous est si familier depuis une trentaine d’années et qui aggrave notre situation de peuple.

Les Perspectives
Après cette flambée de violence (6 et 7  juillet 2018) liée à cette mesure avortée du GOH, après celle du 12 septembre 2017 qui a également pris au dépourvu les instances chargées de la sécurité intérieure du pays, et dans l’hypothèse plausible du maintien de l’administration Moïse,  les instances concernées devraient : (i) revoir en profondeur le système de sécurité du pays, surtout au niveau de la zone métropolitaine de Port-au-Prince; (ii) adopter une série de mesures en parallèle pour soulager la misère atroce des couches les plus défavorisées; (iii) prendre beaucoup plus au sérieux cette opposition radicale qui certes ne jure que par le départ de l’administration actuelle mais qui est constituée d’Haïtiens croyant dans l’avenir du pays, c’est vrai que leur stratégie s’inspire de celle de Dessalines « koupe tet Boulé Kay », pourtant, ils savent qu’au fond d’eux-mêmes cette stratégie appliquée dans la conjoncture actuelle est plutôt néfaste pour l’économie haïtienne, tôt ou tard ils en subiront les conséquences; (iv) entamer un dialogue franc et transparent avec l’ensemble de l’opposition, en particulier l’opposition radicale, comme l’a fait Donald Trump avec la Corée du Nord, l’ennemie jurée des Etats Unis d’Amérique.

Pour finir, rappelons que notre problème fondamental demeure la lutte pour le pouvoir politique. On ne prend pas le pouvoir pour le pouvoir mais pour améliorer le bien-être de la collectivité, pour le vivre ensemble. Depuis la mort de Dessalines, nous vivons les uns à côté des autres comme Pétion l’a fait avec Christophe en divisant le pays en deux parties, la République de l’Ouest et le Royaume du Nord. Il nous faut arriver à ce « vivre ensemble » si cher à Evens Paul. C’est notre seule porte de salut. Entamons le dialogue maintenant. Il n’est pas trop tard. Notre différend n’est pas si profond que cela en comparaison avec  d’autres pays. Par exemple, le Rwanda s’est réconcilié avec lui-même après une guerre civile faisant des centaines de milliers  de morts. Avec un leader éclairé comme Paul Kagamé, c’est l’un des pays les plus innovants de l’Afrique. Pourquoi pas Haïti? La balle est dans le camp de nos hommes politiques, les principaux fossoyeurs jusqu’ici de notre patrie meurtrie!