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dimanche 8 septembre 2019

HAITI : L’ECOLE PRISE EN OTAGE



HAITI : L’ECOLE PRISE EN OTAGE
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
8 SEPTEMBRE 2019

Le pays lock, phase2, dont l’objectif fixé par l’opposition politique a été de forcer le Président J. Moïse à donner sa démission, suite à la sortie, le  31 Mai 2019, du 2e rapport PETROCARIBE, s’est produit à partir du dimanche 9 juin 2019, en pleine période de fermeture des classes et juste avant la période d’examens d’Etat. Si ce n’était l’excellent parcours de l’équipe nationale masculine à la Gold Cup et du Brésil à la Copa América[1], l’opposition politique aurait maintenu la mobilisation jusqu’au départ de Jovenel Moïse du pouvoir, quitte à sacrifier les examens d’Etat programmés pour juillet 2019.

Durant les deux mois de vacance scolaire (Juillet-Aout 2019), toutes les tentatives de mobilisation politique de rue ont piteusement échoué. L’opposition a dû choisir un long moment de  réflexion et l’utilisation de l’opposition institutionnelle (Parlement) pour lutter contre l’administration en place. Ce long moment de réflexion a favorisé la mise en commun des propositions de sortie de crise sans Jovenel Moïse. C’est ce qui a permis la sortie de la proposition consensuelle d’alternative à Jovenel Moïse. Sur cette base, le rendez-vous est pris le 8 septembre 2019[2] pour sa présentation officielle à la nation et le 9 septembre  pour relancer la mobilisation anti- J. Moïse, le jour même de la rentrée des classes, la présence d’écoliers dans la rue étant devenue depuis un bon bout de temps l’indicateur clé de la réussite ou non d’un mouvement politique (grève, manifestation de rue, en général assortie de menaces contre les écoliers[3]).

Depuis 1946 et peut-être avant, l’instrumentalisation de l’école dans la bataille politique est devenue une pratique courante en Haïti (la chute du Président Lescot). Rappelez-vous aussi la chute du Président Magloire. Duvalier père l’a si bien compris qu’il a utilisé tout le système éducatif à son compte, de l’école primaire, en passant par l’école secondaire jusqu’à l’université. Pour rentrer à l’école et à l’université, qui étaient en majeure partie des structures étatique, mises à part certaines écoles congréganistes d’obédience catholique ou protestante et quelques rares écoles privées dignes de ce nom, il a fallu avoir un parrain. Et le parrain était souvent un macoute de renom,  l’exemple de Zacari Delva (parenn), dans l’Artibonite et « leader national » jusqu’à l’arrivée de Jean Claude Duvalier en 1971, en dit long.

Sous le règne de Jean Claude Duvalier, c’était moins strict, d’autant que, face aux carences de l’Etat dans la mise en place des établissements scolaires, le privé va s’imposer dans le système éducatif au point de dépasser l’Etat dans la distribution du pain de l’instruction. Et la dictature veillait au grain pour qu’il n’y ait pas de dérapage. Ce n’est qu’à la fin du règne des Duvalier que les élèves  des Gonaïves et de  Petit-Goâve allaient sonner  le glas du régime par des manifestations de rue soldées par la mort de  la plupart d’entre eux, dont  les plus connus sont les jeunes gonaïviens Daniel Israël, Mackenson Michel et Jean Robert Cius.

Du départ de Jean Claude Duvalier à date, il est devenu légion de voir l’utilisation des étudiants et des élèves dans les luttes politiques. Qui ne se souvient des élèves de ZEL (Zafè Elèv Lekol), des étudiants de FENEH (Fédération Nationale des Etudiants Haïtiens), qui participaient, aux côtés des partis politiques, des syndicats, des associations de la société civile, à toutes les activités politiques. Ils ont poussé même la plupart des élèves à boycotter les examens d’Etat, sous prétexte que la bataille pour le changement, que les politiciens de l’époque menaient,  allait changer la donne politique et, par ainsi, favoriser l’émergence de la nouvelle Haïti.  Les élèves, les étudiants ont bravé l’Armée d’Haïti lors du coup d’Etat contre le Président Aristide et durant toute la période d’embargo (1991-1994). Les politiciens de tous bords ont toujours utilisé les élèves, ou, tout au moins, récupérer leurs mouvements revendicatifs pour régler leurs propres affaires, en écartant leurs adversaires politiques en vue d’accéder au pouvoir. C’est devenu une constante dans le paysage politique haïtien.

Par conséquent, il n’y a rien de nouveau sous le soleil avec les politiciens actuels. Sacrifier l’éducation des enfants est le souci cadet de nos politiciens. Quand ils sont au pouvoir, ils condamnent cette pratique, quand ils sont dans l’opposition, ils la justifient. Car tous les moyens sont bons pour assauter le pouvoir. Cette fois-ci, ils vont encore peser plus sur l’accélérateur puisque le système a atteint ses limites, tenu sous perfusion par ses vrais maîtres et profiteurs, et eux, en bons pères de famille et opportunistes, ils veulent changer le système, tout au moins au niveau du discours, pour permettre à ces enfants d’avoir un meilleur système éducatif, un meilleur système de santé, un meilleur environnement. Tout ce que le régime actuel, le seul profiteur du système, devenu un vrai oligopole corrompu, producteur de pauvreté et gangréné jusqu’à la moelle par « des incompétents arrogants sans décorum », « des menteurs et voleurs », ne peut ni promettre, ni  faire. Donc, un petit sacrifice en plus de nos élèves pour sauver la République, ce n’est pas trop demandé aux enfants, leur avenir en dépend. Mon œil !

A quoi s’attendait-on si, depuis plus de 30 ans, la prise en otage de l’école s’est intensifiée de manière systématique? Si nous nous sommes arrangés pour réduire la qualité de l’éducation? Durant ces trente dernières années et plus, nous avons délibérément choisi de galvauder notre capital humain, en démocratisant l’école haïtienne sans nous soucier de la qualité de l’éducation, en utilisant encore plus l’école dans nos luttes pour accéder au pouvoir, sans penser aux conséquences.

On s’étonne maintenant de l’incompétence qui caractérise les pouvoirs d’Etat, du manque et de la qualité des services fournis par l’Etat, de la médiocrité de la majorité des cadres qui investissent l’appareil étatique et de la laideur du paysage politique actuel! En outre, nos politiciens, au lieu d’innover, de changer de cap dans leur manière d’opérer, s’acharnent sur l’école et sur nos enfants, surtout que, pour la plupart, leurs propres enfants fréquentent de bonnes écoles et des universités à l’extérieur du pays. Le calcul est simple : abrutissez les enfants de l’intérieur, rendez- les encore plus médiocres, au moment opportun, les enfants formés à l’extérieur (fils et filles de nos politiciens, de nos bourgeois, et des couches moyennes) reviendront pour sauver ce qui reste d’Haïti, de notre pays meurtri.

Assez ! C’est la même stratégie pratiquée depuis belle lurette qui nous a valu la situation catastrophique d’aujourd’hui. Il faut changer de disque. Arrangez-vous autrement pour jeter le régime en place et prendre sa place (ôte-toi que je m’y mette), laissez les enfants aller à l’école, même si on sait que seulement 10% de ces enfants ( comme vous et moi, les génies du système éducatif actuel) auront la chance de traverser la grille de ce système éducatif sélectif[4] mise en place beaucoup  plus pour perpétuer le système global actuel, fait de prébendes, de prédations, de corruption, que pour amorcer le développement réel, équitable et durable du pays Haïtien. Il nous faudrait donc la mise en place d’un système équilatéral parfait, issu d’une grande concertation nationale entre nous (les bons et les mauvais, produits du système global actuel). Pour cela, nous devrions penser, à l’intérieur du nouveau système global basé sur un équilibre parfait entre les trois pouvoirs d’Etat[5], un système éducatif susceptible d’absorber la masse de nos enfants ( tenants et aboutissants du nouveau système), et de les éduquer autrement en vue de les voir prendre en charge, dans le futur, notre beau pays d’Haïti, avec une seule finalité, un seul leitmotive : Haïti d’abord et avant tout !!!



[3] Parfois, certains n’hésitent même pas à promettre, sans être inquiétés, la mort aux enfants : « make non yo anba pye yo  pou paran yo ka rekonet kadav yo»
[4] Car chaque individu qui arrive à traverser la grille correctement se croit un ayant droit du système et considère la majorité comme des crétins exploitables à souhait.