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mercredi 30 avril 2014

HAITI SUR LE FIL DU RASOIR,… FAUT-IL EN RIRE OU EN PLEURER (?)

HAITI SUR LE FIL DU RASOIR,… FAUT-IL EN RIRE OU EN PLEURER (?)
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
30 AVRIL 2014
Dans une conjoncture économique plutôt pénible et morose pour la population haïtienne, le Président Martelly a déclaré, lors d’une tournée dans le Sud en compagnie d’un général américain, « les caisses de l’Etat sont vides ». Il n’en fallait pas plus pour stimuler les manifestants lors de la manifestation de l’opposition radicale du 15 avril 2014, alliée du Sénat qui n’a pas amendé la loi électorale contrairement à la Chambre des Députés dans les délais impartis par l’Accord Del Rancho, pour radicaliser un peu plus leur position par rapport aux deux têtes de l’Exécutif accusées de corruption. Lors de cette manifestation, un sénateur en fonction est allé jusqu’à exiger de « couper la tête de Martelly et de lui infliger la peine de mort » (Réf. Télé Plurielle, Emission de Nouvelles de Marie Lucie Bonhomme). Avant son départ pour Taïwan où il effectue une visite d’Etat en compagnie d’une forte délégation haïtienne, du 20 au 25 avril 2014, le Président a demandé au Sénat de voter la loi électorale amandée pour qu’il puisse enclencher le processus électoral, sans quoi, il serait obligé, à son retour, d’appliquer l’accord du 14 mars 2014. Aussitôt, le pays a eu droit à la réplique du Président du Sénat, M. Simon Dieuseul DESRAS, « Le Parlement n’a pas ratifié l’Accord d’El Rancho. Un accord n’est pas une loi, ni la Constitution. L’article 12 n’est pas imposable au Parlement.» Est-on retourné à la case départ? En tout cas, l’opposition radicale, les 6 radicaux au Sénat ainsi que M. Desras exigent, au préalable, l’application de l’article 289 de la Constitution pour la mise en place d’un autre CEP provisoire contrairement à ce qu’a proposé l’Accord Del Rancho. D’où le titre de mon article : « Haïti sur le fil du rasoir, … faut-il en rire ou en pleurer?».

    1. LES FORCES EN PRESENCE

L’administration Martelly s’explique
Les Ministres Laleau et Jean-Marie ont essayé et sont arrivés à convaincre bon nombre de citoyens que «  les caisses de l’Etat ne sont pas vides ». Les explications fournies correspondent aux explications du Président Martelly depuis Taïwan (Réf. http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/130105/Les-caisses-de-lEtat-et-larticle-12-Martelly-sexplique.html). Il est à noter que le Président a essayé aussi de calmer le jeu par rapport à l’application de l’article 12 de l’Accord del Rancho.

Lors du 29e Conseil de Gouvernement en direct consacré au budget et aux élections, Mme JEAN-MARIE, le ministre de l’économie et des finances, a détaillé le budget révisé (118.86 Mrds HTG)  soumis au Parlement et a expliqué que le pays dispose de l’argent pour réaliser ce qui a été programmé mais ne peut se permettre de prendre en compte d’autres projets non inclus dans ce budget dont 47% pour le secteur économique, 24% pour le secteur social, 19% pour le secteur politique et 10% pour le reste. Le taux de croissance est revu à la baisse (3.5% au lieu de 4.5%), le taux d’inflation à la hausse à cause même de la dépréciation de la gourde (45 HTG et plus pour 1 USD). Le Premier Ministre a insisté pour montrer que la balle est maintenant dans le camp du Sénat, non seulement pour le budget rectifié mais aussi pour le projet de loi sur « le fonds National de l’Education (FNE) déposé au Sénat depuis un an ».

Le MOPOD se mobilise
Le MOPOD, qui annonce une mobilisation à partir de 26 avril jusqu’au 14 mai 2014, invite tous les partis d’opposition (Lavalas, Fusion, Accao, etc.) à l’accompagner pour la mobilisation d’un million de personnes dans l’objectif d’obtenir pacifiquement la démission de l’administration Martelly, tandis que les groupes de base dont celui de Biron Odije s’apprêteraient à prendre d’assaut le Palais National lors de ces manifestations. Ces manifestations seront appuyées aussi par certains syndicats dont celui de José Mérilien. L’opposition radicale utilise les mêmes thèmes depuis quelque temps : la dilapidation des caisses publiques ; l’accointance des autorités politiques avec le secteur de la drogue, avec le kidnapping ; la corruption, la vie chère, les dérives dictatoriales du pouvoir en place, etc. pour motiver les gens à se mobiliser contre cette administration. Comme par hasard, le MOPOD, qui ne reconnait pas l’accord du 14 mars 2014, est pour l’application de l’article de 289 dans la mise en place du CEP provisoire, tout au moins certains membres du MOPOD. En d’autres termes, le MOPOD est pour l’organisation des élections mais sans Martelly, en témoignent la manifestation pacifique  du 26 avril  au Cap-Haïtien et celle violente du 28 avril à Port-au-Prince.

L’adoption de la position des radicaux au Sénat
A entendre les Sénateurs, mis à part le Sénateur JEAN-CHARLES, ils veulent aller aux élections. Mais ils exigent un CEP provisoire selon l’article 289 de la Constitution, donc le renvoi pur et simple du CT-CEP qui est l’émanation d’un accord entre le Sénat  et l’Exécutif (Dialogue interinstitutionnel) en décembre 2012. Alors pourquoi pas une simple modification du CT-CEP telle que prévue par l’Accord du 14 Mars 2014 afin de gagner du temps ? 1) Parce que le Sénat a fait des réserves quant à la mise en place d’un CEP Provisoire lors du Dialogue inter-haïtien, 2) parce que le Sénat ne fait pas confiance à la majorité des membres de l’actuel CT-CEP « à la solde de l’Exécutif », 3) parce le Sénat veut des élections transparentes, honnêtes et crédibles, ce qui n’est pas possible avec l’actuel CT-CEP même modifié en CEP provisoire suivant les modalités prévues par l’Accord du 14 mars 2014, 4) parce qu’en définitive le Sénat ne reconnait plus l’accord du 14 mars 2014 (l’adoption de la position des radicaux au Sénat).

Bataille politico-juridique
Les Sénateurs, les Députés de l’opposition et l’opposition politique, en particulier le MOPOD, rendent seul responsable l’Exécutif du retard mis dans l’organisation des élections. Ce que récuse l’Exécutif en montrant, lors du 29e Conseil de Gouvernement du mercredi 23 avril 2014, "les 24 étapes franchies" pour aboutir à la situation actuelle, argument repris lors du Gouvènman Lakay à Mirebalais, le 26 avril 2014. Il accuse, à son tour, le Sénat comme l’Institution qui a bloqué le processus jusqu’ici en insistant sur le simple vote des amendements de la loi électorale de 2013 déjà votée par la Chambre Basse, et en expliquant, chiffres à l’appui, que les fonds pour l’organisation des élections, le 26 octobre 2014, sont pratiquement disponibles. Dans cette bataille rangée politico-juridique, il ne s’agit plus de savoir qui a tort, qui a raison, mais de savoir comment sortir de l’impasse pour éviter la forte tentation et propension à résoudre le problème au niveau de la rue.

     2. LES SOLUTIONS POSSIBLES ?

Vraiment compliqué !
L’Exécutif peut-il appliquer seul l’article 12 de l’accord del Rancho ? Non. Ce sont les trois (3) parties prenantes, l’Exécutif, le Législatif et les Partis politiques signataires de l’accord, qui doivent constater la faillite de l’une d’entre elles et autoriser de mettre en veilleuse les articles non conformes de la loi électorale de 2013. Il est donc impératif que le Comité de suivi fasse une évaluation de la situation, en fasse rapport à la Médiatrice qui, après avoir réuni, à nouveau, les trois parties prenantes, pourra statuer avec elles sur la nécessité de  la mise en application de l’article 12. Vraiment compliqué en termes d’application, de délais de mise en œuvre et d’une éventuelle entente entre les parties prenantes !

Que c’est encore plus compliqué !
L’application de l’article 289 proposée par le Sénat conditionnant son vote de la loi électorale de 2013 amendée est-elle possible ? Pourquoi pas  si cela permettra de débloquer la situation? Alors, une fois de plus et dans ce cas précis, c’est l’Exécutif qui doit céder aux exigences du Sénat. Au cas où l’Exécutif accepterait de céder, quelle garantie donnerait le Sénat en vue de favoriser une accélération du processus électoral pour aboutir au premier tour des élections, le 26 octobre 2014 ? Combien de temps prendraient les nouveaux acteurs impliqués  pour désigner et envoyer leur représentant au sein  du nouveau CEP provisoire? Par rapport à toutes ces interrogations, aurait-on le temps matériel d’organiser les élections, le 26 octobre 2014, tel que prévu par l’accord del Rancho? Selon le Sénat, avec de la bonne volonté, la mise en place d’un CEP provisoire selon l’article 289 pourrait se faire en une semaine, alors que le pays a attendu plus d’un an pour la mise en place consensuelle du CT-CEP, après avoir tenté, sans succès, la mise en place d’un CEP permanent selon la Constitution 1987 amendée. Que c’est encore plus compliqué tout cela !

De toute manière, s’il faut en passer par là avec la certitude d’éviter de résoudre le problème dans la rue, il faut le faire. Mais n’est-ce pas le vrai enjeu de toutes ces tergiversations, donner du temps aux alliés de l’opposition pour organiser le déchoucage de l’Exécutif par la rue? N’est-ce-pas « ce foutu processus de Dialogue » enclenché par l’Eglise catholique qui a permis à Martelly de tenir jusqu’ici, penseraient les partisans du raché manyok? Puisque, si le pays ne peut pas fonctionner sans un Parlement élu, il pourra bien fonctionner avec un Exécutif non élu, n’est-ce-pas ? (Ironie et allusion par rapport à la note de la Société Civile d’octobre 2013 accusant Martelly d’avoir en tête de déclarer caduc le Parlement en janvier 2014). Car, en cas de déchoucage de l’Exécutif (Président et Premier Ministre), l’Opposition finirait par trouver une solution politique et/ou constitutionnelle pour mieux faire marcher le pays. Savez-vous qu’en final, en cas de déchoucage de l’administration Martelly,  et, selon l’article 149 de la Constitution amandée, dernier paragraphe, c’est le Président de l’Assemblée Nationale qui aura le destin du pays en main ? Oyez plutôt : « Dans le cas où la vacance se produit à partir de la quatrième année du mandat présidentiel, l’Assemblée Nationale se réunit d’office dans les soixante (60) jours qui suivent la vacance pour élire un nouveau Président Provisoire de la République pour le temps qui reste à courir.»

Il faut injecter des fonds dans l’économie
Entre temps, la situation économique du pays n’est pas au beau fixe. L’Exécutif attend du Sénat le vote du budget révisé 2013-2014 pour renforcer et continuer un certain nombre de choses en matière socio-économique. L’opposition politique table sur la vie chère et le mécontentement grandissant de la population pour recruter le maximum de gens pour ses manifestations anti gouvernementales. Arme à double tranchant qui  pourrait se retourner contre elle une fois le pouvoir conquis, car la cherté de la vie est structurelle. Mis à part les fonds PETROCARIBE et quelques autres bailleurs, dont la mise à disposition des fonds à l’Etat est extrêmement conditionnée, qui permettent à l’Administration Martelly de faire marcher difficilement quelques projets, la situation économique du pays devient de plus en plus compliquée avec un manque criant d’emplois, une circulation monétaire assez restreinte, une décapitalisation progressive de la population, en particulier de la classe moyenne (beaucoup de difficultés au niveau d’entreprises de la classe moyenne). J’en prends pour preuve l’acceptation avec humilité de certains « chimè » notoires, qui se pavanent quotidiennement auprès des ministères comme l’Agriculture, les Travaux Publics et autres, de n’importe quel montant mis à leur disposition (nettement en deçà du plancher de 50 HTG exigées avec arrogance par le passé). Ils comprennent que leurs « bienfaiteurs », surtout ceux de la classe moyenne, n’ont pas les moyens d’agir comme par le passé parce que de plus en plus décapitalisés eux-aussi. Imaginez ce qui se passe eu niveau de la classe des pauvres. Vraiment, il faut de l’argent frais au gouvernement pour injecter dans l’économie !
 3. LE POSITIONNEMENT DES CAMPS ET L’ARBITRAGE INTERNATIONAL

Le décor est bien planté
Par rapport à la situation politique qui se corse et par rapport à la situation économique difficile que traverse le pays, il y a lieu de s’inquiéter. Les acteurs politiques semblent opter pour la polarisation de la situation politique. On est en présence de deux camps totalement opposés, le camp du pouvoir  qui semble opter résolument pour les élections avec comme boussole l’accord du 14 mars 2014 et le camp du MOPOD et tous ceux-là qui sont anti accord qui optent pour le déchoucage de l’Exécutif, de l’administration Martelly dans son ensemble. Le décor est donc bien planté. Va-t-on vers la confrontation avec un règlement de la situation politique à partir de la rue, ou vers une entente minimale pour l’organisation des élections à la fin de l’année 2014 ?

Pour ou contre les élections
L’opposition radicale fait délibérément le choix du déchoucage ; le Sénat semble nuancer ses positions ces derniers jours tout en continuant à bloquer le processus électoral en exigeant l’application de l’article 289 sans se référer à l’accord du 14 mars 2014 (on dirait que pour le Sénat cet accord n’a jamais existé), alors qu’une modification du CT-CEP parait beaucoup plus simple car le Sénat  a la possibilité de changer au moins l’un de ses représentants au sein de cette structure ; l’Exécutif, quant à lui, met le cap sur les élections mais ne peut seul appliquer l’article 12 de l’accord ; cette prérogative revient à l’ensemble des acteurs impliqués dans la mise en œuvre de l’accord.

D’un autre coté, le grand frère américain et la communauté internationale (OEA, Club de Madrid avec la visite de l’ancien Président chilien en Haïti, M. Lagos) optent pour les élections et exercent des pressions sur tout le monde avec un tantinet penchant positif pour l’Exécutif. De toute manière, si le pays veut avoir accès aux 300 M USD programmés pour lui par les USA, il faudra qu’il fasse le choix d’élections législatives et communales pour la fin de cette année (éditorial du 28 avril 2014 de Marcus Gracia sur Mélodie FM). N’en déplaise au MOPOD dont l’option première reste le déchoucage de l’administration en place avec, quand même, une option vers « les élections avec ou sans Martelly », la position américaine et de la communauté internationale va peser lourd dans la balance et pourrait influencer considérablement la position du Sénat qui semble de moins en moins radicale par rapport aux élections.

Risques d’implosion du MOPOD
Au cas où le Sénat trouverait une forme d’entente avec l’Exécutif pour relancer le processus électoral (Réf. Lettre du Sénat au Président Martelly), cette entente priverait le MOPOD d’un allié de poids dans sa lutte pour la mise à pied de l’administration Martelly et pourrait déboucher sur de sérieuses difficultés au sein du MOPOD. En effet, si le processus électoral arrive à être vraiment lancé, le MOPOD ne pourra pas continuer à manifester dans la rue et parallèlement préparer les élections. Et, s’il sera facile de désigner les candidats du MOPOD aux législatives, aux collectivités territoriales, qui représentera cette plate-forme aux présidentielles ? D’où risques d’implosion et de dissolution par suite de conflits internes.

Torpiller l’accord du 14 mars 2014
Il faut noter que la lettre du Sénat au Président de la République ne fait aucune référence à l’Accord du 14 Mars et encore moins à la Médiatrice. C’est un choix délibéré de torpiller l’Accord. En tout cas, si cette lettre explique que dans une semaine on pourrait mettre en place un CEP provisoire, elle remet en question la loi électorale de 2013 déjà amendée par la Chambre Basse. Oyez plutôt : « L’article 191.1 confie au conseil électoral le soin d’élaborer la loi électorale. Il est donc prématuré de se pencher sur des amendements dont l’opportunité ni le libellé n’auraient pas été préalablement étudiés par l’organisme chargé d’appliquer la loi, d’en expérimenter les imperfections et les omissions et de faire des suggestions à l’autorité compétente. C’est pourquoi le Sénat demande officiellement à Votre Excellence de prendre des dispositions en vue de former un Conseil Electoral Provisoire qui analyserait la loi de 2013, relèverait les écarts et les défauts sur la base de compétence avérée et d’expérimentations de terrain et acheminerait des amendements bien documentés à l’Exécutif « pour les suites nécessaires.»Sans commentaire! Aux lecteurs d’apprécier!

La réponse du Président de la République est claire, avant son départ, le 30 avril 2014, pour le Mexique en vue de participer à la rencontre de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC). Il invite le Président du Sénat à respecter l’Accord del Rancho et à encourager ses pairs à voter la loi électorale amendée comme l’a déjà fait la Chambre Basse.

      4.  CONCLUSION

Faut-il en rire ou en pleurer ?


En guise de conclusion, j’ai toujours prôné de résoudre nos problèmes par le dialogue entre nous. C’est pourquoi, lorsque la Conférence Episcopale s’est offerte comme Médiatrice pour un dialogue inter-haïtien, j’ai accueilli avec enthousiasme sa proposition. Depuis ce qui s’est passé en 2004, je suis contre le déchoucage d’une administration élue et pour l’entente entre nous sans interférence externe, même si je sais, en mon for intérieur, qu’il y a toujours une forte influence du « blanc » dans nos affaires. Cette fois-ci, je voulais voir sa main rester cachée. Malheureusement, pour le triomphe de nos clans respectifs au détriment de notre pays, nous avons perdu, une fois de plus, cette opportunité de faire semblant d’agir par nous-mêmes. C’est encore l’étranger qui nous dicte notre conduite. Même là encore, rien ne nous dit que l’on ne va pas continuer à nous battre pour des broutilles de pouvoir sous prétexte de vouloir changer le pays mais, en réalité, pour continuer la politique « ôte-toi que je m’y mette » en vue de satisfaire nos petits intérêts mesquins et claniques au détriment du développement durable de notre chère Haïti. Haïti est-elle sur le fil du rasoir? C’est le choix délibéré de nos politiciens en allant de bêtise  en bêtise politique, en utilisant un dialogue de sourd et en visant délibérément le spectre du chaos. Et Haïti dans tout cela ? Elle s’en remettra. Elle en a l’habitude depuis 208 ans après l’assassinat de son père fondateur, le 17 octobre 1806! C’est à croire vraiment que nous avons, ou tout au moins, nos politiciens ont « un chromosome en moins » ! Faut-il en rire ou en pleurer ?

jeudi 10 avril 2014

SEPT (7) HEURES D’EMBOUTEILLAGE POUR ÉCOUTER, OBSERVER ET MIEUX APPREHENDER NOTRE SITUATION ACTUELLE


SEPT (7) HEURES D’EMBOUTEILLAGE POUR ÉCOUTER, OBSERVER ET MIEUX APPREHENDER NOTRE SITUATION ACTUELLE
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
10 AVRIL 2014

Ce vendredi 4 avril 2014, j’ai vécu une aventure ahurissante en Haïti. De 2.45 h pm à 9.46 Pm, j’ai été pris dans un embouteillage monstre sur une vingtaine de kilomètres de Delmas 31 (Delmas) à Duval 24 (Croix-des-Bouquets).D’où le titre de mon article : « Sept (7) heures d’embouteillage pour écouter et observer et mieux appréhender notre situation actuelle ». Certes, être pris dans un embouteillage de sept heures est plus que contrariant, mais que de choses on apprend en écoutant et en observant pour mieux expliquer notre situation de peuple !

« Gouvernement de couverture, de petits copains, la militarisation du gouvernement »…
Lorsqu’on est dans un embouteillage, on s’ennuie, on s’énerve, on s’amuse avec son téléphone potable, on écoute de la musique, on envoie des SMS, on en profite pour faire certains coups de fil utiles (socialisation et professionnalisme), et on réfléchit aussi. Bref, on s’arrange comme on peut pour tuer le temps.

J’ai passé en revue certaines stations de radio, Radio Caraïbes, radio Vision 2000, radio Scoop Fm, etc. En fin de compte, je me suis arrêté sur Radio Scoop FM de 3h à 5h PM, sur Vision 2000 de 5h à 6h PM et sur radio Métropole de 6h à 9h 45 PM.

J’ai appris que les partis  politiques de l’opposition et même ceux-là qui ont pris part aux pourparlers inter-haïtiens sont généralement défavorables au « gouvernement d’ouverture et d’efficacité » mis en place dans le cadre de l’accord du 14 mars 2014. Il faut le signaler en passant que ce gouvernement est mis en place dans les délais impartis contrairement au Sénat qui n’a pas voté les amendements de la loi électorale de 2013  comme l’a fait la veille la Chambre Base. Ce gouvernement est qualifié de tous les noms sauf d’ouverture. « Gouvernement de couverture », « gouvernement de petits copains », « la militarisation du gouvernement » avec la présence de beaucoup d’anciens militaires, etc.

Le débat entre André Michel du MOPOD et Sauveur Pierre-Etienne de l’OPL
Me André Miche a essayé de faire croire sur Scoop FM, « Haïti en débats », que tous les partis politiques qui ont paraphé l’accord Del Rancho sont automatiquement des alliés du pouvoir en place. Il a affirmé que la bourgeoisie traditionnelle aurait décidé lors d’une rencontre de ne financer aucune personne et aucun parti de tendance peuple et/ou de classe moyenne. Pour faire face à cette stratégie de la  bourgeoisie traditionnelle qui ne représenterait que 3% de la population, les 97% restant devraient financer avec ses maigres  moyens le MOPOD et ses alliés aux nouvelles élections prévues à la fin de cette année.

Garry Pierre-Paul- Charles, le principal animateur de l’émission, a rétorqué qu’il connait des gens de cette bourgeoisie traditionnelle qui financent des œuvres sociales en relation avec le peuple et la classe moyenne (l’exemple de la Croix-des-Bouquets). Selon lui, c’est peut-être une frange de cette bourgeoisie proche du pouvoir en place qui aurait pris cette décision. Ce ne serait pas l’ensemble. Ce qu’a récusé Me Michel en affirmant que c’est l’exception qui confirme la règle. Il a insinué en bon avocat que l’exception qu’a introduite Garry n’a fait que confirmer l’information qu’il a donnée.

Quant à Sauveur Pierre-Etienne, Président de l’OPL, appelé à la rescousse par G. Pierre-Paul-Charles, il a balayé d’un revers de main la théorie de Me Michel en utilisant l’approche de l’interpénétration des classes sociales, en faisant appel à une série de théories en relation avec la sociologie politique pour démentir Me Michel et démontrer que la bourgeoisie ne saurait en aucun cas faire ce choix pour la bonne et simple raison qu’elle cherche toujours à utiliser  les pouvoirs en place pour régler ses affaires. Un tel choix serait suicidaire.

Un gouvernement HIMO pour affronter les difficultés actuelles et futures…
Les émissions de nouvelles de Vision 2000 et de Radio Métropole ont confirmé le rejet du « gouvernement d’ouverture et d’efficacité » par la totalité des partis politiques qui n’en n’ont pas fait parti. C’est un gouvernement de 23 ministres et 19 secrétaires d’Etat avec le retour très remarqué de Mme Marie-Carmelle Jean-Marie au ministère de l’Economie et des Finances. Certains ont vu du gaspillage de l’argent de l’Etat, alors que le Pouvoir en place aurait du mettre en place un gouvernement d’austérité. D’autres s’interrogent sur la capacité de ce gouvernement à faire face à toutes les difficultés. De toute manière, c’est un gouvernement HIMO pour affronter ces difficultés actuelles et futures : la sécheresse, l’insécurité alimentaire (600,000 personnes en insécurité alimentaire aigue selon le PAM), la vie chère, le chômage, le manque de financement interne et externe, la dépréciation de la gourde qui a franchi le cap de 45 HTG pour 1 USD, le manque de financement de la campagne agricole de Printemps alors que la campagne d’hiver n’aurait réussi qu’à 50/60%, les inondations de certaines zone liées aux premières pluies d’avril 2014, la gestion de la saison pluvieuse et de la saison cyclonique, l’organisation des élections, les manifestations de l’opposition, l’hostilité du Sénat, le détention préventive prolongée, etc. Malgré tout, les nouveaux arrivants au gouvernement promettent de faire de leur mieux pour satisfaire la confiance placée en eux par le Président Martelly et le Premier Ministre Lamothe.

L’Embouteillage
Enfermé dans mon micro climat de ma vieille Terracan (Hyundai) et regardant les 3 lignes de voitures montant et les passants qui ont décidé de laisser les tap-tap (transport en commun) pour continuer à pied à travers cette boue asséchée se transformant en une poussière couleur d’argile blond sale, ma voiture est dépassée par des centaines de gens qui marchaient et des motocyclettes qui se faufilaient à travers les lignes de voitures. Tous ces gens sont du peuple et de la classe moyenne pauvre, des étudiants sac au dos qui se distinguaient parfois difficilement de certains travailleurs utilisant les mêmes sacs mais ayant en main une truelle, une pelle, un niveau de maçon. Souvent, j’ai fait du surplace durant plus d’une trentaine de minutes, malgré la présence de certains policiers à visage recouvert de cache-nez et en uniforme. De temps à autre des sirènes vrombissaient, la police, les ambulances ou les véhicules officiels qui franchissaient en montant la seule ligne descendante, les véhicules qui suivaient ceux de la Police. D’autres voitures laissaient l’embouteillage pour les suivre un moment et gagner quelques mètres. Des motos aussi faisaient la même chose. J’ai bravé un peu la poussière en descendant ma vitre gauche pour entendre le son de la rue. Je l’ai vite remontée pour observer de l’intérieur de ma voiture ce qui se passait dehors. Il y a tout sur cette grande artère construite après 1995 (Super Market, Parc Industriel, Restaurants, boutiques, magasins de matériaux de construction, stations d’essence, etc.). Que de progrès en moins de 20 ans ! Entre temps, le soleil descendit à l’horizon et de plus en plus de gens marchaient, les pieds recouverts de poussière. Ils marchèrent vite et décidés comme s’ils avaient peur du noir qui s’annonçait.

Je regardais  l’horloge de la voiture. Elle marquait 7h PM. C’est l’heure de la musique sur Métropole. Juan Manuel Nova animait. Je constatai que je n’ai parcouru que les ¾ de ma route. Là je profitai du passage d’une voiture de la police pour faire un peu de désordre. Cela m’a permis de gagner 1km. Je me faufilai dans un espace à peine plus grand que ma voiture. Un camarade m’a laissé entrer dans une des deux lignes. Et je me disais, « alors mon pote plus de désordre, tu vas suivre le rythme normal de l’embouteillage ». Une dame bien élancée, assez grande comme je les aime, doublait ma voiture. Elle marchait d’un pas décidé et pourtant avec une grâce de reine malgré son quart de talon. De dos elle était parfaite, un corsage vert pâle prolongé par un pantalon noir et sa valise noir pendait à l’épaule droite. Elle disparaissait dans le noir quelques mètres plus loin. J’étais un peu nostalgique de cette belle image. J’avançais lentement. Je me disais qu’à ce rythme je vais arriver à 8.30 PM à la maison. Entre temps, j’ai du appeler ma femme qui vit  à  Georgia, USA, à partir de mon téléphone portable pour lui dire qu’aussitôt arrivé à la maison je la rappellerai. Je lui ai expliqué l’aventure que j’étais en train de vivre. Un bruit de musique sur ma droite m’interpella. Deux jeunes avec  des pantalons au ras de derrière dansaient à tue tête sur un rythme que je ne connais pas. Ils étaient heureux sous cette lumière un peu blafarde qui déchirait le noir. Je regardais à nouveau l’horloge. Il était 9h PM. Il m’a fallu trente minutes de plus pour arriver sur le pont de Tabarre. Je me disais qu’à ce rythme j’arriverais à 10 H Pm à la maison si je devais suivre le parcours normal.

C’est à ce moment que je me souvenais de cette petite route découpée qui pourrait m’emmener à la maison. Lorsque j’ai laissé le pont, je me faufilais à droite jusqu’à atteindre cette petite route. Si l’entrée de la route est normale, dans la zone habitée qu’elle traverse, elle fait à peine 4 m de large, tortueuse, boueuse, avec des trous par endroits. Les phares  de ma voiture déchiraient la noirceur. Il n’y avait pas âme qui vive. Je suivais la route plus par instinct que par raison. Lorsque j’étais Directeur de Cabinet du Premier ministre Latortue, mon chauffeur et mes gardes de corps l’empruntaient des dizaines de fois. Mais jamais je l’avais empruntée seul. Nécessité obligeait, je conduisais avec prudence mais à un rythme au moins 50 fois supérieur par  rapport au rythme qui m’’etais imposé quelques heures plus tôt.  C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte qu’il pleuvait à petites gouttes depuis au moins une trentaine de minutes. En tout cas, je n’étais pas trop loin de chez moi. Et j’avais cette sensation de sécurité accompagné de radio Métropole qui passait le journal « dènié ralé » ; ils ont pratiquement repris les grands titres traités dans le Journal de 6h PM. D’un coup, je me retrouvais devant cette grande barrière crème. J’ai poussé un ouf de soulagement lorsque le garçon a ouvert la barrière. Il était 9h 46 pm. J’aurais pu faire un voyage aller-retour Port-au-Prince-New-York, pensai-je! Mais que de choses j’ai pu observer en 7 heures d’embouteillage!

Qu’est-ce qui nous étonne… ?

En conclusion, certes nous vivons dans une zone métropolitaine infernale qui s’étend de plus en plus à l’horizontale et qui a la densité de population la plus forte au km2 de notre pays (Réf. http://lesmeilleurstextes.blogspot.com/2014/04/le-metropolocentrisme.html) , certes nous n’avons pas assez de route, certes notre service de circulation est défaillant, certes nous sommes des égoïstes, des indisciplinés, mais un peuple discipliné qui respecterait les lois de la circulation même sans la présence suffisante des policiers aurait franchi cette vingtaine de km en moins de 7 heures de temps. Comme nous nous battons pour tout et même pour des broutilles, le résultat est là. C’est plutôt mental. Nous ne cédons pas un pouce de terrain à l’autre ; résultat : le terrain est mal occupé donc mal géré. Qu’est-ce qui nous étonne donc par rapport à la situation actuelle de notre pays? Reformatons les nouvelles générations pour sauver notre pays. C’est peut-être cela qui motive, de manière inconsciente ou consciente, un groupe privé et le Gouvernement, à organiser cette semaine parallèlement « la semaine de la finance » avec le  Group Croissance en mettant un accent particulier sur la finance municipale (décentralisation), et surtout  « les assises sur la qualité de l’éducation » avec le ministère de l’Education nationale. Et le nouveau ministre de l’Education, M. Nesmy Manigat,  de nous sortir ce proverbe africain : « Pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village ». Sommes-nous, enfin, en train de reformater correctement ce village Haïti? Peut-être pas correctement, mais, en tout cas, la voie de l’éducation  choisie est incontestablement la meilleure !