HAÏTI ET LE
MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS (?) NO 60 : CHAOS, RESILIENCE ET ENJEUX
JEAN-ROBERT
JEAN-NOEL
31 OCTOBRE
2025
Alors qu’octobre 2025 touche à sa fin, le mois aura été marqué par une
accumulation d’événements majeurs, révélant la fragilité d’un monde en plein
bouleversement. Haïti, pays déjà éprouvé par les crises successives, se
retrouve une fois de plus exposée à la convergence de défis d’ampleur
internationale et locale. Les crises géopolitiques — qui voient les grandes
puissances redéfinir leurs alliances et leurs stratégies économiques —
s’entremêlent à des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes et
destructrices. Parallèlement, les remises en cause institutionnelles secouent
la gouvernance aussi bien sur le plan mondial qu’au sein même de la société
haïtienne. À la veille d’échéances politiques déterminantes, l’incertitude
règne entre chaos et lueurs d’espoir, faisant de la résilience et de
l’élaboration de nouveaux modèles de gouvernance une nécessité impérieuse. Ce
contexte d’interdépendance croissante entre dynamiques internationales et
réalités nationales pose la question de la capacité collective à trouver des
réponses efficaces et durables.
I. Les faits saillants mondiaux
d’octobre 2025 : recompositions et vulnérabilités
1. La tournée asiatique de
Donald Trump : vers une nouvelle polarisation économique ?
En pleine effervescence de la campagne pour la présidentielle américaine de
2026, Donald Trump multiplie les déplacements en Asie, notamment au Japon, en
Corée du Sud et au Vietnam. Lors de ses interventions, il plaide ouvertement
pour la création d’une alliance économique visant à contrer le bloc émergent
des BRICS, qu’il considère comme une menace croissante pour les intérêts
occidentaux. Cet appel suscite de vifs débats au sein des pays visités,
certains gouvernements y voyant une opportunité de renforcer leur partenariat
avec les États-Unis, tandis que d’autres redoutent une nouvelle fragmentation
de l’économie mondiale. Les réactions mitigées mettent en lumière la difficulté
d’établir un consensus et révèlent les profondes fissures qui traversent le système
international. Cette dynamique contribue à accroître l’incertitude sur l’avenir
des partenariats économiques mondiaux et souligne la volatilité du contexte
géopolitique actuel.
2. L’axe Moscou‑Téhéran‑Pékin : une route énergétique hors des circuits occidentaux
La rencontre stratégique organisée à Saint‑Pétersbourg
réunit la Russie, la Chine et l’Iran autour d’un projet d’envergure : la création
d’un nouveau corridor énergétique indépendant des réseaux occidentaux. Les
discussions aboutissent à des accords sur la construction d’infrastructures de
transport et le partage de technologies, dessinant les contours d’une coopération
énergétique renforcée. Cette initiative représente un défi majeur pour l’Occident,
qui voit s’éroder son contrôle sur les flux énergétiques mondiaux. Les pays
membres de l’axe cherchent à garantir leur souveraineté tout en répondant à
leurs besoins croissants, face à des sanctions et des pressions
internationales. Le déplacement de l’équilibre énergétique mondial qui en
résulte accentue la fragmentation déjà perceptible des alliances géopolitiques
et oblige de nombreux États à repenser leur sécurité énergétique et leurs
stratégies d’approvisionnement.
3. Crise migratoire européenne : l’impasse humanitaire
L’Europe traverse une crise migratoire d’une ampleur inédite, avec un
afflux massif de personnes fuyant l’insécurité alimentaire, la guerre et la
dégradation climatique en Afrique subsaharienne. L’Italie, la Grèce et la
France, en première ligne, se heurtent à une saturation rapide de leurs
capacités d’accueil. Les dispositifs institutionnels, déjà fragilisés,
s’avèrent insuffisants pour faire face à cette pression constante. Les tensions
sociales s’exacerbent dans plusieurs pays, alimentant les discours nationalistes
et les crispations politiques. Face à cette crise devenue structurelle, la
solidarité européenne montre ses limites, et le débat sur la répartition des
responsabilités entre États membres reste vif. Cette impasse met en danger les
fondements mêmes de la cohésion européenne, questionnant la capacité du
continent à formuler une réponse humanitaire efficace et durable.
4. Cyberattaque mondiale : la
vulnérabilité des infrastructures numériques
Durant le mois d’octobre, une cyberattaque massive et coordonnée frappe
simultanément les systèmes bancaires et administratifs de douze pays de
différents continents. Le mode opératoire, sophistiqué et difficile à retracer,
laisse penser à l’action d’un groupe non étatique extrêmement bien organisé.
Les conséquences sont immédiates : paralysie des transactions, fuite de données
sensibles, interruption des services publics. Ces événements soulignent
l’extrême dépendance des sociétés modernes aux infrastructures numériques et la
nécessité urgente de renforcer la coopération internationale en matière de
cybersécurité. Les États concernés, pris de court, sont contraints de revoir
leurs protocoles de sécurité et d’investir massivement dans la protection de
leurs réseaux, tandis que la population subit les contrecoups économiques et
sociaux de cette attaque inédite.
5. L’Afrique à l’avant-garde de
l’éthique de l’intelligence artificielle
À Nairobi, la première conférence mondiale consacrée à l’éthique de
l’intelligence artificielle réunit des experts, des chefs d’État et des
représentants de la société civile. Les discussions portent sur la nécessité de
développer une régulation adaptée aux réalités du Sud, prenant en compte les
enjeux de justice sociale et de souveraineté technologique. L’Afrique, souvent
perçue comme en retrait dans les débats technologiques, affirme ici son
leadership et propose des principes fondateurs pour un usage responsable et
inclusif de l’IA. Cette initiative est saluée comme un tournant, démontrant la
capacité du continent à influencer les normes internationales et à défendre ses
propres intérêts face aux grandes puissances technologiques.
6. Venezuela : tensions et crise
humanitaire aux frontières
Le Venezuela est le théâtre d’affrontements violents et récurrents entre
l’armée régulière et des groupes dissidents, souvent liés à des cartels venus
de Colombie. Cette situation génère une crise humanitaire aiguë dans les
régions frontalières, où les populations civiles sont prises en étau entre
insécurité et pénuries. Les déplacements massifs de personnes vers les pays
voisins aggravent la pression sur les systèmes d’accueil et alimentent
l’instabilité régionale. L’État vénézuélien, affaibli par des années de crise
politique, peine à rétablir l’ordre et à répondre aux besoins fondamentaux de
la population, illustrant la difficulté à juguler les dynamiques criminelles
transnationales.
7. L’ouragan Melissa : un
désastre caribéen, Haïti en première ligne
L’ouragan Melissa, classé catégorie 4, dévaste les Petites Antilles et
touche particulièrement Saint‑Vincent, la République dominicaine et Haïti.
Les vents violents et les pluies torrentielles causent des dégâts considérables
: inondations, effondrements d’infrastructures, pertes humaines et matérielles
massives. En Haïti, déjà fragilisée par la précarité des installations et la
faiblesse institutionnelle, la catastrophe aggrave les problèmes d’insécurité
alimentaire, de santé publique et de logement. Le drame met en lumière la
vulnérabilité structurelle des sociétés caribéennes face aux phénomènes
météorologiques extrêmes, dans un contexte de changement climatique accéléré et
de gestion des risques encore inadaptée.
II. Haïti : entre crise
humanitaire et recomposition institutionnelle
1. Bilan humain et matériel de
l’ouragan Melissa
Le bilan du passage de l’ouragan Melissa en Haïti est lourd : plus de 180
morts sont recensés, tandis que des milliers de personnes se retrouvent sans
abri suite à la destruction de leurs habitations. Les pertes agricoles sont
immenses, compromettant pour plusieurs mois la sécurité alimentaire des
populations rurales. Les infrastructures vitales — routes, ponts, hôpitaux —
sont endommagées ou détruites, ralentissant l’acheminement de l’aide d’urgence.
Face à l’ampleur de la catastrophe, la réponse institutionnelle peine à
s’organiser, entre manque de moyens, coordination difficile et accès compliqué
aux zones les plus touchées. Cette nouvelle crise vient s’ajouter à une
situation humanitaire déjà critique, où la résilience des communautés est mise
à rude épreuve.
2. Montée en puissance des gangs
et fragilisation de l’État
Malgré le déploiement de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité
(MMAS), certaines zones urbaines comme Carrefour, Cité Soleil et Martissant
demeurent sous la coupe de groupes armés qui imposent leur loi. Les opérations
conjointes menées avec les forces kényanes ont permis de restaurer un début de
sécurité dans certains quartiers, mais la violence reste endémique et les
enlèvements, extorsions et affrontements armés persistent. Cette insécurité
chronique mine la cohésion sociale, entrave la reprise économique et réduit
l’autorité de l’État, qui peine à regagner la confiance de la population. La
présence des gangs, souvent mieux équipés que les forces de l’ordre, complique
la tâche des autorités et alimente un sentiment d’impuissance généralisé.
3. Blocage
constitutionnel : méfiance et polarisation
Le projet de nouvelle Constitution, censé ouvrir la voie à une refondation
institutionnelle, suscite de vives critiques au sein de la classe politique et
de la société civile. L’opposition accuse le gouvernement de vouloir imposer un
texte sans véritable consultation, alimentant la défiance et la polarisation du
débat public. Les désaccords sur la nature du régime, la répartition des
pouvoirs et les garanties démocratiques retardent l’adoption du texte, alors
que le pays aurait besoin de stabilité et de légitimité institutionnelle. Ce
blocage reflète la profondeur des fractures politiques et sociales, compliquant
la mise en place d’un consensus national autour d’un nouveau projet de société.
4. Fuite des cerveaux :
exode des jeunes diplômés
L’insécurité persistante, le manque de perspectives professionnelles et la
dégradation des conditions de vie poussent de plus en plus de jeunes diplômés à
quitter le pays. Les secteurs clés comme la santé, l’ingénierie ou l’éducation
sont particulièrement touchés par cette hémorragie de talents, affaiblissant
durablement les capacités de reconstruction du pays. Les familles investissent
dans la formation de leurs enfants, mais ceux-ci partent chercher un avenir
meilleur à l’étranger, laissant un vide difficile à combler. Ce phénomène,
aggravé par l’absence de mesures incitatives pour le retour ou la rétention des
compétences, compromet les efforts de développement et la capacité à répondre
aux défis nationaux.
5. Initiatives agricoles :
vers une résilience locale ?
Dans un contexte de crise généralisée, certaines régions comme l’Artibonite
et le Sud parviennent à faire émerger des dynamiques positives. Grâce à des
partenariats haïtiano‑cubains et à l’accompagnement de plusieurs
ONG, des programmes pilotes de zones de développement agricole résilient (ZDAR)
voient le jour. Ces initiatives reposent sur la diversification des cultures,
la formation des agriculteurs et l’introduction de technologies adaptées au
changement climatique. Les premiers résultats sont encourageants, mais la
pérennité de ces projets dépend d’un appui institutionnel renforcé et de
l’engagement durable des partenaires internationaux. Ces expériences offrent
toutefois des pistes concrètes pour renforcer la sécurité alimentaire et
l’autonomie des communautés rurales.
6. Débat institutionnel :
l’après‑7 février 2026
À l’approche de la date d’expiration du mandat du gouvernement de
transition, prévue le 7 février 2026, les interrogations sur l’avenir
institutionnel du pays se multiplient. Plusieurs scénarios sont évoqués : la
création d’un nouveau Conseil Électoral Provisoire (CEP) pour organiser des
élections crédibles, la désignation d’un président provisoire, ou encore la
mobilisation de la société civile pour éviter le vide institutionnel. Les
échanges sont vifs entre les différentes forces politiques et sociales, chacune
défendant sa vision de la sortie de crise. L’enjeu est crucial : il s’agit
d’éviter l’effondrement de l’État, tout en posant les bases d’une gouvernance
plus légitime et inclusive, capable de redonner confiance à la population et de
relancer le processus démocratique.
7. Solidarité diasporique :
mobilisation et espoir
Face à l’urgence, la diaspora haïtienne joue un rôle de premier plan dans
la mobilisation des ressources et le soutien aux communautés affectées. Des
collectifs organisés aux États-Unis, au Canada et en France multiplient les
initiatives de levées de fonds, permettant, par exemple, la réhabilitation de
trois écoles dans la Grande‑Anse grâce à l’engagement des Haïtiens de
Floride. Outre l’aide matérielle, cette solidarité transnationale contribue à
maintenir le lien social et à faire vivre l’espoir d’une reconstruction
possible. La diaspora s’impose ainsi comme un acteur incontournable de la
résilience nationale, en complément de l’action des institutions locales et des
partenaires internationaux.
III. Analyse croisée :
Haïti dans la tourmente mondiale
La situation d’Haïti s’inscrit dans un contexte international marqué par
une intensification des tensions et une multiplication des crises. La
fragmentation des alliances géopolitiques, la montée des menaces hybrides
(cyberattaques, criminalité transfrontalière), les migrations massives et les
catastrophes naturelles ont des répercussions directes sur les États les plus
fragiles. Haïti, prise dans cette tempête, illustre la nécessité d’adopter une
approche intégrée pour sortir de l’impasse. Seule une gouvernance ouverte,
fondée sur la participation citoyenne et la transparence, alliée à une
résilience populaire renforcée et à une diplomatie axée sur la reconstruction,
permettra de relever les défis actuels. Les initiatives locales doivent être
articulées à une mobilisation internationale, notamment via le soutien de la
diaspora, la coopération régionale et l’intégration des enjeux mondiaux tels
que la sécurité, le climat ou les technologies émergentes. La capacité à
dépasser les divisions internes et à s’inscrire dans une dynamique globale de
solidarité et d’innovation déterminera l’avenir du pays.
Conclusion et
perspectives : pour une refondation haïtienne et mondiale
Le mois d’octobre 2025 restera dans les mémoires comme une période de
recomposition accélérée, durant laquelle le chaos n’a cessé de côtoyer
l’espoir. Haïti, à la croisée des chemins, doit impérativement inventer de
nouveaux modèles de gouvernance, renforcer sa résilience à tous les niveaux et
s’ouvrir à une diplomatie de reconstruction ambitieuse. Les défis à relever
sont immenses, mais les opportunités existent : de la mobilisation de la
société civile à la solidarité diasporique, en passant par les innovations dans
le secteur agricole et l’engagement renouvelé de la communauté internationale.
Il s’agit désormais de transformer chaque crise en levier d’action, afin de
bâtir un pacte de survie et de réconciliation, à la fois national et mondial,
capable de garantir un avenir plus stable et plus prospère à toutes les
générations à venir.
Bibliographie et
références
[1]
The Washington Post, 12 Oct. 2025
[2] Al‑Jazeera, 9 Oct. 2025
[3] Le Monde, 18 Oct. 2025
[4] The Guardian, 20 Oct. 2025
[5] AfricaTech Journal, 5 Oct. 2025
[6] El Tiempo, 10 Oct. 2025
[7] Caribbean Hurricane Center, 27 Oct. 2025
[8] Le Nouvelliste, 29 Oct. 2025
[9] Miami Herald Haiti Desk, 15 Oct. 2025
[10] Radio Kiskeya, 21 Oct. 2025
[11] FAO Haiti Office, rapport interne
[12] DiasporaHA Fundraising Report, Oct. 2025
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