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mercredi 2 mai 2018

HAITI : LA GRANDE CONCERTATION NATIONALE EST-ELLE POSSIBLE ?



HAITI : LA GRANDE CONCERTATION NATIONALE  EST-ELLE POSSIBLE ?
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL                                                                         
2 MAI 2018

Depuis le départ d’Aristide en Février 2004, je prêche pour la grande concertation nationale (Réf. https://jrjean-noel.blogspot.com/2008/04/les-actions-prendre-apres-la-sortie-de.html ). Toutes les tentatives en ce sens ont échoué. Pourtant J’ai continué à en parler, à en faire tout un plaidoyer. Dans la plupart de mes articles, il y a toujours un petit clin d’œil sur la grande concertation nationale, sur l’entente nationale, sur le dialogue, sur la conférence nationale semi souveraine. Un ami m’a fait cette question, dans le cas où cette  grande concertation se révèlerait possible, qui organiserait cet événement? J’ai trouvé sa question stupide. Car le grand nationaliste que je suis croyait dur comme fer qu’on pourrait rééditer le congrès de l’Arcahaie. Je le crois encore d’ailleurs. Et, lorsque le candidat Jovenel Moïse est venu avec les états généraux sectoriels de la nation comme thème de campagne, et une fois élu, je me suis dit ca y est, Haïti va  avoir sa grande concertation nationale. Après sa prise de pouvoir le 7 Février 2017, J’ai dû attendre un an avant de voir lancer ces Etats Généraux sectoriels de la nation (EGSN), avec un comité de pilotage composé du gratin des adeptes de la grande concertation nationale et des termes de référence axés sur la gouvernance des secteurs les plus importants. J’ai vite déchanté avec la défection de Claude Moïse. Ensuite, c’était le tour de Jacques Edouard Alexis à cause de la présence d’Irvelt Chéry. M. Chéry lui-même aurait renoncé. Tandis que Michèle Pierre Louis ne se serait jamais présentée à une réunion, selon ce qui se dit. Enfin, le coup de massue est venu avec la défection de Mgr Kebreau. C’est à se demander, la grande concertation nationale est-elle possible en Haïti?

Avant de tenter de répondre à cette interrogation, essayons de passer  en revue rapidement les faits saillants ayant marqué l’actualité durant le mois d’Avril 2018. Par la suite, on tentera une analyse sur le sujet en question, avant de terminer sur les conclusions appropriées.

A.      LES FAITS SAILLANTS DU MOIS D’AVRIL 2018

Les Etats généraux sectoriels de la nation et les défections qui s’ensuivent, la participation du Président J. Moise à cette assise sur la gouvernance et la corruption au Pérou, la disparition d’un journaliste à Grand Ravine, la démonstration  de force de certains gangs au Portail Léogane, Grand Ravine et  village  Solidarité, la conférence annuelle sur la Finance du Group Croissance  consacrée au secteur agricole, le remaniement ministériel sans l’aval des alliés parait-il,  et un groupe de députés de l’opposition en profite pour tenter d’interpeller le Premier Ministre, la conférence du Sénateur Latortue sur Pétro Caribe au Cap-Haïtien soldée par l’explosion de deux grenades lacrymogènes et la mort d’un homme, la grève des employés de l’OAVCT (Office d’Assurance des Véhicules Contre Tiers), le mémorandum du 27 Avril 2018 entre le secteur privé et le secteur public contre la corruption, la fin du processus de validation des documents des plans d’action départementaux dans le cadre de la Caravane du changement et le début de leur mise en œuvre au niveau des départements, le lancement des travaux de curage de la Rivière blanche dans le cadre de la caravane du changement dans le département de l’Ouest, et le bilan de la première année de la caravane du changement par le Président Moïse, ce 30 avril 2018, au Palais dans le cadre d’une conférence de presse largement diffusée par les médias sont les principaux  faits saillants  de  l’actualité durant le mois d’avril 2018. Les points les plus commentés sont les défections au sein du comité de pilotage des Etats Généraux Sectoriels de la Nation (EGSN), la disparition du journaliste à Grand Ravine, l’incident mortel survenu au Cap-Haïtien lors de la conférence sur le rapport Pétro Caribe et le bilan de la 1e  année de la caravane du changement.

Un clin d’œil sur le bilan de la 1e année de la caravane et la conférence de presse du Président Moïse
Dans le cadre de cet article, on ne va pas s’attarder sur le bilan de la 1e année de la caravane, pour la bonne et simple raison qu’il n’est pas tellement différent du bilan des 7 mois inclus dans le bilan  pays 2016-2017 (Ref. https://jrjean-noel.blogspot.com/2017/12/haiti-bilan-2017-perspective-2018-dun.html ), si l’on fait exception des actions relatives aux logements sociaux qui ont connu une bonne avancée dans le Grand Sud, et un début de mise en œuvre  au niveau de Lagrange, les actions relatives aux routes et à la rénovation urbaine au niveau de l’ensemble des départements du pays, et les actions relatives à l’électrification rurale. Comme nous l’avons suggéré dans l’article cité en référence, la prise en compte des actions effectuées dans le cadre de la caravane devrait contribuer à l’amélioration de l’économie. L’indice conjoncturel d’Activité Economique (ICAE) de l’IHSI pour le premier trimestre de l’exercice 2017-2018 vient le confirmer (Tableau 1).

Tableau 1 : Indice Conjoncturel d’Activité Economique (ICAE)
ICAE Global
3.4
Remarque
Secteur Primaire
4.2
Avec un apport de 4.1% de la branche Agriculture
Secteur secondaire
3%
Avec un apport de  3.4% de la branche construction
Secteur Tertiaire 
3.5%
Avec un  apport de 5.8% du secteur Transport et communications
Source IHSI Premier Trimestre 2017-2018- Dossier Presse  Karavan Chanjman-Palais National

Il faut noter quelques annonces faites par le Président Moïse lors de sa conférence de presse au Palais National en relation avec la 1e année de la caravane du changement, l’excédent budgétaire de 100 milliards de gourdes collectées alors qu’on s’attendait à 94 milliards de gourdes en termes de prévisions, la caravane Alpha qui pourrait mobiliser 80,000 finissants pour alphabétiser les adultes suggère le Président, la possibilité de doter le pays de 3 nouvelles usines d’asphalte pour porter le nombre d’usines du secteur étatique à 5 unités, ce qui porterait à 15 unités la capacité totale du pays, incluant les 10 unités du secteur privé, la  capacité du pays à faire face aux catastrophes naturelles en termes de matériels lourds, et le maintien de son annonce de doter le pays de l’électricité 24/24, cette fois-ci en 15 mois.

B.      ANALYSE DE LA SITUATION DE LA GRANDE CONCERTATION NATIONALE

Par contre, il serait bon de s’attarder  sur la grande concertation nationale, en particulier sur les Etats Généraux Sectoriels de la Nation (EGSN). La grande concertation nationale est une nécessité. Haïti ne pourra jamais sortir du trou sans la grande concertation nationale. C’est ma conviction profonde. Beaucoup l’ont compris comme moi. Turnep Delpé de regretté mémoire s’est battu pour la conférence nationale souveraine. La bataille pour le pouvoir politique n’a pas permis de mettre en branle le processus pour la grande concertation nationale, le dialogue politique. Martelly, face à cette opposition farouche qui voulait, à tout prix, l’évincer du pouvoir, a tenté quelque chose qui a piteusement échoué. L’opposition politique a crié victoire. Martelly a pu sur base de compromis terminer son mandat, laissant un pays plus que divisé. L’opposition à Martelly a accédé au pouvoir en la personne du Président Privert de souche lavalassienne. Privert a organisé des élections acceptables sans parti pris qui a conduit à l’élection de Jovenel Moïse. Ses poursuivants immédiats n’ont jamais reconnu sa victoire. Comme promis, il a lancé les EGSN axés sur les thématiques suivantes rapportées par Le Nouvelliste (: http://lenouvelliste.com/article/185415/les-objectifs-de-jovenel-moise-a-travers-les-etats-generaux-sectoriels) :

(i)                  La gouvernance politique : « définir des mécanismes efficients et efficaces en matière de gouvernance politique, contribuant à renforcer l’autorité de l’État et à restaurer la confiance des citoyens dans les institutions étatiques » ;
(ii)                La gouvernance économique :« déterminer le mode de gouvernance économique capable de renforcer la capacité de nos entreprises artisanales, commerciales, industrielles et de services à se former, s’équiper, innover, entreprendre et évoluer dans le nouvel environnement technologique international en vue de l’atteinte de la compétitivité économique » ;
(iii)               La gouvernance environnementale et l’aménagement du territoire :, « proposer des mesures d’ordre institutionnel, économique et financier dans le but d’instaurer un système de gouvernance environnementale de telle sorte qu’elle permette d’affronter les changements climatiques, d’augmenter la couverture végétale et forestière, de renforcer la résilience du pays » ;
(iv)              La gouvernance de l’espace public politique et médiatique : «  concevoir une forme de gouvernance de l’espace public politique et médiatique, permettant une meilleure prise en charge des défis que posent les médias et les nouvelles technologies de l’information et de la communication en termes de protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes, aussi bien qu’en termes de formation et d’information des citoyens ; un renforcement de l’efficacité des débats publics et la promotion d’une participation inclusive et la représentation de toutes les couches de la société dans les débats sur les grands enjeux locaux, nationaux et internationaux » ;
(v)                la gouvernance du système éducatif : « définir la vision et les orientations d’ordre stratégique à promouvoir pour assurer une meilleure gouvernance de notre système éducatif, dans le sens du renforcement du processus de responsabilisation et d’autonomisation des établissements d’enseignement à tous les niveaux par rapport aux valeurs, normes et standards nationaux et internationaux » ;

(vi)              la gouvernance du système de santé : « proposer une orientation compétente des ressources et des performances de notre système de santé ainsi que la participation de tous les acteurs concernés dans l’objectif de sauver des vies ; définir des moyens de consolidation des mécanismes de transparence et de responsabilisation dont dispose la société civile pour améliorer la gestion du système de santé du pays et proposer des options envisageables pour l’amélioration du système de financement » ;
(vii)             L’identité culturelle et l’intégration sociale : «  clarifier et préciser les valeurs fondamentales qui nous définissent comme nation ; proposer des mécanismes de réconciliation, de rapprochement et d’intégration de toutes les couches et de toutes les opinions de notre société et pour proposer un cadre favorable à l’appropriation de notre histoire et de notre patrimoine par toutes les composantes de notre société, en mettant en valeur et en assurant le rayonnement de l’héritage culturel de notre pays » ;
(viii)            L’ordre et la sécurité publics : « proposer des moyens de renforcement des mécanismes de stabilisation du pays (justice, armée, police, etc.) ».

Ces huit (8) thématiques  à traiter par le comité de Pilotage durant une période de six mois à compter du 28 Mars 2018  devraient déboucher sur « Le Pacte pour la stabilité et le progrès économique et social » à soumettre pour validation au président de la République, a rapporté en substance, Robenson Geffrard du Nouvelliste.

Aussitôt le lancement fait ce 28 mars 2018, un flot de critiques s’abat sur le choix des membres du comité, en particulier Mgr Kebreau. Il faut noter que Claude Moïse, membre désigné  du comité de pilotage, a dégainé le premier, en déclinant sa nomination du fait de n’avoir pas été consulté. Au cas où il n’aurait pas été contacté, c’aurait été une faute grave de la part du Palais National. Cette faute aurait pu être réparée et Claude Moïse qui a écrit des ouvrages allant en ce sens aurait pu se raviser. Rien, me semble-t-il, n’a été tenté en ce sens. Et la cascade de défections a continué. Qu’est-ce qui explique tout cela ?

Quand on regarde les termes de référence des EGSN, tout le monde devrait s’y retrouver. On pourrait par consensus ajouter les éléments manquants. A bien regarder ces huit (8) thématiques, tout ce qui concerne le développement du pays pourrait y rentrer. Ces huit (8) thématiques pourraient facilement se retrouver dans l’approche hexagonale développée par la Fondation haïtienne pour le développement intégral Latino-Américain et Caribéen (FONHDILAC) dont la finalité est de contribuer au développement  intégral d’Haïti dans le concert  des nations caribéennes et latino-américaines, en se basant sur (i) l’humain, (ii) le social et le culturel, (iii) l’environnemental, (iv) l’infrastructurel, (v) l’économique et la finance, et (vi)  la politique/gouvernance. Alors pourquoi tant de réticences, de défections par rapport à quelque chose qui pourrait nous aider à opérer cette révolution tranquille à la manière du Canada (années 1960) ? C’est la politique politicienne à l’haïtienne.

Jovenel Moise n’a pas été accepté par ses principaux poursuivants. L’opposition politique liée à cette équipe a voulu dès le départ empêcher son investiture le 7 Février 2018 et l’a qualifié d’ « inculpé ». Dans le 2e rapport PETROCARIBE, l’entrepreneur qu’il était fait partie des soupçonnés. On sait très bien le côté politique  de ce rapport. Les auteurs ont clairement pointé du doigt le Palais National, bien avant sa publication. C’aurait été impossible pour cette opposition d’accepter les EGSN comme cadre de dialogue d’autant que cette opposition a clairement opté pour le « raché manyoc » et « la conférence nationale souveraine ». Un sénateur de l’opposition est allé jusqu’à proposer de mettre son mandat en jeu, en demandant au Président de faire de même. C’est la logique de remise en question de l’élection de Jovenel Moise qui a persisté dans sa proposition. L’utilisation du dossier PETROCARIBE comme arme politique, les positions politiques sur les médias de toutes catégories ont, à mon avis, créé la peur chez les appelés à participer au comité de pilotage. Seuls les plus courageux ont répondu présents. Dans cette situation de clivage politique, de peur d’être catalogué dans un camp ou dans un autre, de méfiance,  les chances de réussite des EGSN sont minces.

Pourtant les personnalités appelées pour faire partie de ce comité sont plutôt crédibles. On déplore que certaines personnalités aient fait défection ou n’aient pas répondu à l’appel. On déplore un manque de rigueur dans l’invitation de la part du Palais National. On déplore que la bataille pour le pouvoir politique ait pu occulter tout le reste, en particulier notre chère Haïti. La politique d’ôte-toi que je m’y mette  ne pourra pas résoudre le problème haïtien. Le déchoucage, les élections n’ont plus. La bataille électorale qui s’annonce déjà sur fond du dossier PETROCARIBE (l’incident du Cap-Haitien) annonce les couleurs. On ne pourra pas compter sur les élections et nos politiciens pour la grande concertation nationale, car le plus important pour eux c’est la bataille des clans, l’entropie politique et non Haïti.

C.      Une Révolution tranquille issue de la Grande Concertation Nationale ?

J’ai toujours misé sur la grande concertation nationale comme porte de salut pour Haïti. Le processus d’implémentation des EGSN, malgré les défections, semble vouloir continuer son petit bonhomme de chemin, si l’on en croit le pouvoir en place. On espère que ceux-là qui restent vont doubler d’efforts pour proposer quelque chose qui pourrait faire consensus au niveau de la majorité des Haïtiens.

Ma conviction intime, seule une révolution tranquille issue d’une grande concertation nationale pourra sortir le pays de l’imbroglio actuel. Aucun camp politique n’a la solution à la problématique haïtienne actuelle.  Si on approche le problème haïtien sous l’angle politicien, on n’arrivera nulle part. La révolution violente ne sera pas non plus porteuse de solution. Le déchoucage encore moins. Les élections  dans les conditions actuelles, du pareil au même. Qui organisera tout cela ? Le pouvoir en place ? La société civile ? La Communauté internationale ? A noter que le pays dispose de tous les ingrédients en termes de documents, de réflexions individuelles et collectives et d’idées neuves pour faire cette grande concertation et aboutir à cette révolution tranquille, il lui manque tout simplement des hommes et des femmes prêts à sortir de leur zone de confort pour se jeter dans la bataille pour cette nouvelle Haïti.


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