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vendredi 1 juin 2018

L’ARTICULATION DE TROIS (3) PROCESSUS EN LIEN AVEC LA SECURITE ALIMENTAIRE ET NUTRITIONNELLE (SAN) POUR LE DEVELOPPEMENT D’HAITI



L’ARTICULATION DE TROIS (3) PROCESSUS EN LIEN AVEC LA SECURITE ALIMENTAIRE ET NUTRITIONNELLE (SAN) POUR LE DEVELOPPEMENT D’HAITI
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
31 MAI 2018

Aujourd’hui c’est l’ouverture dans l’aire du champ  de Mars de la 24e  édition du Livres en folie. C’est un moment de folie pour Haïti, les 159 auteurs sont là pour signer les livres, les acheteurs aussi ont le choix sur les 1828 titres. C’est une ambiance bon enfant, caractérisée par le sourire de l’haïtien, la familiarité, la culture haïtienne dans tous les genres : le roman, la poésie, l’histoire, les essais, l’audience, etc. Cette dernière journée du mois est la bienvenue après un mois de mai plutôt mouvementé par des poches de manifestations anti-gouvernementales sous couvert de revendications pour la réparation de routes (Cité Soleil et zones de Frère, Pétionville), pour l’augmentation de salaire minimum (SONAPI), pour la disparition présumée du Maire de l’Estère, retourné heureusement au bercail depuis, pour l’inondation de certaines zones à partir des premières pluies de Mai 2018 (Petit-Goâve, zone de Rivière Barette). L’arrêté présidentiel relatif à la police Nationale d’Haïti (PNH), qui exige « l’approbation du Conseil supérieur de la Police Nationale (CSPN) » en lieu et place du « simple avis du CSPN» prévu par la loi, a suscité beaucoup de débats ; certains y voient une tentative de l’administration de « politiser la PNH » et parlent « de velléités dictatoriales ». Egalement, le voyage du Président Jovenel Moise à Taiwan, dont le momentum serait « mal choisi » vu que la République Dominicaine et Burkina Faso viennent de lâcher Taiwan au profit de la Grande Chine. L’augmentation prochaine du prix du carburant fait aussi objet de débats.  Sans commenter ces faits d’actualité qui ont marqué le mois de Mai 2018 et qui traduisent un malaise par rapport à la situation globale du pays, il m’est venu l’idée, après des discussions avec le coordonnateur de la CNSA[1], de vous entretenir sur les processus en lien avec la Sécurité alimentaire et nutritionnelle (SAN).

Les processus de la SAN

Actuellement, Haïti entre dans la phase de boucler trois processus en lien avec la SAN : (i) L’actualisation du plan national de Sécurité Alimentaire (PNSAN) décliné en 10 plans départementaux (PDSAN), (ii) l’élaboration de la politique et stratégie nationales de souveraineté, de sécurité alimentaire et de nutrition en Haïti (PSNSSANH), (iii) le processus d’inscription des actions sectorielles de la caravane dans le budget 2018-2019 et dans le budget triennal 2019-2022 après la validation des plans d’action départementaux tant au niveau des départements[2] qu’au niveau du gouvernement[3]. Les trois processus, qui s’alignent sur le Plan Stratégique de développement d’Haïti (PSDH) dont la vision est de « faire d’Haïti un pays émergent à l’horizon 2030 », contribueront nécessairement, si mis en œuvre correctement, à cette finalité et aussi à « un taux de souveraineté alimentaire de 88% ».

Définitions des concepts, Rappel Historique et Contenu

Dans cette partie, le lecteur est invité à prendre connaissance des définitions ou à se les rappeler. Il sera procédé également  à un rappel historique de ces trois processus et à une mise en exergue de certains éléments de contenu, susceptibles d’éclairer davantage le lecteur et de le mettre dans le bain de ce qui se fait actuellement au pays en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle (SAN), en se référant aux documents appropriés pour les définitions et les éléments de contenu.

Définitions des concepts

En 1996, il a été adopté la définition suivante pour la sécurité alimentaire :
« La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. La sécurité alimentaire a quatre piliers ; disponibilité, accès, utilisation et stabilité[4] »

Quant à la sécurité nutritionnelle, elle se définit comme suit :
« La sécurité nutritionnelle peut être définie comme un état nutritionnel adéquat, en termes de protéines, d’énergie, de vitamines et de minéraux, de l’ensemble des membres du ménage, et ce à tout moment [5]».

Concernant la Souveraineté alimentaire, les définitions suivantes ont été adoptées :
« La souveraineté alimentaire est le droit des peuples de définir leurs propres politiques en matière d’alimentation et d’agriculture, de protéger et de réglementer la production et le commerce agricoles intérieurs afin de réaliser leurs objectifs de développement durable, de déterminer dans quelle mesure ils veulent être autonomes [et] de limiter le dumping des produits sur leurs marchés[6] »

La PSNSSANH a adapté cette définition :« Le droit des peuples à définir leurs propres politiques et stratégies durables pour la production, la distribution et la consommation d'aliments et de réglementer la production et le commerce agricoles intérieurs qui garantissent le droit à l'alimentation en faveur de toute la population, en se basant sur la moyenne et la petite production, respectant leurs propres cultures et la diversité des pratiques paysannes de production agricole, de commercialisation et de gestion des espaces ruraux, dans lequel la femme joue un rôIe fondamental. La souveraineté alimentaire garantit la sécurité alimentaire et nutritionnelle[7] ».

« La Caravane du changement se veut une stratégie transformatrice tant de l’État que de la société haïtienne. Elle vise donc à mobiliser les forces vives d’Haïti pour transformer les rapports sociaux historiques et aboutir au développement endogène et durable de notre pays. [8]». « Elle ambitionne de favoriser l’imbrication intra-sectorielle des actions, leur articulation intersectorielle dans le cadre de l’action gouvernementale afin de maximiser leurs effets et impacts sur la qualité de vie du peuple haïtien ».

Rappel Historique et Contenu

PNSAN. 1996-2018
Une première version du Plan National de Sécurité Alimentaire  (PNSA) a été élaborée en 1996 juste avant le Sommet mondial sur l’alimentation. Une autre version,  visualisée comme une actualisation du Plan National de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (PNSAN),  a vu le jour en 2010 après le tremblement de terre  et est perçue comme « un mécanisme d’implémentation des choix  des politiques nationales pour le développement économique et social,  inscrits dans le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP). Il rejoint les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), surtout celui visant de réduire de moitié jusqu’à l’horizon 2015 le nombre de personnes souffrant de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Cet objectif est repris et adapté par le GRULAC à travers le GT-2025 qui prône : « l’éradication de la faim dans la Région Amérique Latine et Caraïbes  en 2025 »  C’est un défi majeur pour tous les gouvernements, en particulier ceux en situation de sous-développement et classés parmi les PMA comme Haïti[9].

Actuellement, le PNSAN est en phase de réactualisation. Ce processus est en cours depuis 2015. Il est articulé, à partir d’une démarche participative et inclusive axée, entre autres, sur un principe directeur, «  la production nationale d’abord », partant des communes en passant par les départements jusqu’au niveau national, autour de 3 catégories de documents, les plans communaux (PCSAN), les plans départementaux (PDSAN) et le plan nationale (PNSAN). Ce qui devrait se traduire par 30 plans communaux, 10 plans départementaux et un plan national. Malheureusement, on devrait se contenter de quelques plans communaux faute de temps, des 10 plans départementaux et du plan national. Le mois de juin devrait couronner la fin du processus d’élaboration et de validation.

PSNSSANH. 2012-2018- Le présent document de PSNSSANH est le fruit de plusieurs années de travail. Le processus a débuté en 2012 lors de la création d’une Commission gouvernementale de stabilisation des prix alimentaires, suite à l’ouragan Sandy, ayant pour mission de stabiliser les prix de 5 produits alimentaires de base[10]. En 2013, la Commission a statué sur la nécessité d’élaborer un document de politique publique ayant pour objectif de définir les dispositions à mettre en place pour éliminer, progressivement, le déficit d’offre nationale des produits agricoles. Dans ce contexte, trois assises régionales (nord, sud et ouest) ont été organisées entre mai et juin 2013. Ces assises ont permis d’identifier un ensemble de mesures devant constituer le socle d’une politique publique de souveraineté et de sécurité alimentaire et nutritionnelle. Capitalisant sur les résultats de ces assises, une consultation a été commanditée par le Conseil de Développement Economique et Social (CDES), sous l’égide de la Primature, en vue de produire le document de politique. Dans ce cadre, une Task Force, présidée par la Primature, a été mise en place afin de piloter une large consultation des institutions nationales. Ces travaux ont dû être suspendus, durant une année, suite au passage de l’ouragan Mathew, le 4 octobre 2016. Lors de cette première phase du processus, le CDES a toutefois produit une première ébauche de document de politique[11].

La PSNSSANH, qui « est une condition sine qua none pour orienter la mise en œuvre d’interventions (mesures et Programmes Nationaux) à même de déverrouiller le potentiel économique et humain de la nation sur lesquels la vision d’un pays émergeant pourra être atteinte », tourne autour de 4 axes (i) Axe Politique traitant des questions de lenvironnement dans lequel évolue la souveraineté et sécurité alimentaires et la nutrition ; (ii) Axe Opérationnel, traitant « des biens et services dont la population a besoin, en temps normal et en situation d’urgence suite à un choc, pour l’atteinte de la souveraineté et sécurité alimentaires et la nutrition » ; (iii) Axe Institutionnel traitant « du renforcement des institutions et des capacités nationales nécessaire à la bonne mise en œuvre de la PSNSSANH », et (iv)  Axe  Transversal traitant « des questions transversales tels que laménagement du territoire, le genre et la résilience ».  

La mise en œuvre de la PSNSSANH nécessite la mise en branle d’une série de décisions : « (i) Rebalancer progressivement la dominance des politiques favorisant le commerce international en faveur de politiques visant à atteindre la souveraineté et la sécurité alimentaires et la nutrition ;  (ii) S’appuyer sur l’agriculture familiale et l’agro-industrie, comme secteur moteur de la relance de l'économie haïtienne et de l’élimination de la faim et la malnutrition ; (iii) Investir dans les filets sociaux ainsi que la disponibilité et l’accès aux services de base de qualité nécessaires à la sécurité nutritionnelle, afin que personne ne soit laissé de côté du développement socio-économique de la nation ; (iv) Renforcer les capacités nationales nécessaires à la bonne mise en œuvre de la PSNSSANH.

« La finalisation de la PSNSSANH a été accélérée par la nécessité d’institutionnaliser les actions SSAN de la Caravane du Changement et d’aligner ces actions sur les Objectifs de Développement Durables, en particulier l’ODD 2 « Faim Zéro ».

            Caravane du Changement.2017-2018

Les premiers documents de cette nouvelle stratégie innovante et globalisante  remontent à Mars 2017, Programme d’aménagement dans la Vallée de l’Artibonite, la première version de la note conceptuelle,  et l’opération coup de poing au niveau de la Vallée. Ce qui a permis le lancement des premières opérations dans le cadre de la caravane  le 1er Mai 2017 dans la Vallée de l'Artibonite. De cette date à aujourd’hui, il a été élaboré, entre autres, le document de synthèse des plans d’action départementaux. Actuellement la caravane, dont le premier objectif se formule ainsi : « Réaliser les actions visant la refondation de l’Haïti de demain, plus équitable, fondée sur le droit, le partage, la solidarité, l'éducation, le respect de l'environnement et le culte du bien commun, avec accent particulier sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans ses quatre (4) dimensions, disponibilité, accessibilité, sécurité alimentaire et nutritionnelle et stabilité », s’étend sur l’ensemble du pays à partir d’une approche multisectorielle basée sur l’utilisation des directions déconcentrées et décentralisés des secteurs. Les 17 axes d’intervention sont en harmonie partiellement avec la PSNSSANH et englobent les axes d’intervention retenus dans les PDSAN départementaux.

« En tant que stratégie, elle prend forme et se renforce au fur et à mesure qu’elle se développe. Tout en étant ferme dans ce qui définit ses objectifs, elle reste flexible et souple dans la mise en place de ses moyens d’action, car elle peut éveiller des consciences, elle peut contribuer à redéfinir les besoins et, élargir la distance entre les moyens et les aspirations qu’elle aura elle-même créées, tous les groupes d’une société n’évoluant pas au même rythme[12] ».

L’articulation des trois processus de la SAN

Les trois processus évoqués plus haut ont démarré à des dates différentes. Au départ en 1996, le PNSAN, qui s’était aligné au document stratégique de l’Etat en vigueur à l’époque, s’est vite collé au document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP), qui va se transformer, après le tremblement de terre de 2010, en plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti (PARDNH) et en 2012 en plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH) poursuivant l’objectif de faire d’Haïti un pays émergent  en 2030. Les deux autres processus, le PSNSSANH 2012 et la Caravane 2017, vont faire la même chose en s’alignant sur le PSDH, les ODD, les politiques et stratégies sectorielles, pour l’atteinte de cette vision de pays émergent. Avec le mot d’ordre de l’administration actuelle de « continuer, corriger et Innover[13] », il n’a pas été difficile d’articuler les trois processus. Ce qui fait que les actions entreprises dans l’un ou l’autre processus seront bénéfiques aux trois et à Haïti.

Toutefois, « L’atteinte de la vision du PSDH nécessite une rupture avec les politiques commerciales, le profil tarifaire et la politique budgétaire actuelles qui sont les sources mêmes de la pauvreté, de la faim et de la malnutrition affectant la majorité de la population du pays », Selon la PSNSSANH. « D’un point de vue opérationnel, la PSNSSANH se traduit par 35 Mesures et 25 Programmes Nationaux, qui, si mis en œuvre de façon coordonnée et concertée sur l’ensemble du territoire, sont à même de permettre au pays d’atteindre les Objectifs du PSDH, du Développement Durable (ODD), de la souveraineté et sécurité alimentaires et de la nutrition ». D’où la nécessité d’une imbrication intra-sectorielle des actions d’urgence, de relèvement et de développement, de leur articulation intersectorielle et de leur intégration à l’action gouvernementale pour maximiser leurs effets et impacts sur la vie du peuple haïtien, comme l’ambitionne la caravane du changement.

Le principe de continuité de l’Etat et le développement d’Haïti

Au risque de nous répéter, ces trois processus, la PSNSSANH et le PNSAN en phase de validation, la Caravane du Changement en phase de mise en œuvre, avec les résultats encourageants déjà enregistrés, exécutés et à exécuter  dans le cadre d’une imbrication intra sectorielle des actions avec la participation de l’ensemble des acteurs d’un secteur, articulés d’un secteur à un autre  dans le cadre d’une bonne intégration à l’action gouvernementale, devraient grandement contribuer, selon le principe de continuité de l’Etat, comme cela a été le cas pour le barrage hydro électrique de Péligre, à l’émergence d’Haïti à l’horizon 2030 et à l’autosuffisance alimentaire avec un taux de souveraineté alimentaire de 88%.  Pour cela, les partis politiques qui aspirent à diriger le pays et ceux-là qui sont actuellement au pouvoir, devront placer l’intérêt national au premier plan et s’arranger, dans le cadre d’une grande concertation nationale[14] et selon toujours le principe de continuité de l’Etat, de continuer les actions de développement entreprises, de les corriger au besoin et d’aboutir à cette bonne gouvernance, la seule porte de sortie pour le développement du pays. Est-ce trop lourd pour les épaules des héritiers de Jean-Jacques Dessalines le Grand? Sommes-nous devenus trop nains par une sorte de dégénérescence mentale pour nous dépasser et refaire le Congrès de l’Arcahaie, cette fois-ci, pour gagner la bataille du développement et l’indépendance économique ?











[1] Commission National de Sécurité alimentaire
[2] Les plans d’action départementaux ont été l’objet de validation dans des séances organisées par les Délégués  appuyés par la cellule de pilotage de la caravane (La CASDA)
[3] Compte rendu la retraite gouvernementale 11-12 Mai 2018 organisée par le MPCE et  la CASDA-
[4] Sommet Mondial de l’Alimentation 1996
[5] IFPRI  (1995)
[6] Forum mondial sur la souveraineté alimentaire à Sélingué en 2007  
[7] PSNSSANH 2018
[8] Notre conceptuelle de la caravane du changement. Transformer l’Etat pour transformer la société- Version Avril 2018
[9] Réf. PNSAN 2010-2025 MARNDR 2010.
[10]  Riz, huile, farine, maïs, haricot.
[11]  CDES, 2016.
[12] Note conceptuelle de la Caravane du Changement. Version Avril 2018.
[13] Discours de campagne du Président Jovenel Moise.
[14] Pourquoi pas les Etats Généraux Sectoriels de la Nation (EGSN) ?