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vendredi 18 avril 2008

L’ARTICULATION TECHNIQUE ET POLITIQUE OU LA NÉCESSITÉ D’UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT NON EXCLUSIF POUR HAÏTI.


Ce texte a ete publie en mars 2003. Le Journal Haiti Marche l'a repris en 2005. Dans la conjoncture actuelle, apres le votre de censure du Senat contre le Premier Ministre Alexis, et les consultations menees par le President Preval pour le choix d'un autre Premier Ministre, certaines idees vehiculees dans ce texte restent d'actualite et pourraient etre utilisees pour faire avancer le pays. D'ou cette publication dans ce blog.

Port-au-Prince, le 25 mars 2003

L’ARTICULATION TECHNIQUE ET POLITIQUE OU LA NÉCESSITÉ D’UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT NON EXCLUSIF POUR HAÏTI.

Par Jean Robert JEAN-NOEL.

I. INTRODUCTION

L’idée d’élaborer ce texte résulte d’un concours de circonstances. Premièrement, il m’arrive de suivre presque religieusement une série d’émissions comme Métropolis de Nancy Roc (Radio Métropole), Ki agrikilti pou Ayiti nan kad mache lib la ou l’Université populaire de William Michel (Radio Guinen), Investir ou l’Université libre de Kesner Roro Pharel (Radio Metropole), Le rendez-vous de l’excellence de Hans Tippenhauer (Radio Vision 2000), L’impasse, quelle issue ? de Gary Pierre Paul Charles (Télé Max), où les débats de fonds sur Haïti sont conduite avec sérieux. Deuxièmement, Himmler Rébu a, au cours d’une émission de « L’impasse, quelle issue ? », prié chaque haïtien selon son domaine de compétences de produire des réflexions susceptibles d’aider le pays à sortir de son sous-développement. Troisièmement, il m’a été donné l’occasion d’entendre le Président de la République proposer l’articulation technique et politique comme thème de réflexion. Quatrièmement, j’ai eu le plaisir de lire deux ouvrages récents : « Le pouvoir des idées » de Daniel-Gérard Rouzier et « La croix et la banière » de Claude Moïse, respectivement un essai sur l’économie et un essai sur l’histoire récente d’Haïti (1994-2002). Ce qu’il y a de commun à tous ces gens c’est leur appartenance à un même pays en crise, leur souci exprimé de voir les choses s’améliorer et leur leadership sur une certaine frange de la population haïtienne. Je me dis voilà des haïtiens qui ne sont pour la plupart pas politiquement sur la même longueur d’onde mais qui patriotiquement pourraient bien se mettre d’accord sur une certaine vision d’Haïti, un cadre global de référence et un plan global pour la concrétisation de cette vision.

J’écris ce document en tant que simple citoyen qui voudrait comme eux apporter ma pierre à l’édification de la nouvelle Haïti et partager avec eux ces réflexions pour les inciter à faire encore mieux dans leur sphère de compétence. Je l’écris aussi en tant que Président de la Fondation Haïtienne pour le Développement Intégral Latino-Américain et Caribéen (FONHDILAC), dont l’objectif global est de contribuer au développement intégral d’Haïti dans le contexte caribéen et latino-américain.

Ce texte essaiera, après une brève définition des deux termes, politique et technique, de montrer leur importance dans le développement d’un pays. Il dégagera le rôle prépondérant de la politique et son articulation par rapport à la technique qui lui est étroitement liée. Il débouchera enfin sur leur nécessaire et indispensable synergie dans la quête du bien-être collectif haïtien. Ce document peut aussi être considéré comme une proposition d’éléments d’un modèle de développement non exclusif, une incitation à faire de la politique autrement en Haïti après la résolution de cette longue crise.

II. DÉFINITIONS

La politique c’est, selon le Petit Larousse, l’ensemble des options prises collectivement ou individuellement par le gouvernement d’un Etat ou d’une société dans les domaines relevant de son autorité ; c’est aussi une manière d’exercer l’autorité dans un Etat ou une société ; c’est enfin une manière concertée d’agir, de conduire une affaire.

La technique c’est, suivant la même source, l’ensemble des procédés et méthodes d’un art, d’un métier, d’une industrie ; c’est l’ensemble des applications de la science dans le domaine de la production.

En fonction de ces définitions, on voit qu’il est très difficile de dissocier la politique de la science et de la technique, surtout en ce qui a trait à la gestion du développement d’un pays comme Haïti.

III. IMPORTANCE DES DEUX THEMES PAR RAPPORT AU DEVELOPPEMENT

Du PNUD au Paysan de Jacmel

Selon un rappel du rapport national du PNUD sur le développement humain 2002, le développement a pour objectif fondamental de créer un environnement qui offre aux populations la possibilité de vivre longtemps en santé. Un paysan de Jacmel a défini le développement en ces termes : devlopman se pa moniman, se dabò moun. Donc le développement ne peut se concevoir sans la politique et encore moins sans la technique. Le développement qui vise le bien être individuel et collectif ne se réalisera jamais sans une politique bien pensée et appuyée par la technique. Cette assertion est encore plus valable quand il s’agit de développement d’un pays pauvre comme Haïti.

Haïti, modèles de développement et slogans

Dans le cas d’Haïti, on a dénombré en matière de modèles de développement deux niveaux, le discours et la réalité.

1. La politique, surtout au niveau du discours, a parfois proposé des modèles de développement qui n’ont rien à envier aux autres pays de l’hémisphère. Citons en exemple les deux modèles rapportés par Daniel-Gérard Rouzier dans son livre, « le pouvoir des idées » : a) le modèle de Firmin axé sur i) la bonne gouvernance, ii) l’éducation académique et religieuses des masses, iii) la création de conditions favorables à l’attrait de capitaux étrangers (p.111) ; et b) le modèle Delatour axé sur i)le marché comme répartiteur de ressources, ii)l’entreprise privée comme principal moteur de croissance, et iii) l’Etat comme régulateur cherchant à établir l’équilibre macro-économique, à assurer l’offre des biens et services publics, à corriger les distorsions et à promouvoir un climat de chance équitable pour tous, (idem p. 177).

Quant à Claude Moïse dans son dernier livre, « La Croix et la bannière », il a proposé une démarche à suivre pour mettre en place un modèle haïtien et son mode d’opérationnalisation : i)Une relecture critique de notre histoire, de notre société, de notre économie,ii) une réflexion théorique globale et originale qui couvre tous les champs (économique, social, culturel,…iii) des projections hypothétiques soumises à la critique et à l’épreuve de la réalité,iv)L’élaboration du modèle haïtien qui tienne compte des observations rigoureuses de notre réalité,des expériences contemporaines du Tiers Monde,des enseignements du capitalisme dominant et de la signification de l’échec historique du socialisme réel ( Pp 130 et 131).

2. Dans la réalité, la politique a le plus souvent proposé des modèles rarement poussés au-delà de slogans. Ceux-là qui ont tenté de les amener au niveau de réflexions structurées ont été soit écartés du pouvoir politique au profit de groupuscules incompétents et malhonnêtes, soit empêchés de les appliquer une fois arrivés au pouvoir, par mainmise de l’Etat prédateur érigé depuis 1804, par asphyxie du monde international, par des luttes intestines pour le pouvoir d’Etat, source de richesse individuelle facile et illicite, etc. Les modèles haïtiens, surtout ceux-là qui ont pu être testés, se singularisent jusqu’ici par un défaut majeur : L’articulation autour d’une personne et non autour d’un système visant le développement intégral du pays haïtien.

Absence de concertation et sous-développement

Il faut rappeler que les modèles proposés n’ont jamais fait l’objet de concertation au niveau national et encore moins totalement soutenus par la technique pour déboucher sur de véritables plans globaux consensuels et applicables sur une période plus ou moins longue (25, 50, 100 ans). D’où le sous-développement du pays haïtien, le seul PMA de la région. Le sous-développement d’Haïti s’explique en premier lieu par la prépondérance de la politique articulée autour d’un homme dont la manière d’agir, d’opérer, donc de diriger de 1804 à aujourd’hui s’écarte en général du principe de la concertation. Elle s’explique aussi par la mise au rancart de la technique dans certaines décisions et interventions de l’Etat dans le domaine du développement, et enfin par l’exclusion de la majorité de la population de la question nationale. L’importance de la politique et de la technique pour le développement du pays n’est plus à démontrer. Il est urgent que les hommes politiques consultent des techniciens avant d’arrêter leurs décisions, surtout si elles peuvent avoir des effets néfastes sur le développement du pays et sur la nation. Car « les individus sont la véritable richesse de la nation ». Et selon Daniel-Gérard Rouzier « en conclusion, la construction d’un Etat performant passe par deux étapes. La première est la plus ardue et vise la mise en disponibilité de fonctionnaires inaptes à leurs postes, la seconde est la plus exaltante et concerne l’embauchage des meilleures compétences disponibles. » (p. 179).

IV. LE ROLE PREPONDERANT DE LA POLITIQUE

L’exemple des pays développés

Dans tous les pays du monde, la politique a toujours joué un rôle prépondérant par rapport au développement. Les décisions politiques déterminent le niveau de développement d’un pays. A l’analyse, tous les pays développés ont bénéficié de la vision de leurs dirigeants. La préoccupation majeure de ces dirigeants s’articule autour de l’avenir de leur pays, son rôle et sa place dans le monde. Leurs politiques de développement, articulées autour des individus composant leur nation, s’appuient toujours sur la technique et la science. Et ils ont considérablement investi dans le développement de la technique et de la science pour rester au sommet. Ils travaillent aussi pour maintenir leurs systèmes de gouvernement. Ces systèmes sont caractérisés par : i) un combat constant contre la corruption, ii) une transparence dans la gestion du pays, iii) un souci constant de faire appel à des compétences pour mener à bien les programmes et projets, iv)une bonne gouvernance politique et économique, etc.

Le système haïtien

La seule comparaison par rapport à notre pays demeure la prépondérance de la politique. Pour le reste, il suffit de prendre le contraire pour caractériser Haïti et ses dirigeants de 1804 à aujourd’hui, mis à part quelques éclaircis sporadiques. C’est comme si, pour se perpétuer, le système mis en place en Haïti devrait conduire à la disparition lente du pays. Ce système conçu comme une toile d’araignée s’articule autour d’un homme, le Chef de l’Etat. Même honnête et compétent, il devient automatiquement prisonnier du système et travaille consciemment ou inconsciemment au profit d’un groupe qui fait alliance partiellement avec l’ancien ou le remplace. En effet, selon Jean Price Mars, rapporté par Daniel-Gérard Rouzier, toute tentative de correction heurterait « les intérêts de toute une séquelle d’individus qui, comme toujours, gravitent autour du Chef de l’Etat et des ses proches. Parasites indécrottables, quémandeurs impénitents, flagorneurs subtils, tous attachés à la pérennité des prébendes dont s’alourdit, en ce pays, l’exercice des hautes fonctions publiques, ils sont les adversaires les plus redoutables de toute tentative sérieuse, de tout effort consciencieux de redressement de la chose publique. » Et plus loin : « ils constituent la matrice d’une opposition d’autant plus dangereuse qu’elle agit dans l’ombre et dans les coulisses, et constituent avec la canaille des bas-fonds de la politique les fossoyeurs inconscients de l’économie nationale. » (p 101 et 102).

Et Claude Moïse de préciser « depuis 1946, tout un grand changement social et politique amène une nouvelle vague de gagnants sortis des classes moyennes. Et ces gagnants sont souvent contraints de s’associer à la bourgeoisie traditionnelle pour consolider leurs gains et privilèges. Les perdants sont toujours les mêmes. Jamais les nouveaux maîtres ne sont parvenus à concilier leurs intérêts avec un quelconque projet de développement national, et donc à modeler le destin du pays. » p. 128.

Cet état de fait persiste encore même sous l’égide de la constitution de 1987, qui dispose pourtant de provisions pour lui tordre le coup. Mais « bayonèt se fè, konstitisyon se papye ». Et le pays périclite au grand dam des techniciens et/ou de la majorité silencieuse qui acceptent ou s’expatrient (ceux qui en ont la possibilité).

La concertation nationale pour un nouveau système

Cette prépondérance de la politique en Haïti mérite d’être corrigée au plus vite à l’occasion d’une grande concertation nationale dont l’objectif serait, selon la FONHDILAC, « la définition d’un cadre de référence suivi d’un plan global de développement d’Haïti de 100 ans », donc la projection d’un nouveau système. Dans cette optique, la grande concertation nationale pourrait se donner « une série d’objectifs spécifiques qui s’intègreront à partir d’une démarche participative dans un schéma global articulé » autour de ce nouveau « système visant un citoyen responsabilisé dans une société économiquement riche, socialement équitable et politiquement responsable. Il est possible dans la conjoncture actuelle, d’obtenir un consensus national et même de déboucher sur un contrat social entre tous les Haïtiens sans exclusive autour de cette vision d’Haïti servant d’exemple à suivre, dans le cadre d’une mondialisation à visage humain et solidaire. » FONHDILAC, Document de présentation, p 2.

Selon Claude Moïse, « un nouveau projet national devrait comporter des propositions claires concernant entre autres la lutte contre la pauvreté, la protection sociale, le sauvetage écologique, la lutte contre l’insécurité, l’éducation pour tous, la scolarisation massive. Sans oublier la refondation de la démocratie haïtienne passant par la réforme constitutionnelle, la réforme judiciaire, la restauration de l’autorité de l’Etat, la revalorisation des services publics. La formulation claire de la politique haïtienne doit être assortie d’une stratégie de développement économique, dans le contexte de la mondialisation accélérée, dans le cadre de l’appartenance du pays à la communauté caribéenne et tout spécialement dans le cadre de ses relations multiformes avec la République voisine. Les compétences de l’intérieur comme de la diaspora devraient être mobilisées et intégrées aux atouts du pays. » (p 129).

Les éléments des modèles Firmin et Delatour et de la proposition de Claude Moïse (Réf..III) et très certainement d’autres propositions jusqu’ici inconnues pourraient être mises sur le tapis à l’occasion de cette grande concertation nationale. Il en serait de même pour les études du PNUD comme le Bilan commun de pays, les travaux de la Commission Nationale de Réforme Administrative (CNRA), les travaux menés par les institutions étatiques, les ministères, les services autonomes, les universités, les ONG, les agences bilatérales et multilatérales, les bailleurs de fonds internationaux, les firmes d’études tant nationales qu’internationales, etc. les documents élaborés par la plupart des partis politiques et des associations de professionnels comme les associations des économistes haïtiens, les associations de médecins, des agronomes, des ingénieurs, etc. pourraient être mis à contribution. Ce serait un travail exaltant et de longue haleine qui mobiliserait tout la nation, en particulier les cadres compétents pour la formulation.

Ce nouveau système favoriserait l’entente entre les Haïtiens. Une fois le système adopté, Haïti pourrait inciter et porter, par une concertation sérieuse et dans le cadre d’un partenariat avec les défavorisés de la terre (Ex : Forum social de Porto Alegre et autres), les tenants de la mondialisation synonyme de libre échange, de compétitivité des biens, des marchandises, de leur libre circulation, à revoir leur copie en y intégrant l’aspect humain et la solidarité avec les autres peuples exploités et à atténuer cette vision de « la mondialisation, qui selon Raymond Barre, ne signifie pas autre chose que la compétition généralisée ». Il est à noter que Haïti demeure encore la Pionnière de la solidarité entre peuples. Demandez à Miranda, à Bolivar, aux esclaves anonymes de la jeune nation américaine (USA aujourd’hui) et à ceux-là qui ont restauré l’indépendance de la République Dominicaine, au-delà de leur tombe ! Ce qu’on a fait dans l’ère industrielle, on peut le refaire dans l’ère de l’information. Qu’est-ce qui nous en empêche ? Les intérêts mesquins de la classe politique ? De l’élite économique ? De l’international ? Ces quelques lignes en caractères gras devraient faire l’unanimité auprès de toutes ces personnes, institutions et particulièrement les composantes haïtiennes. Ne disent-elles pas toutes se battre pour la mise en route de ce coin de terre, appelé Haïti ? Qu’elles le prouvent à cette occasion ! Souvenez-vous de cette affirmation de Firmin « l’étranger n’est pas toujours l’ennemi, mais il est toujours l’intrus. »

V. LA TECHNIQUE AU SERVICE DE LA POLITIQUE

La politique doit viser la mise en place d’un système dont l’objectif premier est le développement intégral d’un pays. Dans le cas contraire, elle ne conduit qu’à l’enrichissement d’un groupe d’individus, à la destruction lente du pays concerné et à l’appauvrissement de la majorité de la population. On en prend pour preuve l’ensemble des pays sous-développés. Dans ces cas bien précis, la technique ne vient à la rescousse de la politique que quand les hommes politiques par leurs agissements sont dépassés. En Haïti, la technique n’est vraiment utile aux hommes politiques que dans la mesure où elle permet de concrétiser les choses immédiates et de prestige. Rares sont nos dirigeants qui ont accordé sa vraie place à la technique. Même dans leur domaine de compétence, ils font rarement appel à des techniciens comme conseillers. S’ils le font, ils ne tiennent pas vraiment compte de leurs conseils. Peut-être aussi que ces conseillers, par peur ou par souci de plaire, ne donnent pas les vrais conseils. Tellement préoccupés par le présent, ces dirigeants oublient souvent que l’avenir se planifie. Les meilleurs dans ce domaine sont les techniciens. Pour planifier correctement l’avenir, il faut en avoir une vision très claire et réaliste, « la vision d’ensemble… et les propositions stratégiques qui se dégageraient d’analyses globales » dirait Claude Moïse. Ceci ne pourra jamais se réaliser sans une réelle volonté politique à grande vision et de bons techniciens pour la concrétisation.

VI. L’ARTICULATION DE LA TECHNIQUE ET DE LA POLITIQUE

La nouvelle démarche pour Haïti

L’articulation de la technique et de la politique débouche, en y combinant d’autres facteurs aussi essentiels, sur le développement économique et social de la nation. Tous les pays développés et en voie de développement sont passés par ce carrefour. Haïti, dans sa quête du bien être collectif avec d’abord la nécessaire et l’indispensable intégration dans le processus de régionalisation, ne pourra s’y soustraire. Elle est condamnée à suivre ceux-là qui ont soit réussi soit bien amorcé leur développement, tout en divorçant définitivement avec l’ancien système et en se tournant de manière consciente vers un nouveau modèle où chacun aura sa place, toute une nouvelle démarche. Car selon Claude Moïse, « pour marquer le point de départ vers le développement économique, le progrès social et la justice, nous devons nous approprier le projet démocratique, prendre le virage vers un parcours historique en rupture avec une certaine tradition de petite production, d’enfermement insulaire et de marronnage ». Dans ces conditions, l’articulation de la technique et de la politique en synergie avec d’autres éléments aussi indispensables à un développement harmonieux devient un impératif, une condition indispensable. C’est la démarche par excellence. Le bien-être de la collectivité haïtienne passe par ce changement de cap, cette nouvelle donne pour Haïti mais si vieille pour les pays développés.

Le nouveau profil du politicien haïtien

Les hommes politiques actuels qu’ils soient du gouvernement ou de l’opposition doivent y adhérer de manière consciente. Il y va de l’avenir d’Haïti dans le concert des nations. La façon de faire de la politique jusqu’ici n’est plus de mise. Tout homme politique qui s’y accroche ne fera que pousser davantage notre pays dans le gouffre du sous-développement, en profitant lui-même et ses satellites au maximum du système mis en place depuis 1804. C’est un travail en profondeur étalé sur une période plus ou moins longue avec pour finalité le changement de mentalité de la classe politique et la transformation de toute une culture. Le nouveau profil du politicien haïtien devra s’articuler autour de cette nouvelle approche, de cette démarche nouvelle. Elle est la seule à pouvoir conduire au développement intégral d’Haïti et au bien-être de la population dans toutes ses composantes, en particulier ceux qui n’ont jamais bénéficié du système. D’où la nécessité d’un nouveau système tel qu’ébauché au point IV. « De là l’importance de dirigeants bien formés, honnêtes, conscients de la mission de cet Etat, acquis à son service comme à une sorte de mystique républicaine et reliés à un authentique mouvement porteur du nouveau projet démocratique. De là, également la recherche de compétences constituées d’un corps d’agents, de cadres, de fonctionnaires également bien formés et conscients de leurs responsabilités. » Claude Moïse, La croix et la bannière, p 118.

VII. CONCLUSION

En guise de conclusion, il est clair que les femmes et les hommes de ce pays ont pris conscience à la faveur de cette longue crise de la nécessité de se mettre ensemble pour proposer une autre façon de faire de la politique. Tout le monde parle de contrat social, de consensus, de pacte national, de concertation, de conférence nationale. Non au nom d’un petit groupe mais au nom de la collectivité. La politique jusqu’ici n’a jamais visé le développement du pays haïtien mais s’est fait au profit de groupuscules dont le souci majeur demeure l’enrichissement individuel et l’exclusion des autres. Tous les hommes politiques haïtiens ont toujours pris le pouvoir au nom du peuple. Par coup d’Etat, élections ou autres, c’est toujours la même rengaine. Durant notre histoire de peuple, toutes les catégories sociales ont occupé le pouvoir soit directement, soit indirectement. Elles ont toutes échoué en rejetant la faute aux autres. Il est donc temps qu’elles se mettent ensemble pour penser pays et collectivité nationale, dans le cadre d’un modèle non exclusif. D’où la vraie raison de ce texte. L’articulation de la technique et de la politique en synergies avec d’autres éléments est indispensable à la concrétisation de cette vision d’Haïti dans le concert des nations, servant de modèle à suivre, dans cette mondialisation à visage humain et solidaire, où l’homme haïtien évoluera chez lui dans un système qui lui offrira la possibilité d’être compétitif par rapport à son homologue caribéen, latino-américain, nord-américain, européen, donc de n’être plus considéré comme un pestiféré chez lui (la plupart) et ailleurs et d’avoir accès à la citoyenneté mondiale tout en restant haïtien intégral. L’élaboration d’un tel projet « exige des acteurs sociaux et politiques un investissement considérable en termes d’intelligence, de lucidité, d’imagination et de modestie pour entreprendre le travail préalable de la redéfinition des règles du jeu. Celles-ci impliquent pour être efficaces et accessibles des propositions claires, simples et justifiées. La construction de l’Etat démocratique en Haïti est à ce prix. » Claude Moïse, La croix et la bannière, p 141.

Avant d’atteindre cette finalité, tous les haïtiens d’aujourd’hui, en particulier ceux-là qui exercent un certain leadership ont, sous peine d’être jugés sévèrement par l’histoire, pour devoir de :

1. Se mettre d’accord sur la nécessité d’une grande concertation nationale dont l’objectif serait la définition d’un cadre global de référence suivi d’un plan global de développement d’Haïti de 100 ans, donc la projection d’un nouveau système. Avant tout, la concertation nationale devrait s’atteler à projeter un homme haïtien vivant dans une Haïti politiquement responsable, économiquement riche, socialement équitable et servant d’exemple dans le cadre d’une mondialisation à visage humain et solidaire. Cette concertation nationale devrait se faire sans exclusive avec la participation de tous les partis politiques, de la société civile, et de toutes les forces vives de la nation.

2. Construire un nouveau modèle non exclusif articulé autour d’un cerveau collectif et caractérisé par : i) une performance à toute épreuve en matière de santé, d’éducation, de justice, de sécurité, etc., ii) un combat constant contre la corruption, iii) une transparence dans la gestion du pays, iv) un souci constant de faire appel à des compétences pour mener à bien les programmes et projets, v) une bonne gouvernance politique et économique, etc. Tout ceci se fera dans « un cadre global de référence axé sur l’humain, le social, l’environnemental, l’infrastructurel, la finance et la politique et suivi d’un plan global de 100 ans divisé en des périodes décennales ou quinquennales » (Réf. FONHDILAC).

3. Se constituer en groupes, associations, institutions ou réseaux de pressions techniques ou autres, bref une société civile forte, pour forcer les hommes politiques une fois le système constitué, le modèle accepté à ne pas le pervertir et à appliquer strictement le cadre de référence et le plan y afférents selon les spécificités de chaque parti politique. Cette société civile aura pour mission principale de veiller à l’actualisation du cadre global de référence et du plan global et à leur application par la société politique (partis politiques, gouvernement et l’Etat). D’où la nécessité de flexibilité de la plupart des éléments du cadre de référence et du plan pour des adaptations éventuelles en fonction de l’évolution au niveau national et mondial. Les Haïtiens d’aujourd’hui comme ceux des générations futures devront toujours s’y colleter. L’avenir du pays haïtien en dépend.

Dans la conjoncture actuelle, il faut être des rêveurs, des fous diraient d’autres, des croyants diraient les plus lucides, pour penser à l’avenir de ce pays. Que l’on nous considère comme rêveurs, fous, croyants ou sages, nous devons avoir à l’esprit que le pays ne pourra pas périr et ne périra pas. Son développement se fera de toutes les manières. Tout n’est qu’une question d’options : 1) l’option haïtienne, 2) l’option dominicaine, 3) l’option régionale (ZLEA en 2005) et 4) une ou des combinaisons d’options. Les haïtiens conséquents choisiront la première et c’est celle ébauchée dans le cadre de ce texte. « Il ne nous reste qu’à mettre ensemble des projets et des rêves : des projets de citoyenneté, des rêves d’harmonie » selon Claude Moïse et avoir comme Daniel-Gérard Rouzier « cette foi inéluctable dans un Dieu d’Amour qui nous commande de faire tout… pour changer la destinée de notre pays et améliorer le sort de nos concitoyens. Alors seulement, serons-nous prêts à accepter et à crier que nous n’avons pas le droit de baisser les bras. »

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