HAITI,
LE MOIS DE FEVRIER 2014 : UN TOURNANT POUR LE MEILLEUR OU POUR LE
PIRE ?
JEAN-ROBERT
IEAN-NOEL
28
FEVRIER 2014
Haïti est habituée
au train train quotidien (yon pa kita, yon pa nago), mais ce mois de février
est une exception à la règle (kita nago en esprit, Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2014/01/haiti-lesprit-kitanago-le-dialogue.html)
. Février est, en général, le mois du carnaval. Quand on parle du carnaval, on
parle de la plus grande manifestation culturelle du pays haïtien. C’est en
général la trêve politique. Cette année, la politique n’a pas chômé. Elle a été
présente du début à la fin du mois avec le dialogue inter-haïtien, les
manifestions de rues des écoliers, de Lavalas (avec moins de manifestants que
d’habitude, est-ce la cause de la division au sein du parti ?), la lettre
du MOPOD, les tournées du Président Martelly aux USA et en Europe, la décision
de la Cour d’Appel de Port-au-Prince en faveur du jugement probable de Duvalier
pour « crimes contre l’humanité », etc. Est-ce un tournant pour le
meilleur ou pour le pire ? Passons rapidement en revue les faits saillants
du mois et analysons globalement la situation en vue de déboucher sur des
conclusions appropriées.
1.
LES
FAITS SAILLANTS DU MOIS DE FEVRIER 2014
Que d’événements en un seul mois !
Quel mois riche en
événements : Le Dialogue inter-haïtien sans la signature du protocole sur
le consensus minimal trouvé à cause de la publication partielle par le Pouvoir
Exécutif de la liste des noms des membres de la
Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif
(CSCCA) ; le 2e round du dialogue binational Haïti-République
dominicaine avec « des pas dans la bonne direction » selon les
2 parties (Réf. Le Nouvelliste du 3 Février 2014), mais l’arrêt 168-13, qui
dénationalise les dominicains d’ascendance haïtienne en majeure partie,
transcende la simple question binationale haïtiano-dominicaine (le piège à
éviter par Haïti) ; la visite du Président Martelly aux USA, ses retombées politiques et la
satisfaction du Président de sa tournée ( voir les analyses des Journaux, Le
Nouvelliste et Haïti en Marche) ; la visite du premier Président du Panama en Haïti, M.
Ricardo Martinelli, conclue par des accords commerciaux entre les deux
pays ; les manifestations des écoliers enfin regagnant leurs salles de
classes ; l’assassinat d’un couple de militants de droits humains, M et Mme
Daniel Dorsainvil, l’homonyme de l’ex-ministre de l’économie et des finances
sous l’administration Préval 2 ; le jugement probable de Duvalier selon
une décision de la Cour d’Appel de Port-au-Prince, « pour crimes
contre l’humanité », un tournant de la Justice haïtienne ; la lettre
ouverte du MOPOD au Président pour lui demander de démissionner ; le
fameux écrivain haïtien, Dany Laférière, le nouvel académicien , reçu à
l’Elysée, par le Président français, François Hollande ; la tournée du
Président Martelly en Europe (France, Vatican et Belgique) ; la cérémonie
d’élévation de Mgr Chibly Langlois à la dignité cardinalice avec la
participation du Président Martelly et le Président du Senat, Dieuseul Simon Desras,
les deux protagonistes clés de la crise politique haïtienne, et, en marge de laquelle, le Pape les a recus séparément (quel message du Pape?); un cas de kidnapping
et le démantèlement d’un gang « bien branché" ; L’ile à Vache, futur
pôle de développement touristique mais inquiétude de la population locale et
visite d’explications du Premier Ministre et de la ministre du Tourisme ;
le Carnaval de Jacmel, de Carrefour, de Delmas, de Petionville, les premiers
blessés ; les visites en Haïti de Bill Gates, l’ex-patron de Microsoft qui
croit qu’Haïti serait le seul pays pauvre de l’Amérique latine en 2035, et de
Tony Blair, l’ex-Premier Ministre Anglais en visite d’affaires en Haïti ; la
manifestation de Lavalas, le 27 février pour marquer le 10e anniversaire du renversement du Président Aristide, le 29
février 2004, et réclamer les élections générales dans le pays ; les
préparatifs pour le carnaval national aux Gonaïves du 2 au 4 Mars 2014 ! Passons à l’analyse globale de la situation.
2. ANALYSE GLOBALE DE LA SITUATION HAITIENNE
Le manichéisme haïtien
A lire, entendre,
regarder les médias en ligne, les stations de radios, de TV et/ou des
journalistes ou analystes pro ou anti Martelly, on a des perspectives
totalement opposées de la situation globale du pays. Pour l’opposition
anti-Martelly, tout est noir et pour les pro-Martelly, tout est rose. Dans
cette guerre larvée pour ou contre, le manichéisme haïtien se manifeste dans
toute son acuité. J’en connais qui ont fait le choix de consulter
les sources d’informations correspondant à leurs opinions politiques et
qui sont prêts à en découdre avec tous ceux qui ne vont pas dans le même sens
qu’eux. Les deux camps ont tendance à s’en prendre à tous ceux-là qui
voudraient garder un certain équilibre, les accusant de vendus, d’achetés, de
tous les maux de la terre, et boycottent leurs écrits prétextant que personne
ne peut être tout à fait neutre. Il faut
être pour ou contre ou disparaitre. Alors que, dans les deux camps, on
se dit pour Haïti. C’est le droit de quelqu’un d’être pour ou contre quelque
chose. Mais c’est aussi le droit d’un haïtien d’être pour Haïti et non pour
l’opposition ou l’administration en place.
Une déclaration du nouveau cardinal qui pourrait
changer la donne politique en Haïti
Le premier round du dialogue inter-haïtien s’est
déroulé de manière impeccable avec des envolées contradictoires de part et d’autre. Dans les deux camps, les
arguments sérieux ont été avancés. Un consensus minimum a été trouvé sur les
points discutés. Malheureusement, le protocole n’est jusqu’à présent pas encore
signé à cause de l’absence du Président Desras pour le parapher, absence
justifiée par le fait que le Président Martelly n’a publié qu’une liste
partielle des membres de la CSCCA sélectionnés par le Senat. Pour certains, les
Présidents Martelly et Desras se sont entendus sur cette formule ; pour d’autres,
le Président Martelly avait promis de tout publier. En tout cas, le prétexte
évoqué par la présidence, c’est qu’il y a usage de faux au niveau des diplômes
présentés. Ce que le Sénat a nié en bloc. Il faut lire l’article de « Haïti
en Marche » à ce sujet. De toute manière, il est nécessaire sinon
indispensable de trouver une solution à cette affaire (aux dernières nouvelles, la Présidence aurait publié les 10 noms). Cette signature différée
a favorisé les critiques acerbes de la part de l’opposition radicale qui a
parlé d’échec des pourparlers et qui a mis de l’eau dans les moulins de ceux
qui ont abandonné le processus sous prétexte de ne pas se retrouver dans le texte
final du protocole d’entente. Naturellement, pour cette catégorie, l’échec est
imputable au Président Martelly ; pour l’autre catégorie c’est du à l’intransigeance
du Président du Sénat. La vérité est certainement au milieu et non imputable à
une personne ou à une autre. En effet, le Président Martelly aurait pu tout
publier pour éviter cette non signature, le Président Desras aurait pu signer
en attendant de trouver une solution à l’amiable sur les trois autres noms. C’est
Haïti qui aurait gagné. D’où cette déclaration du nouveau Cardinal après la cérémonie de son
élévation à la dignité cardinalice : «
Haïti est heureuse de voir ses enfants fêter ensemble. Elle sera encore plus
heureuse si les enfants s’unissent via le dialogue. Nous sommes une famille.
Laissez les différences de côté. Aimez Haïti, en paroles et en actes ». Espérons
que ces paroles du premier cardinal haïtien et la rencontre avec le Pape des
deux protagonistes les pousseront à s’entendre pour Haïti au détriment de leur
clan respectif.
Elections générales et démission
Il est plus que
probable qu’une entente entre ces deux protagonistes ne sera pas bien vue par
le MOPOD et les partis qui ont abandonné le processus en cours de route. En
effet, le MOPOD est pour la démission du Chef de l’Etat, même si cette
démission devrait déséquilibrer les piliers sur lesquels repose la démocratie
haïtienne, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif.
Souvenez en : lorsqu’on attribuait au Président de la République la
velléité de déclarer la caducité du Parlement, c’est cet argument qui a été mis
en exergue. Demeure-t-il valable quant à la mise à pied du pouvoir exécutif ?
Peut-être, puisque, à coté de la démission du Président, le MOPOD parle d’élections
générales pour l’année 2014, très certainement avec la mise en place d’un
gouvernement qui lui est favorable ( ?). C’est de bonne guerre. A noter
que lors de la « manifestation de Fanmi Lavalas du 27 février 2014, les
manifestants réclamèrent aussi les élections générales sans préciser en quelle
année. Une entente entre les deux protagonistes pour signer le protocole ne résoudrait donc
pas le problème politique à entendre le Sénateur Exius ; le Président du
Sénat ne pourrait pas organiser les séances faute de quorum car il y aurait 5 Sénateurs
qui ne participeraient pas aux séances du Sénat organisées par M. Desras.
Scénario catastrophe après le carnaval
Ainsi, même si on
arrivait à une signature du protocole d’entente minimale, rien ne garantirait
sa mise en application car la plupart des actions doivent préalablement avoir l’aval
du Parlement. Or, si le Senat est rendu inopérant par les 5 radicaux, l’accord
ne pourra pas être appliqué. Le MOPOD et les partis qui ont abandonné le
processus imputeraient tout cela au pouvoir exécutif et exigeraient sa
démission et les élections générales en 2014 ou en 2015 ( ?), la situation
ukrainienne et Vénézuélienne aidant. La bataille sera ramenée à nouveau au
niveau des rues. Le moindre faux pas commis par le pouvoir exécutif sera exploité à fond, comme la restriction de
la liberté d’expression (le cas de Brothers Posse), les négociations avec le
République Dominicaine incluant l’arrêt 168-13, une déclaration malencontreuse,
l’arrestation d’un militant de l’opposition, des droits humains, le non relâchement
des frères Florestal, la mort accidentelle ou non d’un manifestant de l’opposition,
le manque de préparation de la campagne agricole de printemps, la vie chère, surtout la mort éventuelle d’un ou de
plusieurs écoliers « utilisés comme chair à canon » ou encore d’un
étudiant, le kidnapping, la corruption,
la drogue, la surpopulation carcérale, le dossier Duvalier, le dossier Jean
Dominique, la mauvaise gestion de la prochaine saison cyclonique. Rien ne sera
négligé. L’administration Martelly aura à marcher sur du feu. Il lui faudrait
beaucoup de dextérité pour ne pas se bruler.
Permettre au consensus minimum de se prémunir contre
les dérives éventuelles des camps
Dans ce cas précis,
il faudrait doter la Commission de suivi prévue par le protocole de pouvoirs
plus étendus comme la possibilité de modification du CEP provisoire, l’adaptation
de certains articles de la loi électorale 2013 par rapport à la nouvelle donne
issue des pourparlers, la préparation des éléments de l’amendement constitutionnel,
etc. Il demeure entendu que chacun des trois pouvoirs continue de faire de
son mieux pour mettre en œuvre ce qui le concerne eu égard au consensus
minimal trouvé pour l’organisation des élections de 2014. Pour permettre au Parlement
de fonctionner, il faudrait, comme l’a suggéré le Sénateur Benoit, réduire le
quorum. Mais là aussi c’est une lame (arme) à double tranchant, les 5 sénateurs
radicaux pourraient convoquer le Gouvernement d’ouverture et le renvoyer durant
la période de préparation des élections, et ainsi mettre à mal tout le processus, à
moins que le consensus minimal se prémunisse contre de telles éventuelles
dérives. Il lui faudrait aussi se prémunir contre d’éventuelles dérives du
pourvoir exécutif.
3.
CONCLUSION
En tout cas, si
Haïti était vraiment au centre des préoccupations des protagonistes politiques,
on n’aurait pas besoin d’avoir de scenarii, tout se ferait comme sur des
roulettes, tel que prévu par le consensus minimum. Malheureusement, nous sommes
en Haïti, et l’haïtien, en général, se sent confortable que quand il est pour
ou contre quelque chose. Si pour Jean Claude Duvalier, la Justice haïtienne
semble amorcer un tournant, quand sera-t-il pour la situation politique et le
reste ? Pour le carnaval, la majorité des groupes n’ont pas oublié la
situation dominicaine (dénationalisation), pas même Brothers Posse qui a choisi de polémiquer
directement avec le Président Martelly en le faisant « crye l’ane pase »
avec sa meringue : « ALORAL », et en rendant la situation « chochonet »
cette année. Ce qui lui a valu d’être radié du défilé comme l’année dernière et
même sponsorisé, il n’a pas le droit d’y participer (c'est "la katotisation", une forme d'exclusion utilisée par le pouvoir tet kale, selon Marvel Dandin de Radio Quisqueya). Il est un fait, ce mois de
février marque un tournant en matière de dialogue inter-haïtien et autres
choses (les retombées de la visite de Washington, de celle de l’Europe, des
négociations avec les dominicains sur le dialogue binational, etc.). Sera-ce
pour le meilleur ou pour le pire ? Pour une fois, je souhaiterais que nous
abandonnions notre manichéisme et choisir le meilleur pour Haïti ! En
sommes nous capables ? Après le carnaval aux Gonaïves du 2 au 4 Mars 2014, qui est globalement un succès, on verra !
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