DES
ASSOCIATIONS D’IRRIGANTS (AI) AU RESEAUTAGE, LA BATAILLE POUR LE TRANSFERT DE
LA GESTION DES PÉRIMETRES AUX AI, UNE NOUVELLE ETAPE ?
BERNARD
ETHEART ET
JEAN
ROBERT JEAN-NOEL
27
/12/2011
L’élaboration
d’un texte pareil répond à une double nécessité : celle de rendre hommage
à tous ceux-là qui se sont battus pour asseoir l’approche
participation-responsabilisation au niveau du monde rural, en particulier au
sein des associations irrigants, et celle de permettre au grand public de
comprendre le sens d’une bataille pour la démocratisation à la base en nous
appuyant sur le sous-secteur irrigué qui a pris plus de 30 ans pour favoriser
l’émergence d’une lueur d’espoir en terme de codification. Ce texte s’articule
autour de deux thématiques complémentaires, (a) la méthodologie de mise en
place des associations d’irrigants et (b) le réseautage des associations d’irrigants lié au transfert de la gestion
des systèmes d’irrigation.
A.
Méthodologie
La méthodologie de transfert de
gestion aux associations d’irrigants (AI) a été élaborée par le projet PPI-1 et
appliquée par les partenaires du projet. Ensuite, elle a été reprise, affinée
et amplifiée de manière consensuelle par l’ensemble des entités concernées par
le sous-secteur des périmètres irrigués. Elle a été validée par les plus hautes
autorités du ministère de l’agriculture en l’année 2000. Depuis, elle est
appliquée en principe par l’ensemble des intervenants dans le sous secteur.
Les résultats à date (2011) sont
encourageants selon le colloque organisé par la Fondation Haïtienne de
l’Irrigation (FONHADI) en novembre 2011 à Villa MAMIKA (Croix-des-Bouquets)
avec la participation des représentants des associations et des fédérations d’irrigants de 7
départements sur 10, des représentants d’ONG, d’organisations nationales et
internationales, des représentants du Parlement en la personne du Député Ronald Oscar et du Sénateur Willy
Jean-Baptiste, et du représentant de l’Exécutif en la personne du Secrétaire
d’Etat à la production végétale, Fresner Dorcin.
Dépendant du diagnostic fait de
l’association, cette méthodologie peut être appliquée sur une période variant
de 2 à 8 ans avec l’implication de l’ensemble des acteurs concernés par les 4
phases, les 14 étapes et les 3 niveaux de contractualisation qui en constituent
l’essence et les exigences pour une mise en œuvre acceptable avec des résultats
durables .
C’est cette méthodologie qui est à
la base du projet de loi sur le transfert de gestion des périmètres irrigués
aux associations d’irrigants qui sera soumis au Parlement en l’année 2012. Le
transfert d’un périmètre ou d’un groupes de périmètres à une association ou à
une fédération ne se fera pas sans l’application préalable de cette
méthodologie.
A. Le
réseautage des associations d’irrigants lié au transfert de la gestion des
systèmes d’irrigation
Tel est le thème d’un atelier organisé par
la Fondation Haïtienne de l’Irrigation (FONHADI) le vendredi 25 novembre à la
Villa Mamika, Croix-des-Bouquets. Pour les non-initiés, cela peut paraitre du
charabia, aussi allons nous devoir commencer par expliciter quelques concepts,
et en premier lieu celui de transfert de gestion.
Au départ, il faut se rappeler que l’eau,
en tant que ressource naturelle, est propriété de l’Etat au nom du peuple
haïtien. De ce fait, toute exploitation de l’eau est sujette à une autorisation
de l’Etat. Dans le cas spécifique des systèmes d’irrigation, même quand
l’infrastructure a été financée par une institution privée, elle reste
propriété de l’Etat, qui en assure la gestion. Cette gestion est assurée par un
syndic d’irrigation, un employé du Ministère de l’Agriculture, qui assure la
distribution de l’eau aux usagers du système et veille au bon état de
l’infrastructure.
Dans la pratique, la formule a mal
fonctionné, et ce à deux niveaux :
1) Au
niveau du syndic, les usagers se plaignent d’une mauvaise distribution de
l’eau, le syndic favorisant des usagers plus « importants »,
probablement en échange de certains avantages ;
2) Au
niveau de la redevance que les usagers doivent verser à la Direction Générale
des Impôts et qui est censée servir à financer l’entretien et la maintenance de
l’infrastructure, les usagers se plaignent du fait que, une fois que ces sommes
sont versées au Trésor Public, il est très difficile d’obtenir un décaissement
quand ils en ont besoin pour effectuer des travaux d’entretien ou de
maintenance.
D’où une double revendication de la part
des usagers :
1) Que
la gestion des systèmes soit assurée par les usagers eux-mêmes ;
2) Que
la redevance soit gardée par les usagers eux-mêmes, de manière qu’ils puissent
en disposer quand c’est nécessaire.
Dans l’histoire du transfert de la
gestion, le premier cas connu est celui du canal d’Avezac, dans la plaine des
Cayes. On parle d’une première autorisation datant du gouvernement de Paul
Magloire, puis d’une autorisation accordée par l’agronome Frantz Flambert,
Ministre de l’Agriculture du gouvernement de Jean-Claude Duvalier. Mais c’est
avec l’Association des Irrigants de la Plaine de l’Arcahaie (AIPA) que
l’agronome Gérald Mathurin, Ministre de l’Agriculture du premier gouvernement
Préval, signe le premier contrat de transfert de gestion. Par la suite,
l’agronome Sébastien Hilaire, Ministre de l’Agriculture du gouvernement
Aristide, a signé des contrats de transfert avec des associations d’irrigants
de la zone goâvienne et de la vallée des Trois Rivières.
La signature d’un contrat avec un
Ministère suppose l’existence d’une association bien structurée et dotée de la
personnalité civile ; or nous sommes encore loin du compte.
En ce qui concerne la structuration, le
Programme de Réhabilitation des Petits Périmètres Irrigués (PPI 1) a proposé
une méthodologie très élaborée. Elle n’a été adoptée que du bout des lèvres par
la Direction des Infrastructures Agricoles (DIA) du MARNDR, heureusement validé
par la suite au plus haut niveau du ministère ; mais tous les initiés
retiennent les fameuses « 4 phases, 14 étapes et 3 niveaux de
contractualisation ». Sans entrer dans les détails, on retiendra les
« 3 niveaux de contractualisation », car l’idée est que, à chaque
niveau de structuration de l’association, celle-ci se voit confiée par contrat
un certain nombre de responsabilités, et le troisième niveau est celui où on
lui confie la responsabilité de gérer le système par un contrat de transfert de
gestion.
En ce qui concerne la personnalité civile,
c’est plus compliqué. Il faudrait, en effet qu’une loi fixe (i) les conditions que devraient remplir
une association d’irrigants, pour obtenir le statut d’association reconnue
légalement, et (ii) les
attributions qui doivent lui permettre de remplir ses fonctions.
Or il se trouve que dans ce beau pays il
n’existe aucune législation sur les associations, d’une manière générale, voire
sur les associations d’irrigants ! Le Groupe de Réflexion sur l’Irrigation
(GRI), devenu par la suite la Fondation Haïtienne de l’Irrigation (FONHADI), en
avait fait son cheval de bataille ; un avant-projet de loi a été élaboré
et plusieurs fois remanié ; ces travaux ont culminé avec l’organisation,
les 2, 3 et 4 juin 2004, d’un colloque sur le « Transfert de la gestion
des systèmes irrigués en Haïti » et les actes de ce colloque ont été
remis officiellement au Ministre de l’Agriculture le jeudi 14 avril 2005 (voir
Conclusion du colloque sur l’irrigation, HEM Vol 19 # 12 du 20-26/04/2005).
Mais il ne s’est encore jamais trouvé un Ministre de l’Agriculture qui présente
cet avant-projet au Parlement.
En principe, au niveau des dirigeants, on
est d’accord avec le transfert de la gestion des systèmes d’irrigations aux
associations d’irrigants ; cela va dans le sens du
« désengagement » du Ministère, devenu très à la mode à partir du
retour du Président Aristide en 1994. On entend encore Philippe Mathieu, alors
Directeur Général Adjoint, proclamer à tout moment, avec sa voix de stentor,
que le Ministère doit devenir un ministère normatif et que les actions de
terrain seront le fait d’opérateurs spécialisés.
Cela faisait aussi l’affaire de certains
cadres du ministère qui se sont dépêchés de créer des « boites de
techniciens », souvent avec un label ONG, prêtes à signer des contrats
d’exécution avec le ministère ou les grandes organisations finançant des
projets d’irrigation. Mais, d’un autre côté, l’idée de confier des
responsabilités à des associations de paysans dérange ; cela va à
l’encontre d’une vieille tradition de confiscation du pouvoir, de tout pouvoir,
par une certaine catégorie sociale ; sans parler de la crainte de certains
cadres intermédiaires de perdre leur job si les paysans « deviennent trop
forts ».
En fait, ce ne sont que des combats
d’arrière-garde. Le principe de la participation-responsabilisation, qui guide
tous ceux qui appuient les associations d’irrigants fera son chemin même si
cela déplait à quelques uns. A la Villa Mamika, selon la liste qu’on a pu
obtenir et qui n’est peut-être pas complète, ils étaient plus de 80 participants
dont une quarantaine venus de 7 départements : Nord-Ouest (5), Nord (4),
Artibonite (14), Centre (1), Ouest (5), Sud-Est (5), Sud (8).
Quand on sait que de nombreuses zones
n’ont pas pu être touchées, souvent parce que les organisations ne sont pas
encore bien solides ou simplement pas connues des organisateurs du colloque, on
peut imaginer quel potentiel cela représente ; et c’est là qu’apparait une
autre cause de la réticence ; la cause politique.
Le sénateur de l’Artibonite, Willy
Jean-Baptiste, lui-même agronome, spécialiste en gestion des systèmes
d’irrigation, et qui a été Directeur de l’ODVA, a cité des chiffres. 20.000
hectares irrigués dans la plaine de l’Artibonite, avec des parcelles de moins
d’un hectare, cultivées par un paysan à la tête d’une famille de 6 à 7
personnes, on peut calculer quelle population et combien d’électeurs potentiels
cela représente ! Vous comprenez maintenant pourquoi l’Artibonite est une
zone politiquement « chaude ».
Mais revenons aux associations
d’irrigants. Au cours des réunions préparatoires de cet atelier, les membres de
la FONHADI se sont penchés sur les services que l’association peut offrir à ses
membres :
- Des
services pour une meilleure valorisation de l’eau :
v accès aux intrants (engrais, semences,
pesticides …),
v machinisme (attelage, motoculteur, tracteur ...)
pour faciliter le travail de la terre,
v regroupement de la production,
v transformation de la production,
v commercialisation, recherche de marchés
…. ;
- Un
service de gestion des exploitations agricoles (travailler sur la rentabilité
de la production) ;
- Des
actions de plaidoyer pour un meilleur accès aux intrants, pour davantage
d’investissement de l’Etat, un meilleur accès au crédit …
Dans l’idée des membres de la FONHADI, les associations seraient
encore plus efficientes si, au lieu d’agir chacune de son côté, elles
conjuguaient leurs efforts en se regroupant en fédérations régionales et à
terme nationales. Il en existe déjà dans l’Artibonite, dans le Sud-Est, dans la
zone goâvienne, sans parler de la grande Association des Irrigants de la Plaine
de l’Arcahaie. C’est là un premier niveau de « réseautage » ;
l’objectif est d’étendre ce mouvement à l’ensemble du pays.
Et comme on ne se refait pas, B.Ethéart ne peut s’empêcher de
reprendre ce slogan qu’il a lancé à l’issue du colloque sur le « Transfert
de la gestion des systèmes irrigués en Haïti » en juin 2004 (voir Conclusion
du colloque sur l’irrigation, HEM Vol 19 # 12 du 20-26/04/2005), « Irrigants
de tout le pays unissez vous ! »
Pour finir une bonne nouvelle : le nouveau Secrétaire d’Etat
à la Production Végétale du MARNDR, l’agronome Fresner Dorcin, qui était
présent à l’atelier, a promis son appui pour faire avancer le dossier de la loi
sur les associations d’irrigants. Le Député Ronald Oscar et le Sénateur Willy
Jean-Baptiste en ont fait de même. Aux dernières nouvelles, le Ministre de l’agriculture, l’Ing/AGR Hébert Docteur, a
passé des instructions pour inscrire le projet de loi dans la liste des projets
de loi à soumettre à la Primature et à inscrire dans l’agenda législatif de
2012. Franchira-t-on cette nouvelle étape si cruciale dans la bataille pour la
démocratisation du monde rural ? Ces hommes qui auront aidé à la franchir
seront très certainement récompensés par l’histoire.
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