HAITI, CRISES VS CHANGEMENT DU SYSTÈME ACTUEL
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
2 SEPTEMBRE 2019
Mis a jour le 4 septembre 2019
Mis a jour le 4 septembre 2019
Le pays haïtien est entré dans une crise gouvernementale depuis
plusieurs mois (172 jours au 3septemebre 2019). Cette crise gouvernementale se perpétue, en aout 2019, avec (i)
la mise en accusation du Président, (ii) la situation d’insécurité dans le
pays, en particulier au niveau de Martissant et de Carrefour Peye (Artibonite),
(iii) le passage du Sénateur Lambert à l’opposition, (iv) la crise sous-jacente
du carburant, (v) l’implication du
Sénateur Onondieu Louis, questeur de la Chambre haute, dans une affaire de
corruption, selon un rapport de la Fondation Je Klere (FJK) et (vi) la
préparation de la reprise de la mobilisation de l’opposition contre Jovenel
Moïse pour la rentrée prochaine des classes[1].
Ces 6 faits sont autant de crises dans la crise qui mine le pays à petit feu et
qui s’est accélérée depuis les événements des 6,7 et 8 Juillet 2018. Cette
accélération a mis à nu les faiblesses du système initié en 1804 et affiné en
1806. Comme on l’a fait remarquer dans l’article du mois de Juillet 2019, c’est
un système bancal, en déséquilibre, qui pourrait être comparé à un triangle
quelconque en rouge dans le schéma ci-dessous, avec un grand coté représentant
le pouvoir législatif, un moyen coté représentant le pouvoir exécutif et un
petit côté représentant le pouvoir judiciaire. Ce système est producteur de
pauvreté, favorise la corruption, les pratiques de prébendes et s’est
transformé ces derniers temps en un véritable oligopole. (Voir figure 1)
C’est dans ce système à bout de souffle, qui est tenu sous perfusion par
ses vrais maitres et profiteurs, que nous évoluons. La ratification du nouveau
premier ministre nommé Michel devra se faire dans le cadre de ce système pour
permettre au pays d’avoir un semblant de fonctionnement. Malheureusement,
l’opposition politique, qui lie malignement le système à la présence de Jovenel
Moïse au Palais, fait tout pour bloquer cette ratification, une manière de
complexifier davantage la situation du pays en vue pousser la population à la
révolte, faute d’un minimum de services de la part du gouvernement.
La mise en accusation du Président Jovenel
Moïse, une sorte de perte de temps
La ratification du gouvernement de Michel n’a donc pu avoir lieu ;
le Parlement, en particulier la Chambre des Députés, à partir des exigences
d’une vingtaine de députés de l’opposition politique dite l’opposition
institutionnelle, a préféré prioriser la mise en accusation du Président de la
République, Jovenel Moïse. C’était le principal fait saillant du mois d’Aout
2019, mis à part le remplacement de Michael GEDEON par Normil Rameau à la tete de la Police Nationale d'Haiti (PNH). L’actualité était principalement dominée par cette mise en accusation. De
séance en continuation en séance en continuation, cette mise en accusation
s’est soldée, comme l’avait prévu le Député Rolphe Papiillon de Corail, le 9
Juillet 2019[2],
par 53 votes contre, 3 votes pour et 5 abstentions. C’était une sorte de perte
de temps, car on savait que cette mise en accusation, pour être valide, devrait
avoir l’aval de 2/3 de la Chambre Basse (80 députés). Donc, avec la majorité
relative dont dispose le Président de la République, il n’y avait aucune chance
pour que cette mise en accusation aboutisse. En tout cas, à quelque chose
malheur est bon, on a pu apprendre que c’était une pratique courante tout le
long de notre histoire de peuple, de Toussaint Louverture à Jean Claude
Duvalier, en passant par Alexandre Pétion et autres, grâce à l’ancien ministre de
communication, journaliste et historien, Ady Jean Gardy, dans une émission Le
Point de Radio Métropole[3]
animée par Wendell Theodore. Donc, « il
n’y a rien de nouveau sous le soleil », selon Ady Jean Gardy. « L’histoire est une racine sans
fin » a conclu Ady Jean Gardy, citant Toussaint Louverture.
La situation d’insécurité est montée d’un cran
Entre temps, le pays fonctionne avec deux gouvernements, et deux
premiers ministres, Lapin et Michel. Pour être plus clair, le pays n’a pas de
premier ministre, car il ne fonctionne
pas du tout. La crise persiste. Durant toute la période des séances de mise en
accusation, la situation d’insécurité est montée d’un cran. La zone de
Martissant, de village de Dieu, et même de Bicentenaire à quelques encablures
du Parlement, se retrouve, de manière
sporadique, sous les feux nourris des armes des bandits, et le Parlement sous
la pression des partisans de l’opposition politique, voulant, à tout prix,
forcer les députés à mettre en accusation le Président de la République. Les
partisans de Arnel Joseph, dont le cas est remis à un juge d’instruction, ont
défilé, sans inquiétude, dans la ville de Marchand-Dessalines, et les partisans
d’un autre chef de Gang, surnommé Odma, ont, au niveau de Carrefour Peye,
criblé de balles un bus faisant le trajet Desdunes-Port-au-Prince, dont un des
passager aurait reçu une balle au cou sans mettre sa vie en danger ; cette
information est rapportée par le Député de Desdunes.
Le remaniement forcé du Gouvernement du PM
Michel[4]
En outre, le gouvernement Michel a dû être remanié puisque la commission
de la Chambre Basse a relevé des irrégularités dans les dossiers de 4
ministres, deux ont officiellement donné leur démission, Marjorie Alexandre
Brunache des Affaires étrangères, et
Pradel Henriquez de la communication et de la culture. La présidence a pris un
autre arrêté pour changer les ministres démissionnaires et d’autres ministres
dont les dossiers ne sont pas corrects aux yeux de la commission de la Chambre
Basse. Ce nouvel arrêté présidentiel devrait, en principe, relancer la question
de la ratification de la politique générale du Premier Ministre Michel au
niveau de la Chambre Basse. Rien n’est encore sûr, d’autant que deux
commissaires de l’opposition n’ont pas signé le rapport d’analyse des pièces
des membres du nouveau gouvernement. Avec la majorité relative du Président
Jovenel Moïse au niveau de la Chambre Basse, la ratification du PM Michel
devrait être une simple formalité au cours de la séance prévue pour le mardi 3
septembre 2019[5].
Là encore, rien n’est sûr. Aux dernières nouvelles, Il a passé haut la main le cap de la Chambre Basse avec 76 deputés pour et 3 abstentions. Il ne lui reste que le Sénat. D’autant que, avec le passage du Sénateur Lambert à
l’opposition, justement parce que le Président a choisi Michel à son détriment
sans même une excuse préalable, Lambert a prédit un mauvais sort à Michel au
niveau de la Chambre Haute. Et, pour une raison ou une autre que le commun des
mortels ignore, le Président de la Chambre Basse, M. Bodeau, avait menacé (bien avant le vote du 3 septembre), lui
aussi, de passer à l’opposition. Que se passait-t-il ? N’est-ce pas ce même
M. Bodeau que la rumeur prétend être le vrai patron du PM Michel ? On nage
donc en pleine comédie. Et le pays se meurt.
Le
Sénateur Onondieu Louis serait impliqué dans un scandale de corruption
Pour comble de notre malheur, un autre scandale vient assombrir le
Parlement, en particulier la Chambre Haute, une fois de plus, un Sénateur,
proche du pouvoir, Onondieu Louis, serait impliqué dans une affaire de
corruption. Des gens proches du Sénateur auraient échangé près de 29 millions
de gourdes en provenance du Trésor Public, selon la FJK. Après l’implication du
Sénateur Gracia Delva dans le cas d’Arnel Joseph, ce cas d’Onondieu Louis, qui
s’est naturellement défendu d’être impliqué dans une quelconque affaire louche,
a défrayé la chronique. Le Sénateur Patrice Dumont est monté au créneau pour
demander au Président du Sénat, Dr Carl Murat Cantave, de sévir contre le
Sénateur Louis et contre une dame qui travaille au Senat et qui serait impliquée dans
toutes les magouilles à la questure. Toutes ces histoires ternissent davantage
l’image du Parlement, qui, de haut en bas, laisse l’impression de se foutre pas
mal du sort du peuple haïtien pour lequel les sénateurs et les députés disent
tous se battre. Quel drôle de façon de se battre pour un peuple aux abois.
La crise du carburant… en passe d’être atténuée
D’un autre côté, le pays fait face, de manière sporadique, à une crise de
carburant. L’Etat haïtien aurait des dettes estimées à plus de 8 milliards de
gourdes vis-à-vis des compagnies pétrolières. Malgré une avance de 2 milliards de gourdes sur la
dette, la situation est loin de se résoudre. L’Etat n’a plus les moyens de
subventionner le carburant comme il le fait actuellement. A titre d’exemple,
sur chaque gallon de gazoline vendu, l’Etat perd 71.77 G, a-t-on appris sur
Radio Métropole, où participaient à une émission Le Point[6],
un expert en énergie, le président de l’ANADIP (Association nationale des
distributeurs de produits pétroliers) et l’économiste Etzer Emile. Et
politiquement, il ne peut pas ajuster le prix. A chaque fois, il y a une petite
cargaison qui arrive, elle n’arrive pas à couvrir les besoins de la population
qui consomme 12000 barils de diesel, 5000 de gazoline et 3000 de kérosène par
jour. Ces derniers temps, on enregistre de longues files de véhicules dans les
stations d’essence et aussi un marché noir du carburant. Les stations d’essence
fonctionnent 1 jour sur 3. Il semblerait que le problème serait en voie de
résolution s’il faut se fier à la déclaration de M. Ignace St Fleur,
responsable du bureau de monétisation (BMPAD), 258,000 barils seraient disponibles[7].
Une sorte de palliatif pour atténuer la situation. Que faire pour résoudre
définitivement le problème? Il faudrait réorienter la subvention vers le transport
en commun, augmenter le prix du kérosène tout en subventionnant les lampes solaires,
tout en ajustant de manière progressive les prix, augmenter le prix du diesel en le mettant au
même niveau que la gazoline, changer la structure énergétique 2030-2040, tout
ceci devrait être accompagné d’un travail d’information et de sensibilisation, car, à cause même de
la subvention actuelle, l’Etat n’arrive plus à faire des investissements
sérieux dans le pays.
Relancer la mobilisation pour obtenir le « raché
manyok » de Jovenel Moïse
Enfin, le forum 4 JE KONTRE de l’opposition politique, qui s’est tenu au
Plateau Central, a décidé de relancer la mobilisation pour obtenir le
« rache manyok » de Jovenel Moïse et du régime PHTK, le renvoi du
Parlement, la mise en place d’un gouvernement de transition pour 3 ans, la
réalisation de la conférence nationale, l’organisation du procès PETROCARIBE.
On serait donc revenu en 2004. Le malheur de ce pays serait le régime en place,
responsable de tous les maux du pays. Tout va se faire contre le PHTK comme en 2004
contre Lavalas, avec quelques nuances. L’administration de transition
remplacerait- elle tout simplement l’administration actuelle ? Pour la
feuille de route de la nouvelle administration, où est-ce que l’administration de transition trouverait-elle
les moyens ? Où trouverait-elle
sa légitimité pour convaincre la communauté internationale de lui venir en aide[8]?
La conférence nationale serait-t-elle inclusive ? Le procès Petrocaribe
serait-il équitable ou une simple mise en accusation du régime PHTK ? Quid
du changement du système ? Autant d’interrogations qui laissent perplexes
les observateurs avisés de la politique haïtienne. Il nous faut trouver entre nous un terrain d’entente,
car nous sommes avant tout des haïtiens.
Je ne comprends pas pourquoi des haïtiens, qui clament partout ils sont
prêts à se sacrifier pour sauver Haïti, n’arrivent pas à s’entendre entre eux
au nom de notre pays meurtri. Pour changer le système, il faut la participation
de tout le monde. Sans exclusive !
VISION :
Haïti pays émergent en 2040 et phare du monde en 2054
En tout cas, l’une des leçons apprises de la situation
du pays depuis le 17 octobre 2018[9],
il faut changer radicalement notre
manière d’agir. Il faudrait rééquilibrer le système par la mise en place
d’un triangle équilatéral en rouge dans le schéma, avec le pouvoir judiciaire à la base, et
les deux autres pouvoirs constituant les deux autres côtés. Le cercle Haïti
serait circonscrit autour de ce triangle parfait. C’est pourquoi je
qualifierais ce nouveau système, de système équilatéral, et que j’inventerais
le concept « Equilatéralité du Système », voir FIG 2 : le schéma
ci-dessous.
Il faut donc nous entendre pour (1) changer le système actuel, (2) favoriser
l’émergence de ce système équilatéral avec un équilibre parfait entre les trois
pouvoirs d’Etat, et (3) l’articuler autour de (i) l’humain haïtien comme tenant et
aboutissant du processus de développement, (ii) son système socio-culturel,
(iii) son système environnemental et naturel, (iv) son système infrastructurel,
(v) son système économique et financier, et (vi) son système
politique/gouvernance. La combinaison de ces six (6) axes fondamentaux déboucherait, selon
la FONHDILAC[10],
sur 36 éléments de développement devant faire de notre pays une
Haïti émergente à l’horizon 2040 et phare du monde en 2054, l'année du 250e anniversaire de notre indépendance; une Haïti choisissant l’option pro-croissance et en mesure de créer des
emplois durables et de la richesse à distribuer équitablement, favorisant un vivre ensemble entre tous les Haïtiens sans exclusive, qu’ils soient de la
diaspora ou de l’intérieur du pays, une Haïti s’inspirant des modèles de la
Scandinavie et du Rouanda, et, enfin, une Haïti orientée vers un développement durable à
visage humain.
[1] Il est à remarquer que la mobilisation contre l’administration en place s’est
estompée avec les examens d’Etat (fin
juin 2019) et sera relancée à la réouverture des classes (début septembre
2019), simple coïncidence ou un complot contre l’éducation ?
[2] https://www.youtube.com/watch?v=jGpa6HymVbI, Pulsations Magazine du 9 Juillet 2019, Télé Pluriel,
émission animée par la journaliste bien connue, Marie Lucie Bonhomme.
[8] Malgré la relative légitimité de l’administration actuelle (un président
élu, un parlement élu), elle n’arrive pas à avoir accès à des fonds de la FMI,
de Taiwan, faute d’un gouvernement légitime puisque non encore ratifié par le
Parlement.
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