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lundi 23 juillet 2018

ET L’APRÈS JACK GUY LAFONTANT ?


ET L’APRÈS JACK GUY LAFONTANT ?
JEAN-ROEBRT JEAN-NOEL
23 JUILLET 2018

Le 14 Juillet 2018, jour de la fête nationale  de la France, qui sera sacrée championne du monde le lendemain en battant la Croatie 2 buts à 1, le Premier Ministre Jack Guy Lafontant a remis sa démission au Président Moïse, huit jours après les événements malheureux du 6 et 7 juillet 2018, qui ont couté la vie à une demie douzaine d’haïtiens, causé des dégâts matériels, donné un coup terrible à l’image du pays sur le plan international, et plongé le pays dans une conjoncture politique incertaine et dans une misère encore plus noire avec des perspectives très sombres sur le plan socioéconomique.  

Savez-vous que sur le plan touristique le pays a pris un sacré coup ? De l’hôtel Décameron  au point de jonction de la Nationale No 1 et de la Route 9, les 55 traces de barricades enflammées sur la chaussée témoignent de l’ampleur des événements du 6 et 7 juillet sur le Département de l’Ouest et en particulier sur l’image de la Côte des Arcadins, la zone de tourisme de plage par excellence,  qui lui a valu l’annulation de plusieurs réservations; certains hôtels de plage, qui étaient bondés de clients, ont dû négocier avec les bandits pour éviter les casses et le pillage et favoriser l’exfiltration des clients étrangers avec l’aide de la police dans certains cas. Au niveau de la zone de Croix-des-Bouquets, ce scénario de bandits rançonneurs s’est répété avec plusieurs entreprises (markets, magasins, hôtels, boutiques) qui sont sortis indemnes moyennant des négociations en sous-main avec des présumés chefs bandits de quartiers. Il faut noter aussi les nombreux témoignages de parents, d’amis, de collègues qui ont dû dormir sur leur lieu de travail et affronter les barricades pour rentrer à pied chez eux le lendemain et le surlendemain.

A partir de ces nouvelles informations, la situation s’annonce encore plus désastreuse, la peur d’une nouvelle flambée de violence s’est installée dans la tête des gens et  des entrepreneurs en particulier. Face à cette situation désastreuse, que nous réserve l’après Lafontant ? Le déchoucage du Président Moïse comme le souhaite l’opposition radicale ? La continuité de l’administration Moïse avec la mise en place d’un gouvernement « inclusif » comme le propose le Président Moïse? Ces deux propositions, si elles arrivent à se concrétiser, devront se colleter à cette situation socioéconomique désastreuse.

Le déchoucage du Président Moïse
L’opposition politique radicale ne jure que par la tête du Président Moïse. Qu’elle parle de conférence nationale souveraine ou déchoucage, l’objectif reste le même, la chute du Président. La conférence nationale souveraine ferait moins de mal au pays. Elle se ferait selon toute vraisemblance dans le calme. Par contre, le déchoucage, qui prendrait l’allure de ce qui s’est passé les 6 et 7 Juillet 2018 au niveau de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, ne devrait pas laisser grand ’chose au pays. C’est une stratégie très connue des haïtiens, elle a été appliquée avec succès pour obtenir notre indépendance. C’était une nécessité. Il s’agissait de rompre avec le système esclavagiste mondial basé sur l’esclavage des nègres considérés comme des bêtes de somme, des animaux. Cette révolution  a eu des répercutions au niveau mondial. Haïti est devenue le symbole de liberté. 

Tout au long de notre histoire de peuple, nous avons déchouqué des Présidents, des dictateurs ; ces mouvements ont été qualifiés de « révolutions ». En réalité, rien ne change. En tout cas, plus ça change, plus c’est la même chose. Plus près de nous, on a fait 1986, on a déchouqué Jean Claude Duvalier, on a brulé, on a tué, on a établi un système démocratique sur le papier à travers la constitution de 1987. Mais dans la réalité, on a galvaudé la démocratie. Le système mis en place en 1806 après l’assassinat de Dessalines se perpétue jusqu’aujourd’hui à travers le système dit démocratique théoriquement issu de la constitution de 1987, et  qui s’apparente beaucoup plus à une forme de licence qu’autre chose. Ce galvaudage a favorisé une exploitation à outrance du système qui a, enfin, atteint ses limites si l’on se réfère aux indicateurs qui sont tous en rouge. Le déchoucage  d’un Président est devenu le sport national.

Aristide est passé par là, mais ceux qui ont payé le prix du déchoucage c’étaient en partie ceux-là qui ont œuvré  pour forcer le départ d’Aristide, les partisans d’Aristide forcèrent les gens à se barricader chez eux au niveau de la zone métropolitaine de Port-au-Prince durant au moins trois jours, avec à la clé « l’opération Bagdad » et l’intensification de la pratique du kidnapping. Préval y a résisté, Martelly a dû composer pour terminer son mandat. Dans tous les cas de figure, c’est le pays  qui a payé les pots cassés. Un déchoucage de plus ne nous mènera nulle part.

Pourquoi ne pas composer avec le pouvoir en place pour amorcer le changement du système dans le cadre d’un gouvernement inclusif combinant les états généraux sectoriels de la nation (EGSN) et une conférence nationale semi souveraine ne mettant pas en cause le mandat  du Président Moïse et des autres élus issus des dernières élections générales ?

La mise en place d’un gouvernement inclusif
Le professeur Lesly F. Manigat aurait dit un gouvernement « sans exclusive ». Un gouvernement inclusif suppose la participation des diverses catégories d’opposition, les modérés et les radicaux. Les consultations sont en cours au niveau du Palais National  avec l’ensemble des acteurs de la vie nationale pour désigner cet oiseau rare susceptible de remplacer l’ex-PM Lafontant, un politique capable de dialoguer avec tout le monde, avec la communauté des affaires, avec la communauté internationale, ayant des sensibilités par rapport à la masse des plus défavorisées, de préférence issue de l’aile modérée de l’opposition ou de la société civile, mais ayant des connaissances solides de la structure étatique, etc. Ce profil est établi en écoutant les diverses propositions émanant de nombreux secteurs du pays qui se sont prêtés au jeu de « proposition de sortie de crise », comme il est de mise en de pareilles circonstances. Cela m’étonnerait que l’opposition radicale accepte de participer à un tel gouvernement quel qu’en soit son qualificatif, l’intolérance aidant. Le problème pour cette opposition est tout simplement Jovenel Moïse. Point barre ! Il en fut de même pour  Aristide en 2004. Aristide parti, le problème n’est jamais résolu car c’est le système qui a atteint ses limites comme l’a diagnostiqué l’ex-gouverneur de la Banque de la République d’Haïti, Fritz Jean.  Pourtant, sans la participation de cette opposition radicale,  l’inclusive serait bancale et pourrait basculer à n’importe quel moment dans le chaos comme les épisodes du 6 et 7 Juillet 2018.

En attendant, il serait bon de trouver une forme d’entente avec elle pour favoriser l’implémentation de ce gouvernement dit inclusif, qui devrait prendre en compte les désidératas de cette opposition en lien avec la misère abjecte du peuple haïtien. Ce gouvernement inclusif aurait à faire face à cette situation socio-économique empirée par les derniers évènements. Pour cela, il faudrait :

(i)                  Revoir à la baisse le budget soumis et l’orienter vers un budget par département sur la base du « document de synthèse des plans d’action départementaux » qui a inspiré « la politique et la stratégie nationales de souveraineté et de sécurité alimentaires (PSNSSAN) » ainsi que « les plans départementaux de la Sécurité alimentaire (PDSAN) » ; tous ces documents sont déjà validés ou en phase de l’être par les acteurs du développement ; la départementalisation du budget serait en soi une révolution dans notre manière d’opérer ;

(ii)                     Utiliser systématiquement la stratégie Caravane du changement, qui est contrairement à la perception une stratégie de coordination et de gouvernance visant le développement participatif et durable du pays, en favorisant l’imbrication intra-sectorielle des actions, leur articulation intersectorielle et leur intégration à l’action gouvernementale pour maximiser leurs effets et impacts sur la vie des citoyens,  en prévoyant le renforcement des directions départementales des ministères, des organismes autonomes de l’Etat, des collectivités territoriales, non seulement pour l’exécution des actions mais aussi et surtout pour la gestion des fonds y relatifs, ce qui nécessiterait de nouvelles dispositions au niveau des directions départementales  du MEF et du MPCE susceptibles d’accélérer les décaissements et de contrôler les dépenses effectuées, le travail de prise en compte des actions sectorielles dans le budget 2018-2019 et dans le plan triennal d’investissement 2019-2022 serait d’une grande utilité dans la programmation et la mise en œuvre  des actions sectorielles au niveau de l’ensemble du territoire national ;

(iii)               Mettre en place un gouvernement d’austérité avec un nombre réduit de ministres sur le modèle suggéré par la FONHDILAC (Réf. https://jrjean-noel.blogspot.com/2017/02/document-dorientation-pour-la.html ). Pour cela, il faudra trouver un consensus au détriment de la loi qui prévoit 18 ministres. La FONHDILAC a proposé depuis 2011 et l’a réédité en Février 2017 la réduction du nombre de ministres à 11 au lieu de 18. On rappelle ici que certains grands pays n’ont pas plus que 10 ministres, pourquoi pas la petite Haïti avec un budget aussi chétif autour de 2 milliards de dollars américains et qui risque d’être revu encore à la baisse pour cause de son financement?

vendredi 13 juillet 2018

HAITI: HAUSSE DES COURS DES CARBURANTS, CAUSES, CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES


HAITI: HAUSSE DES COURS DES CARBURANTS, CAUSES, CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
13 JUILLET 2018

En février 2018, le Gouvernement Haïtien  (GOH) et le Fonds Monétaire International  (FMI) ont signé un accord de six mois (Staff Monitoring Program) dans lequel il est prévu, entre autres, de ne plus subventionner l’électricité et le carburant. Depuis, tout le monde sait que le prix des carburants allait augmenter en fonction de la hausse enregistrée dans ce secteur sur le plan international. L’opposition politique et certains  syndicats avaient mis en garde le GOH contre une éventuelle  hausse des cours du carburant, sous peine de déchoucage du Président. Le GOH a attendu le démarrage du Mondial 2018 (14 juin-15 juillet 18), en particulier le 6 juillet, jour du quart de finale  Brésil-Belgique (1-2), pour annoncer cette hausse de plus de 85 G par Gallon. Il faut noter que le Mercredi 4 et le jeudi 5 juillet, deux jours sans match de football, la tension était très forte au niveau de la Croix-des-Bouquets, de Tabarre, de la Nationale No 1 au point de jonction avec la route 9 menant vers Cité Soleil non loin du poste de police de CANAAN, etc.,  à partir des rumeurs d’augmentation du prix des  carburants, et ma voiture a reçu un coup de pierre au niveau de la porte droite sur la route de Tabarre-Croix–des-Bouquets, mercredi vers 10h PM.  Le même jour, un autre ami a dû emprunter en pleine nuit la route de Titanyen-Saut D’Eau-Mirebalais pour arriver à dormir chez lui quelque part à la Plaine du Cul de Sac.  Cette annonce et la défaite du Brésil aidant, ce fut une explosion de violence, le pillage, l’incendie des magasins, des entreprises du secteur des affaires dont, entre autres, les entreprises de Réginald Boulos, la casse des parebrises et l’incendie des véhicules en stationnement ou de passage, neufs et usagés. Un vrai déferlement de violence nettement disproportionné par rapport à l’acte d’augmentation du prix du carburant, marqué par l’absence de réaction de la Police Nationale d’Haïti (PNH) et qui a poussé le Président Moïse à faire retrait de la mesure d’augmentation le samedi soir 7 juillet où la violence a atteint son paroxysme. Quelles  sont les causes,  les conséquences de cette mesure avortée et les perspectives pour Haïti?

Les causes
Le GOH a besoin d’argent pour faire fonctionner le pays et investir dans son développement. Il n’a plus les moyens de subventionner le carburant. Au niveau international,  c’est la hausse des cours du pétrole. Haïti importe le pétrole et le revend à perte. Le GOH a signé un accord avec le FMI pour réduire le déficit budgétaire dont la subvention du carburant est en partie responsable. Il n’avait pas le choix. Malheureusement, le GOH a péché par une communication non appropriée, par l’ignorance du discours de l’opposition politique qui venait de faire une alliance conjoncturelle visant le déchoucage du Président, par l’ignorance des deux jours d’avertissement (4 et 5 juillet) qui ont servi d’exercice à l’opposition politique. En effet, lorsqu’un ami a questionné les habitants de la zone du pont de Tabarre, ils ont avoué ne pas reconnaitre les gens qui ont bloqué le pont et ses environs et qui ont envoyé des pierres pour effrayer les automobilistes. C’était une orchestration assez impressionnante, bien huilée qui s’est réalisée avec une rapidité étonnante pour quelque chose soi-disant improvisé. Cette orchestration s’est répétée en plusieurs endroits en même temps. Ces deux jours auraient dû interpeller le GOH, être analysés par les stratèges de la sécurité et les pousser à prendre des mesures préventives par rapport  à cette annonce effective du 6 Juillet 2018 juste après le coup d’envoi du match Brésil-Belgique. C’était clair, le GOH  a basé cette mesure sur un coup de poker, la victoire du Brésil.

Les conséquences
C’était tout simplement de l’enfantillage qui a couté des pertes en vies humaines, des dizaines de millions de dollars au pays, des pertes d’emplois considérables, un coup à l’image du pays difficilement évaluable et surmontable, une perte de confiance dans les dirigeants, une aggravation de l’insécurité, une revue à la baisse du taux de croissance à deux mois et demi de la fin de l’exercice fiscal en cours, et très certainement une instabilité gouvernementale avec le départ éventuel du Chef du GOH et du Chef de la Police, tous les deux coupables de négligence et considérés comme des fusibles pour sauver la tête du Président Moïse. On ne gouverne pas un pays de cette manière.  La prise de parole du Président pour annuler la mesure n’a pas eu l’effet escompté et est venue  un peu tard après les dégâts ; les arrestations des présumés coupables de pillage, d’incendie, de vol traduisent une certaine reprise en main de la situation mais il faut éviter des dérives. Une mesure pareille comme cette hausse du prix des carburants aurait dû être accompagnée d’une planification minutieuse, impliquant les services secrets du pays, le GOH, la PNH, le contrôle des points névralgiques de la zone métropolitaine, la protection des entreprises, des hôtels, des stations d’essence, etc.  Par rapport à cette défaillance des principaux organes de l’Etat préposés à la sécurité du pays, il faudra des sanctions sévères. L’Etat devra sévir.

La mise à pied du Chef du GOH et du Chef de la PNH devra se faire le plus rapidement possible. Il faut avant tout réfléchir à leur remplacement dans les prochains jours   pour ne pas tomber dans l’instabilité gouvernementale qui a commencé avec le remplacement du ministre des affaires sociales pour cause de corruption dans cette affaire de kits scolaires et s’est poursuivie avec la nomination récente des cinq ministres, Intérieur et Collectivités Territoriales, Justice, Agriculture, Haïtiens vivant à l’Etranger, Culture et Communication. Comme les deux devront être ratifiés par le Parlement, il faudra impliquer le Parlement dans le choix de ces personnalités selon un profil correspondant à la réalité du moment. Le Parlement devra  faire preuve de patriotisme et ne pas laisser les intérêts mesquins et individualistes de ses membres prendre le dessus sur les intérêts du pays.

Les responsabilités
Haïti vient  de vivre un moment douloureux lié à l’irresponsabilité du GOH mais aussi du Parlement qui est à la base du choix de la plupart de ces ministres qui ont failli à leur mission. C’est aussi la responsabilité de l’opposition parlementaire dont certains membres influents ont refusé de reconnaitre l’autorité du Président issu du même processus électoral qu’eux et qui militent à visière levée pour le déchoucage du Président et incitent le peuple à agir en ce sens. Il en est de même pour l’opposition politique radicale qui a menacé le pouvoir en place en cas d’augmentation du prix des carburants, qui a revendiqué ce qui s’est passé les 6 et 7 Juillet 2018 lors de sa dernière conférence de presse du 12 Juillet 2018 et qui passe des mots d’ordre, dans le cadre d’une opération baptisée « Souke branch Pye bwa-a », pour répéter ce qui s’est passé le weekend dernier jusqu’à la chute du Président Moïse et la mise en place d’un gouvernement de transition. Le Mouvement Populaire Dessalinien (MOPOD) s’est exprimé aussi et propose, pour sortir de la situation découlant des événements du 6 et 7 Juillet 2018, « la conférence nationale souveraine » avec la mise sur la table la présidence de Jovenel Moïse. Qui va organiser cette conférence nationale souveraine? L’opposition? La Société Civile? Très certainement pas le pouvoir en place! En tout cas, c’est le même objectif visé par le MOPOD que l’opposition radicale mais sous une autre forme, la chute de Jovenel Moïse.

Il ne faudra pas  que cette obsession de jeter le Président Moise prenne le pas sur cette nécessaire entente pour la nomination d’un nouveau Chef de Gouvernement et d’un nouveau Chef de la Police. Sans ce dépassement de soi et ce patriotisme au-dessus de tout amour-propre plaçant Haïti au centre des débats et au-dessus de la mêlée, l’instabilité gouvernementale pourrait déboucher sur le néant haïtien avec une occupation en bonne et due forme cette fois-ci. C’est peut-être le souhait secret de la plupart d’entre nous. A moins que l’opposition politique arrive, avant, à jeter Jovenel Moïse et proposer une solution innovante et non cet habituel « ote-toi que je m’y mette » qui nous est si familier depuis une trentaine d’années et qui aggrave notre situation de peuple.

Les Perspectives
Après cette flambée de violence (6 et 7  juillet 2018) liée à cette mesure avortée du GOH, après celle du 12 septembre 2017 qui a également pris au dépourvu les instances chargées de la sécurité intérieure du pays, et dans l’hypothèse plausible du maintien de l’administration Moïse,  les instances concernées devraient : (i) revoir en profondeur le système de sécurité du pays, surtout au niveau de la zone métropolitaine de Port-au-Prince; (ii) adopter une série de mesures en parallèle pour soulager la misère atroce des couches les plus défavorisées; (iii) prendre beaucoup plus au sérieux cette opposition radicale qui certes ne jure que par le départ de l’administration actuelle mais qui est constituée d’Haïtiens croyant dans l’avenir du pays, c’est vrai que leur stratégie s’inspire de celle de Dessalines « koupe tet Boulé Kay », pourtant, ils savent qu’au fond d’eux-mêmes cette stratégie appliquée dans la conjoncture actuelle est plutôt néfaste pour l’économie haïtienne, tôt ou tard ils en subiront les conséquences; (iv) entamer un dialogue franc et transparent avec l’ensemble de l’opposition, en particulier l’opposition radicale, comme l’a fait Donald Trump avec la Corée du Nord, l’ennemie jurée des Etats Unis d’Amérique.

Pour finir, rappelons que notre problème fondamental demeure la lutte pour le pouvoir politique. On ne prend pas le pouvoir pour le pouvoir mais pour améliorer le bien-être de la collectivité, pour le vivre ensemble. Depuis la mort de Dessalines, nous vivons les uns à côté des autres comme Pétion l’a fait avec Christophe en divisant le pays en deux parties, la République de l’Ouest et le Royaume du Nord. Il nous faut arriver à ce « vivre ensemble » si cher à Evens Paul. C’est notre seule porte de salut. Entamons le dialogue maintenant. Il n’est pas trop tard. Notre différend n’est pas si profond que cela en comparaison avec  d’autres pays. Par exemple, le Rwanda s’est réconcilié avec lui-même après une guerre civile faisant des centaines de milliers  de morts. Avec un leader éclairé comme Paul Kagamé, c’est l’un des pays les plus innovants de l’Afrique. Pourquoi pas Haïti? La balle est dans le camp de nos hommes politiques, les principaux fossoyeurs jusqu’ici de notre patrie meurtrie!

vendredi 1 juin 2018

L’ARTICULATION DE TROIS (3) PROCESSUS EN LIEN AVEC LA SECURITE ALIMENTAIRE ET NUTRITIONNELLE (SAN) POUR LE DEVELOPPEMENT D’HAITI



L’ARTICULATION DE TROIS (3) PROCESSUS EN LIEN AVEC LA SECURITE ALIMENTAIRE ET NUTRITIONNELLE (SAN) POUR LE DEVELOPPEMENT D’HAITI
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
31 MAI 2018

Aujourd’hui c’est l’ouverture dans l’aire du champ  de Mars de la 24e  édition du Livres en folie. C’est un moment de folie pour Haïti, les 159 auteurs sont là pour signer les livres, les acheteurs aussi ont le choix sur les 1828 titres. C’est une ambiance bon enfant, caractérisée par le sourire de l’haïtien, la familiarité, la culture haïtienne dans tous les genres : le roman, la poésie, l’histoire, les essais, l’audience, etc. Cette dernière journée du mois est la bienvenue après un mois de mai plutôt mouvementé par des poches de manifestations anti-gouvernementales sous couvert de revendications pour la réparation de routes (Cité Soleil et zones de Frère, Pétionville), pour l’augmentation de salaire minimum (SONAPI), pour la disparition présumée du Maire de l’Estère, retourné heureusement au bercail depuis, pour l’inondation de certaines zones à partir des premières pluies de Mai 2018 (Petit-Goâve, zone de Rivière Barette). L’arrêté présidentiel relatif à la police Nationale d’Haïti (PNH), qui exige « l’approbation du Conseil supérieur de la Police Nationale (CSPN) » en lieu et place du « simple avis du CSPN» prévu par la loi, a suscité beaucoup de débats ; certains y voient une tentative de l’administration de « politiser la PNH » et parlent « de velléités dictatoriales ». Egalement, le voyage du Président Jovenel Moise à Taiwan, dont le momentum serait « mal choisi » vu que la République Dominicaine et Burkina Faso viennent de lâcher Taiwan au profit de la Grande Chine. L’augmentation prochaine du prix du carburant fait aussi objet de débats.  Sans commenter ces faits d’actualité qui ont marqué le mois de Mai 2018 et qui traduisent un malaise par rapport à la situation globale du pays, il m’est venu l’idée, après des discussions avec le coordonnateur de la CNSA[1], de vous entretenir sur les processus en lien avec la Sécurité alimentaire et nutritionnelle (SAN).

Les processus de la SAN

Actuellement, Haïti entre dans la phase de boucler trois processus en lien avec la SAN : (i) L’actualisation du plan national de Sécurité Alimentaire (PNSAN) décliné en 10 plans départementaux (PDSAN), (ii) l’élaboration de la politique et stratégie nationales de souveraineté, de sécurité alimentaire et de nutrition en Haïti (PSNSSANH), (iii) le processus d’inscription des actions sectorielles de la caravane dans le budget 2018-2019 et dans le budget triennal 2019-2022 après la validation des plans d’action départementaux tant au niveau des départements[2] qu’au niveau du gouvernement[3]. Les trois processus, qui s’alignent sur le Plan Stratégique de développement d’Haïti (PSDH) dont la vision est de « faire d’Haïti un pays émergent à l’horizon 2030 », contribueront nécessairement, si mis en œuvre correctement, à cette finalité et aussi à « un taux de souveraineté alimentaire de 88% ».

Définitions des concepts, Rappel Historique et Contenu

Dans cette partie, le lecteur est invité à prendre connaissance des définitions ou à se les rappeler. Il sera procédé également  à un rappel historique de ces trois processus et à une mise en exergue de certains éléments de contenu, susceptibles d’éclairer davantage le lecteur et de le mettre dans le bain de ce qui se fait actuellement au pays en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle (SAN), en se référant aux documents appropriés pour les définitions et les éléments de contenu.

Définitions des concepts

En 1996, il a été adopté la définition suivante pour la sécurité alimentaire :
« La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. La sécurité alimentaire a quatre piliers ; disponibilité, accès, utilisation et stabilité[4] »

Quant à la sécurité nutritionnelle, elle se définit comme suit :
« La sécurité nutritionnelle peut être définie comme un état nutritionnel adéquat, en termes de protéines, d’énergie, de vitamines et de minéraux, de l’ensemble des membres du ménage, et ce à tout moment [5]».

Concernant la Souveraineté alimentaire, les définitions suivantes ont été adoptées :
« La souveraineté alimentaire est le droit des peuples de définir leurs propres politiques en matière d’alimentation et d’agriculture, de protéger et de réglementer la production et le commerce agricoles intérieurs afin de réaliser leurs objectifs de développement durable, de déterminer dans quelle mesure ils veulent être autonomes [et] de limiter le dumping des produits sur leurs marchés[6] »

La PSNSSANH a adapté cette définition :« Le droit des peuples à définir leurs propres politiques et stratégies durables pour la production, la distribution et la consommation d'aliments et de réglementer la production et le commerce agricoles intérieurs qui garantissent le droit à l'alimentation en faveur de toute la population, en se basant sur la moyenne et la petite production, respectant leurs propres cultures et la diversité des pratiques paysannes de production agricole, de commercialisation et de gestion des espaces ruraux, dans lequel la femme joue un rôIe fondamental. La souveraineté alimentaire garantit la sécurité alimentaire et nutritionnelle[7] ».

« La Caravane du changement se veut une stratégie transformatrice tant de l’État que de la société haïtienne. Elle vise donc à mobiliser les forces vives d’Haïti pour transformer les rapports sociaux historiques et aboutir au développement endogène et durable de notre pays. [8]». « Elle ambitionne de favoriser l’imbrication intra-sectorielle des actions, leur articulation intersectorielle dans le cadre de l’action gouvernementale afin de maximiser leurs effets et impacts sur la qualité de vie du peuple haïtien ».

Rappel Historique et Contenu

PNSAN. 1996-2018
Une première version du Plan National de Sécurité Alimentaire  (PNSA) a été élaborée en 1996 juste avant le Sommet mondial sur l’alimentation. Une autre version,  visualisée comme une actualisation du Plan National de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (PNSAN),  a vu le jour en 2010 après le tremblement de terre  et est perçue comme « un mécanisme d’implémentation des choix  des politiques nationales pour le développement économique et social,  inscrits dans le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP). Il rejoint les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), surtout celui visant de réduire de moitié jusqu’à l’horizon 2015 le nombre de personnes souffrant de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Cet objectif est repris et adapté par le GRULAC à travers le GT-2025 qui prône : « l’éradication de la faim dans la Région Amérique Latine et Caraïbes  en 2025 »  C’est un défi majeur pour tous les gouvernements, en particulier ceux en situation de sous-développement et classés parmi les PMA comme Haïti[9].

Actuellement, le PNSAN est en phase de réactualisation. Ce processus est en cours depuis 2015. Il est articulé, à partir d’une démarche participative et inclusive axée, entre autres, sur un principe directeur, «  la production nationale d’abord », partant des communes en passant par les départements jusqu’au niveau national, autour de 3 catégories de documents, les plans communaux (PCSAN), les plans départementaux (PDSAN) et le plan nationale (PNSAN). Ce qui devrait se traduire par 30 plans communaux, 10 plans départementaux et un plan national. Malheureusement, on devrait se contenter de quelques plans communaux faute de temps, des 10 plans départementaux et du plan national. Le mois de juin devrait couronner la fin du processus d’élaboration et de validation.

PSNSSANH. 2012-2018- Le présent document de PSNSSANH est le fruit de plusieurs années de travail. Le processus a débuté en 2012 lors de la création d’une Commission gouvernementale de stabilisation des prix alimentaires, suite à l’ouragan Sandy, ayant pour mission de stabiliser les prix de 5 produits alimentaires de base[10]. En 2013, la Commission a statué sur la nécessité d’élaborer un document de politique publique ayant pour objectif de définir les dispositions à mettre en place pour éliminer, progressivement, le déficit d’offre nationale des produits agricoles. Dans ce contexte, trois assises régionales (nord, sud et ouest) ont été organisées entre mai et juin 2013. Ces assises ont permis d’identifier un ensemble de mesures devant constituer le socle d’une politique publique de souveraineté et de sécurité alimentaire et nutritionnelle. Capitalisant sur les résultats de ces assises, une consultation a été commanditée par le Conseil de Développement Economique et Social (CDES), sous l’égide de la Primature, en vue de produire le document de politique. Dans ce cadre, une Task Force, présidée par la Primature, a été mise en place afin de piloter une large consultation des institutions nationales. Ces travaux ont dû être suspendus, durant une année, suite au passage de l’ouragan Mathew, le 4 octobre 2016. Lors de cette première phase du processus, le CDES a toutefois produit une première ébauche de document de politique[11].

La PSNSSANH, qui « est une condition sine qua none pour orienter la mise en œuvre d’interventions (mesures et Programmes Nationaux) à même de déverrouiller le potentiel économique et humain de la nation sur lesquels la vision d’un pays émergeant pourra être atteinte », tourne autour de 4 axes (i) Axe Politique traitant des questions de lenvironnement dans lequel évolue la souveraineté et sécurité alimentaires et la nutrition ; (ii) Axe Opérationnel, traitant « des biens et services dont la population a besoin, en temps normal et en situation d’urgence suite à un choc, pour l’atteinte de la souveraineté et sécurité alimentaires et la nutrition » ; (iii) Axe Institutionnel traitant « du renforcement des institutions et des capacités nationales nécessaire à la bonne mise en œuvre de la PSNSSANH », et (iv)  Axe  Transversal traitant « des questions transversales tels que laménagement du territoire, le genre et la résilience ».  

La mise en œuvre de la PSNSSANH nécessite la mise en branle d’une série de décisions : « (i) Rebalancer progressivement la dominance des politiques favorisant le commerce international en faveur de politiques visant à atteindre la souveraineté et la sécurité alimentaires et la nutrition ;  (ii) S’appuyer sur l’agriculture familiale et l’agro-industrie, comme secteur moteur de la relance de l'économie haïtienne et de l’élimination de la faim et la malnutrition ; (iii) Investir dans les filets sociaux ainsi que la disponibilité et l’accès aux services de base de qualité nécessaires à la sécurité nutritionnelle, afin que personne ne soit laissé de côté du développement socio-économique de la nation ; (iv) Renforcer les capacités nationales nécessaires à la bonne mise en œuvre de la PSNSSANH.

« La finalisation de la PSNSSANH a été accélérée par la nécessité d’institutionnaliser les actions SSAN de la Caravane du Changement et d’aligner ces actions sur les Objectifs de Développement Durables, en particulier l’ODD 2 « Faim Zéro ».

            Caravane du Changement.2017-2018

Les premiers documents de cette nouvelle stratégie innovante et globalisante  remontent à Mars 2017, Programme d’aménagement dans la Vallée de l’Artibonite, la première version de la note conceptuelle,  et l’opération coup de poing au niveau de la Vallée. Ce qui a permis le lancement des premières opérations dans le cadre de la caravane  le 1er Mai 2017 dans la Vallée de l'Artibonite. De cette date à aujourd’hui, il a été élaboré, entre autres, le document de synthèse des plans d’action départementaux. Actuellement la caravane, dont le premier objectif se formule ainsi : « Réaliser les actions visant la refondation de l’Haïti de demain, plus équitable, fondée sur le droit, le partage, la solidarité, l'éducation, le respect de l'environnement et le culte du bien commun, avec accent particulier sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans ses quatre (4) dimensions, disponibilité, accessibilité, sécurité alimentaire et nutritionnelle et stabilité », s’étend sur l’ensemble du pays à partir d’une approche multisectorielle basée sur l’utilisation des directions déconcentrées et décentralisés des secteurs. Les 17 axes d’intervention sont en harmonie partiellement avec la PSNSSANH et englobent les axes d’intervention retenus dans les PDSAN départementaux.

« En tant que stratégie, elle prend forme et se renforce au fur et à mesure qu’elle se développe. Tout en étant ferme dans ce qui définit ses objectifs, elle reste flexible et souple dans la mise en place de ses moyens d’action, car elle peut éveiller des consciences, elle peut contribuer à redéfinir les besoins et, élargir la distance entre les moyens et les aspirations qu’elle aura elle-même créées, tous les groupes d’une société n’évoluant pas au même rythme[12] ».

L’articulation des trois processus de la SAN

Les trois processus évoqués plus haut ont démarré à des dates différentes. Au départ en 1996, le PNSAN, qui s’était aligné au document stratégique de l’Etat en vigueur à l’époque, s’est vite collé au document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP), qui va se transformer, après le tremblement de terre de 2010, en plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti (PARDNH) et en 2012 en plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH) poursuivant l’objectif de faire d’Haïti un pays émergent  en 2030. Les deux autres processus, le PSNSSANH 2012 et la Caravane 2017, vont faire la même chose en s’alignant sur le PSDH, les ODD, les politiques et stratégies sectorielles, pour l’atteinte de cette vision de pays émergent. Avec le mot d’ordre de l’administration actuelle de « continuer, corriger et Innover[13] », il n’a pas été difficile d’articuler les trois processus. Ce qui fait que les actions entreprises dans l’un ou l’autre processus seront bénéfiques aux trois et à Haïti.

Toutefois, « L’atteinte de la vision du PSDH nécessite une rupture avec les politiques commerciales, le profil tarifaire et la politique budgétaire actuelles qui sont les sources mêmes de la pauvreté, de la faim et de la malnutrition affectant la majorité de la population du pays », Selon la PSNSSANH. « D’un point de vue opérationnel, la PSNSSANH se traduit par 35 Mesures et 25 Programmes Nationaux, qui, si mis en œuvre de façon coordonnée et concertée sur l’ensemble du territoire, sont à même de permettre au pays d’atteindre les Objectifs du PSDH, du Développement Durable (ODD), de la souveraineté et sécurité alimentaires et de la nutrition ». D’où la nécessité d’une imbrication intra-sectorielle des actions d’urgence, de relèvement et de développement, de leur articulation intersectorielle et de leur intégration à l’action gouvernementale pour maximiser leurs effets et impacts sur la vie du peuple haïtien, comme l’ambitionne la caravane du changement.

Le principe de continuité de l’Etat et le développement d’Haïti

Au risque de nous répéter, ces trois processus, la PSNSSANH et le PNSAN en phase de validation, la Caravane du Changement en phase de mise en œuvre, avec les résultats encourageants déjà enregistrés, exécutés et à exécuter  dans le cadre d’une imbrication intra sectorielle des actions avec la participation de l’ensemble des acteurs d’un secteur, articulés d’un secteur à un autre  dans le cadre d’une bonne intégration à l’action gouvernementale, devraient grandement contribuer, selon le principe de continuité de l’Etat, comme cela a été le cas pour le barrage hydro électrique de Péligre, à l’émergence d’Haïti à l’horizon 2030 et à l’autosuffisance alimentaire avec un taux de souveraineté alimentaire de 88%.  Pour cela, les partis politiques qui aspirent à diriger le pays et ceux-là qui sont actuellement au pouvoir, devront placer l’intérêt national au premier plan et s’arranger, dans le cadre d’une grande concertation nationale[14] et selon toujours le principe de continuité de l’Etat, de continuer les actions de développement entreprises, de les corriger au besoin et d’aboutir à cette bonne gouvernance, la seule porte de sortie pour le développement du pays. Est-ce trop lourd pour les épaules des héritiers de Jean-Jacques Dessalines le Grand? Sommes-nous devenus trop nains par une sorte de dégénérescence mentale pour nous dépasser et refaire le Congrès de l’Arcahaie, cette fois-ci, pour gagner la bataille du développement et l’indépendance économique ?











[1] Commission National de Sécurité alimentaire
[2] Les plans d’action départementaux ont été l’objet de validation dans des séances organisées par les Délégués  appuyés par la cellule de pilotage de la caravane (La CASDA)
[3] Compte rendu la retraite gouvernementale 11-12 Mai 2018 organisée par le MPCE et  la CASDA-
[4] Sommet Mondial de l’Alimentation 1996
[5] IFPRI  (1995)
[6] Forum mondial sur la souveraineté alimentaire à Sélingué en 2007  
[7] PSNSSANH 2018
[8] Notre conceptuelle de la caravane du changement. Transformer l’Etat pour transformer la société- Version Avril 2018
[9] Réf. PNSAN 2010-2025 MARNDR 2010.
[10]  Riz, huile, farine, maïs, haricot.
[11]  CDES, 2016.
[12] Note conceptuelle de la Caravane du Changement. Version Avril 2018.
[13] Discours de campagne du Président Jovenel Moise.
[14] Pourquoi pas les Etats Généraux Sectoriels de la Nation (EGSN) ?

mercredi 2 mai 2018

HAITI : LA GRANDE CONCERTATION NATIONALE EST-ELLE POSSIBLE ?



HAITI : LA GRANDE CONCERTATION NATIONALE  EST-ELLE POSSIBLE ?
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL                                                                         
2 MAI 2018

Depuis le départ d’Aristide en Février 2004, je prêche pour la grande concertation nationale (Réf. https://jrjean-noel.blogspot.com/2008/04/les-actions-prendre-apres-la-sortie-de.html ). Toutes les tentatives en ce sens ont échoué. Pourtant J’ai continué à en parler, à en faire tout un plaidoyer. Dans la plupart de mes articles, il y a toujours un petit clin d’œil sur la grande concertation nationale, sur l’entente nationale, sur le dialogue, sur la conférence nationale semi souveraine. Un ami m’a fait cette question, dans le cas où cette  grande concertation se révèlerait possible, qui organiserait cet événement? J’ai trouvé sa question stupide. Car le grand nationaliste que je suis croyait dur comme fer qu’on pourrait rééditer le congrès de l’Arcahaie. Je le crois encore d’ailleurs. Et, lorsque le candidat Jovenel Moïse est venu avec les états généraux sectoriels de la nation comme thème de campagne, et une fois élu, je me suis dit ca y est, Haïti va  avoir sa grande concertation nationale. Après sa prise de pouvoir le 7 Février 2017, J’ai dû attendre un an avant de voir lancer ces Etats Généraux sectoriels de la nation (EGSN), avec un comité de pilotage composé du gratin des adeptes de la grande concertation nationale et des termes de référence axés sur la gouvernance des secteurs les plus importants. J’ai vite déchanté avec la défection de Claude Moïse. Ensuite, c’était le tour de Jacques Edouard Alexis à cause de la présence d’Irvelt Chéry. M. Chéry lui-même aurait renoncé. Tandis que Michèle Pierre Louis ne se serait jamais présentée à une réunion, selon ce qui se dit. Enfin, le coup de massue est venu avec la défection de Mgr Kebreau. C’est à se demander, la grande concertation nationale est-elle possible en Haïti?

Avant de tenter de répondre à cette interrogation, essayons de passer  en revue rapidement les faits saillants ayant marqué l’actualité durant le mois d’Avril 2018. Par la suite, on tentera une analyse sur le sujet en question, avant de terminer sur les conclusions appropriées.

A.      LES FAITS SAILLANTS DU MOIS D’AVRIL 2018

Les Etats généraux sectoriels de la nation et les défections qui s’ensuivent, la participation du Président J. Moise à cette assise sur la gouvernance et la corruption au Pérou, la disparition d’un journaliste à Grand Ravine, la démonstration  de force de certains gangs au Portail Léogane, Grand Ravine et  village  Solidarité, la conférence annuelle sur la Finance du Group Croissance  consacrée au secteur agricole, le remaniement ministériel sans l’aval des alliés parait-il,  et un groupe de députés de l’opposition en profite pour tenter d’interpeller le Premier Ministre, la conférence du Sénateur Latortue sur Pétro Caribe au Cap-Haïtien soldée par l’explosion de deux grenades lacrymogènes et la mort d’un homme, la grève des employés de l’OAVCT (Office d’Assurance des Véhicules Contre Tiers), le mémorandum du 27 Avril 2018 entre le secteur privé et le secteur public contre la corruption, la fin du processus de validation des documents des plans d’action départementaux dans le cadre de la Caravane du changement et le début de leur mise en œuvre au niveau des départements, le lancement des travaux de curage de la Rivière blanche dans le cadre de la caravane du changement dans le département de l’Ouest, et le bilan de la première année de la caravane du changement par le Président Moïse, ce 30 avril 2018, au Palais dans le cadre d’une conférence de presse largement diffusée par les médias sont les principaux  faits saillants  de  l’actualité durant le mois d’avril 2018. Les points les plus commentés sont les défections au sein du comité de pilotage des Etats Généraux Sectoriels de la Nation (EGSN), la disparition du journaliste à Grand Ravine, l’incident mortel survenu au Cap-Haïtien lors de la conférence sur le rapport Pétro Caribe et le bilan de la 1e  année de la caravane du changement.

Un clin d’œil sur le bilan de la 1e année de la caravane et la conférence de presse du Président Moïse
Dans le cadre de cet article, on ne va pas s’attarder sur le bilan de la 1e année de la caravane, pour la bonne et simple raison qu’il n’est pas tellement différent du bilan des 7 mois inclus dans le bilan  pays 2016-2017 (Ref. https://jrjean-noel.blogspot.com/2017/12/haiti-bilan-2017-perspective-2018-dun.html ), si l’on fait exception des actions relatives aux logements sociaux qui ont connu une bonne avancée dans le Grand Sud, et un début de mise en œuvre  au niveau de Lagrange, les actions relatives aux routes et à la rénovation urbaine au niveau de l’ensemble des départements du pays, et les actions relatives à l’électrification rurale. Comme nous l’avons suggéré dans l’article cité en référence, la prise en compte des actions effectuées dans le cadre de la caravane devrait contribuer à l’amélioration de l’économie. L’indice conjoncturel d’Activité Economique (ICAE) de l’IHSI pour le premier trimestre de l’exercice 2017-2018 vient le confirmer (Tableau 1).

Tableau 1 : Indice Conjoncturel d’Activité Economique (ICAE)
ICAE Global
3.4
Remarque
Secteur Primaire
4.2
Avec un apport de 4.1% de la branche Agriculture
Secteur secondaire
3%
Avec un apport de  3.4% de la branche construction
Secteur Tertiaire 
3.5%
Avec un  apport de 5.8% du secteur Transport et communications
Source IHSI Premier Trimestre 2017-2018- Dossier Presse  Karavan Chanjman-Palais National

Il faut noter quelques annonces faites par le Président Moïse lors de sa conférence de presse au Palais National en relation avec la 1e année de la caravane du changement, l’excédent budgétaire de 100 milliards de gourdes collectées alors qu’on s’attendait à 94 milliards de gourdes en termes de prévisions, la caravane Alpha qui pourrait mobiliser 80,000 finissants pour alphabétiser les adultes suggère le Président, la possibilité de doter le pays de 3 nouvelles usines d’asphalte pour porter le nombre d’usines du secteur étatique à 5 unités, ce qui porterait à 15 unités la capacité totale du pays, incluant les 10 unités du secteur privé, la  capacité du pays à faire face aux catastrophes naturelles en termes de matériels lourds, et le maintien de son annonce de doter le pays de l’électricité 24/24, cette fois-ci en 15 mois.

B.      ANALYSE DE LA SITUATION DE LA GRANDE CONCERTATION NATIONALE

Par contre, il serait bon de s’attarder  sur la grande concertation nationale, en particulier sur les Etats Généraux Sectoriels de la Nation (EGSN). La grande concertation nationale est une nécessité. Haïti ne pourra jamais sortir du trou sans la grande concertation nationale. C’est ma conviction profonde. Beaucoup l’ont compris comme moi. Turnep Delpé de regretté mémoire s’est battu pour la conférence nationale souveraine. La bataille pour le pouvoir politique n’a pas permis de mettre en branle le processus pour la grande concertation nationale, le dialogue politique. Martelly, face à cette opposition farouche qui voulait, à tout prix, l’évincer du pouvoir, a tenté quelque chose qui a piteusement échoué. L’opposition politique a crié victoire. Martelly a pu sur base de compromis terminer son mandat, laissant un pays plus que divisé. L’opposition à Martelly a accédé au pouvoir en la personne du Président Privert de souche lavalassienne. Privert a organisé des élections acceptables sans parti pris qui a conduit à l’élection de Jovenel Moïse. Ses poursuivants immédiats n’ont jamais reconnu sa victoire. Comme promis, il a lancé les EGSN axés sur les thématiques suivantes rapportées par Le Nouvelliste (: http://lenouvelliste.com/article/185415/les-objectifs-de-jovenel-moise-a-travers-les-etats-generaux-sectoriels) :

(i)                  La gouvernance politique : « définir des mécanismes efficients et efficaces en matière de gouvernance politique, contribuant à renforcer l’autorité de l’État et à restaurer la confiance des citoyens dans les institutions étatiques » ;
(ii)                La gouvernance économique :« déterminer le mode de gouvernance économique capable de renforcer la capacité de nos entreprises artisanales, commerciales, industrielles et de services à se former, s’équiper, innover, entreprendre et évoluer dans le nouvel environnement technologique international en vue de l’atteinte de la compétitivité économique » ;
(iii)               La gouvernance environnementale et l’aménagement du territoire :, « proposer des mesures d’ordre institutionnel, économique et financier dans le but d’instaurer un système de gouvernance environnementale de telle sorte qu’elle permette d’affronter les changements climatiques, d’augmenter la couverture végétale et forestière, de renforcer la résilience du pays » ;
(iv)              La gouvernance de l’espace public politique et médiatique : «  concevoir une forme de gouvernance de l’espace public politique et médiatique, permettant une meilleure prise en charge des défis que posent les médias et les nouvelles technologies de l’information et de la communication en termes de protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes, aussi bien qu’en termes de formation et d’information des citoyens ; un renforcement de l’efficacité des débats publics et la promotion d’une participation inclusive et la représentation de toutes les couches de la société dans les débats sur les grands enjeux locaux, nationaux et internationaux » ;
(v)                la gouvernance du système éducatif : « définir la vision et les orientations d’ordre stratégique à promouvoir pour assurer une meilleure gouvernance de notre système éducatif, dans le sens du renforcement du processus de responsabilisation et d’autonomisation des établissements d’enseignement à tous les niveaux par rapport aux valeurs, normes et standards nationaux et internationaux » ;

(vi)              la gouvernance du système de santé : « proposer une orientation compétente des ressources et des performances de notre système de santé ainsi que la participation de tous les acteurs concernés dans l’objectif de sauver des vies ; définir des moyens de consolidation des mécanismes de transparence et de responsabilisation dont dispose la société civile pour améliorer la gestion du système de santé du pays et proposer des options envisageables pour l’amélioration du système de financement » ;
(vii)             L’identité culturelle et l’intégration sociale : «  clarifier et préciser les valeurs fondamentales qui nous définissent comme nation ; proposer des mécanismes de réconciliation, de rapprochement et d’intégration de toutes les couches et de toutes les opinions de notre société et pour proposer un cadre favorable à l’appropriation de notre histoire et de notre patrimoine par toutes les composantes de notre société, en mettant en valeur et en assurant le rayonnement de l’héritage culturel de notre pays » ;
(viii)            L’ordre et la sécurité publics : « proposer des moyens de renforcement des mécanismes de stabilisation du pays (justice, armée, police, etc.) ».

Ces huit (8) thématiques  à traiter par le comité de Pilotage durant une période de six mois à compter du 28 Mars 2018  devraient déboucher sur « Le Pacte pour la stabilité et le progrès économique et social » à soumettre pour validation au président de la République, a rapporté en substance, Robenson Geffrard du Nouvelliste.

Aussitôt le lancement fait ce 28 mars 2018, un flot de critiques s’abat sur le choix des membres du comité, en particulier Mgr Kebreau. Il faut noter que Claude Moïse, membre désigné  du comité de pilotage, a dégainé le premier, en déclinant sa nomination du fait de n’avoir pas été consulté. Au cas où il n’aurait pas été contacté, c’aurait été une faute grave de la part du Palais National. Cette faute aurait pu être réparée et Claude Moïse qui a écrit des ouvrages allant en ce sens aurait pu se raviser. Rien, me semble-t-il, n’a été tenté en ce sens. Et la cascade de défections a continué. Qu’est-ce qui explique tout cela ?

Quand on regarde les termes de référence des EGSN, tout le monde devrait s’y retrouver. On pourrait par consensus ajouter les éléments manquants. A bien regarder ces huit (8) thématiques, tout ce qui concerne le développement du pays pourrait y rentrer. Ces huit (8) thématiques pourraient facilement se retrouver dans l’approche hexagonale développée par la Fondation haïtienne pour le développement intégral Latino-Américain et Caribéen (FONHDILAC) dont la finalité est de contribuer au développement  intégral d’Haïti dans le concert  des nations caribéennes et latino-américaines, en se basant sur (i) l’humain, (ii) le social et le culturel, (iii) l’environnemental, (iv) l’infrastructurel, (v) l’économique et la finance, et (vi)  la politique/gouvernance. Alors pourquoi tant de réticences, de défections par rapport à quelque chose qui pourrait nous aider à opérer cette révolution tranquille à la manière du Canada (années 1960) ? C’est la politique politicienne à l’haïtienne.

Jovenel Moise n’a pas été accepté par ses principaux poursuivants. L’opposition politique liée à cette équipe a voulu dès le départ empêcher son investiture le 7 Février 2018 et l’a qualifié d’ « inculpé ». Dans le 2e rapport PETROCARIBE, l’entrepreneur qu’il était fait partie des soupçonnés. On sait très bien le côté politique  de ce rapport. Les auteurs ont clairement pointé du doigt le Palais National, bien avant sa publication. C’aurait été impossible pour cette opposition d’accepter les EGSN comme cadre de dialogue d’autant que cette opposition a clairement opté pour le « raché manyoc » et « la conférence nationale souveraine ». Un sénateur de l’opposition est allé jusqu’à proposer de mettre son mandat en jeu, en demandant au Président de faire de même. C’est la logique de remise en question de l’élection de Jovenel Moise qui a persisté dans sa proposition. L’utilisation du dossier PETROCARIBE comme arme politique, les positions politiques sur les médias de toutes catégories ont, à mon avis, créé la peur chez les appelés à participer au comité de pilotage. Seuls les plus courageux ont répondu présents. Dans cette situation de clivage politique, de peur d’être catalogué dans un camp ou dans un autre, de méfiance,  les chances de réussite des EGSN sont minces.

Pourtant les personnalités appelées pour faire partie de ce comité sont plutôt crédibles. On déplore que certaines personnalités aient fait défection ou n’aient pas répondu à l’appel. On déplore un manque de rigueur dans l’invitation de la part du Palais National. On déplore que la bataille pour le pouvoir politique ait pu occulter tout le reste, en particulier notre chère Haïti. La politique d’ôte-toi que je m’y mette  ne pourra pas résoudre le problème haïtien. Le déchoucage, les élections n’ont plus. La bataille électorale qui s’annonce déjà sur fond du dossier PETROCARIBE (l’incident du Cap-Haitien) annonce les couleurs. On ne pourra pas compter sur les élections et nos politiciens pour la grande concertation nationale, car le plus important pour eux c’est la bataille des clans, l’entropie politique et non Haïti.

C.      Une Révolution tranquille issue de la Grande Concertation Nationale ?

J’ai toujours misé sur la grande concertation nationale comme porte de salut pour Haïti. Le processus d’implémentation des EGSN, malgré les défections, semble vouloir continuer son petit bonhomme de chemin, si l’on en croit le pouvoir en place. On espère que ceux-là qui restent vont doubler d’efforts pour proposer quelque chose qui pourrait faire consensus au niveau de la majorité des Haïtiens.

Ma conviction intime, seule une révolution tranquille issue d’une grande concertation nationale pourra sortir le pays de l’imbroglio actuel. Aucun camp politique n’a la solution à la problématique haïtienne actuelle.  Si on approche le problème haïtien sous l’angle politicien, on n’arrivera nulle part. La révolution violente ne sera pas non plus porteuse de solution. Le déchoucage encore moins. Les élections  dans les conditions actuelles, du pareil au même. Qui organisera tout cela ? Le pouvoir en place ? La société civile ? La Communauté internationale ? A noter que le pays dispose de tous les ingrédients en termes de documents, de réflexions individuelles et collectives et d’idées neuves pour faire cette grande concertation et aboutir à cette révolution tranquille, il lui manque tout simplement des hommes et des femmes prêts à sortir de leur zone de confort pour se jeter dans la bataille pour cette nouvelle Haïti.