HAITI : BUDGET 2017-2018, PRETEXTE DE DECHOUCAGE OU AMORCE DU PROCESSUS DE DIALOGUE POLITIQUE POUR LE DEVELOPPEMENT ?
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
30 SEPTEMBRE 2017
Le 12 septembre 2017, Haïti a connu
ses premières manifestations violentes depuis le 22 janvier 2016, tout au moins
au niveau de sa capitale, Port-au-Prince. Cette fois-ci, c’était contre le budget 2017-2018 de 144.
2 milliards de gourdes (2.3 Mrds d’USD),
voté haut la main par le Parlement acquis
à la cause du pouvoir en place et malgré le travail d’intoxication de la
minorité parlementaire qui a gagné la bataille médiatique. La mise à feu des véhicules de l’Etat, des privés, la casse
des pare-brises de tous types de véhicules,
de magasins, l’attaque en règle de certains gros intérêts privés, la panique
généralisée, le traumatisme des écoliers, l’affolement des parents pour
récupérer les enfants à l’école, c’est le bilan de cette journée de manifestation
organisée par Jean-Charles Moïse, le leader de « Pitit Desalin ».Heureusement
que, cette fois-ci, il n’y a eu que des dégâts matériels et psychologiques et
non de perte en vie humaine. Du 12 septembre à date, il va y avoir une série de
manifestations contre le budget, entre
temps, publié dans le Moniteur, le journal officiel, et surtout contre le
Président de la République, Jovenel Moïse, qui a été à l’assemblée générale des
Nations Unies délivrer son message où il
a parlé, entre autres, du processus de dialogue entamé avant son départ avec « presque tous les partis politiques »
et qui va continuer jusqu’aux « états
généraux sectoriels », énième fois promis par l’administration en
place. Le budget 2017-2018 est-il un prétexte pour déchouquer le Président Moïse
ou favorise-t-il un processus de dialogue politique en vue de déboucher au
développement durable de notre pays ? Pour répondre à cette double
interrogation, essayons d’analyser la conjoncture en nous basant sur certains
faits susceptibles de jeter un éclairage sur la situation actuelle du pays au
bord d’une nouvelle crise dans la crise quasi permanente après les sept (7)
premiers mois de la présidence de M. Moïse. Rappelons que le coup d’Etat contre
le président Aristide a eu lieu le 30 septembre 1991 après un voyage à l’ONU.
L’origine et la cristallisation des
grognes à partir du budget 2017-2018 comme prétexte
Le 22 janvier 2016, le processus
électoral, entamé en août 2015, a été stoppé net par l’opposition à Martelly
par une manifestation gigantesque avec des pertes en vies humaines, des blessés
et des casses. Jovenel Moïse, classé premier au premier tour de la
présidentielle, n’a pu affronter Jude Célestin, classé 2e, qui a
refusé de participer à cette parodie de « yon sel grenn soulyé »
(d’une seule chaussure), pour répéter le mot du premier ministre d’alors, M.
Evans Paul. Martelly est parti le 7 Février 2016, en négociant son départ et M.
Jocelerme Privert, Président du Sénat, fut élu au second degré par le Parlement
constitué de Sénateurs et Députés élus pour la plupart au premier tour du
processus électoral avorté au niveau présidentiel (second tour) pour cause de
fraudes massives.
L’administration Privert a remplacé
le Conseil Electoral Provisoire (CEP) par un autre selon l’article 289 de la Constitution
de 1987. L’opposition politique à Martelly avait donc tous les atouts en mains
pour diriger le pays et gagner les élections transparentes reprises totalement
aux niveaux présidentiel et local, et partiellement au niveau parlementaire,
après les recommandations de l’évaluation du processus par une commission
indépendante d’évaluation et de vérification électorale (CIEVE). Jovenel Moïse
et son parti PHTK (Parti Haïtien Tèt Kalé) en sont sortis vainqueurs à tous les
niveaux. Un fait marquant mais contesté par l’ancienne opposition à Martelly
(au pouvoir au moment de ces élections) Jovenel Moïse a été élu Président de la
République d’Haïti au premier tour de la Présidentielle et a prêté serment le 7
février 2017 devant le Parlement avec l’absence remarquée des 4 sénateurs de l’opposition
qui ont boycotté la séance sous prétexte de l’inculpation du président indexé
par l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC). A noter que les candidats
Maryse Narcisse (4e ) de LAVALAS , Jean-Charles Moïse ( 3e
) de Pitit Desalin et Jude Célestin ( 2e ) de LAPEH n’ont jamais
accepté leur défaite à ces élections plutôt acceptables organisées par l’administration
Privert et ont contesté la présidence de Jovenel Moïse.
Durant les sept (7) mois de cette
présidence, mises à part les contestations au niveau de l’Arcahaie transformées pour les
besoins de la cause en manifestations périodiques avec casses, pertes en vies
humaines et blocages de la Nationale N0 2, pour cette histoire de relèvement de
Montrouis au rang de commune avec grignotement sur le territoire de l’Arcahaie,
et les grognes suivies de grèves au niveau de l’administration publique (Cour
Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif : CSCCA, OAVCT :
Organisme d’Assurance véhicules contre Tiers,
etc.), au niveau de la justice (Greffiers et Magistrats), au niveau de
la sous-traitance (bataille pour le salaire minimum), le pays semblait reprendre un certain niveau
de fonctionnement normal, malgré la hausse du prix du carburant. L’Arcahaie aurait
donné lieu à une attaque armée sur le cortège présidentiel revenant d’une
visite dans le cadre de la caravane du changement, lancée en grande pompe par M.
Jovenel Moïse, à Lagrange dans l’Artibonite. Et les grognes semblaient
commencer à trouver leur point de convergence avec la hausse du prix de
carburant. Les éléments du puzzle se sont mis petit à petit en place avec une
exploitation politicienne mais intelligente de Moïse Jean-Charles et du
Sénateur Cheramy (Don Kato). Le projet de loi des finances 2017-2018, plus
connu sous le nom du budget 2017-2018, est venu à point nommé pour une exploitation
intelligente (o combien mensongère !) de l’opposition politique qui du
Parlement à la rue a su gagner la bataille médiatique par rapport au pouvoir en
place qui s’est retrouvé sans repères sur la scène médiatique. Il a fallu la
sortie tardive du Président pour redonner un peu de confiance à l’équipe au
pouvoir au bord du chaos après le 12 septembre 2017.
Et puis, le pays, manquant de moyens
selon le judicieux diagnostic fait par le Premier Ministre mais imputant maladroitement
cet état de fait à la seule
administration précédente, n’a pas pu et su créer des emplois temporaires pour
soulager la misère des petites bourses et apaiser la tension sociale au niveau
du pays, malgré le budget 2016-2017 rectifié qui aurait pu être exploité pour
favoriser la rentrée scolaire le 4 septembre 2017. Les tentatives en ce sens ont été un peu tardives et n’ont pas eu une envergure
nationale pour injecter du numéraire dans l’économie. Et cette course folle des
jeunes vers le Chili n’a pas arrangé les choses. On dirait des gens qui ont une
prémonition que quelque chose de grave va arriver à ce pays et qui essaient de
s’en échapper à tout prix. N’est-ce pas Valery Numa ? Le documentaire de
Valery est donc venu à point nommé pour expliquer ce phénomène de migration
vers le Chili.
Face à cette situation d’aggravation
de la crise et son exploitation au niveau de la rue qui exige maintenant le
départ du Président seulement sept (7) mois après sa prise de fonction, il
pourrait s’enorgueillir du succès
relatif de la caravane du changement et de certains aspects positifs du budget
prévoyant le paiement des arriérés pour
les professeurs et l’intégration de la grande majorité dans le système, la
réduction de 15 à 10% de l’impôt locatif sur les propriétés bâties (CFPB)pour
la tranche locative supérieure à 200,000 G, et de certaines mesures d’apaisement
pour atténuer les aspects négatifs comme le relèvement du plancher de 60,000 à
120,000 G/an, le minimum assujetti au paiement de l’impôt sur le revenu, et la
sanctuarisation des 500 millions de gourdes réclamées par les 49 maires qui
avaient fermé leurs portes durant trois jours. Certes ces mairies appartiennent
plutôt à l’opposition politique mais leur
revendication sera profitable à tous les
maires et il y aurait la possibilité de régler le conflit latent entre les
maires et les députés pour la mise en œuvre des actions de développement.
Malgré tout, les aspects négatifs du
budget 2017-2018 semblent avoir la faveur de l’opinion publique.
Le rache mayok ne fait pas l’unanimité
Pourtant le raché mayok, c’est-à-dire
la mise à pied du Président, à partir du budget comme prétexte, ne semble pas
faire l'unanimité, en tout cas pas encore. Dès le départ, la vraie finalité des
manifestations de rue organisées par l’opposition a été la mise à pied du
Président Jovenel Moïse, selon un cadre de Lavalas lors d’une émission de
RAMASE, et Lucien Jura avait relevé cette flèche lancée par ce cadre. Il semble que le Président aurait dérangé de
gros intérêts à partir de ses promesses d’électricité 24/24 en 24 mois, et de
sa lutte annoncée contre la corruption. Avec l’appui en sous-main des représentants
de ces gros intérêts à l’opposition politique, si l’on en croit des sources
proches du pouvoir, une frange de cette opposition aurait mis en place ce
processus de déchoucage. Financement ou pas, il est clair que la finalité
recherchée par cette opposition qui n’a jamais accepté Jovenel Moïse comme
président n’est autre que son déboulonnage (Ref. http://lenouvelliste.com/article/177141/une-manifestation-anti-gouvernementale-emaillee-de-violences).
Et si la bataille pour le budget
favorise l’amorce du processus de dialogue politique
On peut déplorer l’utilisation du
budget comme prétexte pour essayer de déboulonner le président, mais on doit se
mettre d’accord sur le fait que l’intérêt actuel du commun des mortels pour le
budget est une bonne chose. Cette bataille lancée par Kesner Pharel depuis des
lustres semble prendre une autre tournure plutôt positive. Le budget c’est l’affaire de tout le monde.
Pour une famille, c’est la maman, le papa et parfois les enfants en mesure de le faire qui contribuent à l’exécution
du budget familial. Pour un pays comme Haïti,
c’est la même chose. Ce sont les citoyens qui contribuent à financer le budget à partir des taxes et impôts
payés à l’Etat. Un budget traduit en
chiffre les politiques du gouvernement. Combien d’écoles, d’hôpitaux, de
routes, de systèmes d’irrigation, d’eau potable, de mégawatts de courant à
mettre à la disposition de la population, moyennant paiement des services. Pour
cela, le gouvernement s’engage à créer des meilleures conditions pour favoriser
la fourniture des services et la création d’emplois. Quand le gouvernement fait
bien son travail (bonne gouvernance), les gens sont plus enclins à payer leurs taxes et impôts. En Haïti, comme le pays n’a pas tous les
moyens, en plus des taxes et impôts collectés, il est aidé par d’autres pays pour
financer son budget. Aussi simple que cela.
Normalement, chaque citoyen devrait
payer des taxes et impôts en fonction de l’envergure de ses activités. En d’autres
termes, plus on a les moyens, plus on devrait contribuer au financement du
budget. Ce n’est pas le cas en Haïti. Cela a toujours été ainsi, ce n’est pas
cette administration qui en est responsable ; mais c’est une bonne chose
que cette administration soit obligée d’améliorer les choses. Il faut bien
commencer quelque part. Toutefois son renvoi ne résoudra pas pour autant le
problème. Autant trouver avec elle une formule pour ce fameux dialogue
politique pour amorcer le développement de notre pays.
Et Vive Haïti, cette fois-ci, à tout
jamais unie !!!
Avant son départ pour l’ONU, le
Président avait amorcé, à la faveur de la situation politique en lien avec le budget
2017-2018, le dialogue avec presque tous
les partis politiques. A l’ONU, Il a annoncé son intention d’organiser les
états généraux sectoriels. Il a rencontré à son retour la conférence épiscopale
haïtienne (CEH), qui a exhorté les
parties en présence à faire preuve de sagesse. Il a eu une longue séance de
travail avec les maires, il a pris des engagements formels vis-à-vis d’eux. Le
gouvernement a annoncé un certain nombre de mesures pour atténuer les effets
négatifs du budget, en particulier des mesures en faveur des chauffeurs qui ont
programmé deux journées de grève les 2 et 3 octobre 2017. Vont-ils revenir sur
leur mot d’ordre de grève ? Il semblerait que l’administration
Moïse-Lafontant soit pour un budget rectificatif dans un délai pas trop
lointain. Déjà certains arrêtés pris par le pouvoir rectifient les aspects les
plus critiqués du budget. De là à aller vers une grande concertation nationale
pour amorcer le développement du pays, il n’y a qu’un pas. L’opposition
politique, dont l’objectif est de prendre le pouvoir à tout prix y inclus le
raché manyok (une forme de coup d’Etat), serait-elle prête à y prendre part au
cas où la finalité de cette grande concertation ne mettrait pas dans la balance
le renvoi pur et simple de l’administration Moïse-Lafontant ? A cette administration de bien jouer le jeu pourqu’il n’en soit pas ainsi, et à l’opposition
de rentrer dans l’arène de la grande concertation pour le développement sans l’intention
préalable de casser les porcelaines. A l’administration en place et à l’opposition
de penser Haïti d’abord et avant tout !
A nous citoyens et citoyennes de les encourager en ce sens, d’y participer et
de regarder l’avenir avec espoir et confiance ! Et Vive Haïti, cette
fois-ci, à tout jamais unie !!! Dans le cas contraire, il serait possible
que les bottes de l’oncle Sam nous aplatissent tous sans distinction ni exception! C’est
peut-être le souhait profond de la plupart d’entre nous. Qui sait ? Alors
ne soyons plus des nains et soyons les dignes héritiers de notre père
fondateur, Jean-Jacques DESSALINES, le grand !
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