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lundi 31 octobre 2016

HAITI, MATTHEW BILAN ET PLAN DE REPONSE (?)

HAITI, MATTHEW BILAN ET PLAN DE REPONSE (?)
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
31 OCTOBRE 2016


Durant tout le mois d’octobre 2016, Haïti était en mode bilan et plan de réponse après le passage de Matthew du 3 au 4 octobre 2016, laissant la politique en filigrane avec les élections reprogrammées pour le 20 Novembre 2016. Chaque institution est allée de son petit bilan. Le ministère de l’agriculture a dégainé le premier, stoppé net par Frantz Duval dans un éditorial mettant en doute les chiffres avancés à chaud. Les enquêtes de terrain, selon une méthodologie établie avec l’appui de la FAO, de la Banque Mondiale, de la BID, sur la base des informations du recensement général agricole (RGA) réalisé en 2009, et en se basant sur l’année 2016 comme ligne de base, ont révélé des pertes et dommages avoisinant 600 M USD ( environ 7% PIB). D’autres institutions tant nationales qu’internationales ont sorti leur bilan partiel qui confirme les chiffres du ministère de l’agriculture. Il faut dire aussi que le ministère avait aussi sorti, à l’interne,  les éléments de son plan de réponse. Mais, souffrant du syndrome de Duval, ils n’ont pas osé publier les informations sur ce plan de réponse, exception faite de l’intervention du ministre Guito Laurore parlant de 2 Mrds HTG pour l’aspect urgence du plan, lors de son passage à l’émission de l’association nationale des médias haïtiens  (ANMH) sur Télé Caraïbe, le 23 Octobre 2016. Entre temps, la plupart des institutions internationales ont lancé leur plan de réponse humanitaire et sollicité l’appui de la communauté internationale pour le financement de leur plan. Ainsi, on dénombre une multitude d’initiatives apparemment sans coordination. Avec l’arrivée de l’aide vénézuélienne, suivie de celle des dominicains après la visite éclair de leur président, M Medina, en Haïti, de celle des colombiens, et de celle des américains, il s’en est suivi un tollé au niveau du pays, alimenté par le Sénat (le groupe minoritaire), par la Cour des Cassations  qui a pris position contre la Présidence de Privert, et ce tollé a culminé par l’interpellation avortée du ministre de l’intérieur, M. Anick Joseph, accusé de mauvaise gestion de la catastrophe. Alors, après le passage de Matthew de catégorie 4, quel bilan et quelle réponse ?  Avant de voir les éléments d’un plan national de réponse, essayons de voir le bilan, en nous basant sur le document officiel du gouvernement haïtien (GOH), intitulé : « Evaluation rapide des dommages et des pertes occasionnés par l’ouragan Matthew et éléments de réflexion pour le relèvement et la reconstruction. »

         A.     BILAN DES DOMMAGES ET PERTES DE MATTHEW

Selon le document produit par le ministère de l’économie et des finances (MEF),  il a été retenu ce qui suit :

       1. Description de la catastrophe.  

L’ouragan Matthew a frappé en Haïti le 4 octobre 2016 en tant qu’ouragan de catégorie 4. Il a touché terre près de la localité de Les Anglais, dans le département du Sud, et a quitté Haïti le lendemain par la côte Nord-Ouest. La vitesse maximale des vents enregistrée a atteint 230km/h, causant de fortes inondations (plus de 600 mm en moins de 24 heures), et des ondes de tempête principalement dans les départements de la Grand ‘Anse, Nippes, Sud, Ouest (en particulier l’Ile de la Gonâve) et Nord-Ouest. On estime une surcote du niveau de la mer de 2 à 3 mètres sur la côte Sud et de 1 à 1,5 mètres dans le Golfe de la Gonâve.  Impact matériel. L’effet combiné du vent, de la submersion marine et des pluies a causé de fortes inondations, des glissements de terrain et la destruction de très nombreuses infrastructures, y compris des édifices publics, hôpitaux, églises, écoles et résidences privées. Les secteurs de l’agriculture et de l’environnement ont été sévèrement touchés, l’ouragan ayant détruit de nombreuses cultures et des écosystèmes naturels. Le réseau routier a également subi des dommages importants à des points stratégiques. En effet, le pont de la rivière Ladigue à Petit Goâve s’est effondré, bloquant la Route Nationale No. 2, le seul accès routier aux départements de la Grand ‘Anse, des Nippes et du Sud. Une grande partie du réseau électrique et du réseau de l’eau potable et de l’assainissement de l’ensemble de la péninsule sud ont aussi subi des dégâts importants.  

Impact humain et réponse d’urgence. A ce jour, le  Gouvernement fait état de 546 morts, 128 disparus, 439 blessés au niveau national. Plus de 175 500 personnes se sont réfugiées dans 224 abris temporaires dans les départements de la Grand-Anse, de Nippes, du Sud et de l’Ouest.   La population en besoin d’assistance humanitaire immédiate s’élève à 1,4 million (12,9% de la population totale du pays). Pour faire face à la situation d’urgence, le gouvernement a lancé avec l’appui des Nations Unies un appel à l’aide humanitaire de 7,9 milliards de gourdes (120 million de dollars américains), pour fournir des secours à 750 000 personnes gravement touchées par l'ouragan. À ce titre, le Gouvernement, avec l’appui des différents partenaires nationaux et internationaux, distribue des produits de base sur les départements atteints. 

Le 17 octobre 2016, le Mécanisme d’Assurance contre le Risque Catastrophique dans la Caraïbe (CCRIF [1]selon les sigles en anglais) a indemnisé le Gouvernement Haïtien à hauteur de 23,4 millions de dollars américains,  dont 20,3 millions de dollars américains dans le cadre de la police d’assurance du Gouvernement Haïtien de protection contre les cyclones et 3,02 million de dollars américains dans le cadre de sa police d’assurance contre la pluviométries excessive. Ce paiement apporte au Gouvernement des liquidités immédiates pour financer les besoins les plus pressants. 
   
 2. Evaluation des dommages et des pertes dus à la catastrophe 

 Sur la base de l’évaluation rapide dans chaque secteur conduite par les équipes des ministères sectoriels, l’ouragan Matthew aurait occasionné des pertes et des dommages à hauteur de 124,8 milliards de Gourdes (1,9 milliards de dollars américains), soit 22 % du PIB. La plupart des dommages et des pertes ont été subis par les secteurs sociaux, tels que logement, éducation et santé (41%) et les secteurs productifs, tels qu’agriculture et commerce (41%), suivi de l’infrastructure (18%), et du tourisme et de l’environnement (moins d’un pour cent). Le secteur privé a enregistré la plus grande partie des dommages et pertes (80%). 

Il faut donc souligner que le passage de MATTHEW sur Haïti a causé des dommages et pertes correspondant à 22% du PIB, dont 7% au niveau du secteur agricole ((603.8 M USD). En comparaison, les dommages et pertes du tremblement de terre de 2010  avoisinaient 120% du PIB de 2009. La réponse du Gouvernement exprimée par le plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti (PARDNH) se chiffrait à 34.5 Mrds USD en vue de faire d’Haïti « un pays émergent à l’horizon 2030 ». Elle a été axée sur (i) la refondation sociale,(ii) la refondation territoriale, (iii) la refondation économique et  (iv) la refondation institutionnelle. Ce plan de réponse qui a englobé tous les autres plans n’a pas vraiment dépassé la phase de relèvement. Modifié par l’administration Martelly en Plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH), tout en conservant les quatre grands axes, personne n’a pu nous dire si le PSDH en a été une application partielle ou une réelle modification. En tout cas, il est impératif d’y revenir dans le cadre de ce plan de réponse à Matthew.

B.      PLAN DE REPONSE A MATHEW

Impacts macro-économique et social
Matthew aura des impacts macro-économique et social, avec un ralentissement de la croissance. Sur le plan social, l’ouragan est venu aggraver une situation déjà précaire au niveau des départements frappés, avec « une population en moyenne plus pauvre que la moyenne nationale. Par ailleurs, la forte concentration des ménages pauvres autour de la ligne de pauvreté extrême laisse présager un fort risque pour ces ménages de tomber dans la pauvreté extrême.» Insiste le document du MEF. De plus, avec les dommages et pertes enregistrés dans le secteur agricole, la situation de la sécurité alimentaire risque de s’aggraver aussi, sans oublier les risques d’exode vers Port-au-Prince, l’exacerbation « des problèmes de malnutrition et de retard de croissance des plus jeunes, ainsi que leur vulnérabilité aux maladies ». Pour atténuer  ces risques et menaces, il faudrait rapidement venir avec ce plan de réponse national avec ses trois phases, urgence, relèvement et reconstruction/ développement. Ce plan de relèvement et de reconstruction devrait mobiliser  des ressources financières substantielles tant au niveau interne qu’externe.

     Eléments de réflexions
Voici ce que propose, le document du MEF en termes d’éléments de réflexions : « Dans ce contexte, il est impératif dans un premier temps d’identifier les possibilités de réallouer les ressources financières existantes, tant au sein du budget de l’Etat que dans le cadre des programmes d’appui des partenaires et d’opérer ces réallocations le plus rapidement possible. Ces ressources, y compris les décaissements du CCRIF, constituent la première ligne de défense parce qu’elles sont immédiatement disponibles. Il est important de capitaliser sur les outils et les initiatives existantes, et recommandé de concentrer les investissements sur un nombre limité d’activités : i) la mise en place de mesures visant à freiner l’insécurité alimentaire et à soutenir les moyens d’existence en milieu rural; ii) le rétablissement des services de base (santé, éducation) ; iii) la création d’emploi et la stimulation de revenus à très court terme et iv) la stabilisation des infrastructures fragilisées ; et v) la gestion des risques d’urbanisation non maitrisée, ceci en privilégiant les zones rurales et en ancrant les efforts de relèvement dans une perspective de développement. Dans un second temps, des ressources additionnelles doivent être mobilisées et un cadre de relèvement élaboré, pour la reconstruction, et le développement. Les résultats présentés dans ce rapport pourront faire l’objet de discussions plus approfondies dans ce contexte. » Ces éléments de réflexions rejoignent en quelque sorte les conclusions de mon article du mois de septembre 2016, publié le 9 octobre, soit 5 jours après le passage de Matthew  (Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2016/10/haiti-le-vrai-debat.html ). Mais, pour faciliter les choses, le GOH aurait dû déclarer l’état d’urgence.

Dans ce même ordre de réflexions, le Plan national de réponse devrait englober l’ensemble des plans ou éléments de plans déjà réalisés, couvrir l’ensemble du pays avec accent particulier sur les départements touchés par Matthew , tenir compte des aspects de déconcentration et de décentralisation, et se référer (i) au plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti de 34.50 Mrds USD (PARDH 2010-2030), (ii) au cadre budgétaire du ministère de l’agriculture basé sur les cinq (5) châteaux d’eau du pays dont celui du Grand Sud qui desserve trois départements (Sud, Grand-Anse et Nippes), (iii) aux six (6) capitaux humain, social, environnemental, infrastructurel, économique/financier et institutionnel (gouvernance), (iv) aux objectifs de Développement Durable (ODD), (v) aux divers documents de référence produits sur Haïti et/ou par Haïti, Comité interministériel  de l’aménagement du territoire (CIAT), Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle (GRAHN-Monde/Haïti), Fondation Haïtienne pour le Développement Intégral Latino-Américain et Caribéen (FONHDILAC), etc. Comme je l’ai expliqué dans mon dernier article, « Haïti est un pays développé sur le papier ». Pour cette raison, il faudra inventorier l’ensemble des propositions sur Haïti pour en tirer les éléments les plus pertinents en vue de produire le plan national  de réponse ou Plan Stratégique de Développement d’Haïti (PSDH 2016-2040).

Plan National de réponse ou PSDH 2016-2040
Le Plan Stratégique de développement d’Haïti (PSDH 2016-2040) devra être un plan de 100 Mrds USD déclinés en plans quinquennaux de 20 Mrds USD et en plan annuel de 4 Mrds USD. Les plans des secteurs seront pris en compte dans le plan global. A titre d’exemple, pour le secteur  agricole, qui est le pilier de la croissance ou déclaré locomotive de la croissance, il faudrait lui accorder 10% du budget, soit environ 2 Mrds USD sur 5 ans, si on voulait arriver à une vraie relance du secteur sur cette période. Rapidement, pour éviter tout malentendu, il faut expliquer que les investissements dans le secteur ne seront pas tous  gérés par le ministère de l’agriculture comme on a tendance à le croire, mais son rôle se limitera, entre autre, à une coordination, désormais sérieuse, de l'ensemble des actions y relatives.  Il en sera de même pour les autres ministères et les secteurs y relatifs. 

       C.      CONCLUSIONS 

Il était temps que le GOH sorte quelque chose. Le  document du GOH est  assez sérieux,  avec une estimation des pertes et dommages  à 22% du PIB. On est certes en présence d’une situation catastrophique mais très loin de ce qu’on a vécu avec le tremblement de 2010 dont les dégâts ont été estimés  à 120% du PIB. 

La réponse du GOH en terme de plan global tarde à venir. C’est pourquoi nous avons essayé de fournir quelques pistes à nos décideurs pour une réponse plus globale, s’inspirant des documents existant. Ces éléments de réflexions dont la plupart viennent de notre expérience de terrain, des résultats obtenus à échelle réduite, des observations sur les divers plans concoctés et  appliqués de manière partielle jusqu’ici, pourront faciliter l'élaboration du nouveau PSDH.

Dans le passé, on a constaté que la mise en application des plans se concentrait  surtout sur l’aspect urgence et  certains éléments de l’aspect relèvement et de reconstruction. Mais, on n’a jamais eu cette impression qu’il y ait eu un souci de la part de nos décideurs de mettre en application, de manière globale, les plans élaborés avec l’appui de la communauté internationale.

C’est pourquoi nous insistons pour un plan consensuel qui tienne compte de la problématique haïtienne dans son ensemble avec un accent particulier sur les départements touchés. Cette démarche permettra  aux départements non touchés de produire davantage en vue de satisfaire leurs besoins et de venir en aide aux départements touchés.

Les éléments du nouveau PSDH de 100 Mrds sur 25 ans, déclinés en plans quinquennaux, devraient permettre d’avoir une croissance soutenue et un développement harmonieux du pays, si, au niveau politique, on arrivait à nous entendre sur ce minimum, en basant notre développement sur les cinq (5) châteaux du pays, dont celui du grand sud allant du Plateau de Rochelois (Paillant) jusqu’au Pic Macaya (Massif de la Haute). Cette nouvelle vision du développement, esquissée par le ministère de l’agriculture et  basée sur les cinq (5) pôles de croissance et de développement  à renforcer et à ériger  au niveau des cinq (5) châteaux d’eau, devrait être l’élément clé de ce plan de réponse. On espère que les élections programmées auront vraiment lieu, le 20 novembre 2016, et que nos autorités issues de ces élections accordent la plus haute importance à ces réflexions et au plan qui en sera issu et qu’elles trouvent un consensus pour l’appliquer de manière intégrale et non partielle comme par le passé. Tout d’abord, ces éléments de réflexions seront-ils pris en compte dans le plan de réponse à Matthew? Il faut l’espérer, à la manière de nos jeunes sélections nationales de football (U 17 et U 20) qui deviennent, à force de volonté et du travail bien fait, les championnes de la Caraïbe. Pourquoi pas notre pays un jour en matière de développement ???



[1]Le CCRIF est une compagnie d’assurance contrôlée, opérée et localisée dans les Caraïbes. Il fut développé sous le leadership technique de la Banque mondiale et avec une donation du Gouvernement Japonais. Il fut capitalisé au travers de contributions à un Fonds Multi-Donnant du Gouvernement du Canada, de l’Union Européenne, la Banque mondiale, les Gouvernements du Royaume-Uni, France, la Banque de Développement des Caraïbes et le Gouvernement d’ Irlande et des Bermudes ainsi qu’au travers des cotisations de membres payées par les gouvernements qui participent à l’initiative.   











lundi 10 octobre 2016

HAITI, LE VRAI DEBAT (?)

HAITI, LE VRAI DEBAT (?)

JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
9 OCTOBRE 2016
Revu le 14 OCTOBRE 2016

Haïti était en mode élection. La campagne électorale battait son plein. Les candidats sillonnaient le pays pour vendre leur programme. Les meetings  se faisaient pour la plupart dans une atmosphère d’intolérance. Normal, puisqu’on est en Haïti ! Cela ne devrait pas. Le pays était en mode débat aussi. Télé Soleil s’est concentré sur les sénatoriales. D’autres médias sur la présidentielle avec l’aide de la société civile et du secteur privé. Un premier débat a opposé Edmonde Supplice Beauzile, Jean-Henry Céant, Jude Célestin, Jean-Charles Moïse et Jovenel Moïse, les candidats les plus en vus, moins Mme Maryse Narcisse de LAVALAS. L’arrêt 168-13 du 23 septembre 2013, qui dénationalise les dominicains d’ascendance haïtienne en majeure partie, et qui, 3 ans plus tard, est encore objet de débat et n’apporte pas de solution à ce problème d’apatridie malgré certaines mesures adoptées par le gouvernement dominicain face à la levée de boucliers au niveau international. Ajoutée à tout cela, la décision du Pdt Obama de reprendre le rapatriement des haïtiens non en règle avec l’immigration américaine. Les dispositions prises par l’administration Privert pour recevoir les rapatriés haïtiens attendent d’être mises en application. Le débat autour de la loi sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme aboutit au vote du Sénat après celui de la chambre basse. Le festival avorté des homosexuels, « le Massimadi » (massissi, madivine, des mots tabous dans le langage des biens pensants haïtiens), a été l’objet d’un débat intense sur l’homosexualité en Haïti, a failli couter son poste au commissaire Danton Léger et fait percevoir cette décision rapportée de l’administration actuelle comme une prise de position en faveur des homosexuels. Jean Charles Moïse et Jude Célestin avec son alliance avec Eric Jean-Baptiste  ont fait du départ de la MINUSTAH un thème de campagne, ce qui a poussé le Président Privert à proposer à l’assemblée annuelle des Nations Unies le départ de la MINUSTAH d’Haïti pour 2017. Enfin, le grand débat c’est aussi et surtout  autour du passage du cyclone Matthew de catégorie 4 sur l’échelle Saphir-Simson qui en compte 5 et la vulnérabilité d’Haïti avec son bilan partiel très lourd et le renvoi des élections sine die. D’où le titre de notre article : «Haïti, le vrai débat?»

Le bilan partiel du passage de Matthew
Le journaliste/politicien, Clarens Renois, a rapporté un bilan partiel du passage de Matthew en Haïti sur Facebook en ces termes : « véritable catastrophe pour Haïti. Le dernier bilan partiel : 122 morts, 2 disparus et 91 blessés, 115.000 familles sinistrées, 500 maisons complètement détruites, 25.000 fortement endommagées. Il faut ajouter les 178 établissements scolaires endommagés sans compter les fermes et plantations ravagées. Les dégâts sont énormes, les pertes inimaginables. Le sud et la Grand-Anse sont balayés. Le pays est meurtri, malade au cœur et au corps... ».

 Selon le Figaro, un journal Français : « Le dernier bilan établi à partir des chiffres fournis par les équipes de la Protection civile sur le terrain s'élève précisément à 877 morts, mais l'agence centrale, qui met plus de temps à rassembler les informations, parle pour le moment de 271 morts et de 61.500 sans-abri. Le gouvernement avait évalué jeudi à 350.000 le nombre de sinistrés ayant besoin d'une aide immédiate ».

Les premières images sur le grand Sud montrent la dévastation de la région sous les rafales et les bourrasques de plus de 200 km/h et des pluies diluviennes de plus de 300 mm. Les arbres sont déracinés, la couverture végétale et forestière au niveau de cette région s’est pratiquement envolée comme les toits de la majorité des maisons en tôles. Valery Numa a expliqué que la zone de Camp-Perrin est totalement dévastée, églises, hôtels, maisons, arbres, plantations, bétails. D’autres sources ont parlé de possibilité de famine dans les prochains jours. Les Nippes et la région des palmes ont subi de sérieux dégâts matériels. Pour le grand Sud, le pont sur la rivière La Digue à l’entrée de Petit Goâve est coupé, le pont sur la ravine du Sud également. Les routes menant sur la côte sud de torbeck à Tiburon en passant par Port Salut, les Coteaux, Roche à Bateau, Port-à-Piment, Chardonnières, les Anglais, cette petite ville sur laquelle l’œil de Mathieu a touché terre à 7 h AM, ce 4 Octobre 2016, sont gravement endommagées. Il faut rappeler que la route nationale desservant cette sous-région côtoie la mer et est traversée par de nombreuses rivières. De l’autre côté, de Camp-Perrin à  les Irois en passant par Roseaux, Jérémie, Dame Marie, Anse-D’Ainault, etc., la route en construction jusqu’à Jérémie, la route en terre prolongée jusqu’à les Irois, subissent les mêmes assauts avec la seule différence, elle est moins exposée aux marées hautes mais aux éboulements/glissements de terrains. La communication téléphonique étant encore coupée au niveau de certaines zones, on a une idée très partielle de l’ampleur des dégâts et des pertes (évaluation en cours au niveau des départements touchés).

On sait que l’Ouest à l’Est et au nord de Port-au-Prince n’a pas été très exposé, exception de Kenscoff si l’on en croit au bilan partiel présenté par le maire de cette ville. Mais les rafales de vent, l’abondante pluie (environ 250 mm en 24 heures, selon Agr. PG LAFONTANT) ont causé des dégâts à partir de la chute des arbres et des inondations au niveau de toutes les villes (chutes d’arbres), en particulier à Tabarre, Cité Soleil , Croix-des-Bouquets, Ganthier, Thomazeau (inondations) ; par contre l’Ile de la Gonâve a été durement frappée parce que très exposée.

Pour l’Artibonite, selon Télé Papillon, c’est la marée haute qui a provoqué des dégâts au niveau du Warf des Gonaïves. Les zones situées au niveau de la mer, qui sont habituellement inondées, le sont à nouveau, mais rien de grave. Par contre au niveau de Coridon, les marais salants sont inondés en partie.

Pour le Nord-Ouest, très exposé à Matthew, la situation était assez inquiétante au niveau de Baie de Henne, Bonbadopolis, Môle Saint Nicolas, Ile de La Tortue, Port-de-Paix, Saint Louis du Nord, Anse-à-Foleur, des villes côtières subissant les assauts de la mer, de la pluie et du vent. Mais, jusqu’à date, les informations font état d’une situation préoccupante. En tout cas, aucune commune mesure par rapport au grand Sud.

LE VRAI DEBAT, C’EST HAÏTI

Le vrai débat est maintenant sur Haïti. 2016 avec Matthew est plus catastrophique que 1954 avec Hazel. Que faire pour éviter une autre catastrophe plus grave dans les 60 prochaines années?

Un pays vulnérable à tous les points de vue
Haïti est un pays vulnérable à tous les points de vue, les ressources humaines exposées à des problèmes de santé avec une espérance de vie autour de 60 ans, pas bien éduquées avec une fuite énorme des cerveaux, mal organisées socialement, vivant dans un environnement physique dégradé et insalubre et mal aménagé, dans des infrastructures non normalisées et insuffisantes, avec une économie rachitique malgré des ressources en sous-sol estimée à plus de 100 trillions de USD et gangrénée de corruption, et dans un système politique non adapté organisé autour d’une gouvernance au petit bonheur tant au niveau national, déconcentré et décentralisé (?). En résumé, (i) la capital humain sans soins adéquats, (ii) le capital social non organisé, (iii) le capital environnemental vulnérable et non aménagé, (iv) le capital infrastructurel non normalisé et très insuffisant, (v) le capital économique/financier rachitique et  (vi) le capital politique galvaudé et prédateur.

Notre vulnérabilité à la base des dégâts et pertes subis
On comprend pourquoi les menaces et les risques sont si grands quand une catastrophe naturelle survient, en particulier, tremblement de terre et cyclones. En effet, Haïti a connu de grands cyclones qui ont marqué les esprits, Inès, Flora, David, Gordon, Jeanne 2004 (destruction de la ville des Gonaïves, 3000 morts), les 4 cyclones de 2008, Gonaïves, une fois de plus très gravement endommagée avec moins de pertes en vies humaines, environ 700 morts cette fois-ci). Ce ne sont pas des ouragans pour la grande majorité. Très souvent, c’étaient des tempêtes tropicales. Si ma mémoire est bonne, Matthew est le seul cyclone de catégorie 4 ayant traversé Haïti. Les autres étaient de catégorie inférieure ou étaient tout simplement des tempêtes. C’est notre vulnérabilité qui est à la base des dégâts et pertes subis.

Les leçons tirées
Pour la plupart, on a tiré des leçons qui nous sont utiles, même dans le cas actuel. Certes, le bilan est partiel et déjà très lourd. On a enregistré beaucoup de pertes matérielles, mais de moins en moins de pertes en vies humaines. Gonaïves se développe différemment au niveau des plateaux et des piedmonts, les maisons sont à étage, le réseau de drainage est plus dense, les drains de ceinture sont de plus grande capacité, la rivière La Quinte a une capacité 10 fois supérieure, Pont Mapou et Pont Gaudin ont été reconstruits pour favoriser l’écoulement de 1000 m3/s, les berges ont été renforcées, très certainement pas assez, mais elles tiennent jusqu’à présent. Des interventions ont été éparpillées sur les 70000 ha du bassin versant, trop minimes certes, mais réalisées quand même. Des solutions ont été proposées par une équipe de techniciens haïtiens des ministères de l’agriculture, de l’environnement, des travaux publics, de l’intérieur, coordonnée par Ing Jean-Robert JEAN-NOEL, et partiellement appliquées par manque de volonté politique. Elles peuvent servir de modèle pour d’autres régions du pays (Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2009/06/haiti-gonaives-des-solutions-la-mesure.html ). La Direction des infrastructures agricoles du ministère de l’agriculture a répliqué partiellement ce modèle sur la Ville de Cabaret, de Jacmel, de Léogane avec un certain succès car certaines composantes essentielles n’ont pas été prises en compte faute de moyens financiers et de manque de volonté politique (vision et planification). Il faut aller au-delà de ces cas d’espèces, tenir compte des petites expériences réussies liées à la mise en défens, l’exploitation des forêts énergétiques dans certaines zones du pays (Nippes, Sud), la mise en place des retenues collinaires et leur exploitation, la généralisation des cas de réussite au niveau d’une commune, d’un département, d’une région et du pays. D’où la nécessité de se départir de la politique politicienne.

La prédominance de la politique politicienne
Depuis la mort de Dessalines, les politiciens ne font que se battre pour la prise du pouvoir personnel. La plupart, plutôt minime, imprégnés de la notion pays, ont lié leurs intérêts personnels ou de clans à ceux du pays. Ce qui nous a donné des moments de développement. Mais, comme les intérêts des clans ont été toujours plus importants que ceux du pays, il s’ensuit un mal développement du pays qui tire insuffisamment encore profit en matière touristique de la politique de fortification initiée par Dessalines, continuée par Christophe et Pétion et clôturée par Boyer. La construction de certains ouvrages utiles comme des ponts sous le gouvernement d’Hyppolite, d’institutions financières sous Salomon, de développement urbain sous le Gouvernement d’Antoine Simon, de gouvernance sous l’occupation américaine (centralisation), réorganisation de l’armée, mise en place d’infrastructures de gouvernance, Palais National, palais des ministères, palais judiciaire, conception et mis en place des grands ouvrages de développement d’électricité, barrages d’irrigation, politique de développement urbain et routier (Estimé, Magloire, Duvalier)  adoquinage de rues au niveau des grandes et petites villes et application partielle des divers plans de développement avec l’appui de la communauté internationale (Duvalier Fils, Aristide, Préval, les divers gouvernements de transition, Martelly ). Il faut noter que, ces derniers temps, Haïti a été victime de l’exacerbation de la bataille des clans avec la mise en application de slogans politiques, transformés à la va-vite en des programmes politiques non liés, en grande partie, aux plans existants et mal appliqués une fois nos politiciens au pouvoir. C’est un peu le cas pour ces élections interrompues, en termes de programmes s’entend (nécessité de combiner ces divers programmes en un seul pour Haïti par celui qui aurait gagné). Quant aux divers plans de développement depuis la démocratisation, Haïti est sur le papier un pays développé, mais la réalité est un mal développement, un non développement, dû en particulier à une absence et/ou manque d’application des rares politiques publiques clairement définies.

EN GUISE DE CONCLUSION

Heureusement, il existe dans les tiroirs plusieurs documents qui, une fois remaniés, adaptés, combinés avec certains éléments de programmes de nos prétendants actuels au pouvoir suprême et adoptés par l’ensemble des acteurs du développement, devraient contribuer au développement harmonieux du pays. Pour cela, il faudrait suspendre la bataille des clans, organiser la grande concertation nationale avec pour finalité le vrai plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH) basé sur les objectifs de développement durable (ODD 2016-2030), sur les cinq (5) châteaux d'eau du pays et sur les six (6) capitaux, et sa mise en application par les gouvernements successifs sur une période de 25 ans et plus.

Pour y arriver, il faudra commencer par prendre conscience de cette grande vulnérabilité du pays qui vient d’être mise à nue par le passage de Matthew. Les départements affectés par cette catastrophe nécessitent un traitement à trois niveaux : urgence, relèvement et développement. Parallèlement, il faut continuer avec le processus électoral en identifiant les endroits où placer les bureaux électoraux et les centres de vote dans les départements affectés, ne serait-ce que sous des tentes.

Pour la partie d’urgence du plan d’une durée de  six (6) mois, il faudrait (i) des kits de première nécessité (pain, bonbon, fruit, fromage, eau, boite de sardine, nourriture crue pour une quinzaine de jours au moins, flash, allumette, etc.), (ii) le retour des déplacés dans leur résidence ou de l’endroit qui y tient lieu, (iii) une évaluation exacte de la situation, (iv) la réparation des voies de communication (routes, pistes), (v) le rétablissement des communications téléphoniques, (vi) l’auto réparation des maisonnettes moyennant mise à disposition de matériaux et de matériels (tôles, bois, clous, marteaux, etc.), (vii) la réparation et curage des systèmes d’irrigation et remise en eau, (viii) la mise à disposition des kits de semences, des kits médicaux si nécessaire et cliniques mobiles,(ix) les études pour réparation et réhabilitation des infrastructures (écoles, dispensaires, centres de santé, hôpitaux, églises, etc.) ; la mise en place de certaines actions sous forme d’essais. Certaines recommandations faites au Gouvernement de Transition Alexandre-Latortue lors du passage de Jeanne aux Gonaïves en 2004 peuvent être appliquées et adaptées aux circonstances actuelles (réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2008/09/inondation-aux-gonaives-et-autres-zones.html ). Pour cette phase, il faudra au minimum créer 400,000 Personnes-mois (P-M) de travail durant 4 mois, Ce qui correspond grosso modo à 64,000,000.00 USD

Pour la partie relèvement du plan d’environ 18 mois, la finalisation des études et du plan de développement de la région affectée et/ou du département affecté, la recherche de financement, la reconstruction des infrastructures  pour résister à un cyclone de catégorie 5 et un tremblement de niveau 9, la finalisation du vrai plan stratégique de développement national (PSDH) axé sur les ODD, sur les pôles de croissance et de développement au niveau des cinq (5) châteaux d'eau du pays, selon le modèle esquissé par le ministère de l’agriculture, et sur les six capitaux (humain, social, environnemental, infrastructurel, économique/financier et politique/gouvernance).

Pour la partie Développement du PSDH, les études complémentaires du plan global, les recherches et les exploitations minières,  les études spécifiques, la généralisation de certaines actions mises en œuvre à titre d’essais durant les périodes d’urgence et de relèvement, surtout en termes de construction des grands ouvrages de développement (Ports, Aéroport, routes, barrages, irrigation, retenues collinaires, plantation, pêche et aquaculture ), la déconcentration administrative, la décentralisation (gouvernance au niveau national et local), le développement de cinq (5) pôles de croissance et de développement au niveau des cinq (5) châteaux d'eau du pays.




dimanche 4 septembre 2016

INDEXATION, CAMPAGNE ELECTORALE, ENTENTE PREALABLE (?)

INDEXATION, CAMPAGNE ELECTORALE, ENTENTE PREALABLE (?)
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
31 AOUT 2016

Au cours de ce mois d’Août 2016, Haïti est en mode élection depuis le lancement de la campagne électorale. Toutefois, tout au long du mois, il y eu d’autres thématiques dominantes comme l’augmentation du prix des produits pétroliers et le retrait rapide de cette décision par rapport à ce tollé soulevé à travers le pays ; la participation du Président de la République à la cérémonie d’investiture du Président Danilo Medina pour son second mandat comme Président de la République Dominicaine (RD) ; la mise en application par M. Privert du principe de la continuité de l’Etat en procédant à l’inauguration des logements sociaux au niveau du Parc de Caracol, à l’inauguration de la prison de haute sécurité au niveau de Ferrier (NE), à l’inauguration de la sous- station d’EDH de Tabarre et la mise en marche d’une turbine hydroélectrique au niveau du complexe de Péligre (18 MW) ; tous ces travaux de construction et de réhabilitation ont démarré soit sous l’administration de Martelly et/ou celle de Préval.

D’autres thématiques dominantes ont été relevées au cours de ce mois d’Aout, le mandat d’amenée contre le candidat au Sénat de la Grande-Anse, Guy Philippe ; le rapport de l’ l’Unité centrale de renseignement financier (UCCREF) indexant Jovenel Moïse, candidat du PHTC, et le rapport de la commission sénatoriale d’éthique et d’anticorruption indexant une quinzaine d’anciens hauts fonctionnaires de l’Etat des administrations passées ayant à voir avec la gestion des fonds de PETROCARIBE de 2008 à 2015 ; le risque encouru par Haïti  de voir ses huit (8) banques indexées de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme international, si elle ne se conforme pas aux exigences du groupe d’action financière (GAFI).  

Il faut noter la sortie du documentaire de Valéry Numa sur l’immigration au Brésil d’environ 90,000 Haïtiens qui vivent dans cet « eldorado » dans des conditions infra humaines dont la grande majorité n’a pas les moyens de se payer un billet de retour et l’installation du nouveau conseil de la BRH présidé par M. Dubois qui promet « un maximum de croissance et un minimum d’inflation ». C’est dans ce contexte dominé par une misère noire due en grande partie à la hausse du dollar par rapport à la gourde (65 HTG= 1 USD), qu’est lancée la campagne électorale sans cette entente préalable entre nous. Que faudra-t-il en espérer ?

On pourrait tenter une analyse de l’ensemble de ces faits saillants et regarder leurs liens avec le processus électoral. Ce serait une analyse assez longue et fastidieuse qui pourrait laisser sur sa fin le lecteur non averti. On se contentera de regarder (i) la mise en application du principe de continuité de l’Etat, (ii) l’indexation éventuelle des institutions bancaires haïtiennes, (iii) l’indexation des anciens hauts fonctionnaires de l’Etat dans le cadre de la gestion de PETROCARIBE, (iv) l’indexation de Guy Philippe (mandat d’amenée) et de Jovenel Moïse par le rapport de l’UCCREF, et (v) le lancement de la campagne électorale. Et on termine sur les conclusions appropriées.

1.    Le principe de continuité de l’Etat

Sur le principe de continuité de l’Etat, il faut rappeler ici que le complexe Péligre a été mis en œuvre par quatre administrations successives, l’administration Estimé (1946-1950), l’Administration Magloire (1950-1956), l’administration Duvalier Père et Fils (1957-1971). En ce sens, Privert a suivi la tradition avec la réhabilitation partielle de la centrale en remettant en opération l’une des trois turbines de Péligre et en inaugurant la sous-station de l’Ed’H de Tabarre, et n’aura peut-être pas la chance d’inaugurer les deux autres turbines qui seront remises en service très probablement après son départ du pouvoir. Heureusement pour le Président, il a pu procéder à l’inauguration des autres ouvrages démarrés sous l’administration Martelly cités à l’introduction. Dans ce même ordre d’idées, le Premier Ministre a procédé au lancement officiel des travaux de construction de la Cour Supérieur des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) qui sera très certainement inaugurée par une autre administration. L’application du principe de continuité de l’Etat devra servir de leçon à la prochaine administration qui sortira des urnes. Privert a su aussi suivre la trace des autres avant lui en participant à l’investiture du Président Médina pour son second mandat. Cette administration peut-elle éviter le « de-risking » à notre pays ?

2.    L’indexation éventuelle des institutions bancaires haïtiennes en novembre prochain(?)

Voici le résumé fait par le journal, Le Nouvelliste :
« Sénateurs, députés, représentants de l’exécutif, état-major de la Police nationale d’Haïti ont tous répondu, ce vendredi 26 août 2016, à l’invitation du Ministère de la Justice et de la Sécurité publique (MJSP) et de la Banque de la République d’Haïti en prenant part à la conférence débat qui s’est tenue au centre de convention et de documentation de la BRH. Tous les participants à cet événement reconnaissent que l’heure est grave et qu’il y a péril en la demeure. Aussi ont-ils pris congé en se promettant de mettre les bouchées doubles pour effectuer en quelques semaines ce qu’ils n'ont pas pu accomplir». (Réf.: http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/162535/Blanchiment-financement-du-terrorisme-le-mois-de-novembre-est-decisif-pour-Haiti#sthash.aMYlY9gI.dpuf)

Les banques haïtiennes pourraient être accusées de blanchiment d’argent, de financement du terrorisme et n’avoir plus de relation avec les banques intermédiaires et partenaires, si Haiti ne se conforme pas aux exigences du groupe d’action financière de la Caraïbe (GAFIC) et pourrait être considérée comme un pays à risque « et d’être mise en quarantaine par les institutions financières internationales ». « Ce qui aura notamment pour conséquences l’intensification du phénomène du « de-risking » dans notre système financier », selon le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH). « C’est un problème national qui interpelle tous les fils et toutes les filles de la nation pour que chacun en ce qui le concerne prenne ses responsabilités pour éviter le pire », a renchéri le ministre de la Justice Camille Edouard Jr. Dans le cas où ce problème ne serait pas solutionné avant novembre 2016, ce serait 93% de nos exportations, 75% des transferts reçus, 72% des transferts vers l’étranger qui seront affectés de manière significative. « On doit notamment penser aux effets socio-économiques que cela pourrait avoir si les 2 milliards de dollars américains de transfert, soit 21% du PIB ne pouvaient plus alimenter le revenu des couches les plus vulnérables », s’inquiète M. Dubois. A l’interne, il faut s’inquiéter aussi par rapport au travail de la commission d’éthique et anticorruption du Sénat qui indexe certains anciens hauts fonctionnaires.

3.    L’indexation des anciens hauts fonctionnaires de l’Etat dans le cadre de la gestion de PETROCARIBE

« La commission Éthique et Anti-Corruption du Sénat de la République a remis son rapport au président du Sénat, Ronald Larêche, et a rendu public, ce 17 août, un « résumé exécutif » du dit rapport sur l’utilisation des fonds du programme PetroCaribe auquel Haïti a adhéré le 12 avril 2006. La commission indique que son enquête a permis entre autres de confirmer les soupçons de népotisme, de prévarication et de corruption dans la gestion de ce programme ». C’est le résumé qu’a fait Le Nouvelliste (Réf. http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/162164/PetroCaribe-resume-complet-du-rapport-de-la-commission-Ethique-et-Anti-Corruption-du-Senat

Tiré du site de Youri Latortue

En guise d’analyse, des parties du résumé exécutif du rapport publié par le quotidien Le Nouvelliste sont reproduites plus bas sans commentaire. Je laisse au lecteur d’apprécier, même quand j’ai de sérieuses réserves sur certaines personnes citées dans ce rapport dont les actions qui leur sont reprochées sont tellement minimes qu’elles ne devraient pas y figurer, alors que d’autres non citées auraient dû y être. En tout cas, dans le résumé du résumé exécutif, nous avons mis en exergue les points saillants permettant au lecteur de bien saisir l’essentiel du rapport, son objet, ses limites et ses recommandations. Voyons voir.

Le fonds PETROCARIBE
« Il s’agit en fait d’un prêt concessionnel au taux préférentiel de 1% l’an remboursable sur vingt-cinq (25) ans avec un délai de grâce de deux (2) ans. Dès sa mise en application en 2008, jusqu’au 21 mars 2016, le Fonds PetroCaribe a monétisé USD 3 833 890 217,58. À partir de ce montant, le BMPAD paye comme dette à court terme (30 jours) pour les produits pétroliers reçus USD 1 714 288 623,21. La somme de USD 2 119 601 594,37 a alimenté le budget d’investissement de l’État sur cette période ».

Eviter toute partisannerie et l’obligation de rendre compte
« Compte tenu de l’énormité de la tâche et de la limitation des moyens matériels et humains dont elle disposait, la Commission n’a pas pu investiguer chaque projet et chaque décaissement effectué. Cependant, la Commission a eu le souci permanent de veiller à éviter toute partisannerie dans l’exercice de ses travaux. Les investigations ont porté sur tous ceux qui ont eu la responsabilité de la gestion du fonds sans égard pour leur rang ou pour leur appartenance politique. Ainsi, ont été analysées les transactions réalisées par les administrations Préval/Pierre-Louis (septembre 2008 – octobre 2009) USD 197 500 000.00, Préval/Bellerive (novembre 2009 – mai 2011) USD 348 240 830,01, Martelly/ Conille (novembre 2011- Mai 2012) USD 210 303 222,68 , Martelly/ Lamothe (Mai 2012 – Décembre 2014) USD 668 315 429,20, Martelly/Paul (Janvier 2015 – Mars 2016) USD 280 003 698,66. Aucune administration n’a été laissée de côté. L’obligation de rendre compte concerne toutes celles et tous ceux qui ont eu le privilège et l’honneur d’être aux commandes des affaires de l’État ».

L’utilisation abusive de la loi sur l’Etat d’urgence
« Un autre élément troublant est le recours systématique aux lois d’urgence pour signer des contrats qui n’avaient rien d’urgent juste pour contourner les dispositions de la législation sur la passation des marchés publics, conçues justement pour garantir la transparence, éviter le népotisme et assurer que l’État obtienne le meilleur rapport qualité-prix. Des marchés ont été conclus sous la loi d’urgence et n’ont été exécutés que des années plus tard. Il est évident que la loi sur l’État d’urgence devra être revue ou interprétée par les tribunaux de façon restrictive pour éviter les dérives constatées. La justice doit demander des explications à ceux qui ont antidaté des contrats passés à partir de résolutions adoptées en 2013, 2014 et 2015, pour les faire tomber dans la période d’urgence qui s’est terminée en novembre 2012 »

Soupçons de népotisme et de prévarication et de corruption et jurisprudence
« L’enquête a permis de confirmer les soupçons de népotisme et de prévarication et de corruption dans la gestion de ce programme. En effet, le recours au mécanisme de gré à gré ou d’appel d’offres restreint pour l’attribution des marchés publics a facilité la signature de contrats au détriment des intérêts de l’État. Des dirigeants ont autorisé, par exemple, trois sociétés appartenant aux mêmes personnes de faire des offres pour des marchés totalisant plusieurs centaines de millions de dollars, ce qui leur a permis de les rafler tous sans compétition ».
« La Commission n’a pas pu investiguer dans le détail chaque contrat et chaque décaissement, mais elle a trouvé suffisamment d’éléments indiciels sur des opérations douteuses pour justifier la saisine des instances judiciaires compétentes. L’arrêt de la Cour de cassation en date du 13 septembre 1904 (Procès de la Consolidation) constitue notamment la jurisprudence qui permet aux anciens ministres de se présenter devant les tribunaux de droit commun ».

Les recommandations de la commission
« Ainsi, la Commission a recommandé que les investigations soient approfondies sur pratiquement tous les fonctionnaires qui, en raison de la nature même de leurs responsabilités, sont intervenus dans la gestion du fonds PetroCaribe et que l’action publique soit mise en mouvement contre ceux dont l’implication s’est avérée confirmée dans cette vaste supercherie d’État. Il s’agit en particulier de: Jean-Max Bellerive, ancien Premier ministre pour forfaiture, concussion, violations avérées de la loi de passation de marchés de 2009, de la loi d’urgence de 2010 art 7.5, népotisme…; Laurent Salvador Lamothe, ancien Premier ministre, pour violations systématiques de la loi de passation de marchés de 2009, contrats antidatés (Nouveaux projets résolutions 2013-2014...). L’ancien ministre des TPTC Jacques Gabriel, l’ancien ministre des Finances Daniel Dorsainvil et l’ancien directeur du BMPAD, Michael Lecorps, pour détournement de fonds publics (dossier équipement CNE); Les anciens ministres des Finances Wilson Laleau et Marie Carmelle Jean Marie, l’ancien ministre de la Planification Josefa Gauthier, pour complicité de détournement de fonds (décaissements injustifiés pour les firmes GTC et TROPIC BUILD), forfaiture …; Hébert Docteur, ancien ministre de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural pour usurpation manifeste de titre, ayant signé une résolution à la place de l’ancien Premier ministre Conille sans titre ni qualité; Florence Duperval, ancien ministre de la Santé, pour faux et usage de faux (signature contrat avec un défunt); Michael Lecorps, ancien directeur du BMPAD, pour forfaiture, concussion, fraude constatée dans les livres comptables du BMPAD et des TPTC; Et du Comité d’appel d’offres restreint au ministère de la Planification (composé des employés Hervé Day, Lionel Grand Pierre et Jules Content) pour violation systématique des lois de passation de marchés ».

« La Commission recommande également que le dossier de: Mme Nonie Mathieu, ancienne présidente de la Cour des comptes et membre de ladite Cour jusqu’ici, soit transféré à la Chambre des députés en vue d’être mise en accusation pour « fautes graves commises dans l’exercice de» ses «fonctions» (approbation de contrats illégaux) ».

Par ailleurs, la Commission recommande aussi que:
« Le parquet près le tribunal de première instance, l’ULCC et la Cour supérieure des comptes diligentent des investigations approfondies sur la gestion de tous les anciens membres du conseil d’administration du BMPAD pendant la période s’étendant de janvier 2008 à septembre 2015.

 L’action publique soit mise en mouvement contre les actionnaires des firmes INFRATEC, GTC, TROPIC BUILD, NOELSAINT CONSTRUCTION, SETRAGEC, INTERLOC, BATIC GRANDANS afin de récupérer les fonds versés à ces firmes pour des travaux non exécutés.
L’ULCC approfondisse les investigations sur les firmes SOTEC, IBT, GENERALE CONSTRUCTION S.A., HADOM, ROFI, DISENOS R.N.M. pour surfacturation, violation des contrats et inéligibilité dans certains cas ».

En guise de  conclusion : un coup d’arrêt à la corruption en Haïti
« La Commission n’est pas une instance de jugement et ne dispose pas des moyens de coercition que la loi met à la disposition d’un juge d’instruction par exemple. Il reviendra donc à ce dernier de se saisir de ces dossiers et de faire ce que de droit. La Commission s’engage à soutenir le pouvoir judiciaire et à obtenir en sa faveur les moyens nécessaires et la sécurité pour les juges qui auront à connaître de ces dossiers. Les contraintes de temps, de moyens et d’effectifs ont empêché la Commission de mener des investigations plus approfondies. Elle espère que ceux qui en ont la responsabilité prendront le relais et réaliseront ce qui sera le procès qui donnera un coup d’arrêt à la corruption en Haïti ». Dans un registre plus restreint, le juge d’instruction des Cayes  et l’UCCREF indexent deux candidats proches de l’ancienne équipe au pouvoir."

4.    L’indexation de Guy Philippe (mandat d’amenée)  et de Jovenel Moïse par le rapport de l’UCCREF

Un fait troublant, pourquoi un mandat d’amenée et une indexation de Jovenel Moise au moment même du lancement de la campagne électorale relative aux élections du 9 octobre 2016? Pourquoi l’investigation des comptes de Jovenel Moise, un entrepreneur haïtien, dont le seul pêché est d’être candidat à la présidence et de poser sa candidature sous la bannière de PHTK, alors qu’il y a tellement de dossiers à investiguer au niveau des institutions étatiques? Certes c’est normal d’indexer des gens pour leurs actes et même de les punir en cas d’évidence grave. Mais, dans ces deux cas d’espèces, on a cette impression de nuisance et de l’intervention en sous-main du pouvoir en place (on se trompe peut-être). Guy Philippe est en ballotage favorable dans la Grande-Anse. Jovenel Moise a été la cible des actuels alliés du pouvoir qui ont violemment empêché la réalisation du second tour de la présidentielle du 24 Janvier 2016, alors que, selon nous, une alliance de l’opposition de l’époque derrière Jude Celestin leur aurait garanti la victoire. Ils ont tout fait pour discréditer ce monsieur et le mettre dehors du processus. Le choix même par le pouvoir en place de reprendre la présidentielle à zéro participe de la mise à l’écart de Jovenel Moise, en espérant qu’il n’allait pas se réinscrire d’autant que PHTK était farouchement opposé à cette démarche.

En toute logique, le reprise du processus au niveau présidentiel aurait dû déboucher sur un boycott du PHTK laissant le champ libre à ses adversaires de l’ancienne opposition actuellement au pouvoir. Bien avant la décision de PHTK de ne pas sortir du processus, certains membres de l’ancienne opposition commençaient déjà à accuser J. Moise, ce que je qualifiais à l’époque de « changement de stratégie» pour le mettre hors-jeu quand même (réf.http://jrjean-noel.blogspot.com/2016/06/processus-electoral-reprendre-zero.html . De là maintenant à voir dans cette sortie de l’UCCREF une continuation, il n’y a qu’un pas. Le lecteur ne doit pas oublier que Guy Philipe, qui s’est quand même présenté à la juridiction de justice de Jérémie , est un allié de PHTK et un farouche opposant à LAVALAS et il fut le tombeur du Président Aristide en 2004. C’est l’homme à abattre. Les mettre hors-jeu dans la course, c’est autant de gain pour l’ancienne opposition.

Dans cette lutte pour le pouvoir par voie élective, l’ancienne opposition se présente avec trois candidats poids lourds : Jude Celestin, Jean-Charles Moise et Marise Narcisse. Avec la présence de J. Moise et alliés, il y a de forte chance qu’il gagne haut la main le premier tour et qu’il soit suivi de Jude Celestion qui a fait beaucoup d’alliances contrairement à JC Moise et M. Narcisse qui partagent le même électorat. Or donner un KO technique à J. Moise et alliés devrait en toute logique favoriser ou bien JC Moise, ou bien M Narcisse.

A mon humble avis, le momentum est mal choisi pour indexer ces deux candidats qui ont de forte chance de remporter la sénatoriale de la Grande-Anse (Guy Philippe) ou de passer au second tour de la présidentielle (J. Moise). Il aurait fallu les épingler avant. Maintenant, cela ressemble à de la manœuvre politicienne cachée sous une apparence de légalité. Il aurait été mieux de laisser tous les  candidats mener leur campagne électorale  sans interférence des institutions étatiques (Juge d’instruction des Cayes et l’UCCREF).

5.    Le lancement de la campagne électorale

Jean-Charles Moise à l’Arcahaie (la ville du Drapeau) en compagnie de la fille du Président Estimé, Jovenel Moise à Léogane, Maryse Narcise en visite à Pétionville en compagnie du Président Aristide, Jude Célestin à l’Arcahaie aussi (la ville de l’Union) comme JC Moise avant lui, c’est la fièvre électorale qui monte, c’est le lancement de la campagne électorale. Le Conseil Electoral Provisoire (CEP) au four et au moulin donne cette impression de savoir exactement où il va. Le cap est donc mis vers les élections du 9 octobre 2016, lentement mais surement. A moins des contrariétés de dernières minutes comme cette décision d’augmenter les prix des produits pétroliers qui aurait pu, si elle n’était pas reportée, « coûter la présidence à Monsieur Privert » selon un gonaïvien, fin observateur de la politique haïtienne ! Le pouvoir en place devra être très prudent dans ses décisions, s’il veut vraiment aboutir à des élections inclusives (ou des élections tout cours)  le 9 octobre 2016 et éviter au pays un chaos dont il sera la principale victime, et le pays avec lui. Le pouvoir a intérêt à chercher le dialogue avec les principaux acteurs engagés dans la course électorale.

L’ENTENTE PREALABLE/L’ENTENTE OBLIGATOIRE

Le président Privert a compris la nécessité de marcher sur les traces de ses prédécesseurs (application du principe de continuité de l’Etat). Haïti, face à la menace de l’indexation des banques haïtiennes pour blanchiment d’argent et financement du terrorisme, semble faire bloc pour « éviter le pire » et prendre les dispositions qui s’imposent. La commission Sénatoriale d’éthique et d’anti-corruption indique le chemin à suivre pour combattre le fléau de la corruption, même si on la sent sélective et parfois maladroite dans la liste des noms des hauts fonctionnaires à épingler. Le pouvoir en place marque des points mais il ne doit pas trop tirer sur la corde pour ne pas donner l’impression de favoriser  un camp par rapport à un autre et exacerber la bataille des clans. La voie à suivre serait d’inciter les acteurs à s’entendre. Le Président a certes passé en force en convoquant le peuple en ses comices et en savourant le lancement de la campagne électorale, mais il n’a pas d’autre choix que de chercher cette entente préalable aux élections de 9 octobre 2016. Même en sous-main ! Sans quoi, les élections auront quand même lieu sans pour autant résoudre la crise multiforme et multidimensionnelle du pays dont la résolution passe obligatoirement par une entente entre nous. A bon entendeur, salut !