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mercredi 2 mars 2022

COVID-19- HAITI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS ?(24), INVASION RUSSE DE L’UKRAINE, INCLUSION VS EXCLUSION EN HAITI OU LE RISQUE DE CONTINUITE DANS L’INSTABILITE POLITIQUE (2)

 

COVID-19- HAITI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS ?(24), INVASION RUSSE DE L’UKRAINE, INCLUSION VS EXCLUSION EN HAITI  OU LE RISQUE DE CONTINUITE DANS L’INSTABILITE POLITIQUE (2)

JEAN-ROBERT JEAN-NOEL

1er MARS 2022

 

Dans notre dernière chronique no 23, consacrée à la thématique « Covid-19, Haïti et le Monde à la Croisée des Chemins (?), nous avons analysé la bataille de l’inclusion par rapport à l’exclusion et poser l’interrogation liée au risque de continuité dans l’instabilité politique[1]. Dans cette chronique de février 2022, la 24e consacrée à la même thématique, nous conservons, en référence aux événements survenus, le même titre, si l’on fait exception de l’invasion russe de l’Ukraine. Effectivement, en Haïti, mise à part la conférence des bailleurs du 16 février 22 sur la reconstruction de la Péninsule Sud d’Haïti, certains événements survenus au cours de ce mois de février vont dans le sens de l’instabilité sociopolitique, entre autres : (i) l’échec des négociations entre les tenants de l’accord de Montana et ceux de l’accord de la Primature ; (ii) les manifestations des ouvriers du secteur de la sous-traitance pour l’augmentation du salaire minimum à 1500 G/jour ; et (iii) le kidnapping d’un ensemble de personnalités et les attaques des bandits contre les passagers innocents au niveau de Martissant.

              Cette chronique passera en revue la situation au niveau mondial, avec accent sur le coronavirus et l’invasion de la Russie de l’Ukraine, s’attardera sur la situation haïtienne, avec accent sur certaines thématiques soulignées plus haut, et se terminera sur des conclusions appropriées.

A.      SITUATION AU NIVEAU MONDIAL

La situation au niveau mondial est dominée par la guerre en Ukraine et ses conséquences immédiates sur le monde et le covid-19 est relégué au second plan.

Le coronavirus semble s’affaiblir

Dans cette conjoncture mondiale difficile et délétère, on entend parler très peu de la pandémie mondiale. Du coup, on a l’impression que le virus disparait de la circulation. La vérité, c’est que le Covid-19 est bien là mais occulté par les bruits de guerre. En effet, à date, la quantité de personnes contaminées se chiffre à 437,287,331 et les cas de mortalité à 5,958,817 au niveau mondial[2] ; tandis qu’en Haïti les cas de contamination s’élèvent à 30,342 et les cas de mortalité à 820. A noter donc 1125 cas de contamination et 34 cas de mortalité de plus par rapport au mois dernier.

Les USA sont toujours en première position suivis de l’Inde, du Brésil, de la France en pleine période de passe sanitaire, de la Grande Bretagne où la Reine Elizabeth II  est contaminée, et de la Russie en pleine guerre avec l’Ukraine, pratiquement encerclée mais offrant une résistance admirable face aux forces nettement supérieures de la Russie au niveau de la Capitale Kiev.

La Russie envahit l’Ukraine et Zelensky s’est révélé « le Churchill de l’Ukraine »

Le président de la Russie (17.125,191 km2) Vladimir Putin, a décidé d’envahir, pour la « dénazifier », sa voisine de l’Ouest, l’Ukraine (603,628 km2) dont le président Volodymyr Zelensky est trop pro-occidental, trop pro- Union Européenne et trop pro-OTAN (le traité de l’Atlantique Nord). Estimant que son pays est en danger par rapport à la présence trop rapprochée de l’OTAN dans certains pays ayant fait partie, récemment encore, de l’Union des Républiques Soviétiques Socialistes (URSS), ou, dans un temps plus ancien, de l’Empire Tsariste, pour la plupart, il l’a très bien fait comprendre aux occidentaux, en particulier aux USA, leur chef de fil et plus grand rival de la Fédération de Russie en tant que superpuissance militaire et qu’il n’accepterait jamais que l’Ukraine fasse partie de l’OTAN (Réf. Son discours[3] avant le déclenchement des hostilités). Même après avoir annexé la Crimée en 2014, une partie de l’Ukraine, ce qui lui a valu les sanctions des Occidentaux, et même en incitant les zones de  l’Est de l’Ukraine à rentrer en rébellion  contre Kiev, il n’a pas été pris au sérieux, jusqu’à ce que l’invasion devienne inévitable. L’intensification de la navette diplomatique depuis plus d’un mois n’a rien donné. Actuellement, la Russie est en pleine guerre  avec l’Ukraine et son président Zelensky , qui a refusé une offre des USA d’être exfiltré : « Pas besoin d’un taxi, mais d’armes », s’est révélé « le Churchill de l’Ukraine », selon le mot d’un ancien général français, Vincent Déporte[4], qui pense que Putin  « ne peut pas sortir gagnant de ce conflit ». La frappe de kharkiv par l’armée russe en plein centre-ville est selon Zelensky « un crime de guerre ». « En envahissant l’Ukraine, Vladimir Putin s’est tiré une balle dans le pied», selon Antoine Arjakovsky, spécialiste de la Russie et de l’Ukraine.

Conséquences de la guerre sur le monde et sur Haïti et crainte d’une 3e guerre mondiale

Les Occidentaux ont dû recourir à des sanctions économiques qui affectent énormément la bourse de Moscou (chute de 30-40%, marché fermé actuellement) et certaines banques  russes (au bord de la banqueroute). Quant aux oligarques russes, ils ont déjà perdu 160 Mrds d’USD depuis le début de la guerre. Si au niveau de la Russie la situation continue de se détériorer au point de pousser le gouvernement à emprisonner plus de 6000 manifestants, en Ukraine, c’est l’exode vers l’Ouest. Plus de 660,000 réfugiés ont été enregistrés, selon l’ONU, la majorité en Pologne voisine et aussi dans les pays limitrophes. « Les Nations Unies et leurs partenaires humanitaires ont publié aujourd’hui des appels de fonds d’urgence coordonnés pour un montant total de 1,7 milliard de dollars afin de fournir une assistance humanitaire aux populations en Ukraine et aux réfugiés dans les pays voisins ». Ce, pour faire face à la crise humanitaire liée à cette invasion russe. Il faut noter que 141 pays de l’Assemblée Générale de l’ONU ont voté contre l’agression russe de l’Ukraine. Il ne saurait être autrement d’autant que la force de dissuasion nucléaire russe est mise en alerte par Vladimir Putin.  Cette menace de la Russie est prise très au sérieux, surtout en fonction de ce qui se passe sur le terrain. Comme on ne sait pas trop jusqu’où peut aller Putin, le monde est très préoccupé par sa menace d’utilisation de l’arme  nucléaire. Depuis 1962, crise de missiles à Cuba, c’est la situation la plus dangereuse que vit le monde. Cela pourrait déboucher sur la 3e guerre mondiale.

En attendant, les bourses  sont globalement à la baisse. Le baril de pétrole avoisine les 100 USD. Aux USA, en particulier en Georgia, le gallon de gazoline est autour de $3.5. Au canada, aux USA, la vie devient de plus en plus chère (aggravation de l’inflation). Pour les pays comme Haïti, où la situation est déjà si compliquée,  il va y avoir des répercussions  d’une manière ou d’une autre, ne serait-ce que l’augmentation  des cours du carburant?

B.      SITUATION AU NIVEAU D’HAÏTI

La situation délétère haïtienne est certes occultée par la guerre en Ukraine, où le président Biden y a consacré plus d’une quinzaine de minutes dans son discours sur l’Etat de l’Union[5] et a promis  de nouvelles sanctions contre la Russie, mais elle demeure très préoccupante et catastrophique. Mise à part la conférence des bailleurs du 16 février 22 sur la reconstruction de la Péninsule Sud d’Haïti, et aussi les bandes carnavalesques à travers plusieurs villes du pays (5 morts et des bléssés à Desdunes) , toutes les nouvelles en provenance d’Haïti laissent voir un présent catastrophique, caractérisé par le règne quasi absolu des bandits,  et présager un avenir d’incertitudes liées à l’ouragan politique, cette entropie politique, cette instabilité politique, responsable de tous nos maux.

La conférence des bailleurs du 16 février 2022 pour la reconstruction du grand Sud

La conférence des bailleurs a eu lieu en présentiel et virtuel, avec la participation de l’ensemble des bailleurs de fonds du pays, tant multilatéraux que bilatéraux. Par rapport aux besoins d’Haïti, exprimés dans le PDNA 2021, équivalant à près de 2 Mrds d’USD, notre pays n’a pu obtenir des promesses que pour 30% de ses besoins (600 M d’USD) sur une période de 4 ans, contrairement à ce qui s’est passé en 2010, après le tremblement de terre où, lors de la conférence de New-York du 31 mars 2010, notre pays a pu obtenir des promesses correspondant à 86% ((9.9 Mrds d’USD) de ses besoins de l’époque (11.5 Mrd d’USD). En tout cas, c’est déjà une bonne chose que c’est la première fois que l’on a eu une conférence des bailleurs  sur Haïti depuis le 31 mars 2010. Malheureusement, le contexte ne se prête pas à des travaux de reconstruction au niveau de la Péninsule Sud du pays, isolée par les bandits de Martissant.

La nécessité d’une entente entre Montana et Primature : « Un Etat Inclusif »

Pourtant les protagonistes de la crise, les tenants de l’Accord de Montana et ceux de l’Accord de la Primature se chamaillent sur des détails insignifiants au lieu de se mettre ensemble pour négocier une sortie de crise pour Haïti et non pour leur clan respectif. En réalité, tout ce qui se joue c’est tout simplement la prise du pouvoir ou le maintien au pouvoir. Il ne faut pas oublier que la majorité de ces protagonistes d’aujourd’hui étaient des alliés d’hier dans la bataille pour le renversement de Jovenel Moïse. Actuellement, le président Moïse ayant été assassiné depuis près de huit mois, tel clan se croit plus légitime pour continuer ce qui a été entamé, et tel autre pour mener la « transition de rupture » et aboutir à la « rédemption du pays ».

Pour y parvenir, il faut exclure l’autre, alors que, par rapport à la situation délétère du pays, exacerbée par cette polarisation politique donnant lieu à cette crise du kidnapping et de la gangstérisation quasi généralisée du pays, il faudrait une entente entre nous, un vrai dialogue inter-haïtien sans exclusion aucune. Ce qui serait donc plus sage pour tout le monde et pour notre pays, c’est la recherche de l’inclusion. Tout le monde dit vouloir changer le système de prédation et de capture de l’Etat par un petit groupe de profiteurs, mis en place depuis l’assassinat de Dessalines, le 17 octobre 1806, et qui s’est perpétué en se renouvelant  au fil des ans, malgré les assauts répétés contre ce système honni.

 Ce système d’exclusion a une telle capacité de se reproduire et de s’adapter que même la constitution de 1987, qu’on croyait naïvement être en mesure de lui tordre le cou, n’a fait que favoriser « une transition circulaire », pour répéter Pierre Raymond Dumas, et une capture beaucoup plus restreinte de l’Etat par les oligopoles constitués de quelques familles. La bataille pour mettre en place un « Etat Inclusif », passe par la mise en place d’un système inclusif axé sur le peuple dans toutes ses composantes comme tenant et aboutissant du processus de développement d’Haïti. C’est donc la bataille de l’inclusion par rapport à l’exclusion. D’où la nécessité d’inclusion et de fusion des deux accords pour déboucher sur ce système et cet Etat inclusifs.

Nous avons tous intérêt à nous battre pour l’érection de cet Etat Inclusif. C’est ce type d’Etat qui nous permettra de bien intégrer les masses, en réduisant considérablement les inégalités socioéconomiques. Les manifestations des ouvriers du secteur de la sous-traitance pour l’augmentation du salaire minimum à 1500 G/jour trouvent leur origine dans le fonctionnement de cet « Etat prédateur » qu’il faudra à tout prix changer. Cette exploitation abusive des masses ne pourra cesser  que par l’érection de cet « Etat Inclusif ».

Le phénomène de l’insécurité globale

C’est aussi le mode de fonctionnement de cet «Etat Prédateur » qui est à la base de l’insécurité globale qui ronge le pays haïtien. A un moment donné de la durée, nos élites politiques et économiques avaient senti la nécessité, pour préserver leurs intérêts mesquins et claniques, d’utiliser une bonne partie des masses urbaines et même rurales. C’est ainsi qu’a débuté le phénomène du banditisme et du gangstérisme. Ces gangs ont fini par prendre conscience de leur importance, de leur force de frappe et se sont autonomisés pour se servir eux-mêmes. Ils se sont infiltrés dans toutes les sphères du pouvoir, de l’opposition et du secteur privé, pour capturer une partie du butin national. D’où le phénomène de kidnapping.

Et le kidnapping d’un ensemble de personnalités et les attaques des bandits, au cours de ce mois de février 2022, contre les passagers innocents au niveau de Martissant ne s’expliquent pas autrement. Comment expliquer le kidnapping et la libération contre rançon de l’ancien doyen de l'Institut National d'Administration de Gestion et des Hautes Etudes Internationales (INAGHEI), Gérard Dorcely, actuel recteur de l’Université de Port-au-Prince, qui vit dans sa ferme dans le fief des 400 Mawozo depuis des lustres, et qui est censé être connu de tous ces jeunes gens constituant ce groupe de bandits, à moins qu’il ait été kidnappé par un autre gang ? Comment expliquer le kidnapping et la libération contre rançons (au pluriel) du pasteur Lochard Rémy, chanteur émérite et connu de toute la population haïtienne? Comment expliquer les tirs de ces bandits sur des bus, des véhicules remplis de passagers innocents dont le seul péché est d’être obligés de vaquer à leurs occupations en passant par ces zones dangereuses ? Comment expliquer le kidnapping de la fille du bien connu « Père Lebrun » et de sa non libération jusqu’à date, malgré le paiement de la forte rançon exigée ?

 Toutes ces interrogations traduisent notre impuissance face à un phénomène qui nous met à genoux et nous fait craindre des lendemains incertains et peut-être beaucoup plus terribles, surtout si l'instabilité politique s'aggrave à la faveur de cette guerre entre la Russie et l'Ukraine.

C.       CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES

    Le monde pourrait basculer dans une escalade irréversible avec cette histoire de guerre en Ukraine. C’est vrai que le coronavirus semble perdre du terrain et pourrait muter à nouveau. Par contre, la guerre vient à peine de commencer. On sait quand on rentre en guerre, mais on ne sait jamais quand cela se termine. On sait aussi que la guerre coûte toujours la vie à beaucoup de personnes dans les deux camps, cause des dégâts toujours importants et se répercute sur des pays qui ne font pas partie directement de cette guerre.  "Le fait qu'un dictateur russe ait envahi un pays étranger a un coût sur toute la planète, a  affirmé le président américain Joe Biden dans son premier discours sur l’Etat de l’Union.

    Très certainement, notre pays va payer les contrecoups de cette guerre. Elle aura  des répercussions sur notre vie de tous les jours et viendra aggraver la situation délétère que nous vivons actuellement. Les fameux amis d’Haïti ont d’autres chats à fouetter car préoccupés par les efforts de guerre à soutenir. Nous serons donc seuls face à nos problèmes. Ce serait peut-être une bonne chose qui faciliterait une certaine entente inter-haïtienne sans trop d’influence du blanc, qui est suspecté de jeter de l’huile sur le feu depuis les tristes paroles du président Franklin D. Roosevelt.

    Actuellement, le pays se débat dans une sorte d’insécurité chronique et globale qui se traduit par un minimum de 5 à 6 cas de kidnapping par jour. Cette industrie, qui appauvrit en particulier la classe moyenne et les masses, est très florissante en Haïti. En effet, à la faveur de cette longue crise politique, l’insécurité globale s’amplifie, pousse vers l’exil, vole, viole et tue. On dirait que nos politiciens, qui ne sont jamais victimes directement de l’insécurité globale, s’en foutent et n’établissent pas de relation de causes à effets entre l’instabilité politique et l’insécurité globale d’où découle le phénomène du kidnapping.

    C’est pourquoi nous restons persuadés qu’une entente entre les protagonistes politiques enverra un signal fort aux gangs. Comme quoi, les forces de l’ordre auraient beaucoup plus de temps pour s’occuper des bandits. Il serait donc sage que les protagonistes politiques se mettent à se battre  ensemble pour l’inclusion de l’ensemble des fils et filles du pays dans la bataille pour le changement du système haïtien et la mise sur pied d’un « Etat Inclusif ».

    Dans le cas contraire, le pays continuera à péricliter au grand dam de la majorité silencieuse, des patriotes souffrant dans leur âme et dans leur cœur la déchéance de ce coin de terre  qui a fait l’histoire, en ayant réussi la seule révolution d’esclaves des temps modernes, en s’étant mis ensemble pour la réaliser. Dans cette bataille pour la survie de cette nation, il faudra inclure tout le monde. Nos politiciens pourront prêcher par l’exemple en trouvant un terrain d’entente entre eux.  Et Haïti sortira renforcée de cette crise multiforme, multidimensionnelle en instituant un système inclusif axé, entre autres, sur l’éducation comme pilier principal de l’édifice national, et servant de socle  à  cet « Etat Inclusif » rêvé par la plupart d’entre nous.

    La bataille de l’inclusion par rapport à l’exclusion, c’est  la porte de sortie pour Haïti ou, dans le cas contraire, c’est la continuité du règne de l’instabilité politique et ses conséquences désastreuses sur ce qui reste de l’Etat d’Haïti.