HAITI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS (35) ?
LE MONDE : GUERRE EN UKRAINE (12), LE STATU QUO ; HAITI : L’INSTABILITE
POLITIQUE ET L’INSECURITE, PLUS DE TERRITOIRES POUR LES GANGS
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
6 MARS 2023
J’ai terminé la 34e
chronique relative au questionnement « Haïti et le monde à la croisée des
chemins (?), avec la certitude que notre pays, « Haïti ne pourra pas sortir de ce bourbier sans un appui musclé
de la communauté internationale ». C’est aussi « la position de 69% de la population haïtienne ». Et
j’ai écrit aussi que « la
solution à la problématique haïtienne passera forcément par une proposition
collective haïtienne en termes de programme d’urgence et de long terme appuyée
par la communauté internationale. C’est la porte de salut pour Haït[1]i ! »
Dans
cette 35e chronique, si, au niveau mondial, l’actualité est dominée (i)
par le tremblement de terre (7.8 de magnitude) en Turquie et en Syrie, avec des
dégâts considérables et près de 50,000 morts, et (ii) par la stagnation de la
guerre en Ukraine au niveau de Donbass, dans l’est de l’Ukraine, avec un
certain avantage pour la Russie, au
niveau d’Haïti c’est la mort subite de l’Ex PM Gérard Latortue[2],
la persistance de l’instabilité politique et de l’insécurité avec des gains
territoriaux de la part des gangs tant au niveau de la zone métropolitaine de
Port-au-Prince qu’au niveau de l’Artibonite. D’où le titre de cette 35e chronique : « HAITI
ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS (35) ? LE MONDE : GUERRE EN UKRAINE
(11), LE STATU QUO ; HAITI : L’INSTABILITE POLITIQUE ET L’INSECURITE,
PLUS DE TERRITOIRES POUR LES GANGS.»
1. SITUATION AU NIVEAU MONDIAL
La guerre en Ukraine[3]
Le 24 février 2023 a marqué le 12e
mois de cette guerre et amorce le 13e mois. La situation n’évolue
pas trop par rapport au mois dernier. Le Donbass demeure le centre
névralgique de la guerre d’attrition qui
y sévit, avec un certain avantage pour la Russie. Elle est en train de gagner la bataille
Bakhmuth[4]
au prix de pertes énormes en vies humaines et en matériels. Les soldats
ukrainiens se retirent au fur et à mesure sur les hauteurs dominant la ville.
La
guerre en chiffres
Plus globalement, après un an de
guerre, la Russie, qui, dans les premiers mois (février-juin 22), avait occupé
20% du territoire ukrainien, a dû, face à la contre-offensive de l’été (août
22), en concéder 6% à l’Ukraine dont les territoires des grandes villes comme
Kharkiv, Kherson, etc. Les pertes en vies humaines se chiffrent en dizaines de milliers et même en centaines de
milliers. Les ukrainiens admettent avoir perdu plus de 13,000 hommes, quant aux
russes, ils parlent de 6000 hommes. Mais les sources occidentales parlent de
près de 200,000 du côté russe et de 80 à 100,000 du côté ukrainien. Les civils
ukrainiens atteignent au moins 100,000 morts. Quant aux réfugiés ukrainiens, on
parle plus de 8,000,000 personnes, en excluant les 300,000 enfants déportés
vers la Russie. Les pertes en matériels de guerre atteignent près de 10,000 du
côté russe et près de 7000 du côté ukrainien. Quant aux dégâts matériels, ils
se chiffrent à des centaines de milliards de dollars américains. Certaines
villes ukrainiennes sont rasées à 90% par les bombardements russes. Les
installations civiles en matière d’électricité, très endommagées jusqu’au début
de l’Hiver, sont actuellement réparées ou en phase de réparation. Ce qui fait
dire aux occidentaux que l’Ukraine a gagné la bataille de l’électricité.
Contre-offensive russe ou
Ukrainienne ?
Pour la suite de cette guerre de longue durée, les
occidentaux ont fourni et fournissent, même avec beaucoup de retard, des armes
sophistiquées offensives et défensives à l’Ukraine. Actuellement, l’Ukraine est beaucoup mieux armée qu’elle ne l’était au
début de la guerre. Avec les moyens mis à disposition par l’Occident, Etats
Unis en tête, l’Ukraine deviendra encore plus forte et pourra mieux faire face
à une probable contre-offensive russe et/ou mieux préparer une nouvelle
contre-offensive dans les prochaines semaines ou deux prochains mois, très
certainement après le dégel du printemps.
Joe Biden en Ukraine, Zelensky en
Europe de l’Ouest
Il faut noter qu’au cours du mois de
février, le président ukrainien, Volodymyr Zelenski, a effectué des visites
d’Etat en Angleterre, en France, et a été reçu au Parlement Européen. Le
président américain, Joe Biden, a effectué une visite surprise dans la capitale
ukrainienne, à Kiev, le 20 février 23, et a promis d’autres appuis au président
Zelensky, avant de se rendre en Pologne. Et le 24 février, le jour du 1er
anniversaire de la guerre, l’Assemblée Générale des Nations Unies a voté, avec
une majorité de 141 pays « pour », de 7 pays « contre » et
de l’abstention de 32 pays dont naturellement la Chine, la résolution
condamnant l’agression de la Russie contre l’Ukraine. La chine a présenté un
plan de paix plutôt pro-russe sans consulter l’Ukraine, la victime de
l’agression, dossier Taïwan oblige.
Le nouvel ordre mondial est en train
de se dessiner
La guerre en Ukraine oriente le
monde vers trois camps, les pro-russes, les pro-occidentaux et les pro-non
alignés qui penchent un peu plus du coté russe. Le nouvel ordre mondial est en
train de se dessiner. Dans cette
répartition du monde, le dossier d’Haïti à l’ONU oppose la Chine et la Russie
d’un côté, les USA, la France et le Canada de l’autre. Et la crise multiforme
d’Haïti s’invite dans la géopolitique mondiale.
3. SITUATION AU NIVEAU D’HAITI[5]
En ce mois de février 2023, Haïti a beaucoup
dansé, période carnavalesque oblige, sans pour autant baisser le niveau
d’insécurité, sauf durant les trois jours
gras. Donc, il n’y a pas de différence entre le mois de février et les
six derniers mois. La détérioration de la situation globale persiste, et
l’insécurité prend de l’ampleur. L’origine de toute cette situation est bien
décrite dans le rapport des Nations Unies sur le trafic d’armes et de drogue en
Haïti qui est devenue un carrefour de trafics de tous genres. Malgré la 44e
Réunion de la CARICOM à Bahamas, malgré la présence dans les eaux haïtiennes de
2 bateaux de guerre de la marine canadienne, malgré la présence d’une mission
de la CARICOM, avec à sa tête le premier ministre de la Jamaïque, Andrew
Holness, la situation semble connaitre une accélération négative. La mission de
Mme Lalime à la tête du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) a
pris fin. C’est ce moment-là que l’ex-Pm Gérard Latortue a choisi pour danser
« le dernier Tango[6] »
à l’âge de 88 ans. Paix à son âme !
Le chaos, l’instabilité politique et
l’insécurité généralisée
Dans le cadre de l’accord du 21
décembre 2022, il a été mis en place le Haut Conseil de Transition (HCT) le 6
février 2023, avec à sa tête Mme Manigat. Tout le long du mois de février,
la situation générale du pays se détériore davantage. Comme on est un peuple
qui chante et qui danse, la période carnavalesque aide beaucoup le pays à oublier
ses problèmes quotidiens, en tout cas une bonne et grande partie du peuple haïtien.
Toutefois, les bandits n’ont pas
chômé. Un peu effrayés lors du survol du territoire haïtien par cet avion
canadien et par l’opération tornade 1 déclenchée par la police nationale, les
bandits se sont repris et ont agrandi leurs territoires tant au niveau de la
zone métropolitaine de Port-au-Prince qu’au niveau du Bas-Artibonite. Le leader
des 400 Mawozo est revenu sur la scène, tandis que Vitelhomme Innocent, en difficulté
un moment et coincé par la PNH, s’est replié pour rebondir. Ses hommes qui ont
tué au moins 4 policiers au mois de janvier et plusieurs civils, ont envahi la
zone de Fort Jacques, se sont emparés du commissariat du même nom, y ont mis le
feu et calciné des véhicules de la PNH, et se sont attaqués à des résidences
privées, volant, violant et tuant des personnes paisibles. Ce qui a provoqué un
exode de la plupart des résidents vers des zones plus clémentes aux environs de
la Capitale et dans les villes de province.
Quant aux bandits de l’Artibonite,
en l’occurrence, Base GrandGrif et autres, ils ont étendu leurs territoires
tout le long de la route interdépartementale, Pont-Sondé-Mirebalais, occupant
les villes comme Désarmes, Verrettes, Deschapelles et Liancourt, s’accaparant
par la même occasion les commissariats et sous-commissariats se trouvant sur
leur parcours. Le commissariat de L’Estère a été évacué durant quelques
jours ; heureusement la PNH en a repris le contrôle.
Les conséquences de la situation
décrite plus haut
Les territoires occupés sont des
zones résidentielles, commerciales et de productions agricoles. Ce qui a des
effets socioéconomiques très sérieux. Pour ce qui concerne la zone du Bas
Artibonite, c’est là que se situe le plus grand système d’irrigation du pays où
se concentre la plus grande rizière du pays (32,000 ha), sans compter les
autres systèmes de moyenne importance qui, en plus du riz, produisent d’autres
cultures vivrières. Imaginez les impacts de ces occupations de territoires sur
la production nationale en générale, et la production agricole en particulier.
Les gangs se sont attaqués aux
établissements scolaires en kidnappant les parents et les enfants, selon
certaines sources ils ont kidnappé plus de 80 personnes pour le seul mois de
février. Comme ils se sont mis à se battre entre eux pour des territoires
(Bélair, Solino, Delmas 24, Nazon. Etc.), on dénombre des morts et des blessés.
La plupart se sont permis de faire irruption dans des hôpitaux pour achever
leurs rivaux blessés en présence des soignants (Docteurs, infirmières,
auxiliaires). Ce qui a provoqué des fermetures d’hôpitaux, de centres de santé
et autres dont le dernier hôpital géré par Médecins Sans Frontières. Là encore,
imaginez les effets et les impacts sur la population haïtienne. C’est tout
simplement l’enfer !
La Communauté Internationale et l’entente
inter-haïtienne ?
Et la Communauté internationale
(ONU, OEA, CARICOM, USA, CANADA) s’amuse avec le dossier Haïti, organisant des
réunions, envoyant des missions, avions et bateaux en Haïti, avec un seul
refrain, la nécessité d’abord d’une entente inter-haïtienne. Ce refrain dure
depuis Jovenel Moïse, qui a été crapuleusement assassiné. Et son assassinat
aurait été déjà oublié si les USA n’avaient pas continué à investiguer sur ce
dossier. Un Procureur américain d’origine haïtienne, Mackenzie Lapointe, a fait
venir d’Haïti les principaux prisonniers du Pénitencier National, dont Sanon et
3 autres, et a fait coffrer 4 suspects
américains de l’entreprise, dont le chef d’origine vénézuélienne, impliquée
dans la planification de l’assassinat du président Jovenel Moïse.
Le rapport de l’UNODC et la crise
haïtienne
Le rapport produit par l’UNODC sur
le trafic des armes et de la drogue vers Haïti explique en grande partie la
situation actuelle d’Haïti. Il suffit de bien regarder les schémas y relatifs
pour comprendre les routes suivies par les armes et la drogue vers Haïti. Ce
rapport nous a permis de comprendre les sources d’approvisionnement qui sont
les USA et la Jamaïque, et de déduire les parties prenantes nationales impliquées
dans l’approvisionnement des gangs en armes et en munitions. Ce rapport a
retracé les pays d’origine de la drogue,
des pays de l’Amérique latine et de la Caraïbe (Colombie, Venezuela, Costa-Rica
et la Jamaïque. La drogue passe en transit en Haïti, va vers la République
Dominicaine, les USA et vers l’Europe, Italie et autres. On comprend, à partir
de ces informations, qu’il aurait été difficile pour notre Haïti, en tant que
Carrefour, de ne pas en subir les conséquences. Le trafic d’armes et de la
drogue contribue grandement au chaos, à l’instabilité politique, à l’impunité,
et surtout à l’insécurité généralisée.
3. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
J’aurais pu garder les conclusions
et perspectives de la 34e chronique pour cette 35e
chronique consacrée à cette interrogation «
Haïti et le Monde à la croisée des chemins ? ». J’invite mes
lecteurs à y jeter un coup d’œil. En tout cas, à une année de la guerre en
Ukraine, le monde est à peine commencé à subir les répercussions de cette « guerre
mondialisée ». Cette première année
de guerre sur le sol européen entre la Russie et l’Ukraine semble partir pour
durer. Certes, elle s’enlise maintenant dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine,
avec un certain avantage pour la Russie.
Malheureusement, les deux camps sont
en train de préparer une sorte de contre-offensive. Personne ne peut prévoir à
ce stade l’issue de la guerre. L’Ukraine est devenue beaucoup plus forte qu’elle
ne l’était au début de la guerre. Les armes fournies par l’Occident et d’autres
moyens mis à sa disposition devraient favoriser une meilleure résistance face à
une éventuelle contre-offensive russe et même de pouvoir envisager une probable
contre-offensive contre la Russie pour récupérer ses territoires en tout et en
partie sous domination russe. Cette guerre continue d’impacter le monde entier,
en redessinant l’ordre mondial actuel, en aggravant la crise économique
mondiale par ses effets immédiats et de long terme sur le monde et sur Haïti.
Quant à Haïti, elle n’est pas prête
de sortir de l’auberge. La crise multiforme et multidimensionnelle s’aggrave de
jour en jour. L’occupation des territoires de plus importants par les gangs amenuise
de plus en plus la marge de manœuvre de l’Etat, qui se révèle de plus en plus
inexistant. Les politiques qui ne comprennent rien à rien, sinon le maintien ou
la prise du pouvoir à n’importe quel prix, se fichent pas mal du sort du pays
haïtien. C’est la bataille des clans au détriment du pays. Et la communauté
internationale (CI) nous regarde nous entredéchirer en faisant semblant de se
préoccuper de notre sort. Va-t-on vers un pouvoir direct des gangs ou vers une
résolution de la crise par un appui musclé de la CI ?
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