HAITI : BILAN 2016, PERSPECTIVES 2017, LE SECTEUR
AGRICOLE PRINCIPAL RESPONSABLE DE LA CROISSANCE DE 2016, PEUT-IL IL REFAIRE « LE
MEME EXPLOIT » EN 2017?
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
25 JANVIER 2017
Désigné
« locomotive de la croissance » par l’administration Martelly à la
fin de l’exercice 2014-2015 (Réf.http://jrjean-noel.blogspot.com/2015/09/haiti-elections-2015-le-secteur.html ),
le secteur agricole s’est vu accorder 9.7% dans le budget 2015-2016 et a
bénéficié, après 3 ans de sècheresse, de la bonne pluviosité suite au passage
sur Haïti de l’ouragan Erika (28 Aout 2015). Et, malgré un long processus
électoral avec des péripéties que l’on sait, le pays a pu connaitre une
croissance du PIB de 1.4 %, certes inférieure aux prévisions (3.6%) mais
surprenante en une année électorale avec très peu d’investissements de la
communauté internationale, et dans le cadre d’un budget rectificatif où la part
du budget du secteur agricole a été ramenée à moins de 7%. Alors, le secteur
agricole, qui est le principal responsable de cette croissance de 1.4%, peut-il
refaire le même exploit en 2017?
L’apport
du secteur agricole dans la composition du PIB
A
la fin de l’exercice 2014-2015, le ministre Dorcin, l’architecte de la nouvelle
orientation du secteur agricole basée sur des pôles de
croissance articulés autour des 5 châteaux d'eau du Pays et des périmètres
irrigués et irrigables en aval de ces châteaux d'eau, a été remplacé par le
ministre Valbrun. Ce dernier s’est approprié cette nouvelle orientation en
phase avec la locomotive de la croissance. Par contre, le ministre Laurore, qui
a remplacé Valbrun dans le cadre du nouveau gouvernement de l’administration du
Président Privert, ne s’est pas senti lié à cette vision de locomotive de la
croissance non adoptée par la nouvelle administration, mais ne s’est pas
départi du programme mis en place par ses prédécesseurs.
Il
faut noter aussi à la décharge de ce taux de croissance du secteur agricole (i)
les investissements dans le secteur par les principaux acteurs, les petits
exploitants agricoles qui, bon gré mal gré, investissent plus de 1 milliard de
dollars américains annuellement, dans le cadre de ce qu’on appelle
l’agriculture familiale, (ii) l’apport des divers projets sous financements
internationaux et exécutés par le ministère de l’agriculture à travers les
unités de coordination de projet (UCP), (iii) l’apport des projets sous
financements internationaux (bilatéraux et multilatéraux) à travers les ONG, (iv)
l’apport des investissements privés (gros investisseurs) dans le cadre de
l’agri business, improprement appelé « agriculture commerciale » dans
le document intitulé « Programme Triennal de Relance Agricole (PTRA
2013-2016) ».
La
campagne d’hiver (25% de la production annuelle) s’est donc achevée sur un
niveau de production acceptable. La campagne de Printemps (60% de la
production) qui était en cours à l’arrivée du ministre Laurore, a eu la même
attention de la part du ministère de l’agriculture et des autres acteurs du
secteur et a eu aussi un bon niveau de production. Il en a été de même pour les
autres campagnes agricoles. La bonne pluviosité, qui a arrosé Haïti durant tout
l’exercice, a été le facteur déterminant dans la réussite de la production
agricole de cette année, malgré les turbulences politiques liées au processus
électoral.
Cette
bonne production agricole a été l’élément fondamental dans la composition de la
croissance en se situant autour de 3% (Tableau 1). « Le secteur agricole, selon
IHSI, qui avait plombé l'économie
haïtienne en 2015 a été en grande partie à l'origine de la croissance du PIB
cette année. En effet, selon les premières estimations effectuées à partir des
données partielles et provisoires fournies par le Ministère de l'Agriculture
des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR), la Valeur Ajoutée
à prix constant de la branche Agriculture, Sylviculture, Elevage et Pêche est
passée de 3131 millions de gourdes en 2015 à 3226 millions de gourdes en 2016,
soit une augmentation de 3.0%, contre une chute de 5.4% l'année
précédente ».
Tableau 1 : PIB ET SES COMPOSANTES EN
SEPTEMBRE 2016
PIB ET SES COMPOSANTES EN SEPTEMBRE 2016
|
|||
PREVISIONS ECONOMIQUES
|
2014
|
2015
|
2016
|
SEMI DÉFINITIFS
|
ESTIMÉES
|
ESTIMÉES
|
|
PIB EN MILLIARDS HTG
|
15 439
|
15 626
|
15 851
|
Taux de croissance
réel
|
2,8%
|
1,2%
|
1,4%
|
Secteur primaire
|
-1,4%
|
-5,4%
|
3,0%
|
Secteur secondaire
|
5,5%
|
3,2%
|
0,8%
|
Secteur tertiaire
|
3,6%
|
2,9%
|
1,2%
|
Source :
MEF-Septembre 2016
C’est donc grâce à l’exploit du secteur primaire (secteur
agricole) que notre pays a pu avoir ce taux de croissance du PIB un peu
surprenant en année électorale. Le secteur secondaire a contribué à hauteur de 0,8% tandis que le secteur tertiaire à
hauteur de 1,2%. On est donc très loin des prévisions de 3.6% du PIB.
Les explications de l’IHSI relatives à ce faible taux
de croissance du PIB global
Regardons de plus près les explications fournies par
l’IHSI, hormis le secteur agricole, dans
les comptes économiques en 2016 et les parties soulignées pour attirer votre
attention :
« Parmi les autres branches d'activités qui ont
contribué à l'accroissement du PIB de 2016, on peut citer la hausse de 1.5%
des industries manufacturières qui ont été surtout menées par les industries
alimentaires (4.0%) et la Fabrication de papier et d'imprimerie (3.9%). Cette
dernière a pu bénéficier du dynamisme créé dans le secteur par les activités
électorales. Les autres branches d'activités ont gardé un profil plutôt
bas.
Par exemple, contrairement aux années précédentes, la
Branche Bâtiment et Travaux Publics, dont la Valeur Ajoutée a quasiment stagné
(0.2%), n'a pas vraiment participé à l'augmentation du PIB.
Du point de vue de la demande globale, la croissance
a été tirée par une hausse, en volume, de 1.2% de la Consommation Finale et de
1.1% de l'Investissement Global. La Consommation a été soutenue en partie par
l'augmentation de 7%[1]
des envois de fonds des travailleurs de la diaspora et la progression de 12%[2]
de la masse salariale de l'Administration Publique.
L'Investissement public ayant chuté selon le TOFE[3](Tableau
des opérations financières de l’Etat), la légère hausse de l'Investissement
Global observée peut être attribuée au secteur privé. En attestent
l'accroissement de 2.2%[4]
de l'Investissement Direct Etranger (IDE) et l'augmentation de 17%[5]
des crédits octroyés au secteur privé par le système financier. La légère
hausse des Exportations de 0.7% résulte surtout de l'effet du taux de change.
L'année
2016 a été également marquée par une forte dépréciation de la gourde par
rapport au dollar américain, passant de 51.8 gourdes pour un dollar américain
en septembre 2015 à 65.2 gourdes en septembre 2016, soit une chute de près de
26%. Evidemment, la décote de la monnaie haïtienne a impacté l'inflation
qui, contrairement aux prévisions de 6.2% au début de l’exercice, a atteint, en
glissement annuel, 12,5% à la fin de l'année fiscale 2016 ».
Je
voudrais ici insister sur (i) la stagnation du secteur Travaux publics et
bâtiments, principal contributeur au PIB dans un passé récent, (ii)
l’augmentation de 7% des envois de la diaspora, (iii) la hausse des
exportations de 0.7%, due à la décote de la gourde (iv) la décote de la gourde
(26% de chute) et son impact négatif sur l’inflation (12.5%).
La
situation est donc loin d’être rose. La principale explication à ce faible taux
de croissance du PIB est l’instabilité politique, un véritable fléau pour
l’économie nationale. Avec un tel niveau de croissance du PIB, Haïti est
loin de sortir de la pauvreté. En effet, le taux de croissance de la population
se maintient autour de 1.5%. Il nous reste donc des efforts sérieux à faire et
à mettre en place des politiques publiques appropriées pour sortir de la pauvreté,
en particulier dans le secteur agricole.
La
nécessité de rééditer l’exploit du secteur agricole en 2017 et dans les années
à venir
Contrairement
à ce qui a été prévu par l’accord du 6 février 2016 et conformément à la
principale recommandation du rapport de la Commission Indépendante d’évaluation et de vérification électorale
(CIEVE), l’administration Privert a procédé à la reprise totale des élections
présidentielles. Ces élections se sont soldées par la victoire de Jovenel Moïse. Cette victoire a
dû être confirmée, le 3 janvier 2017, par le bureau du contentieux électoral
national (BCEN) après contestations de ses trois poursuivants immédiats. Ces
derniers refusent d’ailleurs jusqu’à présent de reconnaitre sa victoire, criant
au « coup d’Etat électoral »
mais acceptant la victoire des autres élus aux municipales, à la députation et
au Sénat. Comme quoi, dans un même processus électoral, il peut y avoir deux
poids et deux mesures. En tout cas, celui qui se veut le champion de
l’agriculture ne sait pas encore s’il rentrera au Palais National, le 7 Février
2017, puisqu’il est indexé dans une affaire de blanchiment des avoirs par l’unité
centrale de renseignement financier (UCREF). Toutefois, celui qui « veut mettre ensemble les gens, la
terre, le soleil, les rivières » pour donner un second souffle à
l’agriculture, ne s’avoue pas vaincu et se bat comme un diable dans un bénitier
pour sauver sa réputation et accéder au pouvoir en vue de « continuer, améliorer et innover » ce que le Parti
Haïtien Tet Kalé (PHTK) avait initié avec l’ex-président Martelly. Je rappelle
ici que c’est l’administration Martelly qui avait déclaré le secteur agricole « locomotive de la croissance »,
en lui accordant 9.7% du budget de 2015-2016 et qui a proposé cette orientation
de développement du secteur par pôles de croissance articulés autour des cinq
(5) châteaux d’eau du pays.
Pour
bien jouer ce nouveau rôle, il faut donner les moyens au secteur. Depuis bien
avant 2009, nous faisons un plaidoyer pour accorder 10% du budget national à
l’agriculture. En 2015, l’administration Martelly a enfin consacré 9.7% du
budget national au secteur. Nous nous sommes posé la question, qu’en sera-t-il
après Martelly ? Maintenant, avec le retour de PHTK au pouvoir après
l’intermède Privert, la question ne devrait plus se poser. La nouvelle
administration, issue des élections et
qui domine le Parlement, ne devrait pas avoir trop de problème à maintenir ce
cap de 10% et même plus. Par analogie aux budgets passés et suite au passage de
Matthew, qui a causé des dégâts équivalents
à 603.8 M USD (7% du PIB), il serait intéressant de consacrer 2 Mrds USD
au secteur pour les 5 prochaines années dans le cadre d’un budget global de 20
Mrds USD. L’approche par châteaux d’eau devrait
permettre de mettre l’accent sur la régénération des bassins versants,
garantissant par ainsi la protection du territoire en prévision d’un autre
ouragan de même catégorie que Matthew, tout en favorisant l’augmentation de la
production agricole en vue de satisfaire à terme les besoins alimentaires du
pays et d’exporter le surplus vers l’extérieur. D’où la nécessité de politiques
publiques visant la sécurité alimentaire du peuple haïtien (souveraineté
alimentaire comme finalité ?), avec accent particulier sur les autres
secteurs impliqués dans la mise en œuvre du plan national de sécurité
alimentaire (PNSAN 2010-2025) en phase de reformulation, tels la santé,
l’éducation, les affaires sociales, les travaux publics, la planification,
l’économie et les finances, etc.
Comme
l’a remarqué l’IHSI dans les comptes économiques de 2016 : « En termes de perspectives, il convient de noter que
l'année fiscale 2017 est mal partie à cause de la nature qui n'a pas été
clémente dès les premiers jours du mois d'octobre. Les résultats positifs
obtenus, particulièrement dans la campagne agricole de printemps 2016, ont été
quasiment bousillés par le passage du cyclone Matthew dans au moins quatre des
dix départements géographiques du pays (le Grand Sud). Cette catastrophe
naturelle a considérablement décapitalisé les agriculteurs, les éleveurs et les
pêcheurs pour ne citer que ceux-là. Si des actions adéquates ne sont pas menées
en vue d'une recapitalisation appropriée, cette situation risque de mettre à
mal la performance attendue de l'économie haïtienne en 2017. (Réf. http://www.ihsi.ht/pdf/comptes_economiques_en_2016.pdf ) ».
En
tablant sur une bonne pluviosité suite au passage de Matthew, l’agriculture
haïtienne, qui est essentiellement pluviale, pourrait espérer augmenter sa
performance au cours de 2017, moyennant une attention particulière de la part
des pouvoirs publics. Le plan de réponse post Matthew de 179 M USD sur 7 ans
peut aider mais ne correspond pas à une réponse vigoureuse face aux dégâts
enregistrés. Il est impératif de s’en servir partiellement dans le cours terme
mais de le réviser à la hausse pour des résultats de moyens et de longs termes.
Dans le cadre des états généraux sectoriels projetés par la nouvelle
administration, le plan de réponse devrait être mis en débat. Le
redimensionnement du plan autour de 2 Mrds USD sur 5 ans pourrait être, entre
autre, une finalité à atteindre.
Pour
améliorer la performance du secteur et favoriser son apport au PIB global, il
faudrait un plan de réponse axé sur (i) la réforme institutionnelle, avec
accent particulier sur les structures déconcentrées et décentralisées, (ii) le
renforcement de l’agriculture familiale, (iii) l’agri business, (iv) les
services techniques, financiers et d’assurance agricole (conservation,
transformation, commercialisation des produits agricoles), (v) la
réhabilitation et la mise en place d’infrastructures agricoles performantes,
(vi) la régénération des bassins versants, avec accent particulier sur les
châteaux d’eau, les sources, les ravines, les rivières, etc.
Ainsi,
la bonne pluviosité aidant, l’application du plan de réponse, la gestion des
catastrophes naturelles, la bonne gouvernance en termes de coordination,
d’orientation, de régulation et de suivi/évaluation devraient favoriser une
meilleure performance du secteur en 2017 et, dans les années à venir, de
contribuer autour de 5% et plus à la performance du PIB global du pays,
moyennant un pacte de stabilité issu d’une entente nationale pour le développement
d’Haïti. N’est-ce pas là une cause pour laquelle tous nos hommes politiques devraient
se battre, si l’on se réfère à leur amour déclaré pour la patrie commune? Une
fois ce pacte de stabilité adopté, si pacte il y aura, notre pays pourrait
appliquer dans sa gestion de la chose publique cette trilogie basée sur la
continuité, l’amélioration et l’innovation, chère au nouveau Président de la
République.
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