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lundi 25 février 2019

HAITI, PAYS LOCK ET PERSPECTIVES



HAITI, PAYS LOCK ET PERSPECTIVES
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
24 FEVRIER 2019

Le rapport Petrocaribe (31 Janvier 2019) de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif  (CSC/CA)  a été l’étincelle  qui a mis le feu aux poudres le 7  Février 2019. L’opposition plurielle, en particulier l’opposition radicale, regroupée sous le vocable secteur démocratique et populaire et rejointe par un ancien allié du pouvoir en place, Ayiti An Aksyon (AAA) et qui vient de contribuer très fortement  à placer à la tête du Sénat, le Sénateur Carl Murat Cantave, transfuge de la Konfederasion  inite democratik (KID), a su bien exploiter le momentum (Réf. mécontentement de la population par rapport à la cherté de la vie, découlant de la dégringolade de la gourde par rapport au dollar[1], du taux d’inflation de plus de 15% (janvier 2019) et de la publication du rapport de Petrocaribe, qui, entre autres, a épinglé la Firme AGRITRANS dont le principal responsable a été le Président du Conseil d’Administration, M. J. Moïse, entrepreneur, pour lancer « l’opération Peyi lock » en vue de pousser le Président de la République, M. Jovenel Moïse, à la démission.

La méthodologie utilisée  et établie par nous  en écoutant la radio, en visionnant les vidéos sur les réseaux sociaux, en regardant les reportages sur les  télévisions haïtiennes en relation avec les manifestations, en lisant les journaux traditionnels et en ligne, et en observant le fonctionnement de certaines barricades soit directement, soit à partir des personnes interposées,   est la suivante :

1)      Profiter au maximum de l’émotion de la population en relation avec sa situation de misère, le dossier petrocarbe, et exploiter à merveille les erreurs, fautes et omissions du pouvoir en place;
2)      Amplifier et déformer les informations, les rumeurs en les focalisant sur le Président de la République (diaboliser au maximum, la même méthode en 2004 contre Aristide) et traiter le responsable du Palais de tous les noms et même de «voleur » ;
3)      Présenter les actions sectorielles de l’administration comme des échecs cuisants et les dépenses y relatives comme du gaspillage d’argent, d’où le déficit budgétaire record enregistré. Il en résulte une aversion pour les informations fournies par le gouvernement perçues comme de la pure propagande, malgré l’évidence des résultats immédiats obtenus dans certains cas (Cayes, Cam-Perrin, Carrefour, Tabarre, Thomazeau, Gonaïves, Gros Mornes, Cap-Haïtien, Trou du Nord, Marion, etc., pour ne pas les citer) ;
4)      Annoncer des manifestations de rues avec des propos incendiaires pour chauffer les esprits et provoquer la panique dans les familles qui se terreront chez elles, le moment venu ;
5)      Encourager et profiter de la participation des petrochallengers  et d’autres groupes ayant une capacité de mobilisation ;
6)      Faire la tournée des stations de radios par les leaders politiques et sociaux et les petrochallengers ;
7)      Intervenir dans  des émissions de radios de grande écoute (ramase, Intersection et autres), surtout celles favorables au départ du Président ou appartenant aux membres de l’opposition ;
8)      Tirer des rafales d’armes à feu la veille et durant la nuit ;
9)      Imprégner d’huile  certains tronçons de routes pentues ;
10)   Encourager la mise  en place de barricades enflammées dans des zones stratégiques, les grandes artères et les artères secondaires les plus fréquentées ;
11)   Assurer le contrôle  des barricades  par des groupes souvent armés (bandits) et acquis à la cause de l’opposition politique ;
12)   Distribuer de l’argent  à partir des fonds mis à disposition par les sponsors et commanditaires intéressés, par exemple distribution d’argent dans la zone de Plateau Central par AAA selon le Sénateur Willo Joseph[2], ce qu’a démenti le Député Abel Descolines mis en cause dans cette distribution ;
13)   Rançonner les automobilistes qui prennent la rue par obligation, certains automobilistes ainsi que des motocyclistes en ont fait mention ;
14)   Annoncer et notifier, tout au moins dans un premier temps, le parcours de la manifestation ou des manifestations si les parcours sont différents ;
15)   Mettre en branle des manifestions de rues de concert avec les petro challengers, les groupes politiques et sociaux acquis à la cause ;
16)   Modifier le parcours des manifestations en cours de route, tout en provocant la police à partir des groupes extrémistes au sein des manifestants, pour la forcer à commettre des bavures, tirs, gaz lacrymogène ;
17)   Attaquer, une fois la bavure ou les bavures  commises et parfois même sans bavure, les entreprises, la police, les magasins, les maisons privées, les véhicules en stationnement et mettre le feu pour détruire et créer la panique, et le tour est joué ;
18)   Répéter ces opérations encore et toujours durant toute la période de blocage du pays et même après de manière partielle.

Cette manière d’opérer n’a pas produit les résultats escomptés mais a eu des effets néfastes sur le fonctionnement global du pays et aussi quelques lueurs d’espoir.

Le pays a été bloqué durant une dizaine de jours sans aucune communication entre la Capitale Port-au-Prince et les autres départements, et sans aucune communication entre les chefs-lieux des départements et les communes et sections communales. Une cartographie des barricades à travers  le pays devrait permettre de confirmer l’ampleur du mouvement et de prévenir une autre opération de ce type à l’avenir. A titre d’exemple, plus de 100 traces de barricades entre carrefour Nationale No 1 et Route 9, et Hotel Decameron (Montrouis).

Plus d’une quinzaine de morts violentes à travers le pays, une insécurité permanente avec des bandits opérant sans inquiétude. Des dégâts matériels importants évalués à des centaines de millions de dollars américains si l’on se réfère aux évaluations suite au passage des ouragans en termes de comparaison. Cet ouragan politique devrait se situer à plus d’un demi-milliard de dollars américains si ce n’est plus.

Les familles haïtiennes ont eu toutes les peines du monde à fonctionner durant ce blocage de 10 jours. La grande majorité n’a pas eu accès à la nourriture, à l’eau potable, aux soins de santé déjà précaires avant ces 10 jours. Les hôpitaux ont lancé des alertes pour leur approvisionnement en médicaments essentiels, pour favoriser la circulation des ambulances, du corps médical. L’hôpital de Mirebalais, très fréquenté, a dû braver les barricades enflammées pour faire venir les médecins de Port-au-Prince. Le convoi a eu toutes les peines du monde à traverser les barricades ; heureusement, l’hôpital a eu l’ingénieuse idée de demander aux médecins de mettre leur blouse et cela a facilité la traversée des barricades.

Le pays est rayé de la carte touristique mondiale, nos deux aéroports internationaux ne figurent plus sur la listes des grandes agences mondiales (Expedia.com, trip adviser.com), déclarés « illégaux » dans un premier temps et « invalides » actuellement, impossible de faire une réservation sur ces sites[3]. Les USA, le Canada ont rappelé le personnel non essentiel de leur ambassade. Les hôtels sont au bord de la faillite (voir l’interview de Richard Buteau, PDG de Convention Center pour bien comprendre ce qui est en train de se passer dans le secteur hôtelier, une sorte d’embargo sur Haïti vue comme un pays en guerre).

Une situation conflictuelle entre les deux têtes de l’exécutif semble s’approfondir si l’on en croit les propos des proches du Président et du Premier Ministre. Selon le premier Ministre, les mercenaires en majorité américains[4] (7 individus)   arrêtés par la Police Nationale d’Haïti (PNH), qui auraient l’appui d’un ex-ministre proche de PHTK, seraient venus pour l’exécuter. Mais selon le Sénateur Youri Latortue[5], des officiels du gouvernement (Secrétaire d’Etat à la Sécurité publique et le ministre de la Justice, qui par la suite va signer la note autorisant le transfert des américains aux USA)  sont intervenus pour demander la libération de ces bandits étrangers. Dans son intervention à la nation bien avant l’épisode de « mercenaires américains », le Président a informé que sa vie était visée[6] (un ancien commissaire surnommé Flex a été arrêté et déporté aux USA suite à l’intervention du Président). Il est clair que les deux se sentent menacés, on dirait non pas par l’opposition politique, mais par eux-mêmes à en croire les interventions de leurs proches dans les médias. Il faut rappeler à ces deux têtes de l’Exécutif que « toute maison divisée est condamnée à périr ». A noter que l’opposition parlementaire de la Chambre des Députés a proposé la mise en accusation du Président de la République.

En fin de compte, le Président est toujours là et a demandé au PM Céant, toujours en place, d’annoncer les mesures arrêtées, ce que ce dernier a fait dans son discours du 16 Février 2019 en 9 points[7].  Ces mesures sont interprétées différemment d’un économiste à l’autre. En tout cas, si elles étaient appliquées, ne serait-ce que partiellement, elles devraient provoquer une certaine amélioration de la situation (stabilisation du taux de change et une appréciation de la gourde à court et moyen termes, une réduction du train de vie de l’Etat, la création d’un certain nombre d’emplois temporaire, etc.).  Les actions prévues par le ministère de l’Agriculture sur les dix filières retenues[8], une fois mises en œuvre correctement, devraient aussi favoriser une amélioration de la situation en matière de sécurité alimentaire. Le Sénat a officiellement remis le dossier Petrocaibe au PM Céant pour les suites nécessaires.

Le Président, quant à lui, a rencontré le Nonce apostolique et l’ex-Président Privert, et a créé un comité de facilitation du dialogue inter-haïtien avec 7 membres[9] dont un petrochallenger. 

En termes de perspectives, la situation s’annonce plutôt sombre si l’on se base sur les propos des opposants au régime en place, même si les appels pour  « locker le pays » à nouveau n’ont pas fait recette la semaine écoulée. Pour combien de temps encore ? Il suffit d’une erreur grossière de la part de l’administration en place, pour favoriser une autre  explosion politique et sociale. On n’a pas l’impression que l’administration en place comprenne très bien l’ampleur de la situation. Normalement, les deux têtes de l’administration auraient dû offrir une image  d’unité, de sérénité face à l'opposition qui parle de « tabula rasa». Comment dialoguer avec les autres si on ne dialogue avec ses proches? Comme l’a demandé Réginald Boulos dans sa lettre à la nation, il faudrait commencer par là.

Comme je suis un optimiste de nature, j’espère que nos politiciens, principaux responsables de la situation actuelle, finiront par entendre raison et s’assiéront autour d’une table pour sauver ce qui peut encore l’être. Franchement, je ne comprends pas. Qu’est-ce qu’il y a de si profond entre nos politiciens (pouvoir et opposition) pour qu’ils n’arrivent à trouver un terrain d’entente  en plaçant les intérêts d’Haïti au-dessus de leurs intérêts de clans. Haïti d’abord et avant tout devrait interpeler chacun de nous. Aucun sacrifice ne devrait être trop grand pour sauver notre pays. C’est ce que vous dites tous en substance, messieurs les politiciens. A moins que vous mentiez tous !

Entendez-vous donc pour changer le système et favoriser l’émergence d’un système équilatéral avec les trois pouvoirs d’Etat (Triangle équilatéral avec les pouvoirs exécutif et législatif (les élus) à la base et le pouvoir judiciaire au sommet), basé sur (i) l’humain haïtien, (ii) son système socio-culturel, (iii) son système environnemental, (iv) son système infrastructurel, (v) son système économique et financier, et  (vi) son système politique/gouvernance. La combinaison de ces six (6) axes débouchera[10], selon la FONHDILAC[11], sur 36 éléments de développement devant faire de notre pays en 2054 le pays phare du monde[12].

N’est-ce pas là une bonne vision pour le 250e anniversaire de notre indépendance? Cette vision devrait faire l’unanimité auprès de nos politiciens et leurs alliés pour se mettre à la hauteur de nos héros d’autrefois. Dans le cas contraire, ils resteraient avec leurs acolytes  des nains politiques qu’ils sont et qu’ils demeurent. La bataille pour les broutilles de pouvoir dans un pays cadavérique sur lequel ils s’acharnent encore et toujours au profit de leurs clans respectifs ne nous mènera  nulle part! On dirait des vautours ! Que Dieu ait pitié de notre pays avili et totalement embourbé et qu’il nous guide vers des lendemains meilleurs à travers cette entente entre nous et vers ce nouveau système à visage humain!




[2] L’invité du jour de Vision 2000 du 21/02/2019. https://www.youtube.com/watch?v=5YHiIC2vao0
[5] https://www.youtube.com/watch?v=VyBF9Hx8eRY  et le 22/02/2019, Abel Descolines a démenti le 
[6] Discours du Président du 14 Février 2019
[7] Discours du PM Céant du 16 Février 2019.
[11] https://jrjean-noel.blogspot.com/2017/02/document-dorientation-pour-la.html
[12]  En 1804 nous avons sonné le glas du système esclavagiste mondial, 250 ans plus tard Haïti pourquoi pas le pays phare du nouveau système mondial à visage humain ?