HAITI :
DECHOUCAGE, CONFERENCE NATIONALE SOUVERAINE OU ETATS GENERAUX SECTORIELS
DE LA NATION?
JEAN-ROBERT
JEAN-NOEL
31 OCTOBRE
2017
Le mois d’octobre 2017 est marqué par les
manifestations de rue dont l’objectif est désormais le déchoucage du Président
Moïse, c’est la position de l’opposition radicale (LAVALAS et PITIT DESALIN).
Un autre courant plus modéré propose la conférence nationale souveraine comme solution à la crise actuelle. Le
pouvoir parle des états généraux sectoriels de la nation, un des points clés de
l’énoncé de politique générale du Premier Ministre Jack Guy Lafontant. De ces
trois grands courants, lequel sortira triomphant de cette bataille pour prendre
ou garder le pouvoir? Ou va-t-on continuer à nous chamailler pour les
broutilles du pouvoir à des fins personnelles et /ou claniques, sans que notre
pays Haïti soit le tenant et l’aboutissant de toute entreprise de dialogue
inter-haïtien, conférence nationale ou Etats généraux sectoriels?
A- LES FAITS SAILLANTS DU MOIS D’OCTOBRE 2017
Avant d’essayer d’analyser les trois courants, regardons
ensemble, comme à notre habitude, les faits saillants du mois.
Mise à part la nouvelle de la maladie soudaine
du principal leader de l’opposition radicale, Jean-Charles Moïse, qui serait due,
selon Jean Mona Metellus, l’animateur vedette de l’émission INTERSECTION sur
Radio Caraïbe, à l’inhalation de gaz lacrymogène, il y a
deux faits saillants qui deviennent routiniers depuis quelque temps, c’est la
caravane du changement depuis le 1er mai 2017, une stratégie
implémentée par le pouvoir en place pour inciter les acteurs du développement à
travailler en synergie dans un même lieu, beaucoup plus rapidement et avec les
moyens dont ils disposent, et les manifestations de rue depuis le 12 septembre 2017 contre le
budget 2017-2018 dans un premier temps et contre le Président J. Moïse une
semaine plus tard après la publication du budget.
Après l’opération coup de poing de la caravane
du changement au niveau de la Vallée de l’Artibonite, on constate une
augmentation de la production de riz
suite aux travaux réalisés par le ministère de l’agriculture et l’ODVA
dans le cadre de la caravane. Cette constatation est confirmée par un paysan de la Vallée qui se plaigne du manque de travailleurs
pour « battre le riz ». « Le plus gros problème de la Vallée
actuellement, c’est la rareté de main-d’œuvre pour la cueillette du riz»
a déclaré un autre paysan, membre de la Fédération des associations d’irrigants
(FASIVAL). C’est le même constat fait par un gros entrepreneur de la zone, pas
toujours tendre avec la caravane. Au niveau de la Péninsule Sud, les
réalisations varient d’un secteur à l’autre, d’une zone à une autre et d’une
activité à une autre, du bon et du moins
bon.
Un autre
fait routinier c’est la grève sporadique
des greffiers, celle des juges ayant trouvé un dénouement négocié avec
le pouvoir en place. Selon le président de l’association des greffiers, cette
grève touche les 18 juridictions judiciaires du pays. Ce qui paralyse
l’appareil judiciaire dans son ensemble. A quand le dénouement de ce bras de
fer entre le pouvoir et les greffiers ? Dès que les nombreuses
revendications des greffiers seront satisfaites, selon l’un des membres de
cette association, qui a déploré la complaisance des autorités vis-à-vis des
juges, contrairement à eux autres qui ont fait entendre leur voix bien avant
les juges.
L’artisanat en fête a réuni au Parc Canne à
Sucre nos meilleurs artisans. Cette foire annuelle organisée par le journal, Le
Nouvelliste, a été une fois de plus un succès. Cette grande fête culturelle, rehaussée
par la présence du couple présidentiel, a mis en exergue les talents de nos
multiples artisans. Il aurait fallu être là pour comprendre. Aucun reportage,
aussi parfait qu’il puisse être, n’aurait pu traduire correctement la réussite
d’un tel événement culturel. Bravo à Le Nouvelliste !!!
Le rapport de la commission d’éthique et d’anticorruption
du Sénat sur les fonds PETROCARIBE, présidé par le Sénateur Beauplan, est remis,
le 26 Octobre 2017, au Président du Sénat, M. Youri Latortue, qui a présidé
cette commission avant d’être élu à la présidence du Sénat. A la lecture du
résumé exécutif en circulation, on n’a pas l’impression que les choses ont
vraiment évolué. Selon le président de la commission, c’est un rapport
approfondi. Un autre membre de la commission s’est permis d’orienter les
regards vers le Palais National où se
trouveraient les principaux corrompus. Un autre sénateur, proche du pouvoir et
secrétaire de la commission, a dénoncé le rapport. La bataille entre l’opposition
et le pouvoir trouve donc son écho au sein de cette commission qui aurait dû
produire un rapport impartial incluant la gestion de l’administration Privert
dans l’utilisation des fonds PETROCARIBE, d’autant que, à tort ou à raison, l’actuel
commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Me Clamé Ocname Daméus, trop zélé
et dépassant les limites de ses pouvoirs selon certains observateurs, a
distribué des interdictions de départ contre les ex-cadres de BMPAD[1]
qui gère le fonds PETROCARIBE et très récemment contre deux ex-ministres de
cette administration, MM. Yves Romain Bastien de l’économie et des finances et Camille Edouard Junior de la Justice. Comme
le premier rapport produit sous la direction de Youri Latortue, ce rapport s’est
concentré sur les activités de
PETROCARIBE jusqu’en Mars 2016 (Gestion du Premier Ministre Evans Paul).
B- LES OPTIONS SUR LA TABLE
Maintenant, regardons ensemble les trois
options sur la table, le déchoucage, la conférence nationale souveraine et les
états généraux sectoriels de la nation.
1. Déchoucage de Jovenel Moïse
Le déchoucage est notre sport favori à travers
l’histoire depuis le déchoucage du système esclavagiste initié sur cette terre
(un très bon exemple pour l’humanité), en passant par les déchoucages de nos
dirigeants politiques dont le premier est Jean Jacques Dessaline, le
GRAND, et les autres jusqu’à Jean Claude
Duvalier, Aristide en deux occasions. Les tentatives contre Préval, contre
Martelly, sans succès. Actuellement contre J.Moïse. Il faut préciser que les
déchoucages n’ont fait qu’agir négativement sur le développement de notre pays.
Les ote toi que je m’y mette n’ont abouti qu’à remplacer les personnes, en
perpétuant le système mis en place en 1806 après l’assassinat de Dessalines et
de son idéal d’une Haïti profitable à l’ensemble de ses fils et filles. Le système
mis en place en prolongement du système colonial se reproduit jusqu’à aujourd’hui
où il a atteint ses limites. On est actuellement au bord de l’explosion sociale :
tous les indicateurs sont au rouge. Le processus de dégradation a atteint son
apogée. Malheureusement, l’administration actuelle a pris le relais dans cette
conjoncture. Son déchoucage ne mènera à rien, sinon qu’à aggraver la situation
comme cela avait été le cas pour la présidence d’Aristide (2004). Aristide est
parti parce que, selon les apôtres du déchoucage de l’époque, il était le
problème. L’éclaircie du gouvernement de transition n’a pas apporté grand-chose
sinon un renforcement de notre arsenal législatif. Les administrations Préval
et Martelly non plus. La transition de Privert non plus, si ce n’est de compléter
le processus électoral enclenché sous Martelly et qui a abouti aux élus actuels
(Président, Sénateurs, Députés et collectivités territoriales), tel que prévu
par la constitution de 1987, moins les élections directes (stoppées). Veut-on
déboulonner Jovenel Moïse comme l’exigent les manifestants ou l’ensemble des
élus ? Peut-être que la conférence nationale souveraine apporterait une
réponse par rapport à l’option déchoucage qui ne mènera nulle part.
2. Conférence Nationale Souveraine
L’idée de la conférence nationale souveraine a
été promue par le regretté Turnep Delpé. Elle a pris ses origines en Afrique,
Benin (1990)[2],
République Démocratique du Congo (RDC/Zaïre 1990-1992)[3],
Niger[4]
(1991) et Tchad (1993)[5].
Un point commun à toutes ces conférences nationales souveraines, elles ont été
initiées par des régimes dictatoriaux. La mieux organisée a été celle du RDC,
la mieux réussie celle du Bénin.
Si les conférences nationales ont permis de bien
poser les problèmes des pays dans lesquels elles ont été organisées, les
propositions de solutions n’ont pas été correctement appliquées (RDC, Tchad) ou
ont été galvaudées par les politiciens (Niger), sauf au Bénin où le dictateur
Mathieu Kérekou a accepté, à son corps
défendant, la souveraineté de la conférence nationale (Passage de la dictature
à la démocratie), la présidence, la primature, les élections au suffrage
universel, la refonte de la structure étatique. Les élections ont été organisées.
Le 1er août 1991,
Nicéphore Soglo a été élu président de la nouvelle République et 5 ans plus tard, Mathieu Kerekou
est revenu au pouvoir démocratiquement en 1996.
Pour les autres conférences nationales, la situation s’est empirée après
la période d’éclaircie de la conférence. Un seul exemple : Mobutu de la
RDC a dû être renversé quelques années plus tard par Kabila. C’est le fils de
Kabila qui dirige actuellement la RDC. Pour les autres cas, consultez les références
indiquées plus bas et tirez vos propres conclusions.
La conférence nationale souveraine a tout remis
en question dans les pays où elle a été organisée. Dans le cas d’Haïti, qui est
un pays démocratique, remettra-elle en question l’élection du président de la
République, les élections des sénateurs, des députés, des collectivités
territoriales, ou se concentrera-t-elle sur les vrais problèmes du pays relatifs
à l’humain, au social, à l’environnement physique du pays, à l’infrastructurel,
à l’économique/finance et la politique/gouvernance? Si elle remettait en
question totalement ou partiellement les
élections, elle s’apparenterait à une forme de déchoucage en douceur ; si
elle se concentrait sur les vrais problèmes du pays, elle se rapprocherait des
états généraux sectoriels.
3. Etats Généraux Sectoriels de La Nation
A part les annonces faites par le Président Moïse lors de la campagne
électorale et sa déclaration formelle lors de l’investiture du Premier Ministre
Jack Guy Lafontant, on ne connait pas grand-chose sur les états généraux de la
Nation (EGSN). C’est pourquoi nous référons nos lecteurs à un excellent article
du Journal Le National à ce sujet par trois spécialistes haïtiens[6] d’où
nous tirons ce passage : « Aujourd’hui, la situation
socioéconomique et politique du pays est très délicate. C’est pourquoi la
réflexion inscrite dans cet article voulait expliciter à travers cinq interrogations
fondamentales les contours de la tenue des États généraux sectoriels de la
nation. Déterminer avec précision la direction à prendre semble dépendre dans
une large mesure de là où on veut aller. La faisabilité de la tenue des états
généraux est possible si elle est dirigée par une vision globale qui fixe les
objectifs (quoi) et les finalités (pourquoi) et qui prend en compte le degré
d’implication des acteurs (qui), le timing (quand), les moyens matériels,
financiers et humains (comment). L’urgence est de taille. Et pour permettre le
pays de reprendre pied vers le « take-off » économique nécessaire, la
reconstruction du capital humain, la refondation du capital social et la lutte
contre le fléau de la corruption (Voir notre article publié le 2 octobre au
journal le National: ‘’Nécessité de rassembler la nation’’.), la convocation
des EGSN semble être une occasion indispensable et urgente pour la définition
d’une société construite avec du lien social».
En lisant avec attention cet article, il est clair que les états
généraux sectoriels de la nation ne seront pas une partie de plaisir. C’est
quelque chose de très sérieux qui doive répondre aux cinq questions
fondamentales évoquées dans cet article, à savoir : Quoi ? Pourquoi?
Qui ? Quand ?, et Comment?
C- L’ENJEU, « ote toi que je m’y
mette » ou « Haïti d’abord
et avant tout[7] »
Il est plus qu’évident que le déchoucage de nos dirigeants n’a pas donné de résultats
dans le passé et ne peut donner de résultat dans le cadre de ce système qui est
à bout de souffle. C’est une option à écarter, sauf pour les apôtres d’« ote toi que je m’y mette ». Et
quand bien même ils arriveraient à leur fin, cela ne devrait pas durer
longtemps. Au pouvoir, ils n’ont pas su innover, pourquoi en serait-il
autrement cette fois-ci ?
Pour ceux qui veulent la conférence nationale
souveraine, il faudrait y ajouter l’adjectif inclusive ou semi souveraine pourqu’elle ne soit perçue comme une manière
détournée de faire une sorte de coup d’Etat contre l’administration en place.
Comme l’a fait ressortir l’un des adeptes de la conférence nationale
souveraine, il ne participera pas à des Etats Généraux Sectoriels de la Nation
promus par le Président. C’est comme si le mot d’ordre serait conférence
nationale souveraine ou rien. C’est encore une forme de jusqu’auboutisme.
Espérons que l’idée de la conférence nationale souveraine se rapprocherait
beaucoup plus des états généraux du point de vue contenu pour nous éviter le
spectre grimaçant de la désillusion.
Quant aux Etats généraux Sectoriels de la
Nation, qui étaient une promesse électorale du Président de la République, il
faut les orienter vers une finalité très claire : « Haïti d’Abord et avant tout » et ne pas laisser cette
entreprise si noble se transformer en des manœuvres politiques pour le pouvoir.
L’administration actuelle devrait tout tenter pourque cette initiative soit inclusive, chercher la collaboration des
radicaux, des modérés, et de l’ensemble de la majorité silencieuse fatiguée de
tant d’instabilité, et prendre toutes les dispositions pour avoir les moyens
nécessaires à sa réussite la plus totale.
Haïti a besoin de tous ses fils et filles pour
sortir du trou. Toute entreprise pour Haïti ne peut être qu’inclusive et
profitable à tous et à chacun. Dans le cas contraire, ce sera un échec cuisant
qui nous engloutira tous définitivement, avec l’os déchaussé des broutilles du pouvoir dans les mains de
nos politiciens comme seul trophée de notre défaite à tous, au grand dam de
Papa Dessalines qui se retournerait dans sa tombe et nous maudirait d’avoir
galvaudé son précieux héritage.
[6] Wadner ARTHUS, Master II Sciences Politiques Consultant
en politiques publiques ; Jesse JEAN, Ph.D, Expert Consultant
en éducation et développement ; Dequel Jean MERGER, Maîtrise
en Stratégie politique Spécialiste en relations internationales
[7] Le titre de mon ouvrage en
quatre tomes en phase de rédaction (2004
à date : (1) La difficile transition 2004-2007, (ii) la gestion des
catastrophes (2007-2011) , (iii) L’Exacerbation de la bataille des clans
(2011-2016), IV La Nécessité de la grande
concertation nationale 2016-2022)
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