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lundi 31 octobre 2016

HAITI, MATTHEW BILAN ET PLAN DE REPONSE (?)

HAITI, MATTHEW BILAN ET PLAN DE REPONSE (?)
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
31 OCTOBRE 2016


Durant tout le mois d’octobre 2016, Haïti était en mode bilan et plan de réponse après le passage de Matthew du 3 au 4 octobre 2016, laissant la politique en filigrane avec les élections reprogrammées pour le 20 Novembre 2016. Chaque institution est allée de son petit bilan. Le ministère de l’agriculture a dégainé le premier, stoppé net par Frantz Duval dans un éditorial mettant en doute les chiffres avancés à chaud. Les enquêtes de terrain, selon une méthodologie établie avec l’appui de la FAO, de la Banque Mondiale, de la BID, sur la base des informations du recensement général agricole (RGA) réalisé en 2009, et en se basant sur l’année 2016 comme ligne de base, ont révélé des pertes et dommages avoisinant 600 M USD ( environ 7% PIB). D’autres institutions tant nationales qu’internationales ont sorti leur bilan partiel qui confirme les chiffres du ministère de l’agriculture. Il faut dire aussi que le ministère avait aussi sorti, à l’interne,  les éléments de son plan de réponse. Mais, souffrant du syndrome de Duval, ils n’ont pas osé publier les informations sur ce plan de réponse, exception faite de l’intervention du ministre Guito Laurore parlant de 2 Mrds HTG pour l’aspect urgence du plan, lors de son passage à l’émission de l’association nationale des médias haïtiens  (ANMH) sur Télé Caraïbe, le 23 Octobre 2016. Entre temps, la plupart des institutions internationales ont lancé leur plan de réponse humanitaire et sollicité l’appui de la communauté internationale pour le financement de leur plan. Ainsi, on dénombre une multitude d’initiatives apparemment sans coordination. Avec l’arrivée de l’aide vénézuélienne, suivie de celle des dominicains après la visite éclair de leur président, M Medina, en Haïti, de celle des colombiens, et de celle des américains, il s’en est suivi un tollé au niveau du pays, alimenté par le Sénat (le groupe minoritaire), par la Cour des Cassations  qui a pris position contre la Présidence de Privert, et ce tollé a culminé par l’interpellation avortée du ministre de l’intérieur, M. Anick Joseph, accusé de mauvaise gestion de la catastrophe. Alors, après le passage de Matthew de catégorie 4, quel bilan et quelle réponse ?  Avant de voir les éléments d’un plan national de réponse, essayons de voir le bilan, en nous basant sur le document officiel du gouvernement haïtien (GOH), intitulé : « Evaluation rapide des dommages et des pertes occasionnés par l’ouragan Matthew et éléments de réflexion pour le relèvement et la reconstruction. »

         A.     BILAN DES DOMMAGES ET PERTES DE MATTHEW

Selon le document produit par le ministère de l’économie et des finances (MEF),  il a été retenu ce qui suit :

       1. Description de la catastrophe.  

L’ouragan Matthew a frappé en Haïti le 4 octobre 2016 en tant qu’ouragan de catégorie 4. Il a touché terre près de la localité de Les Anglais, dans le département du Sud, et a quitté Haïti le lendemain par la côte Nord-Ouest. La vitesse maximale des vents enregistrée a atteint 230km/h, causant de fortes inondations (plus de 600 mm en moins de 24 heures), et des ondes de tempête principalement dans les départements de la Grand ‘Anse, Nippes, Sud, Ouest (en particulier l’Ile de la Gonâve) et Nord-Ouest. On estime une surcote du niveau de la mer de 2 à 3 mètres sur la côte Sud et de 1 à 1,5 mètres dans le Golfe de la Gonâve.  Impact matériel. L’effet combiné du vent, de la submersion marine et des pluies a causé de fortes inondations, des glissements de terrain et la destruction de très nombreuses infrastructures, y compris des édifices publics, hôpitaux, églises, écoles et résidences privées. Les secteurs de l’agriculture et de l’environnement ont été sévèrement touchés, l’ouragan ayant détruit de nombreuses cultures et des écosystèmes naturels. Le réseau routier a également subi des dommages importants à des points stratégiques. En effet, le pont de la rivière Ladigue à Petit Goâve s’est effondré, bloquant la Route Nationale No. 2, le seul accès routier aux départements de la Grand ‘Anse, des Nippes et du Sud. Une grande partie du réseau électrique et du réseau de l’eau potable et de l’assainissement de l’ensemble de la péninsule sud ont aussi subi des dégâts importants.  

Impact humain et réponse d’urgence. A ce jour, le  Gouvernement fait état de 546 morts, 128 disparus, 439 blessés au niveau national. Plus de 175 500 personnes se sont réfugiées dans 224 abris temporaires dans les départements de la Grand-Anse, de Nippes, du Sud et de l’Ouest.   La population en besoin d’assistance humanitaire immédiate s’élève à 1,4 million (12,9% de la population totale du pays). Pour faire face à la situation d’urgence, le gouvernement a lancé avec l’appui des Nations Unies un appel à l’aide humanitaire de 7,9 milliards de gourdes (120 million de dollars américains), pour fournir des secours à 750 000 personnes gravement touchées par l'ouragan. À ce titre, le Gouvernement, avec l’appui des différents partenaires nationaux et internationaux, distribue des produits de base sur les départements atteints. 

Le 17 octobre 2016, le Mécanisme d’Assurance contre le Risque Catastrophique dans la Caraïbe (CCRIF [1]selon les sigles en anglais) a indemnisé le Gouvernement Haïtien à hauteur de 23,4 millions de dollars américains,  dont 20,3 millions de dollars américains dans le cadre de la police d’assurance du Gouvernement Haïtien de protection contre les cyclones et 3,02 million de dollars américains dans le cadre de sa police d’assurance contre la pluviométries excessive. Ce paiement apporte au Gouvernement des liquidités immédiates pour financer les besoins les plus pressants. 
   
 2. Evaluation des dommages et des pertes dus à la catastrophe 

 Sur la base de l’évaluation rapide dans chaque secteur conduite par les équipes des ministères sectoriels, l’ouragan Matthew aurait occasionné des pertes et des dommages à hauteur de 124,8 milliards de Gourdes (1,9 milliards de dollars américains), soit 22 % du PIB. La plupart des dommages et des pertes ont été subis par les secteurs sociaux, tels que logement, éducation et santé (41%) et les secteurs productifs, tels qu’agriculture et commerce (41%), suivi de l’infrastructure (18%), et du tourisme et de l’environnement (moins d’un pour cent). Le secteur privé a enregistré la plus grande partie des dommages et pertes (80%). 

Il faut donc souligner que le passage de MATTHEW sur Haïti a causé des dommages et pertes correspondant à 22% du PIB, dont 7% au niveau du secteur agricole ((603.8 M USD). En comparaison, les dommages et pertes du tremblement de terre de 2010  avoisinaient 120% du PIB de 2009. La réponse du Gouvernement exprimée par le plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti (PARDNH) se chiffrait à 34.5 Mrds USD en vue de faire d’Haïti « un pays émergent à l’horizon 2030 ». Elle a été axée sur (i) la refondation sociale,(ii) la refondation territoriale, (iii) la refondation économique et  (iv) la refondation institutionnelle. Ce plan de réponse qui a englobé tous les autres plans n’a pas vraiment dépassé la phase de relèvement. Modifié par l’administration Martelly en Plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH), tout en conservant les quatre grands axes, personne n’a pu nous dire si le PSDH en a été une application partielle ou une réelle modification. En tout cas, il est impératif d’y revenir dans le cadre de ce plan de réponse à Matthew.

B.      PLAN DE REPONSE A MATHEW

Impacts macro-économique et social
Matthew aura des impacts macro-économique et social, avec un ralentissement de la croissance. Sur le plan social, l’ouragan est venu aggraver une situation déjà précaire au niveau des départements frappés, avec « une population en moyenne plus pauvre que la moyenne nationale. Par ailleurs, la forte concentration des ménages pauvres autour de la ligne de pauvreté extrême laisse présager un fort risque pour ces ménages de tomber dans la pauvreté extrême.» Insiste le document du MEF. De plus, avec les dommages et pertes enregistrés dans le secteur agricole, la situation de la sécurité alimentaire risque de s’aggraver aussi, sans oublier les risques d’exode vers Port-au-Prince, l’exacerbation « des problèmes de malnutrition et de retard de croissance des plus jeunes, ainsi que leur vulnérabilité aux maladies ». Pour atténuer  ces risques et menaces, il faudrait rapidement venir avec ce plan de réponse national avec ses trois phases, urgence, relèvement et reconstruction/ développement. Ce plan de relèvement et de reconstruction devrait mobiliser  des ressources financières substantielles tant au niveau interne qu’externe.

     Eléments de réflexions
Voici ce que propose, le document du MEF en termes d’éléments de réflexions : « Dans ce contexte, il est impératif dans un premier temps d’identifier les possibilités de réallouer les ressources financières existantes, tant au sein du budget de l’Etat que dans le cadre des programmes d’appui des partenaires et d’opérer ces réallocations le plus rapidement possible. Ces ressources, y compris les décaissements du CCRIF, constituent la première ligne de défense parce qu’elles sont immédiatement disponibles. Il est important de capitaliser sur les outils et les initiatives existantes, et recommandé de concentrer les investissements sur un nombre limité d’activités : i) la mise en place de mesures visant à freiner l’insécurité alimentaire et à soutenir les moyens d’existence en milieu rural; ii) le rétablissement des services de base (santé, éducation) ; iii) la création d’emploi et la stimulation de revenus à très court terme et iv) la stabilisation des infrastructures fragilisées ; et v) la gestion des risques d’urbanisation non maitrisée, ceci en privilégiant les zones rurales et en ancrant les efforts de relèvement dans une perspective de développement. Dans un second temps, des ressources additionnelles doivent être mobilisées et un cadre de relèvement élaboré, pour la reconstruction, et le développement. Les résultats présentés dans ce rapport pourront faire l’objet de discussions plus approfondies dans ce contexte. » Ces éléments de réflexions rejoignent en quelque sorte les conclusions de mon article du mois de septembre 2016, publié le 9 octobre, soit 5 jours après le passage de Matthew  (Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2016/10/haiti-le-vrai-debat.html ). Mais, pour faciliter les choses, le GOH aurait dû déclarer l’état d’urgence.

Dans ce même ordre de réflexions, le Plan national de réponse devrait englober l’ensemble des plans ou éléments de plans déjà réalisés, couvrir l’ensemble du pays avec accent particulier sur les départements touchés par Matthew , tenir compte des aspects de déconcentration et de décentralisation, et se référer (i) au plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti de 34.50 Mrds USD (PARDH 2010-2030), (ii) au cadre budgétaire du ministère de l’agriculture basé sur les cinq (5) châteaux d’eau du pays dont celui du Grand Sud qui desserve trois départements (Sud, Grand-Anse et Nippes), (iii) aux six (6) capitaux humain, social, environnemental, infrastructurel, économique/financier et institutionnel (gouvernance), (iv) aux objectifs de Développement Durable (ODD), (v) aux divers documents de référence produits sur Haïti et/ou par Haïti, Comité interministériel  de l’aménagement du territoire (CIAT), Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle (GRAHN-Monde/Haïti), Fondation Haïtienne pour le Développement Intégral Latino-Américain et Caribéen (FONHDILAC), etc. Comme je l’ai expliqué dans mon dernier article, « Haïti est un pays développé sur le papier ». Pour cette raison, il faudra inventorier l’ensemble des propositions sur Haïti pour en tirer les éléments les plus pertinents en vue de produire le plan national  de réponse ou Plan Stratégique de Développement d’Haïti (PSDH 2016-2040).

Plan National de réponse ou PSDH 2016-2040
Le Plan Stratégique de développement d’Haïti (PSDH 2016-2040) devra être un plan de 100 Mrds USD déclinés en plans quinquennaux de 20 Mrds USD et en plan annuel de 4 Mrds USD. Les plans des secteurs seront pris en compte dans le plan global. A titre d’exemple, pour le secteur  agricole, qui est le pilier de la croissance ou déclaré locomotive de la croissance, il faudrait lui accorder 10% du budget, soit environ 2 Mrds USD sur 5 ans, si on voulait arriver à une vraie relance du secteur sur cette période. Rapidement, pour éviter tout malentendu, il faut expliquer que les investissements dans le secteur ne seront pas tous  gérés par le ministère de l’agriculture comme on a tendance à le croire, mais son rôle se limitera, entre autre, à une coordination, désormais sérieuse, de l'ensemble des actions y relatives.  Il en sera de même pour les autres ministères et les secteurs y relatifs. 

       C.      CONCLUSIONS 

Il était temps que le GOH sorte quelque chose. Le  document du GOH est  assez sérieux,  avec une estimation des pertes et dommages  à 22% du PIB. On est certes en présence d’une situation catastrophique mais très loin de ce qu’on a vécu avec le tremblement de 2010 dont les dégâts ont été estimés  à 120% du PIB. 

La réponse du GOH en terme de plan global tarde à venir. C’est pourquoi nous avons essayé de fournir quelques pistes à nos décideurs pour une réponse plus globale, s’inspirant des documents existant. Ces éléments de réflexions dont la plupart viennent de notre expérience de terrain, des résultats obtenus à échelle réduite, des observations sur les divers plans concoctés et  appliqués de manière partielle jusqu’ici, pourront faciliter l'élaboration du nouveau PSDH.

Dans le passé, on a constaté que la mise en application des plans se concentrait  surtout sur l’aspect urgence et  certains éléments de l’aspect relèvement et de reconstruction. Mais, on n’a jamais eu cette impression qu’il y ait eu un souci de la part de nos décideurs de mettre en application, de manière globale, les plans élaborés avec l’appui de la communauté internationale.

C’est pourquoi nous insistons pour un plan consensuel qui tienne compte de la problématique haïtienne dans son ensemble avec un accent particulier sur les départements touchés. Cette démarche permettra  aux départements non touchés de produire davantage en vue de satisfaire leurs besoins et de venir en aide aux départements touchés.

Les éléments du nouveau PSDH de 100 Mrds sur 25 ans, déclinés en plans quinquennaux, devraient permettre d’avoir une croissance soutenue et un développement harmonieux du pays, si, au niveau politique, on arrivait à nous entendre sur ce minimum, en basant notre développement sur les cinq (5) châteaux du pays, dont celui du grand sud allant du Plateau de Rochelois (Paillant) jusqu’au Pic Macaya (Massif de la Haute). Cette nouvelle vision du développement, esquissée par le ministère de l’agriculture et  basée sur les cinq (5) pôles de croissance et de développement  à renforcer et à ériger  au niveau des cinq (5) châteaux d’eau, devrait être l’élément clé de ce plan de réponse. On espère que les élections programmées auront vraiment lieu, le 20 novembre 2016, et que nos autorités issues de ces élections accordent la plus haute importance à ces réflexions et au plan qui en sera issu et qu’elles trouvent un consensus pour l’appliquer de manière intégrale et non partielle comme par le passé. Tout d’abord, ces éléments de réflexions seront-ils pris en compte dans le plan de réponse à Matthew? Il faut l’espérer, à la manière de nos jeunes sélections nationales de football (U 17 et U 20) qui deviennent, à force de volonté et du travail bien fait, les championnes de la Caraïbe. Pourquoi pas notre pays un jour en matière de développement ???



[1]Le CCRIF est une compagnie d’assurance contrôlée, opérée et localisée dans les Caraïbes. Il fut développé sous le leadership technique de la Banque mondiale et avec une donation du Gouvernement Japonais. Il fut capitalisé au travers de contributions à un Fonds Multi-Donnant du Gouvernement du Canada, de l’Union Européenne, la Banque mondiale, les Gouvernements du Royaume-Uni, France, la Banque de Développement des Caraïbes et le Gouvernement d’ Irlande et des Bermudes ainsi qu’au travers des cotisations de membres payées par les gouvernements qui participent à l’initiative.