HAITI :
POLITIQUE GENERALE DU DR CONILLE ET LE
SECTEUR AGRICOLE, UN PARI A GAGNER ?
JEAN ROBERT JEAN-NOEL
20 OTOBRE 2011
Ouf, enfin, Haïti a
un Premier Ministre (PM) cinq (5) mois après l’investiture du Président
Martelly !!! En effet, après la ratification du PM par le Sénat, Dr Garry Conille et son cabinet ministériel ont
bénéficié d'un vote de confiance de la part de 81 députés et de 16 sénateurs à
la fin de la semaine dernière, suite à la présentation de l’énoncé de sa
politique générale.
Ce nouveau gouvernement est le bien venu
dans la conjoncture actuelle dominée par la réouverture des classes avec
l’accompagnement de 772000 enfants dont 142 600 nouveaux écoliers; par la réouverture des tribunaux et la
nomination d’un nouveau Président à la Cour des Cassations après plus de 5 ans
d’intérim de Me Georges MOISE ; par la recrudescence du choléra après les
dernières pluies de septembre et d’octobre ; par les visites du Président Equatorien, de la Reine
d’Espagne, du Secrétaire général de la Francophonie , du « banquier
des pauvres »,
M. Muhammad Yunus, avec
sa théorie de la 3e voie, le « social business » se
situant entre l’économie du profit (grandes entreprises) et l’économie de la
charité ou humanitaire (ONG/ agences des Nations unies) ; par les écarts
de langage du Président de la République vis-à-vis d’un journaliste et d’un
député, et par la semaine de la réconciliation nationale caractérisée par des rencontres du Président
Martelly avec les anciens Chefs d’Etat Haïtien, Avril, Aristide, Alexandre,
Duvalier, Namphy. Ce qui a poussé Jean Eric RENE à qualifier Mr Martelly
d’ « apôtre de la réconciliation nationale ». Et
le président de préciser à Marchand Dessalines à l’occasion du 17 octobre 2011 qu'il entend travailler conjointement avec les ex
présidents René Préval, Jean Bertrand Aristide et Jean Claude Duvalier
quoiqu'il n'ait jamais été membre de leur équipe. « Nous sommes tous des haïtiens, nous devons
résoudre les problèmes du pays. » A-t-il martelé, (Radio Métropole).
Avec l’investiture du Gouvernement ce mardi 18 octobre, et l’installation
des ministres le lendemain à partir de
cérémonies plutôt émouvantes, le Président
Martelly se donne-t-il les moyens de sa politique ? La déclaration
de politique générale du PM contient-elle l’essentiel de ces moyens, tout au
moins en ce qui concerne le secteur agricole, le plus grand pourvoyeur d’emplois du pays actuellement ?
La déclaration de politique du PM CONILLE
La déclaration de politique du PM CONILLE
C’est un document
d’une quatre vingtaine de pages organisées en 8 chapitres si l’on tient compte
de l’introduction et de la conclusion. Le document s’articule autour de (i)
Cahier Des Charges Des Elus ; (ii) Pacte Du Bien-Vivre Ensemble ;
(iii) Les Urgences De L’heure ;
(iv) Les Quatre Piliers Du Président Martelly auquel le PM a ajouté un 5e pilier : 1)
Education (Les défis actuels,
L’urgence de la scolarisation universelle, De nouvelles voies pour
l’enseignement professionnel, l’enseignement supérieur et la recherche), 2)
Etat de droit ( Instauration de l’Etat de droit, Le Système Judiciaire, La
PNH , Le Système pénitentiaire , Ordre de route et calendrier pour les 100
premiers jours , Défense et protection civile , Renouvellement des institutions
démocratiques , Politique sociale, La protection sociale, La santé, La
politique de population et de développement , Femme et Famille, Jeunesse et
Sports) , 3) Emploi et création de richesse (La stratégie, Agriculture
et milieu rural , Tourisme, Logement et reconstruction, Vêtement et industrie
légère, Culture et industries créatives et culturelles) , 4) Environnement
( La fracture environnementale , Les réponses à la vulnérabilité , Le
développement transfrontalier) , 5) Energie ( Mines et ressources
énergétiques, Electricité) ; (v) Politique Etrangère ; (vi) Voies Et
Moyens ( Reforme de l’Etat et
Décentralisation, Budget) .
Le document de
politique général est en rupture par rapport aux déclarations de politique
générale antérieures, tout au moins est différent en ce sens qu’il s’apparente
beaucoup plus à un programme gouvernemental avec certains indicateurs qu’à une
déclaration de politique générale articulée en général autour d’une vision, des
grands objectifs stratégiques, des grands principes et des grandes orientations
(Phito Blémur). En effet dans ce document, il est prévu un budget de 600
milliards de gourdes (15 mds d’USD) sur une période de 5 ans avec 120 milliards
d’investissement par an (3 mds d’USD), un taux de croissance moyenne annuelle
de 9%, un taux d’inflation inférieur
à 10%, 1 million d’emploi formel, réduction de 50% du nombre de personnes
vivant avec moins de 2 USD par jour, réduction d’un tiers (1/3) du déficit de
la balance commerciale en pourcentage du PIB.
La stratégie prévue par la déclaration de politique
générale
Pour y parvenir le
gouvernement entend redynamiser
l’ensemble des territoires de la République pour les transformer en milieux
économiquement actifs, maximiser la création d’emplois durables sur la totalité
du territoire et dans tous les secteurs clés par la conception et la mise en œuvre
d’un ensemble de politiques publiques appropriées visant à garantir les
solidarités essentielles à notre société et mieux assurer la place d’Haïti dans
la région ; établir des zones économiques intégrées (ZEI) en vue
d’apporter un renouveau à la dynamique de pôles d’entreprises dans tout le
pays, en favorisant le maillage économique des territoires par la valorisation
de tous les départements dans une logique de complémentarité et de coopération
avec la politique des pôles de compétitivité et celle des pôles d’excellence rurale ;
Tout ceci dans le cadre d’une révolution
de croissance inclusive, en se basant
sur des secteurs prioritaires supportés par les piliers transversaux suivants: (i)
routes, bâtiments, ports, aéroports, réseaux d’irrigation et de drainage, les
réseaux électriques, etc. (ii) Les Technologies de l’Information et de la
Communication (TIC) en tant que moteur de la compétitivité ; (iii)L’éducation
et la formation ; (iv) La mise en place d’un cadre propice aux affaires, grâce
à un partenariat privé-public (PPP) à travers des réformes de politiques
publiques et la promotion systématique de l’entreprenariat.
Le souci du respect de la pensée du prince
L’épine
dorsale du document demeure le programme en 4 E du Président Martelly ; on
y décèle en filigrane quelques similitudes avec le plan d’action pour le
relèvement et le développement national d’Haïti (PARDNH) avec ses 4 axes,
refondation sociale, refondation économique, refondation territoriale et
refondation institutionnelle, regroupés autrement pour s’aligner au programme
du Président avec accent particulier en lien avec le secteur agricole. Ce qui
rend le document fastidieux à lire, n’est-ce pas, Mr le Premier Ministre ?
Et qui a fait somnoler certains parlementaires et le grand public accroché au
petit écran lors de l’énoncé de la politique générale. Mais vaut mieux
s’accrocher à la pensée du prince au lieu d’un texte cohérent comme le PARDH
qui donnerait l’impression d’une allégeance à la communauté
internationale !
Le secteur
agricole dans la déclaration de politique générale
Diagnostic
Le document
enchaine à partir du diagnostic que l’on
connait « L’agriculture demeure
au pays le secteur fort de l’emploi. Après avoir été pendant longtemps le
secteur le plus performant de par sa contribution au PIB, le secteur
agriculture a connu, ces dernières années, un déclin progressif et quasi continu.
La dégradation continue de l’appareil productif haïtien, tel qu’observée
particulièrement dans ce secteur devenu incapable de satisfaire la demande
locale de produits agro-alimentaires, a eu comme conséquence une nette
progression des importations de produits dérivés depuis le début des années 80.
La part de ceux-ci dans les importations totales est en effet passée de 18.3%
en 1981 à 26.8% en 2004. Ce
taux avoisine les 40% et atteint jusqu’à 80% pour certains produits à l’heure
actuelle. »
C’est une
agriculture à faible productivité et non compétitive faute essentiellement de
capitaux. « Le peu de ressources
disponibles est exploité de façon anarchique, alors que la croissance
démographique annuelle est d’environ 2,5% dans un secteur où le taux global
d’inactivité a été estimé (en 2009) à 51,1% ». Selon le document : « La contribution de l’agriculture, de la sylviculture, de l’élevage et
de la pêche s’est maintenue autour de 25% du PIB. Haïti importe près de 60 % de
ses besoins alimentaires. Le riz qui constitue la base de notre ration
alimentaire est importé à près de 80%. Une telle dépendance expose évidemment
le pays aux variations de prix des commodités alimentaires sur les marchés internationaux ».
Ce qui aggrave la situation en matière de pauvreté rurale : « De plus, à l’heure actuelle, la pauvreté est
deux fois plus élevée en milieu rural qu’en milieu urbain. Le revenu per capita
à la campagne n’est que de $ 400 l’an, comparé à $ 800 en milieu urbain. La
majorité de la population rurale a faiblement accès à l’éducation, aux soins de
santé, à l’eau potable et à l’électricité. Des trois (3) millions de personnes
souffrant d’insuffisance alimentaire, 77% vivent en milieu rural ». D’où
certaines propositions faites par le dernier gouvernement et adoptées dans
leurs grandes lignes par le gouvernement actuel qui fait sien le « document de Politique de
développement agricole (2010-2025), assorti d’un plan national d’investissement
agricole (PNIA) couvrant la période 2010-2016. » « Toutefois, il est
important de noter que la vision actuelle est guidée par un autre paradigme, positif et dynamique, à savoir
CREER LA RICHESSE au lieu de simplement « lutter contre la pauvreté » comme le
propose le DSNCRP ».
La stratégie
L’actuel
gouvernement s’engage à : promouvoir un système de production agricole
rentable pouvant garantir un revenu acceptable aux producteurs, lutter plus
efficacement contre la pauvreté et la cherté de la vie, prévoir la mise en
place d’un dispositif qui structure l’ensemble des programmes agricoles et
assure la valorisation du potentiel des différentes zones agricoles, reprendre
les activités de la Banque de Crédit Agricole, comme outil de financement des
activités et de renforcement des capacités des producteurs. « Pour faciliter le décollage de ce
secteur et encourager l’investissement privé, un financement externe des
investissements agricoles garanti par l’État haïtien sur une période d’au moins
dix (10) ans est envisagé. » Et « un
important soutien logistique et financier sera également apporté au
développement des chaînes de valeur agricoles, (transport, engrais, équipements
agricoles etc. »
Il sera encouragé, « le développement des pôles de croissance et
des zones économiques spéciales, en tenant évidemment compte des
caractéristiques des Zones (climat, produits), dans le but de faciliter à ces
produits l’accès au marché et maximiser les externalités positives et les liens
intersectoriels. Ces zones économiques spéciales auront un statut juridique
particulier qui les rende plus attractives pour les investisseurs tant
nationaux qu’étrangers et offriront des facilités aux entreprises qui s’y
installeront. »
Et le gouvernement
croit que « Cette valorisation des
immenses potentialités des diverses régions du pays aboutira indubitablement à
la création massive d’emplois et de richesses, au désengorgement des villes et
à la réduction de la délinquance. »
Les objectifs et résultats visés
Objectifs
spécifiques. Afin d’assurer aux populations une alimentation
en quantité et en qualité suffisantes et aux producteurs de denrées
alimentaires des revenus décents, le Gouvernement s’est fixé entre autres les
objectifs spécifiques suivants :
(i)Eliminer les
blocages au niveau du foncier surtout dans les zones de conflits terriens à
répétition par la révision du cadre juridique et règlementaire en matière
foncière ; (ii)Augmenter de 50% le revenu per capita rural; (iii) Réduire de
25% la dépendance alimentaire pour atteindre un taux d’autosuffisance de 60% au
bout des cinq prochaines années; (iv) Accroître la productivité des populations
rurales par le renforcement de l’organisation et de la capacité des acteurs ; (iv)
Mettre en œuvre un Plan global de mécanisation agricole ; (v) Encourager un
partenariat actif entre les producteurs agricoles et les micros, petites et
moyennes entreprise agro-industrielles ; (vi) Faciliter l’accès au crédit des
promoteurs agricoles et des groupements de jeunes désirant se lancer dans l’agriculture
en développant des mécanismes innovants de nantissement des titres de propriété
;(vii) renflouer les banques de crédit agricole par des fonds de garantie et de
contrepartie suffisants ; (viii) Réaliser des infrastructures hydro-agricoles
(grande et petite irrigation) dans la perspective d’une augmentation
significative de la production agricole d’ici 2015 ; (ix) Augmenter la
production locale de riz de manière à couvrir les deux tiers (2/3) de la
consommation nationale.
Les Grandes lignes d’actions
Pour atteindre ces
objectifs, le gouvernement s’assurera de : 1) Promouvoir l’intensification de
la production dans les zones appropriées particulièrement en plaine ; 2)
Augmenter la valeur ajoutée des produits agricoles issus des filières porteuses
; 3) Faciliter la croissance des filières génératrices d’emplois et de
richesses ; 4) Améliorer l’organisation, la sécurisation et le développement
des marchés agricoles ; 5) Protéger l’environnement et la biodiversité ; 6)
Améliorer la gouvernance du secteur ; 7) Transformer le cadre réglementaire et
légal et adapter le cadre macroéconomique ; 8) Encourager la mécanisation des
outils agricoles ; 9) Fournir un accompagnement financier aux producteurs
agricoles.
Le développement
des infrastructures hydro agricoles. Il sera
procédé à l’amélioration et à l’extension des infrastructures d’irrigation et
les systèmes de gestion des périmètres irrigués : 30,000 ha à réhabiliter, 40,000 ha à construire, dans la
perspective de rétablir un certain équilibre territorial, ces nouveaux
périmètres à identifier principalement dans des régions du pays
traditionnellement laissées pour compte telles que: Savane Diane dans le
Centre; la Plaine de Maribaroux, la Plantation Dauphin dans le Nord-est; la Plaine
des Baconnois dans les Nippes; le Farwest dans le Nord- ouest. Ce qui fera passer la superficie correctement
irriguée de 50,000 à 120,000 ha à la fin
des 5 années du mandat présidentiel. Il sera procédé au curage des canaux
des systèmes d’irrigation fonctionnels, en particulier les 34000 ha de la
Vallée de l’Artibonite, au drainage du delta du fleuve et au curage de la
rivière Salée, soit une augmentation de 30% de l’offre agricole de la région
globalement. Un effort particulier sera fait sur des centaines de lacs
collinaires, des milliers de citernes individuelles et des dizaines de barrages
de retenue sur les rivières surplombant des espaces exploitables pour renforcer
l’aquaculture et développer l’agriculture intensive.
Amélioration et
extension des voies d’accès agricoles. Il sera
entrepris un vaste programme de réhabilitation
(850 km)et de percement (1500 km) de
routes, de pistes agricoles et de chemins muletiers majoritairement sur la base
de travaux à haute intensité de main d’œuvre (HIMO dans les zones
d’intervention suivantes : les plaines du Nord-est, du Nord, le Plateau
Central, le grand périmètre de l’Artibonite, le Sud-est, les Nippes, le
Nord-ouest, le Sud- ouest.
Le Développement
des Filières . Le Développement des Filières
constituera un autre élément clé de la politique agricole : La mise en
valeur des réserves foncières du pays (Nord, Nord-est, Plateau Central) par la
création d’exploitations agricoles modernes, la reprise des exploitations
agricoles importantes délaissées depuis quelques années (plaine des Cayes/Cavaillon,
Léogane/Cul-de-Sac/Arcahaie, Plaine du Nord), les céréales, l’agroforesterie,
l’élevage, la pêche et l’aquaculture, etc., la promotion de l’agro-industrie et
l’accès à la mécanisation et aux intrants agricoles.
En guise de
conclusions et recommandations, on peut dire
qu’c’est un programme ambitieux qui nécessiterait un pourcentage important du
budget national pour le secteur agricole (10-15 %), une reforme en profondeur
du MARNDR axée sur sa réorganisation et un mariage intelligent de jeunes cadres
et de cadres plus ou moins âgés, un
leadership et une coordination sérieuse du ministère par rapport à l’ensemble
des acteurs du secteur, un appui politique soutenu des plus hautes autorités du
pays vis-à-vis du ministère de l’agriculture. Il est a noter que le plan national
d’investissement agricole (PNIA : 792 M d’USD) dispose des ressources financières négociées de
l’ordre de 300 M d’USD par le gouvernement Préval-Bellerive. Une bonne
utilisation de ces fonds par le nouveau gouvernement par suite d’adaptation du
PNIA aux priorités gouvernementales se révélerait un bon exemple de changement
dans la continuité et un bon guide dans la façon d’opérer du reste du
gouvernement. Et c’est Haïti qui gagnerait à ce jeu ! N’est-ce pas là un
bon pari ?
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