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mercredi 1 novembre 2017

HAITI : DECHOUCAGE, CONFERENCE NATIONALE SOUVERAINE OU ETATS GENERAUX SECTORIELS DE LA NATION?

HAITI : DECHOUCAGE, CONFERENCE NATIONALE SOUVERAINE OU ETATS GENERAUX SECTORIELS  DE LA NATION?

JEAN-ROBERT JEAN-NOEL

31 OCTOBRE 2017

Le mois d’octobre 2017 est marqué par les manifestations de rue dont l’objectif est désormais le déchoucage du Président Moïse, c’est la position de l’opposition radicale (LAVALAS et PITIT DESALIN). Un autre courant plus modéré propose la conférence nationale souveraine  comme solution à la crise actuelle. Le pouvoir parle des états généraux sectoriels de la nation, un des points clés de l’énoncé de politique générale du Premier Ministre Jack Guy Lafontant. De ces trois grands courants, lequel sortira triomphant de cette bataille pour prendre ou garder le pouvoir? Ou va-t-on continuer à nous chamailler pour les broutilles du pouvoir à des fins personnelles et /ou claniques, sans que notre pays Haïti soit le tenant et l’aboutissant de toute entreprise de dialogue inter-haïtien, conférence nationale ou Etats généraux sectoriels?

A-     LES FAITS SAILLANTS DU MOIS D’OCTOBRE 2017

Avant d’essayer d’analyser les trois courants, regardons ensemble, comme à notre habitude, les faits saillants du mois.

Mise à part la nouvelle de la maladie soudaine du principal leader de l’opposition radicale, Jean-Charles Moïse, qui serait due, selon Jean Mona Metellus, l’animateur vedette de l’émission INTERSECTION sur Radio Caraïbe, à l’inhalation de gaz lacrymogène,   il y a deux faits saillants qui deviennent routiniers depuis quelque temps, c’est la caravane du changement depuis le 1er mai 2017, une stratégie implémentée par le pouvoir en place pour inciter les acteurs du développement à travailler en synergie dans un même lieu, beaucoup plus rapidement et avec les moyens dont ils disposent, et les manifestations  de rue depuis le 12 septembre 2017 contre le budget 2017-2018 dans un premier temps et contre le Président J. Moïse une semaine plus tard après la publication du budget. 

Le Président de la Banque Interaméricaine de développement (BID), M. Moreno, en visite officielle en Haïti, et après une visite dans la Péninsule Sud d’Haïti, en compagnie du Président Moïse, s’est engagé à financer certaines actions sectorielles dans le cadre de la caravane à hauteur de 100 M USD, et a encouragé l’opposition politique en Haïti à prendre le train de la caravane du changement.

Après l’opération coup de poing de la caravane du changement au niveau de la Vallée de l’Artibonite, on constate une augmentation de la production de riz  suite aux travaux réalisés par le ministère de l’agriculture et l’ODVA dans le cadre de la caravane. Cette constatation est confirmée par un paysan  de la Vallée qui se plaigne du manque de travailleurs pour « battre le riz ».  « Le plus gros problème de la Vallée actuellement, c’est la rareté de main-d’œuvre  pour la cueillette du riz» a déclaré un autre paysan, membre de la Fédération des associations d’irrigants (FASIVAL). C’est le même constat fait par un gros entrepreneur de la zone, pas toujours tendre avec la caravane. Au niveau de la Péninsule Sud, les réalisations varient d’un secteur à l’autre, d’une zone à une autre et d’une activité à une autre, du bon et  du moins bon.

 Un autre fait routinier c’est la grève sporadique  des greffiers, celle des juges ayant trouvé un dénouement négocié avec le pouvoir en place. Selon le président de l’association des greffiers, cette grève touche les 18 juridictions judiciaires du pays. Ce qui paralyse l’appareil judiciaire dans son ensemble. A quand le dénouement de ce bras de fer entre le pouvoir et les greffiers ? Dès que les nombreuses revendications des greffiers seront satisfaites, selon l’un des membres de cette association, qui a déploré la complaisance des autorités vis-à-vis des juges, contrairement à eux autres qui ont fait entendre leur voix bien avant les juges.

L’artisanat en fête a réuni au Parc Canne à Sucre nos meilleurs artisans. Cette foire annuelle organisée par le journal, Le Nouvelliste, a été une fois de plus un succès. Cette grande fête culturelle, rehaussée par la présence du couple présidentiel, a mis en exergue les talents de nos multiples artisans. Il aurait fallu être là pour comprendre. Aucun reportage, aussi parfait qu’il puisse être, n’aurait pu traduire correctement la réussite d’un tel événement culturel. Bravo à Le Nouvelliste !!!

Le rapport de la commission d’éthique et d’anticorruption du Sénat sur les fonds PETROCARIBE, présidé par le Sénateur Beauplan, est remis, le 26 Octobre 2017, au Président du Sénat, M. Youri Latortue, qui a présidé cette commission avant d’être élu à la présidence du Sénat. A la lecture du résumé exécutif en circulation, on n’a pas l’impression que les choses ont vraiment évolué. Selon le président de la commission, c’est un rapport approfondi. Un autre membre de la commission s’est permis d’orienter les regards  vers le Palais National où se trouveraient les principaux corrompus. Un autre sénateur, proche du pouvoir et secrétaire de la commission, a dénoncé le rapport. La bataille entre l’opposition et le pouvoir trouve donc son écho au sein de cette commission qui aurait dû produire un rapport impartial incluant la gestion de l’administration Privert dans l’utilisation des fonds PETROCARIBE, d’autant que, à tort ou à raison, l’actuel commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Me Clamé Ocname Daméus, trop zélé et dépassant les limites de ses pouvoirs selon certains observateurs, a distribué des interdictions de départ contre les ex-cadres de BMPAD[1] qui gère le fonds PETROCARIBE et très récemment contre deux ex-ministres de cette administration, MM. Yves Romain Bastien de l’économie et des finances  et Camille Edouard Junior de la Justice. Comme le premier rapport produit sous la direction de Youri Latortue, ce rapport s’est concentré sur les activités de  PETROCARIBE jusqu’en Mars 2016 (Gestion du Premier Ministre Evans Paul).

B-      LES OPTIONS SUR LA TABLE

Maintenant, regardons ensemble les trois options sur la table, le déchoucage, la conférence nationale souveraine et les états généraux sectoriels de la nation.

1.       Déchoucage de Jovenel Moïse

Le déchoucage est notre sport favori à travers l’histoire depuis le déchoucage du système esclavagiste initié sur cette terre (un très bon exemple pour l’humanité), en passant par les déchoucages de nos dirigeants politiques dont le premier est Jean Jacques Dessaline, le GRAND,  et les autres jusqu’à Jean Claude Duvalier, Aristide en deux occasions. Les tentatives contre Préval, contre Martelly, sans succès. Actuellement contre J.Moïse. Il faut préciser que les déchoucages n’ont fait qu’agir négativement sur le développement de notre pays. Les ote toi que je m’y mette n’ont abouti qu’à remplacer les personnes, en perpétuant le système mis en place en 1806 après l’assassinat de Dessalines et de son idéal d’une Haïti profitable à l’ensemble de ses fils et filles. Le système mis en place en prolongement du système colonial se reproduit jusqu’à aujourd’hui où il a atteint ses limites. On est actuellement au bord de l’explosion sociale : tous les indicateurs sont au rouge. Le processus de dégradation a atteint son apogée. Malheureusement, l’administration actuelle a pris le relais dans cette conjoncture. Son déchoucage ne mènera à rien, sinon qu’à aggraver la situation comme cela avait été le cas pour la présidence d’Aristide (2004). Aristide est parti parce que, selon les apôtres du déchoucage de l’époque, il était le problème. L’éclaircie du gouvernement de transition n’a pas apporté grand-chose sinon un renforcement de notre arsenal législatif. Les administrations Préval et Martelly non plus. La transition de Privert non plus, si ce n’est de compléter le processus électoral enclenché sous Martelly et qui a abouti aux élus actuels (Président, Sénateurs, Députés et collectivités territoriales), tel que prévu par la constitution de 1987, moins les élections directes (stoppées). Veut-on déboulonner Jovenel Moïse comme l’exigent les manifestants ou l’ensemble des élus ? Peut-être que la conférence nationale souveraine apporterait une réponse par rapport à l’option déchoucage qui ne mènera nulle part.

2.       Conférence Nationale Souveraine

L’idée de la conférence nationale souveraine a été promue par le regretté Turnep Delpé. Elle a pris ses origines en Afrique, Benin (1990)[2], République Démocratique du Congo (RDC/Zaïre 1990-1992)[3], Niger[4] (1991) et Tchad (1993)[5]. Un point commun à toutes ces conférences nationales souveraines, elles ont été initiées par des régimes dictatoriaux. La mieux organisée a été celle du RDC, la mieux réussie celle du Bénin.

Si les conférences nationales ont permis de bien poser les problèmes des pays dans lesquels elles ont été organisées, les propositions de solutions n’ont pas été correctement appliquées (RDC, Tchad) ou ont été galvaudées par les politiciens (Niger), sauf au Bénin où le dictateur Mathieu Kérekou  a accepté, à son corps défendant, la souveraineté de la conférence nationale (Passage de la dictature à la démocratie), la présidence, la primature, les élections au suffrage universel, la refonte de la structure étatique. Les élections ont été organisées. Le 1er août 1991, Nicéphore Soglo a été élu président de la nouvelle République et 5 ans plus tard, Mathieu Kerekou est revenu au pouvoir démocratiquement en 1996.  Pour les autres conférences nationales, la situation s’est empirée après la période d’éclaircie de la conférence. Un seul exemple : Mobutu de la RDC a dû être renversé quelques années plus tard par Kabila. C’est le fils de Kabila qui dirige actuellement la RDC.  Pour les autres cas, consultez les références indiquées plus bas et tirez vos propres conclusions.

La conférence nationale souveraine a tout remis en question dans les pays où elle a été organisée. Dans le cas d’Haïti, qui est un pays démocratique, remettra-elle en question l’élection du président de la République, les élections des sénateurs, des députés, des collectivités territoriales, ou se concentrera-t-elle sur les vrais problèmes du pays relatifs à l’humain, au social, à l’environnement physique du pays, à l’infrastructurel, à l’économique/finance et la politique/gouvernance? Si elle remettait en question totalement ou partiellement  les élections, elle s’apparenterait à une forme de déchoucage en douceur ; si elle se concentrait sur les vrais problèmes du pays, elle se rapprocherait des états généraux sectoriels.

3.       Etats Généraux Sectoriels de La Nation

A part les annonces faites par le Président Moïse lors de la campagne électorale et sa déclaration formelle lors de l’investiture du Premier Ministre Jack Guy Lafontant, on ne connait pas grand-chose sur les états généraux de la Nation (EGSN). C’est pourquoi nous référons nos lecteurs à un excellent article du Journal Le National à ce sujet par trois spécialistes haïtiens[6] d’où nous tirons ce passage : « Aujourd’hui, la situation socioéconomique et politique du pays est très délicate. C’est pourquoi la réflexion inscrite dans cet article voulait expliciter à travers cinq interrogations fondamentales les contours de la tenue des États généraux sectoriels de la nation. Déterminer avec précision la direction à prendre semble dépendre dans une large mesure de là où on veut aller. La faisabilité de la tenue des états généraux est possible si elle est dirigée par une vision globale qui fixe les objectifs (quoi) et les finalités (pourquoi) et qui prend en compte le degré d’implication des acteurs (qui), le timing (quand), les moyens matériels, financiers et humains (comment). L’urgence est de taille. Et pour permettre le pays de reprendre pied vers le « take-off » économique nécessaire, la reconstruction du capital humain, la refondation du capital social et la lutte contre le fléau de la corruption (Voir notre article publié le 2 octobre au journal le National: ‘’Nécessité de rassembler la nation’’.), la convocation des EGSN semble être une occasion indispensable et urgente pour la définition d’une société construite avec du lien social».

En lisant avec attention cet article, il est clair que les états généraux sectoriels de la nation ne seront pas une partie de plaisir. C’est quelque chose de très sérieux qui doive répondre aux cinq questions fondamentales évoquées dans cet article, à savoir : Quoi ? Pourquoi? Qui ? Quand ?, et Comment?

C-      L’ENJEU, « ote toi que je m’y mette » ou « Haïti d’abord et avant tout[7] »

Il est plus qu’évident que le déchoucage  de nos dirigeants n’a pas donné de résultats dans le passé et ne peut donner de résultat dans le cadre de ce système qui est à bout de souffle. C’est une option à écarter, sauf pour les apôtres d’« ote toi que je m’y mette ». Et quand bien même ils arriveraient à leur fin, cela ne devrait pas durer longtemps. Au pouvoir, ils n’ont pas su innover, pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci ?

Pour ceux qui veulent la conférence nationale souveraine, il faudrait y ajouter l’adjectif inclusive  ou semi souveraine  pourqu’elle ne soit perçue comme une manière détournée de faire une sorte de coup d’Etat contre l’administration en place. Comme l’a fait ressortir l’un des adeptes de la conférence nationale souveraine, il ne participera pas à des Etats Généraux Sectoriels de la Nation promus par le Président. C’est comme si le mot d’ordre serait conférence nationale souveraine ou rien. C’est encore une forme de jusqu’auboutisme. Espérons que l’idée de la conférence nationale souveraine se rapprocherait beaucoup plus des états généraux du point de vue contenu pour nous éviter le spectre grimaçant de la désillusion.

Quant aux Etats généraux Sectoriels de la Nation, qui étaient une promesse électorale du Président de la République, il faut les orienter vers une finalité très claire : « Haïti d’Abord et avant tout » et ne pas laisser cette entreprise si noble se transformer en des manœuvres politiques pour le pouvoir. L’administration actuelle devrait tout tenter pourque cette initiative  soit inclusive, chercher la collaboration des radicaux, des modérés, et de l’ensemble de la majorité silencieuse fatiguée de tant d’instabilité, et prendre toutes les dispositions pour avoir les moyens nécessaires à sa réussite la plus totale.

Haïti a besoin de tous ses fils et filles pour sortir du trou. Toute entreprise pour Haïti ne peut être qu’inclusive et profitable à tous et à chacun. Dans le cas contraire, ce sera un échec cuisant qui nous engloutira tous définitivement,  avec l’os déchaussé  des broutilles du pouvoir dans les mains de nos politiciens comme seul trophée de notre défaite à tous, au grand dam de Papa Dessalines qui se retournerait dans sa tombe et nous maudirait d’avoir galvaudé son précieux héritage.





1 Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement
[6] Wadner ARTHUS, Master II Sciences Politiques Consultant en politiques publiques ; Jesse JEAN, Ph.D, Expert Consultant en éducation et développement ; Dequel Jean MERGER, Maîtrise en Stratégie politique Spécialiste en relations internationales
[7] Le titre de mon ouvrage en quatre tomes  en phase de rédaction (2004 à date : (1) La difficile transition 2004-2007, (ii) la gestion des catastrophes (2007-2011) , (iii) L’Exacerbation de la bataille des clans (2011-2016), IV La  Nécessité de la grande concertation nationale 2016-2022)