HAITI, VERS UNE ENTENTE OU UN « GOUDOUGOUDOU POLITIQUE »
APRES LE 12 JANVIER 2015 ?
JEAN ROBERT JEAN-NOEL
30 SEPTEMBRE 2014
La rencontre programmée avec le Groupe des 6 Sénateurs (G6)
au Palais National, le 1er septembre, n’a pas eu lieu sous prétexte
que le Palais n’est pas un terrain neutre. Le Président du Sénat s’y est
quand même présenté. Comme elle est prévue pour une date ultérieure, le
G6 et les 6 partis et regroupements politiques, dont le MOPOD, se sont
concertés pour préparer leur plan d’attaque pour « négocier » avec le
Président Martelly et/ou le déchouquer.
Car, à entendre certains membres de l’opposition, ils ne pensent qu’au
chambardement. Parmi les scénarii analysés
(Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2014/08/haiti-imbroglio-politique-desras.html
), le mois dernier, il ne resterait, en fonction de l’évolution de la
situation (déclarations du pouvoir exécutif, mandat d’amenée transformé en
résidence surveillée pour l’ex-Président, Jean Bertrand ARISTIDE, consultation
entamée par le Président Martelly au Palais National, le 22 septembre, avec la
Société Civile, le Pouvoir Judiciaire, les partis politiques comme la KID et
l’OPL, manifestation antigouvernementale
au Cap-Haïtien, à Port-au-Prince, non vote du budget par le Sénat, création d’un
instrument innovant de l’Etat le 12 janvier 2015, un fonds d’investissement, etc.),
que deux scénarii : Le Dialogue et le Déchoucage. Cet article : « Haïti, vers
une entente ou un « Goudougoudou politique » après le 12 janvier 2015 ? »,
analysera les possibilités d’un consensus politique tel qu’exprimé par M.
Martelly sur les tribunes des Nations Unies, à la 69e session de l'assemblée
générale, ainsi que les risques d’un chambardement généralisé, mais il est
important de rappeler, avant, certains faits saillants qui pourraient jeter une
certaine lumière sur la compréhension de la conjoncture.
FAITS
SAILLANTS DU MOIS DE SEPTEMBRE 2014
« Reconduire le budget 2013-2014 »
Le budget de 122 Mrds HTG est voté par la Chambre basse
mais non voté par le Sénat. La commission des finances du Sénat a recommandé un
vote favorable mais pas dans les mêmes termes que la Chambre basse. Par rapport
à cette situation, selon le Sénateur PRIVERT, à l’émission Forum économique de
Kesner PHAREL sur Métropole, le 28 septembre 2014, le pouvoir exécutif pourrait appliquer l’article
18 du décret de 2005, mais cet article
est en contradiction avec l’article 241 de la Constitution. Si l’on doit
respecter la Constitution, il faudrait reconduire le budget 2013-2014 dans un
premier temps, convoquer à l’extraordinaire, dans un second temps, le Parlement
pour faire voter le budget dans les mêmes termes par les deux chambres durant
le premier trimestre de l’exercice 2014-2015. Ainsi, la loi de finances
pourrait entrer en vigueur constitutionnellement avec la mise application de
l’ensemble des mesures prévues dans le cadre de cet Etat de droit prôné par
l’administration Martelly. Ces conseils fournis par le Président de la
Commission des finances du Sénat nous paraissent plutôt salutaires dans cette
conjoncture à la limite explosive. Aux dernières nouvelles, le Gouvernement a mis en vigueur le budget 2014-2015 en évoquant l'article 18 du décret de 2005.
Les éléments d’une politique des îles : île à vache, île
de Latortue, île de la Gonâve
Certaines actions menées au niveau des îles depuis la prise
du pouvoir par cette administration méritent qu’on s’y penche même de manière
succincte. Depuis plus de deux ans, elle s’est focalisée sur île à Vache pour
en faire un pôle de développement touristique avec les infrastructures
correspondantes (Aéroport, route, Electricité). En cours de route, le projet
s’est de plus en plus élargi à l’agriculture, à l’eau potable, aux logements
sociaux, au renforcement de la présence de la police. Tout un plan directeur du
tourisme pour la zone a vu le jour. Ce modèle est en train d’être appliqué à La
Tortue et à La Gonâve à partir des actions
d’urgence avant de passer aux choses
sérieuses. Un gros investisseur, Carnival Cruise Line, est intéressé, selon le
Premier Ministre Lamothe, à s’implanter à La Tortue. Il va investir 70 M USD.
Quant à La Gonâve, toute une série
d’engagements est prise après le Gouvernement Lakay ou organisé en ce mois de
septembre 2014 sur cette île. A écouter attentivement la Ministre du Tourisme,
Mme Balmir Vildouin, on est en présence d’un ensemble d’éléments de politique
des îles dont la porte d’entrée est le Tourisme. C’est en quelque sorte une
sorte d’innovation en matière de politique. D’où nécessité d’approfondir et de
pérenniser cette politique dans le cadre d’un partenarial public-privé.
L’expression du
partenariat public-privé dans le secteur agricole
Le Ministère de l’Agriculture des Ressources
Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) a signé, ce mardi 30 septembre, à
l’Hôtel Royal OASIS, Pétion-Ville, sept (7) protocoles d’accord d’un montant
global de 129.5 M avec des investisseurs privés désireux de s’impliquer dans le
secteur agricole USD. Ce protocole d’investissement,
qui rentre dans le cadre de la mise en œuvre de la composante 2 du Programme
Triennal de Relance Agricole (PTRA), Appui aux Investisseurs et Entrepreneurs
privés, marque un nouveau tournant dans le développement de l’agriculture. Certes,
l’agriculture familiale a toujours connu des investissements de petits
agriculteurs privés qui demeurent encore les principaux financeurs du secteur, mais, cette fois-ci, ce sont les gros entrepreneurs privés
haïtiens et étrangers qui investissent dans l’agriculture. En 2013, selon le
Secrétaire d’Etat Dorcin, il y a eu des investissements dans l’agri busines de
l’ordre de 30 M USD qui ont généré environ 5000 emplois permanents et 20,000
emplois temporaires. En termes de perspectives, il est prévu, pour le premier
trimestre de l’exercice 2014-2015, des investissements dans l’agri business de
273 M USD qui pourraient générer plus de 40,000 emplois permanents et autour de
200,000 emplois temporaires. Il faut noter la synergie déployée dans le cadre
de ce protocole impliquant à la fois l’Etat (MARNDR, MCI, MEF, Primature, CFI,
etc.), le secteur Privé des Affaires avec 7 entreprises. C’est l’expression du
partenariat public-privé dans le secteur agricole.
LE
DIALOGUE POLITIQUE ENTRE L’EXECUTIF ET L’OPPOSITION DITE REDICALE
L’appui de la communauté internationale au pouvoir en place
Un acteur de la crise haïtienne, la Communauté
internationale dans toutes ses composantes, a pris fait et cause pour le
pouvoir en place, en particulier l’Exécutif, dans le cadre de cette crise inter
haïtienne. Face au refus des Sénateurs du G6 de voter les amendements de la loi
électorale, passage obligé vers les élections, une partie importante de
l’opinion publique et la communauté internationale les obligeaient à assouplir
leur position au point que le Président du Sénat, qui s’est érigé à un moment
donné comme chef de l’opposition, a sollicité du Président de la République, en
deux occasions en moins de 15 jours au cours du mois d’aout 2014, une rencontre
pour dialogue avec le G6 et l’opposition
qui le soutient. Ce que le Président Martelly a concédé, en faisant l’erreur de
les inviter au Palais au lieu de leur laisser l’initiative du lieu et de
l’agenda puisque ce sont eux qui ont sollicité. D’ailleurs, ils n’ont pas
sollicité ce dialogue de gaité de cœur. Malheureusement pour le Pouvoir en
place ou heureusement pour l’opposition, en prenant l’initiative de les inviter
au Palais, le Président a donné un prétexte à l’opposition radicale de
l’accuser de mauvaise foi. Et, comme le Président a pris l’initiative de
consulter d’abord un large secteur de la vie nationale, au Palais national et
avant son départ pour la 69e assemblée générale de l’ONU, non
seulement l’opposition radicale ne s’est pas présentée au Palais, elle l’accuse
de vouloir les utiliser pour montrer sa bonne foi vis-à-vis de la communauté
internationale (consommation internationale) et bénéficier davantage de son
appui déjà inconditionnel. Bref, simplement du « show busines » de la
part du Président. En tout cas, le discours du Président à l’ONU a été empreint
de sagesse vis-à-vis de l’opposition, il a parlé de « consensus », et
promis des « élections dans le plus bref délai ». Il a évoqué
« le principe républicain » et « l’esprit Dessalinien »
pour expliquer sa disposition à dialoguer dans la conjoncture actuelle. Bref,
il veut coûte que coûte une entente avec l’opposition radicale, puisqu'il continue les consultations avec tout le monde après son retour de New-York, la Conférence épiscopale, la Réligion pour la paix, le Sénat naturellement sans le G6 qu'il rencontrera en dehors du Palais, selon le Sénateur DESRAS, le vendredi 3 Octobre .
Pourtant, à entendre les membres de l’opposition radicale, on est en présence d’une opposition plurielle qui a repris du poil de la bête et dont les positions sont plutôt divergentes, certains pour les « négociations », « les discussions sur les préalables avant les négociations proprement dites », etc. et d’autres pour le déchoucage ou la démission de l’administration Martelly. Pour cela, la stratégie de manifestations « Manch long » est la principale arme pour arriver à leur fin. D’où les manifestations au Cap et à Port-au-Prince (soutien au Président Aristide).
Pourtant, à entendre les membres de l’opposition radicale, on est en présence d’une opposition plurielle qui a repris du poil de la bête et dont les positions sont plutôt divergentes, certains pour les « négociations », « les discussions sur les préalables avant les négociations proprement dites », etc. et d’autres pour le déchoucage ou la démission de l’administration Martelly. Pour cela, la stratégie de manifestations « Manch long » est la principale arme pour arriver à leur fin. D’où les manifestations au Cap et à Port-au-Prince (soutien au Président Aristide).
De la surenchère des deux cotés
C’est peut-être de la surenchère des deux cotés avant des
négociations sérieuses. Selon ce qui est rapporté plus haut, une partie de
l’opposition campe sur sa position de déchoucage de l’administration Martelly.
Mais du coté du pouvoir aussi, l’hebdomadaire Haïti en Marche, dans un article
datant du 17 septembre 2014, « L’international semble plutôt vouloir
décourager le dialogue !‘Apre nou, se nou » a relevé ce double langage : « On est comme à la croisée de nombreux
chemins. D’un côté le président Michel Martelly maintient son intention de
reprendre le dialogue avec l’opposition, jusqu’aux plus radicaux. De l’autre il
tire à boulets rouges sur cette dernière, demandant au peuple de ne pas voter
pour ceux qu’il qualifie pratiquement d’anticapitalistes et d’incapables, alors
que lui et le premier ministre Laurent Lamothe sont en train de ‘transformer
tout le pays en un vaste chantier.’ Anthony Barbier du MOPOD, Emission
Ramasé de Radio Caraïbes du 27 septembre 2014, a relevé ce double langage du
Président en comparant son discours à la 29e assemblée générale de
l’ONU et sa prise de parole dans une église protestante de New-York. Sénateur
Benoit a qualifié « d’intempestives » les déclarations du Président
Martelly à New-York sur Radio Vision 2000, le 30 septembre 2014. De toute
manière, il serait préférable, pour rester positif, de voir dans cette
surenchère juste une manœuvre des deux cotés pour arriver à un consensus pour
Haïti et non à ce chambardement annoncé.
LES
RISQUES D’UN CHAMBARDEMENT GENERALISE
Si les pourparlers échouent et, au 12 janvier 2015, si le
Président constate la caducité du Parlement, les risques d’un chambardement
généralisé demeurent possibles. L’OPL parle de « Tsunami politique »,
le MOPOD de « Goudougoudou politique » en référence au tremblement de
terre qui a fortement secoué notre pays
avec plus de 300,000 morts. D’autres parlent de chaos. Actuellement, la situation
économique de la classe nécessiteuse et de la classe moyenne est des plus
terribles. En témoignent les difficultés des familles à envoyer les enfants à
l’école pour la rentrée de septembre, en dépit des efforts du Gouvernement. Le
dollar qui passe à environ 46 HTG décapitalise la majorité des Haïtiens,
surtout ceux-là qui ont des enfants à l’étranger (USA, République Dominicaine,
Canada, France, etc.). Manger tous les jours est un véritable exploit pour la plupart des familles
haïtiennes. Les plus nécessiteuses mangent parfois. Le nombre de mendiants
augmente dans les rues. Le chômage fait rage. Avec l’augmentation graduelle du
prix du carburant prévue pour l’exercice 2014-2015, la situation va s’aggraver
à moins d’arrêter des mesures d’accompagnement. Le retard mis dans le vote du
budget, s’il est une mauvaise chose pour le pays, permet un sursis dans
l’augmentation du prix du carburant. En tout cas, avec l'entrée en vigueur du budget, l'augmentation graduelle du prix du carburant se fera tout au long de l'exercice 2014-2015 comme prevu, a insisté la Ministre de l'économie et des finances ce lundi 1er Octobre 2014. Ce qui augmente aussi les risques de manifestations en cas d'exploitation négative de cette mesure par l'opposition lorsqu'elle sera prise. Par
rapport à cette situation économique, les moindres faux pas de l’administration
en place seront exploités par l’opposition radicale pour aboutir à des
manifestations anti gouvernementales avec l’espoir de ce chambardement tant
souhaité.
CONCLUSIONS
Tout en rose … ou tout en noir
Au pouvoir en place de continuer à vendre l’espoir avec la
signature de ce protocole d’accord de 129.5 M USD dans le secteur agricole et
d’autres actions entreprises par l’administration Martelly pour contrecarrer
les manœuvres de l’opposition. Par
exemple, la convocation à l’extraordinaire pour le vote de certaines lois utiles pour le pays,
prendre des mesures pour améliorer la vie des plus nécessiteux, fournir des
opportunités à la classe moyenne, adopter des dispositions pour un dialogue
fructueux avec le G6 et ses alliés. Toutefois, des deux cotés, il faudrait
éviter les extrêmes avec la propagande d’un pouvoir qui présente tout en rose
et celle de l’opposition qui présente tout en noir. L’opposition devra modérer son
langage vis-à-vis de l’administration Martelly et vice versa. Le pouvoir n’a non
plus aucun intérêt à diaboliser l’opposition.
Le respect de l’adversaire politique
Pour les observateurs, l’administration Martelly a assez d’actions
à montrer à la population qui sont réalisées ou en cours de réalisation à
travers le pays à la manière de TéléGinen, « Gade’l jan lié a » sans
verser dans des ajouts qui dérangent beaucoup plus qu’ils apportent un plus. De
même, l’opposition a suffisamment d’arguments sérieux pour montrer les
faiblesses de l’administration Martelly. Il n’est pas nécessaire d’utiliser les
déclarations sans aucune preuve, basées sur des amalgames, des déductions, des
accusations de corruption, de vols, de dictature, d’accointances avec les
dealers de drogue, de kidnapping. Cette façon d’agir frise souvent le mensonge,
l’irrespect pour aboutir à un fossé de plus en plus large entre les deux
parties. Si on veut ce dialogue, ce consensus, cette concertation, cette
conférence nationale, attendu par la majorité des Haïtiens, il faudra commencer par le respect d’autrui, respect
de l’autre, respect de soi-même et respect de l’adversaire politique.
Un deal gagnant-gagnant ?
Haïti est à la croisée des chemins. La communauté
internationale est certes du coté de l’administration Martelly ; mais il
ne faut pas voir en cet appui une quelconque carte blanche donnée à cette
administration ni une entente « en bas table » pour vendre les
ressources du pays. C’est à la limite une bonne chose pour le pays, pour son
développement. Bill Clinton qualifie ce gouvernement comme « le plus
décisif » avec lequel il ait eu l’opportunité de travailler. N’oubliez pas
que c’est ce même Bill Clinton qui a ramené Aristide en 1994 sous les
applaudissements de la majorité des Haïtiens. C’est un Monsieur dont la voix est très
écoutée à travers le monde. Pourquoi l’appui à Martelly serait-il mauvais pour
Haïti, alors que celui à Aristide aurait été bon pour Haïti ? Dialogue ou
Chambardement (?), il serait intéressant pour nous d’étonner le monde une fois
de plus, en évitant coûte que coûte le « Goudougoudou politique », et
en nous investissant dans un dialogue
inter haïtien, dans une conférence nationale sans perdants ni gagnants à la
manière de la proposition en 10 points de Daly Valet. N’est-ce pas là un deal
gagnant-gagnant pour Haïti, nos
politiciens et nous-mêmes face à cette communauté internationale qui ne nous a
jamais fait de cadeau ?
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