HAITI, PAYS LOCK ET PERSPECTIVES
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
24 FEVRIER 2019
Le rapport Petrocaribe (31 Janvier 2019) de la Cour Supérieure des
Comptes et du Contentieux Administratif
(CSC/CA) a été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres le 7 Février 2019. L’opposition plurielle, en
particulier l’opposition radicale, regroupée sous le vocable secteur
démocratique et populaire et rejointe par un ancien allié du pouvoir en place,
Ayiti An Aksyon (AAA) et qui vient de contribuer très fortement à placer à la tête du Sénat, le Sénateur Carl
Murat Cantave, transfuge de la Konfederasion
inite democratik (KID), a su bien exploiter le momentum (Réf. mécontentement
de la population par rapport à la cherté de la vie, découlant de la
dégringolade de la gourde par rapport au dollar[1],
du taux d’inflation de plus de 15% (janvier 2019) et de la publication du rapport
de Petrocaribe, qui, entre autres, a épinglé la Firme AGRITRANS dont le
principal responsable a été le Président du Conseil d’Administration, M. J.
Moïse, entrepreneur, pour lancer « l’opération Peyi lock » en vue de
pousser le Président de la République, M. Jovenel Moïse, à la démission.
La méthodologie utilisée et
établie par nous en écoutant la radio,
en visionnant les vidéos sur les réseaux sociaux, en regardant les reportages
sur les télévisions haïtiennes en
relation avec les manifestations, en lisant les journaux traditionnels et en
ligne, et en observant le fonctionnement de certaines barricades soit
directement, soit à partir des personnes interposées, est la suivante :
1)
Profiter
au maximum de l’émotion de la population en relation avec sa situation de
misère, le dossier petrocarbe, et exploiter à merveille les erreurs, fautes et
omissions du pouvoir en place;
2)
Amplifier
et déformer les informations, les rumeurs en les focalisant sur le Président de
la République (diaboliser au maximum, la même méthode en 2004 contre
Aristide) et traiter le responsable du Palais de tous les noms et même de
«voleur » ;
3)
Présenter
les actions sectorielles de l’administration comme des échecs cuisants et les
dépenses y relatives comme du gaspillage d’argent, d’où le déficit budgétaire record
enregistré. Il en résulte une aversion pour les informations fournies par le
gouvernement perçues comme de la pure propagande, malgré l’évidence des
résultats immédiats obtenus dans certains cas (Cayes, Cam-Perrin, Carrefour,
Tabarre, Thomazeau, Gonaïves, Gros Mornes, Cap-Haïtien, Trou du Nord, Marion,
etc., pour ne pas les citer) ;
4)
Annoncer
des manifestations de rues avec des propos incendiaires pour chauffer les
esprits et provoquer la panique dans les familles qui se terreront chez elles,
le moment venu ;
5)
Encourager
et profiter de la participation des petrochallengers et d’autres groupes
ayant une capacité de mobilisation ;
6)
Faire la tournée
des stations de radios par les leaders politiques et sociaux et les
petrochallengers ;
7)
Intervenir
dans des émissions de radios de grande
écoute (ramase, Intersection et autres), surtout celles favorables au départ du
Président ou appartenant aux membres de l’opposition ;
8)
Tirer des
rafales d’armes à feu la veille et durant la nuit ;
9)
Imprégner
d’huile certains tronçons de routes
pentues ;
10)
Encourager
la mise en place de barricades
enflammées dans des zones stratégiques, les grandes artères et les artères
secondaires les plus fréquentées ;
11)
Assurer le
contrôle des barricades par des groupes souvent armés (bandits) et
acquis à la cause de l’opposition politique ;
12)
Distribuer
de l’argent à partir des fonds mis à
disposition par les sponsors et commanditaires intéressés, par exemple
distribution d’argent dans la zone de Plateau Central par AAA selon le Sénateur
Willo Joseph[2],
ce qu’a démenti le Député Abel Descolines mis en cause dans cette distribution ;
13)
Rançonner
les automobilistes qui prennent la rue par obligation, certains automobilistes
ainsi que des motocyclistes en ont fait mention ;
14)
Annoncer
et notifier, tout au moins dans un premier temps, le parcours de la manifestation
ou des manifestations si les parcours sont différents ;
15)
Mettre en
branle des manifestions de rues de concert avec les petro challengers, les
groupes politiques et sociaux acquis à la cause ;
16)
Modifier
le parcours des manifestations en cours de route, tout en provocant la police à
partir des groupes extrémistes au sein des manifestants, pour la forcer à
commettre des bavures, tirs, gaz lacrymogène ;
17)
Attaquer, une
fois la bavure ou les bavures commises
et parfois même sans bavure, les entreprises, la police, les magasins, les
maisons privées, les véhicules en stationnement et mettre le feu pour détruire
et créer la panique, et le tour est joué ;
18)
Répéter
ces opérations encore et toujours durant toute la période de blocage du pays et
même après de manière partielle.
Cette manière d’opérer n’a pas produit les résultats escomptés mais a eu
des effets néfastes sur le fonctionnement global du pays et aussi quelques
lueurs d’espoir.
Le pays a été bloqué durant une dizaine de jours sans aucune
communication entre la Capitale Port-au-Prince et les autres départements, et
sans aucune communication entre les chefs-lieux des départements et les
communes et sections communales. Une cartographie des barricades à travers le pays devrait permettre de confirmer
l’ampleur du mouvement et de prévenir une autre opération de ce type à l’avenir.
A titre d’exemple, plus de 100 traces de barricades entre carrefour Nationale
No 1 et Route 9, et Hotel Decameron (Montrouis).
Plus d’une quinzaine de morts violentes à travers le pays, une
insécurité permanente avec des bandits opérant sans inquiétude. Des dégâts
matériels importants évalués à des centaines de millions de dollars américains
si l’on se réfère aux évaluations suite au passage des ouragans en termes de
comparaison. Cet ouragan politique devrait se situer à plus d’un demi-milliard
de dollars américains si ce n’est plus.
Les familles haïtiennes ont eu toutes les peines du monde à fonctionner
durant ce blocage de 10 jours. La grande majorité n’a pas eu accès à la
nourriture, à l’eau potable, aux soins de santé déjà précaires avant ces 10 jours.
Les hôpitaux ont lancé des alertes pour leur approvisionnement en médicaments
essentiels, pour favoriser la circulation des ambulances, du corps médical.
L’hôpital de Mirebalais, très fréquenté, a dû braver les barricades enflammées
pour faire venir les médecins de Port-au-Prince. Le convoi a eu toutes les
peines du monde à traverser les barricades ; heureusement, l’hôpital a eu
l’ingénieuse idée de demander aux médecins de mettre leur blouse et cela a
facilité la traversée des barricades.
Le pays est rayé de la carte touristique mondiale, nos deux aéroports
internationaux ne figurent plus sur la listes des grandes agences mondiales
(Expedia.com, trip adviser.com), déclarés « illégaux » dans un
premier temps et « invalides » actuellement, impossible de faire une
réservation sur ces sites[3].
Les USA, le Canada ont rappelé le personnel non essentiel de leur ambassade.
Les hôtels sont au bord de la faillite (voir l’interview de Richard Buteau, PDG
de Convention Center pour bien comprendre ce qui est en train de se passer dans
le secteur hôtelier, une sorte d’embargo sur Haïti vue comme un pays en guerre).
Une situation conflictuelle entre
les deux têtes de l’exécutif semble s’approfondir si l’on en croit les propos
des proches du Président et du Premier Ministre. Selon le premier Ministre, les
mercenaires en majorité américains[4]
(7 individus) arrêtés par la Police
Nationale d’Haïti (PNH), qui auraient l’appui d’un ex-ministre proche de PHTK, seraient venus pour l’exécuter. Mais selon le Sénateur Youri Latortue[5],
des officiels du gouvernement (Secrétaire d’Etat à la Sécurité publique et le
ministre de la Justice, qui par la suite va signer la note autorisant le
transfert des américains aux USA) sont
intervenus pour demander la libération de ces bandits étrangers. Dans son
intervention à la nation bien avant l’épisode de « mercenaires
américains », le Président a informé que sa vie était visée[6]
(un ancien commissaire surnommé Flex a été arrêté et déporté aux USA suite à
l’intervention du Président). Il est clair que les deux se sentent menacés, on
dirait non pas par l’opposition politique, mais par eux-mêmes à en croire les
interventions de leurs proches dans les médias. Il faut rappeler à ces deux
têtes de l’Exécutif que « toute
maison divisée est condamnée à périr ». A noter que l’opposition
parlementaire de la Chambre des Députés a proposé la mise en accusation du
Président de la République.
En fin de compte, le Président est toujours là et a demandé au PM Céant,
toujours en place, d’annoncer les mesures arrêtées, ce que ce dernier a fait
dans son discours du 16 Février 2019 en 9 points[7].
Ces mesures sont interprétées
différemment d’un économiste à l’autre. En tout cas, si elles étaient
appliquées, ne serait-ce que partiellement, elles devraient provoquer une
certaine amélioration de la situation (stabilisation du taux de change et une
appréciation de la gourde à court et moyen termes, une réduction du train de
vie de l’Etat, la création d’un certain nombre d’emplois temporaire, etc.). Les actions prévues par le ministère de
l’Agriculture sur les dix filières retenues[8],
une fois mises en œuvre correctement, devraient aussi favoriser une amélioration
de la situation en matière de sécurité alimentaire. Le Sénat a officiellement
remis le dossier Petrocaibe au PM Céant pour les suites nécessaires.
Le Président, quant à lui, a rencontré le Nonce apostolique et
l’ex-Président Privert, et a créé un comité de facilitation du dialogue
inter-haïtien avec 7 membres[9]
dont un petrochallenger.
En termes de perspectives, la situation s’annonce plutôt sombre si l’on
se base sur les propos des opposants au régime en place, même si les appels
pour « locker le pays » à nouveau n’ont pas fait recette la semaine
écoulée. Pour combien de temps encore ? Il suffit d’une erreur grossière
de la part de l’administration en place, pour favoriser une autre explosion politique et sociale. On n’a pas
l’impression que l’administration en place comprenne très bien l’ampleur de la
situation. Normalement, les deux têtes de l’administration auraient dû offrir
une image d’unité, de sérénité face à
l'opposition qui parle de « tabula rasa». Comment dialoguer avec les
autres si on ne dialogue avec ses proches? Comme l’a demandé Réginald Boulos
dans sa lettre à la nation, il faudrait commencer par là.
Comme je suis un optimiste de nature, j’espère que nos politiciens,
principaux responsables de la situation actuelle, finiront par entendre raison
et s’assiéront autour d’une table pour sauver ce qui peut encore l’être. Franchement,
je ne comprends pas. Qu’est-ce qu’il y a de si profond entre nos politiciens
(pouvoir et opposition) pour qu’ils n’arrivent à trouver un terrain
d’entente en plaçant les intérêts
d’Haïti au-dessus de leurs intérêts de clans. Haïti d’abord et avant tout devrait interpeler chacun de nous.
Aucun sacrifice ne devrait être trop grand pour sauver notre pays. C’est ce que
vous dites tous en substance, messieurs les politiciens. A moins que vous
mentiez tous !
Entendez-vous donc pour changer le système et favoriser l’émergence d’un
système équilatéral avec les trois
pouvoirs d’Etat (Triangle équilatéral avec les pouvoirs exécutif et législatif
(les élus) à la base et le pouvoir judiciaire au sommet), basé sur (i) l’humain
haïtien, (ii) son système socio-culturel, (iii) son système environnemental,
(iv) son système infrastructurel, (v) son système économique et financier,
et (vi) son système
politique/gouvernance. La combinaison de ces six (6) axes débouchera[10],
selon la FONHDILAC[11],
sur 36 éléments de développement devant faire de notre pays en 2054 le pays phare du monde[12].
N’est-ce pas là une bonne vision pour le 250e anniversaire de
notre indépendance? Cette vision devrait faire l’unanimité auprès de nos politiciens
et leurs alliés pour se mettre à la hauteur de nos héros d’autrefois. Dans le
cas contraire, ils resteraient avec leurs acolytes des nains politiques qu’ils sont et qu’ils
demeurent. La bataille pour les broutilles de pouvoir dans un pays cadavérique
sur lequel ils s’acharnent encore et toujours au profit de leurs clans
respectifs ne nous mènera nulle part! On
dirait des vautours ! Que Dieu ait pitié de notre pays avili et totalement
embourbé et qu’il nous guide vers des lendemains meilleurs à travers cette
entente entre nous et vers ce nouveau système à visage humain!
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