CARNAVAL SANS TREVE
POLITIQUE, HAITI CONTINUE SA DESCENTE AUX ENFERS
JEAN-ROBERT
JEAN-NOEL
28 FEVRIER 2015
La période carnavalesque n’a pas été
longue cette année. Haïti n’a connu que deux jours gras, dimanche 15 et lundi 16
Février 2015 et trois jours de deuil national mercredi 18, jeudi 19 et vendredi
20. Le samedi 21 a vu les funérailles nationales organisées par le pouvoir en
place pour les 18 morts de la nuit du 16
au 17 Février 2015. En effet, le mardi 17,
c’était « le défilé en silence et en blanc »demandé par le
Premier Ministre pour les 18 morts de la veille par électrocution et la
bousculade qui s’ensuit. Quelles
émotions ce mardi 17 Février 2015 !
Les carnavaliers ont répondu en masse à l’appel du Gouvernement. Le char
de BARIKAD CREW sur lequel le chanteur Fantom dont la tête a heurté le câble
électrique de moyenne tension s’est trouvé au moment de l’accident en face du
stand du cimetière de Port-au-Prince. Etrange ! Le 2e jour de
deuil national, le jeudi 19 février 2015, l’opposition radicale a fait une
conférence de presse pour accuser le pouvoir en place d’avoir «
sacrifié » les 18 victimes en leur jetant un sort et a organisé «
son défilé » en noir et blanc le vendredi 20 à 4 h PM qui s’est vite
transformé en manifestation anti gouvernementale. Pour la première fois, tout
au long de la période carnavalesque, il n’y a pas eu de trêve politique en
termes de manifestations de rue. D’où le titre choisi pour l’analyse de la
situation haïtienne pour le mois de février 2015 : « Carnaval sans
trêve politique, Haïti continue sa descente aux enfers ».
La voie pacifique, les élections
Alors que je croyais que nous allions
vers une forme d’entente entre nous autour de nos morts, eh bien, nad
marinad ! C’est comme après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 où
nous avons, en tant que peuple, manifesté une solidarité sans bornes, et on s’est
vite retombé dans nos querelles intestines. Cette fois-ci encore, malgré l’insistance
des chanteurs de « Djakou Music »
et « TI Vice », de « Karimi » et « Kreol La » qui
ont des meringues carnavalesques très polémiques avec des connotations
personnelles et leur présence ensemble sur les écrans de télévision pour solliciter une trêve
politique pour le pays, c’est réparti de plus belle. L’opposition, qui a senti
l’exploitation faite par le pouvoir de l’accident (un coup de maitre), n’a même pas attendu les trois jours de deuil.
Au contraire, elle en a profité, elle aussi, non en silence mais en véritable
manifestation anti Martelly. Pourtant, c’était une occasion en or pour faire la
paix entre nous et avec l’administration Martelly qui ne reste que 11 mois à
passer au pouvoir. D’autant que la République Dominicaine, tout au moins les
ultra nationalistes, nous mène la vie dure, en pendant un haïtien sur une place
publique de Santiago, en brulant vif un autre à Elias Pinas, en souillant notre
drapeau et en expulsant massivement des haïtiens et même des dominicains à peau
noire tout le long de la frontière haïtiano dominicaine, et en maltraitant nos
petits marchands et marchandes qui cherchent à survivre à partir des activités
au niveau de la frontière. D’autant que les dispositions sont en train d’être
prises pour l’organisation, dans le plus bref délai, des élections dans le pays
(projet de loi électorale en circulation et au niveau de la Présidence).
D’autant que la situation économique du pays s’est aggravée, après les journées
de grève du lundi 9 et du mardi 10 février 2015 déclenchées par l’opposition
radicale en relation avec le prix du carburant. D’autant que nous n’avons aucun
intérêt à offrir cette image de division la 100e année de
l’anniversaire de l’occupation américaine de 1915. D’autant que nous sommes
fatigués de voir notre pays s’enfoncer chaque jour davantage sans une
alternative politique au pouvoir en place, mis à part le « rache manyok » qui, en
fonction même des indicateurs économiques, ne pourra que nous enfoncer
davantage. Or personne ne peut redresser rapidement une économie déjà en
lambeau suite à un chambardement
généralisé. Donc la seule voie pacifique qui nous reste pour nous en sortir
sans grand dommage demeure les élections.
Un ouf de soulagement avec la
nomination du nouveau ministre de l’agriculture
Heureusement qu’entre temps, la
situation de crise qui sévissait au niveau du ministère de l’agriculture s’est
éclaircie avec la démission du ministre Jean François Thomas et la nomination
du ministre Fresner Dorcin installé le lundi 23 Février 2015 au campus de
Damien où cohabitent le ministère et la Faculté d’agronomie. La grande famille
de Damien a poussé un ouf de soulagement par rapport à cette situation qui a
paralysé le ministère durant près d’un mois et qui a compromis en partie la
campagne agricole de Printemps qui représente 60% de la production agricole
annuelle du pays. Le Premier Ministre a exprimé sa satisfaction face au dégel
de la situation et exhorte le nouveau
ministre de l’agriculture à trouver la bonne formule de cohabitation avec les
étudiants, à accélérer le processus de mise en œuvre de la Campagne de
Printemps, à préparer les autres campagnes de l’année, la nouvelle saison
pluvieuse incluant la saison cyclonique. Tout ceci pour encourager un certain
niveau de croissance du secteur agricole.
La croissance agricole en dessous de
2% ?
Le secteur agricole qui représente
entre 23 et 25% du PIB global est un des piliers de l’économie nationale. C’est
pourquoi, pour paraphraser l’autre, on se plait à répéter que « quand le secteur agricole est enrhumé
c’est le pays tout entier qui est grippé ». En effet, de par sa
contribution au PIB global, quand la croissance agricole n’est pas au
rendez-vous, la croissance globale s’en ressent (exemple exercice 2013-2014).
Il y a de forte chance que, cette année encore, la croissance ne soit pas au
rendez-vous par rapport à la situation politique qui influe considérablement
sur l’économie. Or en année électorale exacerbée par la division, la campagne
agricole d’Hiver 2014 (réussie ou non ?), la campagne de Printemps souffrant
de retard, la saison cyclonique qui s’en vient, le budget insuffisant accordé
au secteur agricole, la croissance du
PIB agricole pourrait être en dessous de
2%, à moins d’un miracle. Ce qui influerait sur la croissance du PIB global
qui, elle-aussi, devrait aller chercher dans une fourchette en deçà des 2.8%
obtenus pour l’exercice écoulé, crise du carburant et autres facteurs
économiques et politiques aidant, comme
l’expulsion vers Haïti des haïtiens et dominicains à peau noire.
Question dominicaine… une
problématique des plus complexes
La tension monte entre Haïtiens et
Dominicains suite à l’assassinat et au
refoulement massif des nôtres par la République Dominicaine. La société civile
a donné une réponse ferme à la République Dominicaine, en organisant cette
imposante manifestation à Port-au-Prince (une grande marche pacifique), le
mercredi 25 Février 2015, « pour dire non à la barbarie et au racisme
dont sont victimes les ressortissants haïtiens en République dominicaine » et
pour promouvoir « la paix et le vivre-ensemble » entre les deux peuples qui
cohabitent sur l’île ». C’est une réponse à la dimension de l’ensemble
d’incidents emmaillant les relations avec la République voisine (vol chez
l’ambassadeur d’Haïti, pendaison et assassinat par le feu de ressortissants
haïtiens, expulsion massive d’haïtiens illégales et d’origine). La société
civile haïtienne a jugé les réponses haïtiennes officielles trop faibles par
rapport à tous ces incidents. D’un autre coté, les initiatives haïtiennes face
à la République Dominicaine en ce mois
de Février 2015 pourraient faire tache d’huile. En effet, les écoles sont mises
à contribution. Or si on veut changer les choses, il faut commencer par
l’éducation. C’est pourquoi je pense qu’il est impératif de persévérer dans cette voie. La question dominicaine devra
désormais déborder la sphère gouvernementale. Les gouvernements haïtiens n’ont
pas su gérer correctement cette question qui est devenue une problématique des
plus complexes, et dépasse la bilatéralité haïtiano-dominicaine. D’où la
nécessité de la traiter à la base, au niveau de l’éducation (école,
université), au niveau régional (OEA, CARICOM, etc.) et au niveau international
(Tribunal International pour violation des droits à la nationalité ou
apatridie).
C’est condamnable. Inacceptable
Malheureusement, selon le quotidien Le Nouvelliste,
dans son édition du jeudi 26 Février 2015,
(http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/141795/Digne-ferme-et-calme
: « Tout se déroulait dans le calme, la
dignité, la fermeté quand, à l’issue de la marche et en dehors de son parcours,
un groupe d’excités a cru bon de faire pareil que les extrémistes dominicains.
Ils s'en sont pris au drapeau dominicain, au consulat de ce pays ami. Cela
n’était pas nécessaire. C’est condamnable. Inacceptable. La bêtise n'efface pas
la bêtise. Le mal ne guérit pas le mal ». C’est
toujours ainsi, on rencontre souvent ces individus qui ne sont là que pour gâter
la fête. Et, à cause de l’acte posé par ces énergumènes, le Gouvernement
haïtien a du s’excuser publiquement dans un communiqué : « le Gouvernement de la République condamne la violation
et l’agression regrettable des locaux du Consulat Général de la République
Dominicaine à Pétionville par un petit groupe d’individus mal intentionnés qui
ont trompé la vigilance des organisateurs de cette marche pacifique. »
Programme de création d’emplois
temporaires
En guise de conclusion, la fête s’annonçait belle. Malheureusement,
elle s’est transformée en tragédie exploitée politiquement dans la division
malgré les multiples problèmes bien plus importants confrontés par notre pays.
Au nom de nos disparus (carnaval et assassinat en RD), il serait intéressant de
nous tourner vers une situation de paix, d’entente entre nous, d’éviter des
manifestations politiques violentes comme il est de mise ces derniers temps, de
grèves sauvages forçant les citoyens qui n’y adhèrent pas à rester chez
eux par peur d’être victimes au niveau de la rue ou sur les routes nationales. Le
Pays a intérêt, entre autre, à mettre sur pied un grand programme de création d’emplois
temporaires (100 M USD) pour atténuer la
situation des gens les plus vulnérables, pour les recapitaliser tant au niveau urbain que rural,
favoriser un apaisement social dans le
pays en vue des élections, et stopper la descente aux enfers. Faut rêver, n’est-ce
pas ?
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