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vendredi 11 juillet 2008

VIE CHERE : ENTRE ROME ET MADRID, HAITI N’A D’YEUX QUE POUR MICHELE

Ce texte peut être diffuse par n'importe quel média qui le juge utile, surtout s'il s'agit d'un média qui le reçoit au même moment de sa sortie sur le blog de l'auteur.

VIE CHÈRE : ENTRE ROME ET MADRID, HAITI N’A D’YEUX QUE POUR MICHELE

Par JEAN ROBERT JEAN-NOEL

Dans mon dernier texte sur la conjoncture haïtienne du 14 juin 2008 (réf. www.jrjean-noel.blogspot.com) , j’ai analysé la situation politique, l’insécurité et la problématique agricole par rapport à la Conférence de Rome sur la crise alimentaire mondiale du 3 au 5 juin 2008. Haïti a été à l’honneur en marge de cette conférence en cette journée du lundi 2 juin qui lui a été consacrée. Au cours de cette journée, il a été décidé, entre autre, d’envoyer une mission inter agence (FAO, FIDA, PAM, BM)[1] du 16 au 28 juin 2008 en Haïti et l’organisation de la conférence de Madrid le 15 juillet 2008 sur Haïti dont le thème définitif retenu est « sécurité alimentaire et développement rural en Haïti[2] ».

Entre temps, après le revers de Robert Manuel à la chambre basse, 2e Premier Ministre désigné par le Président Préval après la déconvenue d’Eric Pierre par la même chambre des députés, en particulier le fameux groupe CPP (concertation des parlementaires progressistes), le Président a pris soin de désigner au poste de Premier Ministre une femme, Mme Michèle D Pierre-Louis. Depuis, tous les médias ne parlent que de Michèle, presse parlée, écrite télévisée et les fora sur internet. Que faut-il en penser ?

L’occultation des problèmes réels du pays

Michèle a déchaîné les passions, délié les langues. Sa vie privée est étalée au grand jour, ses capacités aussi heureusement. Des prises de position pleuvent. Même le Président s’y est mêlé. Une fois de plus, Haïti a fait preuve de son incapacité à se pencher sur ses vrais problèmes : l’aggravation de la vie chère avec l’augmentation des prix du carburant qui va avoir des répercutions sur le coût de la vie et qui pourrait être l’étincelle qui provoquerait l’explosion générale cette fois-ci, la situation de vulnérabilité de notre pays en pleine saison cyclonique, la grande nécessité de trouver des réponses à ces problèmes qui pourraient valoir à notre pays une déchéance encore plus terrible, susceptible de compromettre définitivement son développement, etc., etc.

La priorité au développement d’Haïti

Le débat autour de Michèle a relégué à l’arrière plan la conférence de Madrid, qui pourrait être, si elle était bien préparée par nos responsables, la planche de salut pour notre pays pour redémarrer avec le processus de développement mis en veilleuse depuis avril 2008. Les émeutes de la faim ont empêché la conférence du 25 avril 2008 sur le financement du DSNCRP[3] qui aurait pu permettre à Haïti d’avoir accès à des fonds additionnels de l’ordre de 2 milliards de USD (J. E Alexis, avril 2008). Certes, la conférence de Madrid sur la sécurité alimentaire et le développement rural n’aura pas cette prétention, mais elle permettra à Haïti de se replacer sur l’échiquier international, d’aborder avec sérénité les aspects urgents de la problématique vie chère et jeter, avec ses partenaires de la communauté internationale, les bases pour un redémarrage du processus du développement durable du pays haïtien, ne serait-ce que dans les domaines du développement agricole et rural.

Que peut-on espérer de Madrid ?

Le thème de la conférence en dit long : « Sécurité alimentaire et développement rural en Haïti ». Organisée par l’Espagne et coprésidée par la France et l’Argentine, la conférence de Madrid du 15 juillet 2008, qui réunira la communauté internationale, les bailleurs de fonds et les pays amis autour d’Haïti, devrait déboucher sur une meilleure compréhension des derniers événements qui ont secoué notre pays en avril 2008, sur des engagements financiers vis-à-vis d’Haïti pour l’aider à faire face à la crise de vie chère, à combattre la faim par la distribution de nourriture à plus de 250000 personnes les plus vulnérables, par la création d’emplois dans les domaines d’assainissement, de routes, d’irrigation, de conservation de sol et de l’eau (environnement), etc., et par la relance de la production agricole tant au niveau des terres irriguées (80000 ha) qu’au niveau des montagnes humides, plaines, montagnes et plateaux secs (700000 ha) en saison pluvieuse.

En outre, cette conférence devrait permettre d’harmoniser les diverses initiatives et actions prévues au niveau de la présidence, des ministères de l’agriculture, des travaux publics, de la CNSA[4] et des agences du système des nations unies (SNU). Les besoins d’Haïti en financement pour faire face à cette grave crise devraient aller chercher, à mon humble avis, dans les 500 M de USD sur une période 2 ans et ½, et ce, en dehors des prévisions du DSNCRP. Ce qui permettrait à notre pays de créer plus de 100000 emplois journaliers pour les défavorisés durant cette période et envisager des actions durables pour le développement d’Haïti.

Cette conférence pourrait enfin statuer sur la nouvelle date de la conférence sur le DSNCRP renvoyée sine die en avril 2008 à cause des émeutes de la faim et leurs conséquences sur la situation globale du pays haïtien (instabilité politique, insécurité, coup d’arrêt au processus de développement, etc.).

En guise de conclusion, ce pays a trop de choses sérieuses à faire pour se concentrer uniquement sur les beaux yeux de Michèle D Pierre-Louis, encore que c’aurait été compréhensible. Mais descendre en dessous de sa ceinture, c’est vraiment le comble !

Que ceux-là qui ont réellement contribué au développement de ce petit pays « le plus pauvre de l’hémisphère occidentale » et qui se sentent moralement à point par rapport à eux-mêmes dans leur âme et conscience et par rapport à Haïti « lui jettent la première pierre » !

Sinon regardons ensemble ce que nous pouvons faire pour sortir notre pays du bourbier. Madrid pourra être notre planche de salut pour positionner Haïti comme « le pays modèle » dans la cadre de cette lutte mondiale contre le fléau de la faim. Pourquoi pas ? Haïti fut, selon Jean Généus (Autant en emporte la révolution, 2008), le pays modèle en matière de solidarité par sa « contribution dans la lutte de libération des peuples de l’Amérique latine » dont d’une certaine manière l’Argentine, face aux puissances coloniales européennes d’alors dont l’Espagne et la France. Les trois se mettent ensemble pour organiser la conférence de Madrid, à nous de profiter de leur solidarité actuelle pour le bien être de notre pays au lieu de nous chamailler sur le corps d’une femme de 61 ans. Et si c’était un homme comme on en a eu durant deux cents ans avec toutes sortes de mœurs et à tous les niveaux de l’appareil étatique, on en chuchoterait tout simplement comme on en avait l’habitude.

Laissons Michèle en Paix. Que son sort soit décidé uniquement au regard de la constitution de 1987 et de sa politique générale eu égard au programme proposé pour le développement d’Haïti. Au parlement de prendre objectivement ses responsabilités. Et ensemble regardons momentanément du coté de Madrid en ce 15 juillet 2008.



[1] FAO : organisation des Nations unies pour l’agriculture. FIDA : Fonds international de développement agricole. PAM :Programme alimentaire mondial. BM : Banque Mondiale.

[2] Le terme « souveraineté » alimentaire préalablement choisi a été remplacé par « sécurité » alimentaire. En tout cas, Haïti a intérêt à profiter de cette conférence pour initier des actions pour sa souveraineté alimentaire.

[3] Document Stratégique National pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté, notre nouveau cadre de coopération avec la communauté internationale (CI) qui a remplacé le Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) depuis octobre 2007.

[4] Commission nationale de sécurité alimentaire

jeudi 12 juin 2008

HAITI : VIE CHERE 12 AVRIL-12 JUIN 08 : DES EMEUTES DE LA FAIM A AUJOURD’HUI, LA POLITIQUE, L’INSECURITE ET L’AGRICULTURE

Port-au-Prince, le 14 juin 2008

HAITI : VIE CHERE 12 AVRIL-12 JUIN 08 : DES EMEUTES DE LA FAIM A AUJOURD’HUI, LA POLITIQUE, L’INSECURITE ET L’AGRICULTURE

Par Jean Robert JEAN-NOEL

Depuis le déclanchement de la crise liée à la vie chère (début d’avril 08), les prix n’ont pas cessé d’augmenter, sauf pour le riz. Des mesures annoncées par le Président Préval concernant le riz ont permis de faire passer le sac de 110 lbs de 51 USD à 43 USD temporairement. Par contre, pour les autres produits, les prix n’ont pas suivi. Par exemple, le lundi 2 juin 2008, une marmite de 6 lbs de maïs moulu se vendait à 125 GHT (3 USD environ) au marché de la Croix-des-Bouquets, une ville rurale de la région métropolitaine. En clair, la vie chère se perpétue et s’aggrave même. Mais cette crise est passée au second plan par rapport à la crise politique qui s’envenime suite au renvoi par le Sénat de J.E Alexis. On a également constaté une résurgence du phénomène de kidnapping et un intérêt particulier pour l’agriculture, susceptible, selon les spécialistes de la question, de répondre de manière durable à la crise alimentaire. Ce sont ces trois thématiques qui dominent l’actualité durant la période sous réflexion. Qu’en est-il exactement ? Et quelles solutions ?

Ce dossier 1) analysera la situation politique actuelle en regard de l’histoire haïtienne et de la conjoncture, 2) regardera le phénomène de kidnapping à partir de septembre 2004 jusqu’à maintenant, 3) s’attardera sur la situation de l’agriculture haïtienne par rapport aux réponses envisagées au niveau local et eu égard au Sommet de Rome sur la crise alimentaire mondiale avec un regard particulier sur Haïti[1], et 4) proposera des mesures minimales à arrêter sur les trois thématiques analysées, qui pourraient se lire séparément[2] malgré l’effort de l’auteur de les articuler entre elles et ,en particulier, par rapport à la situation politique.

LA SITUATION POLITIQUE

Haïti a été toujours dominée par la politique depuis sa création en 1804. En 1789, les mots liberté, égalité et fraternité résonnèrent de manière spéciale dans les oreilles des trois catégories d’habitants qui vivaient à St Domingue. La révolution française venait d’injecter le virus de la politique dans les veines de deux des trois catégories d’habitants de cette partie française de l’île de St Domingue. Ces deux catégories allaient fonder 15 ans plus tard dans cette partie de l’île le premier Etat nègre du monde sous le nom d’Haïti. La politique a permis à ces mulâtres et nègres de réussir leur coup d’essai et coup de maître en concrétisant dans le réel la première et la seule révolution d’esclaves de l’histoire mondiale basée sur des valeurs universelles véhiculées par la révolution française. C’était et c’est encore énorme ! Depuis, on essaie de tout résoudre par la politique. Elle prend le pas sur tout. Le peuple haïtien dans son ensemble se passionne pour la chose politique comme si son salut en dépend. Ceci se vérifie ces derniers temps. En effet, malgré la faim qui le tenaille, il reste suspendu à la nomination d’un nouveau Premier Ministre. Tout autre peuple se révolterait face à cette faim, à cette comédie qui se joue au niveau politique et face à ce phénomène de kidnapping qui lui ravit ses meilleurs cerveaux, soit par fuite, soit par assassinat, qui lui ravit ses dernières réserves de capitaux et l’enfonce dans la pauvreté la plus abjecte. Pourtant, mise à part la marche contre le kidnapping du 4 juin 2008, le peuple semble attendre une solution politique à ses problèmes et s’en remet au président, au parlement, et à certaines personnalités de l’ombre comme Alexis.

L’ombre d’Alexis

En effet, selon certains observateurs, Alexis serait devenu, depuis sa destitution par la Sénat, l’homme de l’ombre, qui décide du sort du pays. Il serait le vrai leader du groupe parlementaire, la concertation des parlementaires progressistes (CPP) qui avait décidé, contre toute attente, du sort d’Ericp Pierre. Alexis aurait été chargé par le Président de négocier le sort d’Ericq Pierre. Comme ce dernier n’avait pas eu le vote de la CPP, Alexis aurait été responsable d’un tel échec. Les rumeurs prétendent que Mr Bellerive, le Premier Ministre pressenti mais non désigné, une fois l’aval du Président obtenu se serait rendu immédiatement à la Primature pour obtenir celui du Premier Ministre renvoyé. Actuellement, dans les discussions pour la ratification du remplaçant de Pierre avec la CPP et la plate-forme ESPWA, Alexis semble au centre des débats, demeure jusqu’ici incontournable selon certains observateurs, et serait le seul susceptible de donner une très mince chance à Mr Manuel de traverser l’obstacle parlementaire.

Le coup de théâtre de Préval

Alors qu’il était question de deux autres candidats qui auraient beaucoup plus de chance de passer le cap du parlement, le Président a surpris tout le monde ou presque en faisant le choix de Bob Manuel. Ce choix ne fait pas l’unanimité et plonge le pays dans une sorte d’incertitude et d’attentisme. Au lieu d’améliorer la situation politique, il la complique. L’impression générale est que le Premier Ministre désigné ne va pas passer le cap parlementaire. Toujours est-il que les négociations en coulisse vont bon train et qu’officiellement le Premier Ministre désigné a déposé ses pièces. Il attend le verdict du parlement et « prie[3] ». En effet, le pays a besoin de prière pour s’en sortir, surtout que situation politique aidant, le phénomène de kidnapping refait surface.

LE KIDNAPPING

Depuis 2004, en particulier après le déclanchement de l’ « opération Bagdad » en septembre 2004, une semaine après le passage de la tempête Jeanne qui causa 3000 morts aux Gonaïves et environs, ce phénomène est venu hanter le quotidien du peuple haïtien avec la séquestration des kidnappés dans des « zones de non droits » comme Cité Soleil, Bel Air qui se réclamaient du Président Aristide et qui menaient une forme de résistance contre le gouvernement de transition. Après la prise de pouvoir par le Président Préval en mai 2006, on a enregistré une accalmie de courte durée avant la reprise du phénomène en novembre 2006 qui a obligé les écoles à fermer leurs portes prématurément en décembre de cette même année. Le GOH Préval/Alexis a dû réagir avec force pour contrer le phénomène. Depuis, il s’active ou est activé au gré des circonstances, en particulier quand la situation politique traverse une certaine période d’instabilité comme c’est le cas depuis les « émeutes de la faim » début avril 2008.

La remontée du phénomène liée à la crise politique

Selon l'Organisation des Nations Unies (ONU), le porte-parole Fred Blaise a dénombré un total de 152 enlèvements entre le 1er Janvier et le 31 Mai 2008, a rapporté l'agence de presse Reuters. Le nombre total d'enlèvements pour l'ensemble de 2007 était de 237. A noter que pour cette année on est déjà à 152 au mois de mai 08. Ce qui laisse présager que, si ce rythme se maintenait, on dépasserait largement le chiffre de 300 en fin d’année. Il convient également de noter que de nombreux enlèvements ne sont pas signalés donc ne sont pas connus du grand public et des médias.

Cette situation a tendance à s’aggraver à la faveur de la crise alimentaire mais aussi et surtout à la faveur de la crise politique qui vient se grever sur cette dernière. Les malfaiteurs ont profité de la situation actuelle pour opérer à visière levée et agir en toute impunité et de manière audacieuse et sauvage, les autorités étant occupées à autre chose. Malheureusement, ils sont allés trop loin avec l’assassinat malgré paiement rançon de ce « brillant » adolescent de 16 ans.

L’assassinat d’un innocent, le coup de trop

En ce mois de mai 2008, plus de trente personnes ont été enlevées à Port-au-Prince par des groupes armés réclamant des rançons, selon la police nationale. Ainsi, un écolier de 16 ans a été enlevé, torturé et tué par ses ravisseurs. Tout de suite après, ils ont enlevé cette travailleuse humanitaire canadienne à peine arrivée dans le pays mais qui a eu la chance d’être libérée. Ces deux cas ont été très médiatisés tant sur le plan national qu’international. Celui du jeune adolescent a révolté la conscience haïtienne et provoqué des réactions organisées et institutionnalisées. Un ensemble d’organisations et institutions de la société civile sous la houlette de la « Lutte nationale contre le kidnapping » (LUNACK) ont organisé des séances de travail, un atelier sur la question et la grande marche du 4 juin 2008.

La marche du 4 juin 2008

Des milliers de personnes de toutes les catégories sociales se sont défilées ce mercredi 4 juin 08 à la Capitale haïtienne durant 3 heures de temps contre le kidnapping. Cette marche a été soutenue par l’ensemble du peuple, sauf les malfras. La plupart des membres de la CPP ont payé de leur présence à cette grande marche. D’autres hauts fonctionnaires de l’Etat étaient là aussi en tant que simples citoyens, des responsables de partis politiques et surtout de la société civile. C’était l’une des rares fois où l’on était d’accord sur quelque chose. Cette marche traduisait le ras le bol d’un peuple assoiffé de paix, de liberté, de fraternité et de solidarité. La vraie âme haïtienne était au rendez-vous pour dire non à l’intolérable, à l’inacceptable, et exiger les autorités de ce pays à prendre leurs responsabilités face au kidnapping, et aussi, par delà ce phénomène, face à la gouvernance globale de ce pays pour aboutir à son développement de manière durable et harmonieuse, dont celui de l’agriculture susceptible de résoudre la crise alimentaire à la quelle sont confrontés le peuple haïtien et les autres pauvres de la terre.

L’AGRICULTURE

Depuis ces émeutes de la faim, l’agriculture est redevenue une thématique à la mode. En Haïti, un ensemble de mesures est annoncé par le gouvernement, la communauté internationale, la société civile. Certaines sont en cours. D’autres attendent la mise en place du nouveau gouvernement. Haïti est au centre des débats au niveau des instances internationales. Les bailleurs et agences font, comme en de pareils cas, des promesses et attendent les dossiers de la part du gouvernement haïtien, qui se tarde à être mis en place. Entre temps, les visites au pays sont légion et des initiatives internationales se prennent au nom d’Haïti (Brésil, Espagne, République Dominicaine, ONU, etc.). En tout cas, nos responsables eux s’enfoncent dans une crise politique provoquée soit disant pour résoudre la crise alimentaire (réponse politique du Sénat). Toutefois, une fois n’est pas coutume, l’agriculture, si elle reléguée au troisième plan par rapport à la politique et au kidnapping, n’en reste pas moins une préoccupation majeure.

De Port-au-Prince au Sommet de Rome, l’agriculture au centre des débats

En témoignent les visites à Port-au-Prince du Directeur Général de la FAO, Mr DIOUF et du Président Lula du Brésil, deux personnages clés du sommet de Rome sur la crise alimentaire. Le Sommet de Rome du 3 au 5 juin 2008 est en partie parrainé par l’organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), qui a dressé une liste de 22 pays dont Haïti qui sont particulièrement vulnérables à la faim et à la dépendance des importations de denrées alimentaires et du carburant. Ce sommet, qui a réuni 181pays et 43 chefs d’Etat et de gouvernement, permettrait, à partir des fonds qui seront débloqués, d’aider les pays durement touchés par la crise alimentaire actuelle à assurer le succès des prochaines campagnes agricoles et à garantir leur sécurité alimentaire à plus long terme grâce à des investissements accrus dans l’agriculture et la recherche.

Ce sommet devrait permettre de 1) « revoir les politiques passées », tout en analysant les menaces actuelles liées à la crise alimentaire qui méritent des réponses immédiates en matière de « prix des produits alimentaires » et des réponses à plus long terme pour « l'amélioration de la sécurité alimentaire mondiale », selon le Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki-Moon ;2) « revitaliser l'agriculture - en particulier dans les pays où les gains de productivité ont été faibles », ces dernières années ;3) « trouver des moyens d'appuyer ces initiatives, politiquement et financièrement ».

Ces mesures permettront de a) réduire de 50% le nombre de personnes sous alimentées dans le monde d’ici 2015 ; b) « augmenter de 50% d'ici l'an 2030 la production agricole pour satisfaire la demande croissante ». Une « équipe spéciale de haut niveau » est mise sur pied par le Secrétaire Général le mois dernier pour définir « un cadre global d’action » pour « une compréhension commune tant des problèmes que des solutions » (discours Secrétaire Général NU, Sommet de Rome 3-5 juin 2008).

En marge du Sommet, Haïti a été à l’honneur ce lundi 2 juin 2008 au cours d’une réunion organisée sous l’initiative du Brésil. Au cours de cette réunion, le Ministre de l’Agriculture haïtien, Mr F. Severin a eu à expliquer la situation d’Haïti, « ce qui est certainement une source de grande préoccupation » selon Ban Ki-Moon. « Je suis ici pour manifester et exprimer mon entière solidarité et mon soutien au peuple haïtien » a-t-il affirmé. Les dirigeants des trois agences de Rome étaient aussi présents à cette rencontre, le PAM, la FAO et le FIDA et le Coordonnateur humanitaire de l’ONU qui tous ont assuré Haïti de leur « soutien et coopération ». Mais en finale « C'est le Gouvernement haïtien qui a la responsabilité de remédier à cette crise ».

La demande du Président Préval

Pour faire face à cette crise, un plan a été présenté au Palais National le 12 avril 2008. Par la suite, selon le Miami Herald en date du 3 juin 08 sous la plume de Jacqueline CHARLES « le Président haïtien René Préval veut 60 millions $ en espèces pour aider à amortir le choc de la hausse du carburant et des prix des produits alimentaires en permettant aux Haïtiens pauvres d'acheter du riz, farine, huile de cuisine et autres produits de base à des prix subventionnés. Pour ce faire, il a sollicité directement des dons en argent de la communauté internationale ». Il faut noter que les réponses sont plutôt « maigres » selon un Haut Responsable haïtien.

Les fonds prévus pour Haïti

Au moment du déclanchement de la crise en Haïti et durant les deux derniers mois, plusieurs bailleurs et agences se sont manifestés et ont fait des promesses au gouvernement haïtien (GOH) pour l’aider à faire face à cette situation. Ces promesses prennent la forme de dons en argent, en nature, en assistance technique et en matériels, etc.

Tableau 1 : Fonds prévus pour Haïti.

Pays/Institution

USD

FD direct au GOH

A travers Partenaire

Remarque

Canada

10, 000,000.00

Non

PAM

Pour des vivres à 350000 pers.

Communauté de la Caraïbe

7, 000,000.00

Oui


Don au GOH

France

6, 500,000.00

Non

PAM/FAO

Pr nourriture, intrants et outils

BID

27, 000,000.00

Oui


Décaissement accéléré

USA

45, 000,000.00

Non

USAID/PAM/CRS

/World vision

Aliments et autres pr 2.5 M de pers.

Venezuela[4]


Oui


Tracteurs, Intrants et 40 T de nourriture

Banque mondiale (BM)

10, 000,000.00

Oui


Don au GOH

Total

105, 500,000.00




Sources : Miami Herald du 3 juin 2008

En plus des bailleurs cités ici, d’autres comme le FIDA se sont manifestés et sont prêts à réallouer des fonds en vue du financement des actions orientées vers la résolution de la crise alimentaire de manière durable. Des missions ont été effectuées et prévues en ce sens. L’Union Européenne (UE) s’est également manifestée. On n’est pas en mesure actuellement de fournir l’information sur le montant prévu par l’UE. Il faut souligner que ces fonds n’ont rien à voir avec le Sommet de Rome qui d’ailleurs n’était pas une conférence de levée de fonds.

Les fonds prévus pour faire face à la crise alimentaire mondiale

En effet, le Sommet de Rome n’avait pas prévu de faire une levée de fonds. Mais la plupart des bailleurs et pays présents avaient jugé nécessaire de faire quelques promesses. Car les besoins financiers pour faire face à cette grave crise mondiale sont énormes. On estime les besoins financiers annuels à 30 milliards de USD pour éradiquer le fléau de la faim. La FAO a besoin de « 1,7 milliard de dollars en nouveau financement » pour cette année 2008 ; le PAM de « 755 millions de dollars ».

C’est dans cette perspective que la plupart des donateurs ont promis les montants suivants inscrits dans le tableau 2.


Tableau2 : Financement Promis

Pays/Institution

Montant en USD

Durée

Remarque

Banque Africaine de Développement (BAD)

1, 000, 000,000.00


Multilatérale régionale

Banque Islamique de développement

1, 500, 000,000.00

5 ans

Multilatérale régionale

Banque Mondiale (BM)

1, 200, 000,000.00


Multilatérale

Fonds International de développement agricole (FIDA)

200, 000,000.00


Multilatérale

ONU

100, 000,000.00


Multilatérale

Espagne

773, 000,000.00

4 ans

Bilatérale

France

150, 000,000.00

5 ans

Bilatérale

Japon

150, 000,000.00


Bilatérale

Koweït

100, 000,000.00


Bilatérale

Nouvelle-Zélande

7, 500,000.00


Bilatérale

Pays-Bas

75, 000,000.00


Bilatérale

Royaume-Uni

550, 000,000.00


Bilatérale

Vénézuéla

100, 000,000.00


Bilatérale

Total

5, 905, 500,000.00



Sources combinées

Le montant total des promesses faites au cours du déroulement du sommet se chiffre donc à environ six milliards de USD, soit exactement cinq milliards neuf cent cinq millions cinq cents mille dollars américains (5,905,500,000.00 USD).Il faudrait aussi noter que, selon la lettre du Président Bush du 30 mai 2008[5] au Secrétaire Général de l’ONU, Mr Ban Ki-Moon, un montant additionnel de 770 M de USD est sollicité au Congrès pour l’assistance alimentaire, ce qui porterait à 5 milliards de USD la contribution américaine pour 2008 et 2009.

Le résultat du sommet : « échec total »

Malgré ces promesses de fonds, le sommet de la FAO sur la crise alimentaire serait un « échec total », selon l’ancien rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, dans le cadre d’une interview en date du 6 juin 08 au Journal français, Le Monde.

Selon lui, « l'intérêt privé s'est imposé, au lieu de l'intérêt collectif. Les décisions prises à Rome risquent d'aggraver la faim dans le monde, au lieu de la combattre ». Et les responsables de cet échec sont « D'une part, les Etats-Unis et leurs alliés canadiens et australiens qui ont saboté le sommet en faisant pratiquement la politique de la chaise vide. D'autre part, les grandes sociétés multinationales. Dix sociétés multinationales contrôlent actuellement 80 % du commerce mondial des aliments de base mais elles ne sont pas la Croix-Rouge et ne sont pas en charge de l'intérêt collectif. Troisième responsable, et je le dis avec beaucoup d'inquiétude, c'est le secrétaire général des Nations unies, qui est chargé de faire des propositions. Or, il ne le fait que d'une façon très insuffisante. ».

Pour éviter cet échec, le sommet aurait dû arrêter trois grandes décisions. « Tout d'abord, l'interdiction totale de brûler de la nourriture pour en faire des biocarburants. Ensuite, retirer de la Bourse la fixation des prix des aliments de base, et instaurer un système où le pays producteur négocie directement avec le pays consommateur pour exclure le gain spéculatif. Troisièmement, que les institutions de Bretton Woods, notamment le Fonds monétaire international, donnent la priorité absolue dans les pays les plus pauvres aux investissements dans l'agriculture vivrière, familiale et de subsistance ».

CONCLUSION

Les émeutes de la faim du début d’avril 2008 ont provoqué en Haïti une crise gouvernementale donc politique, ravivé l’insécurité dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince et replacé l’agriculture au centre des débats tant au niveau national qu’au niveau international (une forte contribution d’Haïti à la prise de conscience mondiale par rapport à cette problématique).

Echec ou pas, le sommet de Rome a tenté de poser la problématique alimentaire mondiale et d’y trouver des solutions mêmes insuffisantes, en laissant aux gouvernements nationaux le soin de prendre en charge leur problématique alimentaire respective et spécifique, tout en leur fournissant le soutien et la coopération de la communauté internationale (CI).

Dans le cas d’Haïti, la crise alimentaire a complexifié la situation globale déjà précaire du pays. Ce qui nécessite des solutions à plusieurs problématiques en même temps. Ces solutions ne peuvent venir que des haïtiens et d’eux seuls, naturellement avec l’appui de la communauté internationale. Par rapport à ces trois problématiques analysées dans le cadre de ce document, les solutions sont encore possibles et Haïti dispose de suffisamment d’éléments de solutions pour y faire face.

La crise alimentaire a replacé Haïti au devant de la scène internationale. Si elle a donné un coup terrible à l’image du pays, elle a aussi fait comprendre au monde entier la nécessité de revenir à la politique de la terre et de mettre tout en œuvre pour l’augmentation de la production agricole pour l’éradication du fléau de la faim. En ce sens, Haïti a une carte très sérieuse à jouer afin de se positionner comme « le pays modèle » dans le cadre de la résolution de cette crise. Pour cela, il faudrait :

1) Mettre en place un nouveau gouvernement dans le plus bref délai, la balle est dans le camp des Dirigeants ;

2) Prendre des mesures urgentes et drastiques contre le phénomène du kidnapping, la société civile a indiqué la voie à suivre, à la justice, la police et au parlement de profiter de la conjoncture pour arrêter les mesures qui s’imposent et se donner les moyens appropriés pour éradiquer ce fléau ;

3) Adapter le document stratégique national pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP) par rapport à la nouvelle conjoncture créée par la crise alimentaire et revoir certains accords internationaux en relation avec le DSNCRP (FM, BM) ;

4) Augmenter de manière substantielle le budget du secteur agricole autour de 12 à 15% par rapport à la situation actuelle autour de 4%, en gardant à l’esprit que ce secteur contribue pour 25% à la richesse du pays ;

5) Procéder à des reformes au sein du secteur agricole, en se basant, entre autre, sur la politique agricole en phase finale d’élaboration et sur un plan sérieux de relance de la production agricole susceptible de permettre au pays de réduire sa facture de produits alimentaires importés de moitié d’ici 2011 ;

6) Renforcer la capacité de négociation du pays avec la communauté internationale, en adjoignant à l’équipe gouvernementale des cadres de la société civile tant au niveau interne qu’au niveau de la diaspora haïtienne pour permettre au pays de négocier les meilleurs accords susceptibles de déboucher sur son développement harmonieux.

Si Haïti et ses enfants ne sont pas capables d’arrêter, dans un délai raisonnable, ces mesures minimales, il faudra commencer par s’écarter de « l’option haïtienne de développement » et envisager sérieusement « l’option internationale de développement » pour le pays haïtien en laissant son développement aux bons soins de la CI sans interférences haïtiennes, ou une autre option parmi les quatre envisagées par JR JEAN-NOEL (Réf. La combinaison d’options de développement, la porte de sortie pour Haïti, avril 2004, www.jrjean-noel.blogspot.com ). Ce serait une triste fin pour une épopée si bien commencée d’il y a un peu plus de 204 ans ! A bon entendeur…



[1] La journée du lundi juin 2008 a été consacrée à la situation d’Haïti.

[2] Sauf la conclusion et les recommandations qui sont communes aux trois thématiques traitées.

[3]Malgré sa prière, ce 12 juin à 6h05 PM, R Manuel est rejeté comme Premier Ministre par la chambre des députés.

[4] On n’a pas pu chiffrer la valeur exacte de l’aide du Venezuela.

[5] Soit deux jours avant le Sommet de Rome

lundi 19 mai 2008

HAITI 08 : VIE CHERE, CAUSES, CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES

Port-au-Prince, le 19 mai 2008

HAITI 08 : VIE CHERE, CAUSES, CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES

Par Jean Robert JEAN-NOEL

Le Monde fait face à une crise alimentaire due en grande partie à une hausse quasi généralisée des prix. Cette crise fait la une des médias du monde entier. Elle ne laisse personne indifférent ni les riches qui l’ont créée ni les pauvres qui la subissent et n’ont pas su l’éviter. De Washington à Rome, les responsables des grandes institutions comme la Banque Mondiale (BM), le Fonds Monétaire International (FMI), la FAO, le Programme alimentaire mondiale (PAM), le Fonds International de développement agricole (FIDA) ont fait pour la plupart des déclarations peu orthodoxes et des réactions frisant l’improvisation ou tout au moins la précipitation. Cette crise[1] touche de plein fouet une trentaine de pays dont Haïti avec comme conséquences toutes les casses enregistrées au Cayes, la 3e ville du pays, et à Port-au-Prince, la Capitale d’Haïti, le renvoi du Premier Ministre, Jacques Edouard Alexis, par le groupe des seize (16) sénateurs au niveau du Sénat, le 12 avril 08, et la non acceptation un mois plus tard du Premier Ministre désigné, Ericq Pierre, par le groupe des 53 députés récemment formé au niveau de la chambre basse et dont 51 membres ont voté contre le rapport favorable de la commission de la chambre basse , et ceci, après un vote favorable du Sénat quatre jours plus tôt.

Cette cherté de la vie dont les effets ont favorisé une perception d’Haïti comme le déclencheur de la prise de conscience mondiale en la matière, et sur laquelle se greffe une crise gouvernementale, quelles sont ses causes, ses conséquences, les perspectives qui pourraient en découler et les risques à gérer et à éviter ? Cet article tentera de répondre à ces interrogations, tout en se référant à la masse d’informations largement diffusées au niveau des médias parlés, écrits et télévisés, au dossier de réponse à la cherté de la vie coordonné par la commission Nationale de Sécurité Alimentaire (CNSA), à certains documents comme le DSNCRP, certaines études dont celle de la Fondation Haïtienne pour le développement intégral latino américain et caribéen (FONHDILAC)[2], aux rencontres avec certaines autorités, avec la communauté internationale (CI) basée en Haïti, avec la société civile, et à certains documents publiés sur le blog de l’auteur : www.jrjean-noel.blogspot.com .

LES CAUSES DE LA VIE CHÈRE

Les causes de la cherté de la vie en Haïti sont conjoncturelles tant internes au pays qu’externes, mais aussi et surtout structurelles.

Les causes conjoncturelles externes

Comme décrit au début de cet article, la crise est mondiale. Elle est liée entre autre à cinq facteurs principaux (i) l’augmentation continue du cours du carburant qui a franchi ces derniers temps le seuil historique de 125 USD le baril, (ii) l’augmentation des cours des produits céréaliers en particulier de celui du riz avec une forte demande pour des pays émergeants comme la Chine et l’Inde et des mesures conservatoires de certains grands producteurs mondiaux de riz pour satisfaire leur consommation interne ; (iii) la récession mondiale avec le ralentissement de l’économie américaine dont tributaire celle d’Haïti et celle de la République Dominicaine, surtout en matière des transferts de la diaspora haïtienne très présente dans ces deux pays ;(iv) la situation climatique dans certains pays producteurs de céréales et (v) la concurrence des biocarburants, en particulier de l’éthanol produit à base de maïs, ce qui fait dire à un haut responsable d’une institution mondiale que les riches ont besoin du biocarburant pour remplir le réservoir de leur voiture et les pauvres de la nourriture pour remplir leur estomac.

Les causes conjoncturelles internes

Pour remplir leur estomac, les pauvres d’Haïti se sont rués dans les brancards, parce que certes ils sont manipulés par des forces politiques, de la corruption et de la drogue, mais aussi et surtout parce que leur gouvernement (GOH) s’est contenté depuis deux ans de parler de sa réussite macro économique, du contrôle de la question sécuritaire, de sa lutte contre la corruption plutôt partisane, de ses grands chantiers avec le maillage routier national perdu dans les dédales des procédures de passation de marché , de ses surplus budgétaires non dépensés au niveau micro économique, et surtout parce qu’ils se sont sentis berner par ce GOH qui n’a pas su tenir ses promesses dans le cadre de ce fameux programme d’apaisement social mort-né qui a suscité beaucoup d’espoir mais qui n’a accouché que d’une souris à cause, parait-il, d’une grande incohérence et d’une incompréhension au sein même de l’exécutif et du GOH. Livrés à eux-mêmes dans leur quotidienneté, frustrés par l’indifférence d’un GOH (déficit criant de communication) plus enclin à satisfaire les exigences de la communauté internationale, en particulier les bailleurs qui ne cessent de complimenter Haïti comme l’un des meilleurs élèves dans l’application des accords internationaux, les pauvres des Cayes et de Port-au-Prince, loin d’être les plus vulnérables du pays (réf. Carte de vulnérabilité de CNSA), ont déversé leur frustration sur le secteur privé en particulier et la MINUSTAH, avec à la clef un coup très dur à l’image d’Haïti en reconstruction difficile depuis deux longues années.

Les causes structurelles

Cette réaction des pauvres liée à la cherté de la vie est enracinée dans des causes beaucoup plus structurelles. Depuis Estimé (1946-1950), Haïti n’a jamais pratiqué une politique systématique orientée vers l’agriculture, mises à part quelques éclaircies non soutenues. Ce qui a provoqué une chute continue du poids du secteur agricole par rapport au PIB du pays haïtien jusqu’à sa stabilisation ces dix dernières années autour de 25%. En retour, les GOH successifs n’ont pas su traduire dans le budget de la République les bonnes intentions exprimées dans les discours, mis à part le GOH de transition dans le CCI et la première année du GOH Alexis dans le cadre des huit grands chantiers qui ont consacré environ 10% au secteur agricole. Actuellement, le poids du secteur dans le budget est autour de 3%. Ajoutés à tout cela, la faiblesse caractérisée du Ministère de l’Agriculture et son poids politique négligeable qui font que, depuis 1971 avec l’initiation de la libéralisation économique, et, surtout depuis 1986 avec le choix délibéré de la libéralisation économique, les mesures arrêtées par le GOH pour combattre, justement à l’époque (P.G Magloire), la vie chère ont su se faire à l’encontre du secteur agricole. Les grands projets agricoles financés par la communauté internationale depuis 1950 (dirigisme) et après 1987 avec la systématisation de la participation (approche participative, responsabilisation) jusqu’à aujourd’hui n’ont pas pu provoquer le relèvement du secteur agricole, sauf dans de rares cas trop ponctuels et partiels pour avoir l’impact global souhaité. Dans ces conditions, le secteur agricole n’a pas su répondre aux besoins de la population en terme de production et aussi en termes d’emplois, d’autant que les GOH successifs n’ont pas su ou voulu développer une politique systématique d’emplois orientée vers les plus défavorisés et les plus vulnérables, et ont systématiquement continué ou favorisé leur politique de ponction du monde rural en lui laissant les miettes et en le poussant vers l’exode, ce qui a changé la géographie du pays avec les problématiques bidonvilisation et diaspora (G. Anglade).

LES EFFETS OU CONSÉQUENCES

Toutes les conditions étaient donc réunies pour l’explosion d’avril 2008. ce qui s’est traduit par (i)les casses enregistrées et les pertes énormes sur le plan humain (5 morts et des blessés, sur le plan économique (pertes de dizaines de millions de USD en terme de déchoucage des magasins ) et un sérieux coup à l’image du pays sur le plan international ; (ii) le renvoi de l’ex Premier Ministre Alexis par le Sénat comme solution politique à la crise de la vie chère, alors qu’un mois plus tôt il a eu un vote de confiance de la chambre basse ; à notre humble avis, un remaniement en profondeur du GOH aurait évité l’incertitude politique d’aujourd’hui ;(iii) le renvoi de la conférence de Port-au-Prince sur le DSNCRP, qui aurait pu permettre à Haïti d’avoir accès à des fonds complémentaires d’environ 2 milliards (J.E. Alexis) pour le financement de cette stratégie dont le montant total est estimé à 3.86 milliards de USD (réf. document DSNCRP en circulation) ;(iv) la possible crise gouvernementale qui se dessine par la non acceptation par la chambre basse de Mr Pierre sous prétexte technique d’incohérence (manque de cohésion) dans ses pièces (orthodoxie constitutionnelle), ce vote ,en réalité, politique introduit une nouvelle donne sur l’échiquier politique, forçant désormais les décideurs politique à composer avec cette nouvelle réalité de blocs parlementaires qui n’ont pas de couleur politique (diversité des partis donc non idéologique) ou, tout au moins, n’obéit pas aux directives des partis politiques, donc des forces difficilement contrôlables et susceptibles de versatilité ; (v) la nécessité pour les décideurs haïtiens, en particulier le Président Préval, de continuer à composer toujours avec les partis politiques qui contrôlent une partie du parlement, même minoritaire, au niveau de la chambre basse, ce qui devrait, en principe, compliquer la tâche de l’exécutif et celle des autres acteurs en termes de réponses à la vie chère et à la nouvelle situation politique qui se complexifie.

LES REPONSES/PERSPECTIVES

Face à cette complexité ajoutée à la question clef de la vie chère, un certain nombre d’initiatives est en cours actuellement dans le pays.

(i) Les initiatives du Palais National. Au moment même du vote du Sénat contre J. E Alexis, le Président accompagné du Secrétaire d’Etat à l’Agriculture, Mr Gué, a présenté un plan pour la réduction du prix du riz grâce à une entente avec le secteur privé et un apport en terme d’appui budgétaire au GOH de la CI. Dans ce même ordre d’idées, Mr Gué a présenté un plan de relance de la production agricole en termes de fourniture d’intrants à des prix subventionnés (engrais, semences, pesticides), de crédit, de mise à disposition de tracteurs agricoles, etc.

(ii) Les initiatives déjà en cours. Ces initiatives se maintiennent et se renforcent au niveau surtout des ONG avec une multitude d’actions d’urgence mais aussi durables. Les projets de l’Etat continuent leur petit bonhomme de chemin au niveau du FAES, de PL480, des ministères sectoriels. Il faut noter que la plupart des initiatives visent le moyen et le long terme. Les actions en cours pourraient se situer autour de 2 milliards de USD[3]. Certaines initiatives sont en cours à l’approche de la nouvelle saison cyclonique qui démarrera le 1er juin 08. Il faut souligner que l’ensemble de ces actions qu’elles soient urgentes ou durables mériterait une bonne coordination.

(iii) Le plan de réponse à la vie chère coordonné par la CNSA. Ce dossier de six mois d’un montant global d’environ 6 milliards du GHT s’adresse au plus défavorisés (2500000 personnes) et vise la création d’emplois, l’assistance alimentaire et la relance de la production agricole. Ce programme vient en appui au GOH, son élaboration a démarré sous l’instigation du Premier Ministre Alexis qui a sollicité l’appui de la communauté internationale le jeudi 3 avril 2008 lors d’une réunion spéciale à la Primature. Ce programme attend le prochain gouvernement pour être mis en œuvre.

(iv) La proposition de la FONHDILAC. Suite au plan de relance de la production agricole présenté au Palais National, l’équipe de la FONHDILAC qui, à travers le programme d’assistance technique pour renforcer les associations d’irrigants (PAT-RAI), vient de réaliser une étude diagnostic sur 75 associations d’irrigants (AI) a décidé d’élaborer une note conceptuelle sur un programme de relance de la production agricole sur 70 périmètres irrigués (PI) (32000 ha) appartenant à 35000 familles et éparpillés sur 9 départements. Ce programme de relance vise à 1) améliorer la desserte d’eau sur 70 PI par la réparation des ouvrages essentiels en créant 16650 emplois durant 6 mois, 2) renforcer 70 AI par la formation et un accompagnement de proximité, 3) fournir un appui substantiel à la production par la formation, l’introductions de nouvelles techniques culturales, de nouvelles variétés à haute valeur ajoutée, la mise à disposition d’intrants, de crédit, la transformation et la commercialisation des produits agricoles, etc. Ce programme d’une durée globale de 24 mois se chiffre à environ 50 M USD.

(v) L’attitude favorable de la communauté internationale (CI). Depuis le déclanchement de la crise, la CI ne cesse de manifester ses bonnes intentions vis-à-vis d’Haïti. Le système des nations unies (SNU) sur place fait un travail remarquable de réflexions et de coordination et maintient le contact avec les différents niveaux du système en dehors du pays. Les autres membres de la CI comme les ambassades, les agences bi et multilatérales, les bailleurs de fonds maintiennent informé leur gouvernement, leur siège central. Ce qui a valu à Haïti la visite de certaines personnalités comme le ministre à la coopération de la France, le secrétaire général de l’OEA, le Directeur Général de la FAO pour ne pas les citer. Plusieurs bailleurs, agences et pays ont annoncé leur appui financier à Haïti, BID, UE, BM, FIDA, USA, Canada, etc. C’est à Haïti de faire preuve d’intelligence et de montrer sa capacité de négociation, de gestion, de coordination et d’absorption.

(vi) L’utilisation intelligente du DSNCRP. Le nouveau cadre de coopération avec la CI, le DSNCRP, est en principe accepté par la majorité des acteurs comme le cadre de référence sur lequel va baser le nouveau programme gouvernemental. Ce cadre mérite d’être adapté aux conditions actuelles créées par la crise alimentaire liée à la cherté de la vie. Il faudrait peut-être revoir certains aspects macro économique à la baisse. On laisserait le soin aux économistes haïtiens de guider le GOH dans les négociations sur ces aspects-là. D’un autre coté, il faudrait greffer sur le DSNCR un programme d’urgence et prévoir dans ce cadre un financement pour la grande concertation nationale sur la vision de 25 ans basée sur l’humain, le social/le culturel, l’environnemental, l’infrastructurel, l’économique/finance et la politique avec la possibilité de revisiter la constitution de 1987. La grande concertation nationale devrait trouver des réponses valables à ces grandes questions pour réconcilier le pays avec lui-même et avec l’ensemble de ses fils tant en Haïti que dans la diaspora.

LES RISQUES

Ces réponses et perspectives verraient le jour dans la mesure où Haïti deviendrait véritablement le centre des préoccupations de ses fils qui, au lieu de s’aider comme ils le font jusqu’ici, se mettraient au service de leur pays.

Pour cela, il faudrait à tout prix (i) éviter l’installation de l’instabilité politique par la non mise en place et à temps d’un nouveau GOH, (ii) rester dans les limites imposées à chaque pouvoir de l’Etat, l’exécutif, le législatif et le judiciaire avec une surveillance accrue de la presse et de la société civile tant au niveau urbain que rural, (iii) bien gérer les périodes électorales à venir par le respect par chacun et par chaque entité d’un code d’éthique à établir entre haïtiens, (iv) savoir que les catastrophes naturelles sont des phénomènes récurrents et cycliques et qu’il faudrait prévoir des fonds pour leur gestion, et (iv) éviter le désintérêt de la communauté internationale et , en particulier, de la communauté des bailleurs vis-à-vis d’Haïti.



[1] Même s’il est impropre de parler de crise alimentaire dans le cas d’Haïti. Nous utilisons le mot crise pour faciliter la compréhension du lecteur habitué à ce vocable par la presse tant nationale qu’internationale, qui parle même d’émeutes de la faim. Or dans le cas d’Haïti on ne peut pas encore parler de famine mais de pénurie (J.A. Victor).

[2] Etude de diagnostic de 75 associations d’irrigants (AI) dans le cadre du programmes d’assistance technique pour renforcer les AI (PAT-RAI)

[3] Dans le document en relation avec la conférence de Port-au-Prince du 25 juillet 2006, 1.3 milliards de USD de projets étaient en cours à l’annexe II. Cette conférence a permis au GOH d’avoir des promesses de la CI de750 M USD. Ce qui ferait approximativement 2 milliards de projets en cours actuellement.