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dimanche 31 mars 2019

LE TEMPS DU DESIR PAR RAPPORT AU TEMPS DE REALISATION DES ACTIONS, LA LECON A RETENIR



LE TEMPS DU DESIR PAR RAPPORT AU TEMPS DE REALISATION DES ACTIONS, LA LECON A RETENIR
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
31 MARS 2019

La France, comme Haïti, confronte des moments très difficiles, avec les gilets jaunes d’un côté et les petrochallengers de l’autre et les tentatives de récupération politique par les extrémistes des deux côtés. D’où les casses enregistrées lors des manifestations de rue dans les deux pays. En effet, E Macron et J. Moïse sont des outsiders arrivés au pouvoir sur la base de promesses électorales assez intéressantes et mêmes innovantes. Ils ont accédé au pouvoir par voie élective aux dépens des politiciens traditionnels en 2017, respectivement en Mai  et Février 2017, en suscitant beaucoup d’espoir chez les habitants  de leur pays respectif. Malheureusement, le temps du désir par rapport au temps de réalisation des promesses ne concorde pas avec l’attente des populations française et haïtienne, qui veulent tout, tout de suite. Ce qui se traduit par une sorte de ras le bol, exploité à merveille par les adversaires/ennemis politiques de ces deux jeunes Présidents.

Macron a mis en place un gouvernement avec un premier ministre. Ensemble, ils font face et Macron propose un débat national  et un ensemble de mesures pour faire face à la crise. Le débat se fait à tous les niveaux. La France est en mode débat.

Moïse sacrifie un premier ministre, Jack Guy Lafontant, compose avec un 2e premier ministre de l’opposition politique modérée, Jean Henry Céant, qu’il a dû renvoyer après un vote de censure de la Chambre basse.  Bien avant les mouvements de l’opposition politique, il avait lancé les états généraux sectoriels de la nation avec un comité de pilotage et un comité technique qui a fait un travail remarquable, malheureusement non exploité à date, l’a prolongé ou l’a remplacé par un comité de dialogue politique inclusif de 7 membres dont un n’a jamais pris siège. Parallèlement, un ensemble de mesures est annoncé mais l’administration n’a pas les moyens de sa politique. Haïti est en mode pré-dialogue avec la présence du M. J. Moïse encore à la tête du pouvoir exécutif, malgré les efforts de l’opposition politique pour l’évincer.

Dans les deux cas, c’est l’impatience des populations qui est mise à l’épreuve. Ce phénomène s’observe dans plusieurs endroits à travers le monde. Les gens veulent tout, tout de suite et présurent leur administration pour des résultats immédiats, oubliant que l’Etat, dans tous les pays du monde, fonctionne à un rythme plutôt lent à partir des moyens disponibles  provenant en majeure partie des taxes et impôts.

La France, qui est un pays industrialisé, un parmi les 7 pays les plus riches de la planète, vit depuis 12 ans avec un déficit budgétaire, donc elle vit à crédit apprend-on lors des séances de débat organisées par l’Elysée. Nous ne connaissons pas le niveau de déficit budgétaire de la France. Par contre, Haïti a connu, selon les économistes, un déficit budgétaire record, autour de 25 milliards de gourdes  pour l’exercice écoulé (2017-2018). Ce déficit continue de s’aggraver au cours de l’exercice 2018-2019. Ce qui a conduit à un taux d’inflation de 16 % en janvier 2019 et de 17% en février 2019. Avec le taux de change de 1 USD pour approximativement 80 HTG, la population haïtienne connait une situation très difficile et explosive qui a expliqué l’explosion sociale des 6,7 et 8 juillet 2018, du 17 octobre 2018, du 18 novembre 2018 et surtout du phénomène «  pays lock » du 6 au 17 février 2019, avec le rapport de la Cour Supérieure des comptes et du Contentieux administratifs (CSC/CA) sur le dossier petrocaribe comme prétexte. Cette explosion sociale a finalement abouti à la mise à pied du PM Céant par la Chambre Basse après un conflit ouvert avec le Président Jovenel Moïse.
Laissons là les éléments de comparaison avec la France et concentrons-nous sur la situation haïtienne caractérisée par toutes sortes d’insécurité découlant de la situation politique/gouvernementale (banditisme politique[1] dans l’ensemble du pays, en particulier Chalon à Miragoâne, Saint Médard/  (Arcahaie), Saint-Marc, Savien (Petite Rivière de l’Artibonite), Mirebalais, Carrefour Milot, etc. l’insécurité sociopolitique (instabilité gouvernementale, changement de premiers ministres, de ministres) , l’insécurité alimentaire (accès difficiles aux produits alimentaires pour environ 40% de la population), l’insécurité économique et financière (incapacité des masses et des couches moyennes à faire face à leurs besoins, appauvrissement lié à l’inflation et au taux de change de la gourde par rapport au dollar) , l’insécurité environnementale (déboisement, fatras, sècheresse, inondation), l’insécurité infrastructurelle (routes bloquées, barricades enflammées, tranchées recouvertes de carton et de terre[2], bâtiments non normés,  manque/absence de bâtiments publics).
Cette situation que nous vivons actuellement en Haïti traduit le ras le bol de la population par rapport aux promesses non tenues par le premier mandataire de la nation, qui, il faut le rappeler, n’a pas cesser de faire des promesses partout il passe à travers le pays, même après son accession à la première magistrature de l’Etat, malgré le diagnostic très sérieux de son premier PM, Jack Guy Lafontant, qui a affirmé avoir trouvé le pays sans le sou. Ce qui aurait dû dissuader le Président de continuer à faire des promesses d’autant que la communauté internationale s’est cantonnée, depuis la prise du pouvoir de M. Moïse, dans une position de « wait and see », pas d’accord avec le gendarme FMI durant toute la première année de la nouvelle administration; au cours de la 2e année (février 2018), un accord très exigeant a été trouvé mais n’a pas suivi de décaissements.
La mise en œuvre partielle de cet accord en juillet a débouché sur les événements de 6,7 et 8 juillet 2018 suite à l’annonce et au retrait de la hausse des cours du carburant, avec toutes les conséquences que l’on sait (Renvoi du PM Jack Guy Lafontant, la rentrée en scène des petrochallengers, les manifestations de rue du 17 octobre 2018 axées en grande partie sur le « changement du système » et la démission du Chef de l’Etat, celles du 18 novembre en grande partie récupérées par l’opposition politique (de bonne guerre) et orientées vers la démission du chef de l’Etat. Il a fallu l’intervention du département d’Etat américain pour sauver l’administration Moïse-Céant.
Après un certain calme en décembre 2018 et en janvier 2019, le rapport de la CSC/CA sur le petrocaribe (31 janvier 2019), l’opération « pays lock » déclenchée par l’opposition politique va mettre en évidence le conflit entre le Président et son PM jusqu’à l’évincement de ce dernier et son remplacement ad intérim  par son ministre de la culture, Jean Michel Lapin, tout de suite après un accord-surprise de 229 M de dollars américains entre l’administration et le FMI, accord gelé après le renvoi du PM Céant. On est donc revenu à la case départ.
Pourquoi avoir choisi d’évincer Céant et déboucher sur le gel de l’accord avec le FMI, avec le WAIT and See de la Communauté Internationale, donc s’enfoncer la tête dans l’eau financièrement, avec le risque de la reprise de la dégringolade de la gourde par rapport au dollar? C’est à croire qu’il était plus important politiquement pour le président Moïse d’étouffer son PM, qui, selon les rumeurs, aurait été de connivence avec une frange de l’opposition pour évincer le Président.  Si cette information s’avérait, il aurait fallu accuser le PM. En tout cas, la position de M. Jean Charles Moïse, affirmant que le renvoi de Céant favoriserait l’unité au sein de l’opposition politique pour aboutir à la « taboula Rasa » semble confirmer cette connivence du PM avec une frange de l’opposition. Toujours est-il que la politique avait pris le pas sur l’économique. Le Président a donc tranché en renvoyant le PM et en hypothéquant l’accord avec le FMI, ne serait-ce que momentanément.
Le mini-sommet géopolitique avec le Président américain, Donald Trump, et d’autres leaders de la Caraïbe dont le Président Medina de la République Dominicaine, semble le conforter politiquement et pourrait avoir des retombées économiques pour Haïti.  Même si les dossiers petrocaribe et de crimes de La Saline ont l’appui de 104 parlementaires américains qui écrivent au Département d’Etat Américain pour mener une enquête sur ces deux dossiers d’Haïti, ils ont même suggéré d’impliquer la commission inter-américaine des droits de l’homme[3] dans cette enquête. Cette nouvelle a encouragé l’opposition radicale à tabler sur le 29 mars 2019, jour du 32e anniversaire de la Constitution de 1987, pour renverser le Président Moïse. Malheureusement, en dépit des efforts de l’opposition en générale et de l’opposition radicale en particulier, les manifestations de rue n’ont pas fait recette, si l’on se réfère aux manifestations récentes, en particulier l’opération « pays lock ».
 En tout cas, aux Gonaïves, le 29 Mars, mises à part quelques écoles, tout a fonctionné. Toutefois, entre L’Etère et St Marc, il y a eu au moins trois barricades enflammées qui ont perturbé la circulation, jamais trop dense dans ces circonstances.  Sur une échelle plus grande, ces traces de pneus enflammés sur la Nationale No 1, remontant aux événements de 6,7,8 juillet, du 17 octobre, du 18 novembre 2018, et du 6-17 février 2019 (« pays lock »), abiment la Nationale No 1, et ces traces de pneus risquent d’abimer davantage les principales artères du pays à la prochaine saison pluvieuse. D’où la nécessité pour l’Etat de procéder à la réparation de ces traces de pneus, conséquences de nos turpitudes politiques.
Parlant de politique, le Président a tenté sans succès de rencontrer l’ex-président Aristide. Rappelons que le parti d’Aristide n’a jamais reconnu l’élection de Jovenel Moïse à la présidence. Maryse Narcisse, la candidate malheureuse du Parti, tenait à rappeler cela au grand public. De là à expliquer le refus d’Aristide de rencontrer Jovenel Moïse, il n’y  a qu’un pas. A ce qu’il parait ce refus ne découragerait pas le Président Moïse, qui, même dans l’impasse, n’entend pas abandonner le processus de dialogue, selon Eric Jean Baptiste du RDNP qu’il a rencontré au Palais National[4].
Il est vrai que toutes ces histoires nous ramènent aux multiples promesses non tenues par le candidat et le Président Moïse. Pour être honnête, aux promesses partiellement tenues, car à deux ans d’une présidence de 5 ans, dans un pays sans le sou où tout est prioritaire, et sans l’appui financier de la communauté internationale, il aurait été difficile sinon impossible de les tenir toutes. Toutes les actions identifiées et chiffrées dans les divers documents n’auraient pas dû être présentées comme des promesses au peuple haïtien par le Président Moïse après sa prise de fonction, car le diagnostic de son premier PM était on ne peut plus clair. Comme suggéré dans le document de synthèse des plans d’action départementaux, le budget national n’aurait pas pu financer toutes les actions prévues, il aurait fallu sélectionner les actions les plus urgentes et entreprendre en partie la mise en œuvre de certaines actions[5], tout au moins les initier, en laissant le soin aux gouvernements à venir de les terminer selon le principe même de la continuité de l’Etat.
Dans cet ordre d’idées, la promesse d’électricité 24/24 en 24 mois aurait dû être évitée, même si le travail effectué par l’ANARSE (Autorité Nationale de régulation du secteur énergétique) aurait permis de penser qu’une telle prouesse pourrait se réaliser si tous les moyens étaient disponibles. C’est cette annonce qui, entre autres choses,  a permis à l’opposition de traiter le Président de « menteur », et qui a incité le peuple à le ridiculiser. Alors que cette même annonce sans fixer un délai de 24 mois, aurait enchanté le grand public, car tout le monde sait que sans électricité, le pays ne pourra pas faire ce bond en avant attendu par tous les haïtiens avec impatience.
Si un pays industrialisé comme la France n’arrive pas à concilier le temps du désir par rapport au temps de réalisation, voire pour la petite Haïti, avec son économie maigrichonne. Il serait nécessaire et indispensable pour nos politiciens de ne plus prendre leur désir pour la réalité et d’éviter de promettre ce qu’ils ne peuvent donner sous peine d’être traités de menteurs par la population. La leçon, il faut toujours se donner d’abord les moyens de sa politique.