ET L’APRÈS JACK GUY LAFONTANT ?
JEAN-ROEBRT JEAN-NOEL
23 JUILLET 2018
Le 14 Juillet 2018, jour de la fête nationale de la France, qui sera sacrée championne du
monde le lendemain en battant la Croatie 2 buts à 1, le Premier Ministre Jack
Guy Lafontant a remis sa démission au Président Moïse, huit jours après les
événements malheureux du 6 et 7 juillet 2018, qui ont couté la vie à une demie
douzaine d’haïtiens, causé des dégâts matériels, donné un coup terrible à
l’image du pays sur le plan international, et plongé le pays dans une
conjoncture politique incertaine et dans une misère encore plus noire avec des
perspectives très sombres sur le plan socioéconomique.
Savez-vous que sur le plan touristique le pays
a pris un sacré coup ? De l’hôtel Décameron au point de jonction de la Nationale No 1 et
de la Route 9, les 55 traces de barricades enflammées sur la chaussée
témoignent de l’ampleur des événements du 6 et 7 juillet sur le Département de
l’Ouest et en particulier sur l’image de la Côte des Arcadins, la zone de
tourisme de plage par excellence, qui lui a valu l’annulation de
plusieurs réservations; certains hôtels de plage, qui étaient bondés de
clients, ont dû négocier avec les bandits pour éviter les casses et le pillage
et favoriser l’exfiltration des clients étrangers avec l’aide de la police dans
certains cas. Au niveau de la zone de Croix-des-Bouquets, ce scénario de
bandits rançonneurs s’est répété avec plusieurs entreprises (markets, magasins,
hôtels, boutiques) qui sont sortis indemnes moyennant des négociations en
sous-main avec des présumés chefs bandits de quartiers. Il faut noter aussi les
nombreux témoignages de parents, d’amis, de collègues qui ont dû dormir sur
leur lieu de travail et affronter les barricades pour rentrer à pied chez eux
le lendemain et le surlendemain.
A partir de ces nouvelles informations, la
situation s’annonce encore plus désastreuse, la peur d’une nouvelle flambée de
violence s’est installée dans la tête des gens et des entrepreneurs en particulier. Face à cette
situation désastreuse, que nous réserve l’après Lafontant ? Le déchoucage
du Président Moïse comme le souhaite l’opposition radicale ? La
continuité de l’administration Moïse avec la mise en place d’un gouvernement
« inclusif » comme le propose le Président Moïse? Ces deux
propositions, si elles arrivent à se concrétiser, devront se colleter à cette
situation socioéconomique désastreuse.
Le déchoucage du Président Moïse
L’opposition politique radicale ne jure que par
la tête du Président Moïse. Qu’elle parle de conférence nationale souveraine ou
déchoucage, l’objectif reste le même, la chute du Président. La conférence
nationale souveraine ferait moins de mal au pays. Elle se ferait selon toute
vraisemblance dans le calme. Par contre, le déchoucage, qui prendrait l’allure
de ce qui s’est passé les 6 et 7 Juillet 2018 au niveau de la zone métropolitaine
de Port-au-Prince, ne devrait pas laisser grand ’chose au pays. C’est une
stratégie très connue des haïtiens, elle a été appliquée avec succès pour
obtenir notre indépendance. C’était une nécessité. Il s’agissait de rompre avec
le système esclavagiste mondial basé sur l’esclavage des nègres considérés
comme des bêtes de somme, des animaux. Cette révolution a eu des répercutions au niveau mondial.
Haïti est devenue le symbole de liberté.
Tout au long de notre histoire de peuple, nous
avons déchouqué des Présidents, des dictateurs ; ces mouvements ont été
qualifiés de « révolutions ». En réalité, rien ne change. En tout
cas, plus ça change, plus c’est la même chose. Plus près de nous, on a fait
1986, on a déchouqué Jean Claude Duvalier, on a brulé, on a tué, on a établi un
système démocratique sur le papier à travers la constitution de 1987. Mais dans
la réalité, on a galvaudé la démocratie. Le système mis en place en 1806 après
l’assassinat de Dessalines se perpétue jusqu’aujourd’hui à travers le système
dit démocratique théoriquement issu de la constitution de 1987, et qui s’apparente beaucoup plus à une forme de
licence qu’autre chose. Ce galvaudage a favorisé une exploitation à outrance du
système qui a, enfin, atteint ses limites si l’on se réfère aux indicateurs qui
sont tous en rouge. Le déchoucage d’un
Président est devenu le sport national.
Aristide est passé par là, mais ceux qui ont
payé le prix du déchoucage c’étaient en partie ceux-là qui ont œuvré pour forcer le départ d’Aristide, les
partisans d’Aristide forcèrent les gens à se barricader chez eux au niveau de
la zone métropolitaine de Port-au-Prince durant au moins trois jours, avec à la
clé « l’opération Bagdad »
et l’intensification de la pratique du kidnapping. Préval y a résisté, Martelly
a dû composer pour terminer son mandat. Dans tous les cas de figure, c’est le
pays qui a payé les pots cassés. Un
déchoucage de plus ne nous mènera nulle part.
Pourquoi ne pas composer avec le pouvoir en
place pour amorcer le changement du système dans le cadre d’un gouvernement
inclusif combinant les états généraux sectoriels de la nation (EGSN) et une
conférence nationale semi souveraine ne mettant pas en cause le mandat du Président Moïse et des autres élus issus
des dernières élections générales ?
La mise en place d’un gouvernement inclusif
Le professeur Lesly F. Manigat aurait dit un
gouvernement « sans exclusive ». Un gouvernement inclusif suppose la
participation des diverses catégories d’opposition, les modérés et les
radicaux. Les consultations sont en cours au niveau du Palais National avec l’ensemble des acteurs de la vie
nationale pour désigner cet oiseau rare susceptible de remplacer l’ex-PM
Lafontant, un politique capable de dialoguer avec tout le monde, avec la
communauté des affaires, avec la communauté internationale, ayant des
sensibilités par rapport à la masse des plus défavorisées, de préférence issue
de l’aile modérée de l’opposition ou de la société civile, mais ayant des
connaissances solides de la structure étatique, etc. Ce profil est établi en
écoutant les diverses propositions émanant de nombreux secteurs du pays qui se
sont prêtés au jeu de « proposition de sortie de crise », comme il
est de mise en de pareilles circonstances. Cela m’étonnerait que l’opposition
radicale accepte de participer à un tel gouvernement quel qu’en soit son
qualificatif, l’intolérance aidant. Le problème pour cette opposition est tout
simplement Jovenel Moïse. Point barre ! Il en fut de même pour Aristide en 2004. Aristide parti, le problème
n’est jamais résolu car c’est le système qui a atteint ses limites comme l’a
diagnostiqué l’ex-gouverneur de la Banque de la République d’Haïti, Fritz Jean.
Pourtant, sans la participation de cette
opposition radicale, l’inclusive serait
bancale et pourrait basculer à n’importe quel moment dans le chaos comme les
épisodes du 6 et 7 Juillet 2018.
En attendant, il serait bon de trouver une
forme d’entente avec elle pour favoriser l’implémentation de ce gouvernement
dit inclusif, qui devrait prendre en compte les désidératas de cette opposition
en lien avec la misère abjecte du peuple haïtien. Ce gouvernement inclusif
aurait à faire face à cette situation socio-économique empirée par les derniers
évènements. Pour cela, il faudrait :
(i)
Revoir
à la baisse le budget soumis et l’orienter vers un budget par département sur
la base du « document de synthèse des plans d’action départementaux »
qui a inspiré « la politique et la stratégie nationales de souveraineté et de sécurité
alimentaires (PSNSSAN) » ainsi que « les plans départementaux
de la Sécurité alimentaire (PDSAN) » ; tous ces documents
sont déjà validés ou en phase de l’être par les acteurs du développement ;
la départementalisation du budget serait en soi une révolution dans notre
manière d’opérer ;
(ii) Utiliser
systématiquement la stratégie Caravane du changement, qui est contrairement à
la perception une stratégie de coordination et de gouvernance visant le
développement participatif et durable du pays, en favorisant l’imbrication
intra-sectorielle des actions, leur articulation intersectorielle et leur
intégration à l’action gouvernementale pour maximiser leurs effets et impacts sur la
vie des citoyens, en prévoyant le
renforcement des directions départementales des ministères, des organismes
autonomes de l’Etat, des collectivités territoriales, non seulement pour
l’exécution des actions mais aussi et surtout pour la gestion des fonds y
relatifs, ce qui nécessiterait de nouvelles dispositions au niveau des directions
départementales du MEF et du MPCE
susceptibles d’accélérer les décaissements et de contrôler les dépenses
effectuées, le travail de prise en compte des actions sectorielles dans le
budget 2018-2019 et dans le plan triennal d’investissement 2019-2022 serait
d’une grande utilité dans la programmation et la mise en œuvre des actions sectorielles au niveau de l’ensemble
du territoire national ;
(iii)
Mettre
en place un gouvernement d’austérité avec un nombre réduit de ministres sur le
modèle suggéré par la FONHDILAC (Réf. https://jrjean-noel.blogspot.com/2017/02/document-dorientation-pour-la.html
). Pour cela, il faudra trouver un consensus au détriment de la loi qui prévoit
18 ministres. La FONHDILAC a proposé depuis 2011 et l’a réédité en Février 2017
la réduction du nombre de ministres à 11 au lieu de 18. On rappelle ici que
certains grands pays n’ont pas plus que 10 ministres, pourquoi pas la petite Haïti
avec un budget aussi chétif autour de 2 milliards de dollars américains
et qui risque d’être revu encore à la baisse pour cause de son financement?
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