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jeudi 29 mars 2018

HAITI : CARAVANE DU CHANGEMENT, ET SI LE REVE DEVIENT REALITE?


HAITI : CARAVANE DU CHANGEMENT, ET SI LE REVE DEVIENT REALITE?
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
29 Mars 2018

Bonne fête à la constitution de 1987 ! Cet article aurait dû sortir le 28 Février 2018. Malheureusement, mes obligations professionnelles ont eu raison de cette publication mensuelle qui relève beaucoup plus du sacerdoce qu’autre chose. L’article a été inspiré par le désespoir qui caractérise cette fuite de la jeunesse haïtienne vers le Chili. Il m’a été donné l’occasion de  passer devant l’aérogare Guy Malary pris littéralement d’assaut par des centaines de jeunes en partance pour le Chili. Que faire pour arrêter cette hémorragie ? Clarens Renois a parlé de 13,000 arrivés au Chili pour le seul mois de Février 2018, citant le Miami Herald, lors d’une émission sur Télé Pluriel. Le sociologue Daniel Supplice a fait une étude du phénomène qui a révélé que la majorité de ces jeunes n’avaient pas encore 30 ans et appartiennent à la classe moyenne basse, a-t-il fait connaitre dans une émission  du Magazine économique animée par K. Pharel sur Télé Métropole, sans oublier le film de Valéry Numa qui a tiré la sonnette d’alarme. En tant que professionnel sur le déclin, je me sens interpellé par une telle situation. Les jeunes partent pour chercher un mieux-être ailleurs, à la recherche d’un rêve, d’un emploi. Qui assurera la relève ? C’est tout naturellement que l’idée de la caravane du changement et son potentiel énorme de création  d’emplois s’est imposée à moi comme une alternative à cette fuite. D’où le titre de cet article : Haïti, Caravane du changement, et si le rêve devient réalité ?

Attardons–nous sur quelques faits saillants, avant d’essayer de vendre ce rêve au pays et à cette jeunesse aux abois.

                         A.      Faits saillants retenus

Haïti, durant ces deux derniers mois, a connu des faits qui méritent d’être analysés en profondeur, le dossier PETROCARIBE, les mesures du gouvernement pour stabiliser le taux de change comme l’affichage des prix des marchandises en gourdes sur toute l’étendue du territoire et le tollé qui s’en est suivi, les incendies de marchés, le carnaval national, la 29e réunion de la CARICOM en Haïti, le déficit budgétaire « record » ou le « découvert budgétaire » pour reprendre le mot du ministre de l’économie et des finances (MEF), Jude Patrick Salomon, la mise en place de l’Etat-Major de l’Armée d’Haïti, la mise en place du comité de pilotage des Etats Généraux Sectoriels de la Nation (EGSN), le suicide de l'Agr William Michel, etc. Il aurait fallu plusieurs articles pour aborder tous ces points saillants et d’autres. Heureusement que des spécialistes pointus se sont penchés sur la plupart de  ces questions qui ont défrayé la chronique. On se contentera de passer en revue trois points et de vendre l’espoir que recèle la caravane du changement, en espérant que le lecteur se dépouillera de son aversion anti-PHTK, anti-J. Moïse, pour s’imprégner de ce potentiel exploitable offert par la caravane du changement.

(i)                 Les incendies de Marchés
Les incendies de marchés sont récurrents en Haïti. Avec  le 3e incendie du Marché Hyppolite de 18 M d’USD, le 13 Février 2018, on a dénombre 17 incendies de marché du 31 Mai 2005 au niveau de la seule zone Métropolitaine de Port-au-Prince, en ajoutant l’incendie qui s’est déclarée 2 jours plus tard après le 3e du Marché Hyppolite. Durant cette période, le Marché de Tabarre a été la proie des flammes en deux occasions (24 février 2012 et 6 janvier 2013) ; il en a été de même pour le Marché Tête Bœuf (31 Mai 2005 et 14 Juillet 2014), pour ne citer que ces cas d’incendie[1]. A chaque fois, on n’a jamais identifié les coupables et on a jusqu’ici donné les mêmes réponses : dédommager en partie les marchands et marchandes. Les associations-bidons de marchands voient le jour pour bénéficier de la pitance du gouvernement, ce qui débouche toujours sur des conflits entre vraies associations et associations-bidons. N’y aurait-il pas une relation de causes à effets entre ces incendies récurrents et les réponses données? Comme ces cas d’incendies se répètent au niveau des marchés des villes de province comme Gonaïves, qui, à notre connaissance, n’ont pas d’associations de marchandes, et qui, dans d’autres cas, arrivent à des périodes de tension politique, ne sont-ce pas aussi des incendies criminels à caractère politique? En tout cas, quel qu’en soit l’adjectif qu’on leur attribue, ces  cas d’incendies devront dorénavant être traités différemment et avec beaucoup plus de rigueur. Les dommages et pertes enregistrés ont des conséquences sur la vie des citoyennes et citoyens parmi  les plus défavorisés et les plus débrouillards du pays.

(ii)               Le Carnaval National avec la participation de Sweet Micky
Malgré la campagne orchestrée contre Sweet Micky pour ses propos orduriers, il a été admis à participer au Carnaval National qui, signalons-le en passant, s’est déroulé sans incidents majeurs (0 mort). Mise à part la constante  de la politisation de cette grande fête culturelle, le Carnaval National de Port-au-Prince s’est déroulé selon ses faiblesses organisationnelles et ses forces d’attraction, le non-respect de l’ordonnancement annoncé, la bonne chorégraphie des groupes de jeunes, les bandes à pieds toujours égales à elles-mêmes, les chars allégoriques en déca de l’ordinaire cette année, et les chars des groupes musicaux accompagnés de marées humaines. Sweet Micky s’est, une fois de plus, signalé par sa capacité à drainer les foules avec  sa meringue 2018, « san/100 betiz» et le non-respect des consignes. Le groupe de Don Kato s’est aussi signalé par sa meringue « bare volè », malgré les péripéties dans le parcours liées, selon ses partisans, à la nature de sa meringue plutôt antigouvernementale, et à l’allure de manifestation politique  imprimée par ses fanatiques et partisans ; ce qui a fait penser à une connexion entre ces péripéties et l’incendie du Marché Hyppolite, vite dissipée par DIGICEL attribuant cet incendie à un accident dû à la négligence d’un feu mis dans une pile de fatras près du marché . Les autres grands ténors (Djakout # 1, T-Vice, kreol-la…)  du Carnaval se sont distingués aussi, mais aucun n’a pu supplanter ce jeune groupe, déclaré champion 2018, « Rudy Rudboy », bon texte, bonne orchestration et bonne animation. Un grand champion!

(iii)             La 29e réunion des chefs d’Etat et de Gouvernement de la Caraïbe
L’organisation de la 29e  réunion inter-sessionnelle de la CARICOM  s’est déroulée en Haïti à la fin de Février 2018.  C’était la conférence des Chefs d’Etat et de  gouvernement de la CARICOM. Depuis 16 ans, Haïti fait partie de cette organisation régionale. Mais, selon Le Nouvelliste[2], Haïti n’aurait fait que tâtonner  depuis 16 ans. Le Président J. Moïse a promis d’accélérer les choses, d’autant que c’est lui  qui assure actuellement la présidence tournante de cette institution régionale créée en  juillet 1973 par le traité de Chaguaramas. L’intégration devrait être plus rapide, surtout que tous les pays de la région confrontent les mêmes problèmes de changement climatique, la gestion des catastrophes naturelles, la question des assurances. « Haïti doit s’assurer du suivi de ses différents dossiers pendants au secrétariat de la Caricom, notamment travailler sur l’intégration du créole et du français comme langues officielles, la libre circulation des biens et des personnes (des professionnels ?), entre autres », a insisté Le Nouvelliste.

                        B.      La Caravane du changement entre le rêve et la réalité

La démarche
Depuis le 7 Février 2018, la caravane du changement est officiellement étendue à tout le pays. La cellule de pilotage de la  caravane, qui a lancé en novembre 2017 le processus participatif d’élaboration des plans d’action départementaux des sept (7) autres départements non encore réellement touchés par la caravane du changement,  sillonne les départements pour valider les plans d’action départementaux par les divers acteurs impliqués dans leur élaboration (CASEC, ASEC, Délégués de Ville, Groupes de Base, Délégations Départementales et Vice-Délégations d’Arrondissement, Directions Départementales et Directions Décentralisés des Services autonomes de l’Etat, Société civile et Secteurs Privés, etc.). Ces plans d’action départementaux se basent sur les données primaires fournies par les acteurs, cooborées et amplifiées  par les informations disponibles dans  la majorité des documents-clés de l’Etat. Ces plans d’action seront mis en œuvre par les structures déconcentrées et décentralisées de l’Etat au niveau des 5 pôles régionaux de croissance et de développement, basés sur 5 grands châteaux d’eau du pays, dominant les 10 départements, les 42 arrondissements et les 32 pôles locaux de développement, les 146 communes et les 572 sections communales. Actuellement, c’est la phase de planification départementale, communale et section communale pour la finalisation des documents d’exécution pour le démarrage de la mise en œuvre des actions sectorielles départementales dans le cadre de la caravane du changement.

                Le rêve traduit en actions chiffrées
Les actions sectorielles des plans d’action départementaux  s’articulent autour d’un ensemble d’axes imbriqués, articulés et intégrés dans l’ensemble Haïti.

     1)      En matière de transport, il est prévu la réhabilitation et la construction de plus de 4000 km de routes de toutes catégories pour renforcer la maillage routier national, les pistes intersections communales, les routes intercommunales, les routes interdépartementales, les nouvelles percées au niveau des sections communales, des communes et des départements, en particulier pour accéder à des zones de grandes productions, des zones de services (centre de santé. Dispensaires, hôpitaux, écoles, sites historiques, zones de villégiature, etc.). il faut noter aussi la réhabilitation et la construction de 22 débarcadères, de réhabilitation et de construction de ports de commerce et touristiques, de 9 aérogares, de gares routières dans la rubrique Rénovation urbaine et autres

     2)      En matière de maîtrise de l’eau, il est prévu plus de 120,000 ha dans les 10 départements pour l’irrigation dont 40,000 nouveaux hectares de terre, la réparation et la réhabilitation de 80,000 ha existant pour arriver à réduire la dépendance alimentaire du pays vis-à-vis de l’extérieur en augmentant la part nationale dans la disponibilité alimentaire. Le traitement de la majorité des rivières du pays pour combattre les inondations périodiques au niveau des terres agricoles, villages et villes, la mise en place de barrages de retenues de 10 Millions de m3 de capacité, de lacs collinaires, de micro retenues, de mise en place de citernes familiales de 12000 gal et de citernes collectives de 50 à 100 m3 au niveau des villages de montagnes, de plateaux et de plaines arides. Toutes ces actions visent à maitriser l’eau et à s’en servir pour le bien être des collectivités.

     3)      En matière d’environnement, en plus des 14 centres germoplasmes susceptibles de produire 252 Millions de plantules en 4 ans, on espère une augmentation de 15% de la superficie végétale du pays pour la porter à 45% (la couverture actuelle étant estimée à plus de 30%) par la mise en place de pépinières au niveau des communes et des sections communales. En outre, les aspects d’assainissement, de traitement de déchet, de mise en place de décharges publiques sont pris en compte dans l’axe rénovation urbaine.


    4)      En matière d’agriculture, pèche et aquaculture, phytosanitaire et santé animale, les objectifs sectoriels sont nombreux : la distribution de centaines de milliers de tonnes de semences  de qualité à prix subventionnés, de pesticides, de plus 200 milles tonnes fertilisants (engrais), de millions d’outils agricoles, de pompes d’aspersion, de séchoirs artisanaux pour réduire les pertes dans la production agricole dans les zones de montagnes humides ;  la mise en place de centres avicoles pour la production de poulets de chair et de pintades et la production d’œufs avec l’ambition de satisfaire 50% de la demande nationale ; la distribution de matériels et de bateaux de pêche ; la mise en place de bassins piscicoles à caractère familial, de villages de pêche, de dispositifs de concentration de poissons ( DCP) en haute mer, de dispositifs phytosanitaires et de santé animale au niveau de chaque arrondissement pour le traitement des plantes et des animaux.

     5)      En matière de rénovation urbaine et de mise en place d’équipement rural, il est prévu avec le ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales, un ensemble d’objectifs tels : la réhabilitation et la construction d’environ 500 km de voiries urbaines, de places publiques,  de marchés publics, de complexes administratifs au niveau des communes et des sections communales, en plus des aérogares, des débarcadères, ports signalés dans la rubrique transport.

     6)      En matière de santé, c’est la réhabilitation, la construction de dispensaires, de centres de santé, d’hôpitaux au niveau des sections communales, communes et départements qui n’en disposent pas ou pas assez, c’est la dotation en personnel et en matériels médicaux (ambulance, matériels de toutes sortes, etc.). Il est aussi prévu le renforcement institutionnel, la gestion, les séances de sensibilisation, de formation, de formation continue.

      7)      En matière d’éducation, les objectifs sont aussi ambitieux, avec la réhabilitation et la construction de 169 écoles nationales, de 49 lycées, de 25 écoles professionnelles, le renforcement en personnel, en formation des maîtres et en moyens logistiques. Ces actions devraient favoriser un bond au niveau du secteur éducatif et améliorer les conditions et la qualité de l’éducation dans le pays au niveau des sections communales et communes. Il est aussi prévu le renforcement institutionnel, la gestion, les séances de sensibilisation, de formation, de formation continue et la dotation en personnel qualifié, en matériels de toutes sortes (scolaires, logistiques, informatiques, et autres).

    8)      En matière d’habitat social, le ministère des affaires sociales, avec l’appui d’EPPLS et de l’UCLBP, prévoit la réhabilitation et la construction d’environ 13500 logements sociaux à travers les 10 départements, la mise à disposition de fonds pour les enfants, les handicapés. C’est aussi la mise à disposition de moyens de transport, la mise en branle  d’un ensemble d’actions en termes de réparation et de mise à disposition de centaines de bus pour le transport des écoliers, étudiants et des couches défavorisées,  d’accompagnement des groupes sociaux défavorisés (femmes, enfants, familles monoparentales, etc.), de renforcement de l’aspect genre, de filets de sécurité sociale. Ces actions favoriseront l’amélioration de la qualité de vie des couches les plus défavorisées.

      9)      En matière d’eau potable et d’assainissement, la DINEPA prévoit la réhabilitation des systèmes d’adduction d’eau potable (SAEP) tant au niveau des villes que des sections communales, l’aménagement et le captage des sources, la mise en place de fontaines publiques, l’utilisation et le traitement des eaux souterraines, de rivières et des barrages de retenues, le traitement des boues fécales, etc.

      10)   En matière de Jeunesse, sport, services civiques, c’est la réhabilitation et la construction de parcs sportifs, de gymnasium, de 570 complexes sportifs et culturels au niveau des sections communales, des communes. C’est aussi la mise à disposition de moyens financiers pour l’accompagnement de proximité de la jeunesse en termes de civisme, de patriotisme, de formation en matière de sports, de culture, de compétitions dans tous les recoins du pays. C’est aussi le renforcement institutionnel en termes de personnel, de moyens logistiques, sportifs et culturels et d’emplois.

      11)   En  matière de Tourisme et culture, c’est la facilitation d’accès aux sites touristiques, historiques, de villégiature, de plages, de lieux de culte, de culture ; c’est la réhabilitation des sites et des lieux touristiques ; c’est la mise en place de bureaux régionaux du tourisme. C’est aussi la construction de musés dans la plupart des villes, l’aménagement de plages, la réhabilitation de forts, l’aménagement de 500 km de littoraux et l’accessibilité à ces sites. C’est le renforcement institutionnel en termes de personnel bien formé (guides), de formation, de formation continue, de maîtrise des langues les plus courantes, de maîtrise des notions historiques et culturelles pour mieux vendre l’image du pays et de ses immenses potentialités à des touristes tant haïtiens qu’étrangers.

   12)  En matière d’agro-industrie et d'entrepreneuriat, c’est la réhabilitation des centres de transformation, la mise en place de  50 ha de micro-parcs industriels, la mise en place de 340 entreprises (startups) destinés essentiellement aux jeunes en quête d’opportunités, la mise en place d’entreprises  alternatives à la production du charbon de bois, à l’utilisation d’étais en bois. Ces entreprises créeront plus de 200,000 emplois et pourront être équipés de panneaux solaires susceptibles de fournie plus de 50 MW d’électricité, sans compter la possibilité de les coupler avec l’énergie éolienne.

      13)     En matière d’Energie électrique à base de kits solaires et de micro centrales intelligentes, il est prévu de fournir des centaines de milliers de kits solaires à des familles éparpillées dans les sections communales hors réseaux. Pour les petites villes de moyenne importance qui seront dotées de micros centrales intelligentes (150 à 400 kw), le secteur privé sera encouragé à les fournir en énergies renouvelables, moyennant paiement à la carte. Cette expérience est en cours à Jean Rabel, Môle St Nicolas, sur la Côte Sud, Coteaux, Roche à Bateaux, Port-à-Piment.

     14)      L’ensemble de ces actions sectorielles nécessiteront 468.5 Mrds de HTG et créeront dans un premier temps plus de 12, 000,000 de personnes-mois de travail, soit environ 250,000 emplois durant la période d’exécution de 4 ans prévue et dans un second temps environ 400,000 emplois durant la période d’utilisation des ouvrages et de fonctionnement des entreprises.

C’est le rêve traduit en propositions chiffrées dans le document de synthèse des plans d’action départementaux dans le cadre de la caravane du changement. Dans ces propositions, il est prévu de renforcer l’Etat et les collectivités territoriales. En ce sens, la caravane du changement pousserait à la déconcentration administrative, à la décentralisation effective et à l’autonomisation des collectivités et des structures déconcentrées des ministères sectoriels et des structures décentralisées des organismes autonomes de l’Etat. Qu’en est-il de la réalité ?

La réalité et ses diverses contraintes à surmonter

En plus des actions concrètes au niveau de la Vallée de l’Artibonite, de la Péninsule Sud d’Haïti et de certaines zones du pays (Route Carrefour Joffre-Anse à Foleur, Gonaïves-Terre Neuve, Labourage de 2000 ha de terres agricoles dans l’Ouest, le Centre, l’Artibonite, Rénovation urbaine à Maïssade, Thomassique, Belladère, etc.), 80% des 490 nouveaux matériels lourds sont sur place au niveau des 10 départements géographiques pour la plupart. Les autres 20% seront livrés sous peu, selon le Président de la République. Pour les autres actions sectorielles déjà réalisées, le lecteur pourra lire ou relire le bilan 2017 et Perspectives 2018[3].

Scepticisme et espoir
L’extension de la caravane du changement sur l’ensemble du pays nécessite des besoins financiers importants très largement supérieurs au budget actuel  (2017-2018) de 144.2 Mrds de gourdes dont plus de 50% sont consacrés au fonctionnement des institutions de l’Etat. Les prévisions financières pour les investissements dans le cadre du budget actuel ne pourront pas couvrir la totalité des besoins financiers pour l’extension des actions sectorielles dans le cadre  de la caravane sur l’ensemble du pays. De plus, lors des séances de validation des plans d’action départementaux, les élus locaux sont septiques par rapport à toutes ces actions prévues pour une période aussi courte de 4 ans. Pourtant, ils demandent d’ajouter d’autres actions et d’augmenter le nombre de celles prévues. On en déduit deux choses : le scepticisme par rapport à la caravane en termes de délais d’exécution  et l’espoir d’y inscrire le maximum d’actions départementales,  communales et sections communales au cas où. Ce qui devrait au final augmenter le montant global prévu.

La question du financement des actions sectorielles dans le cadre de la caravane
Voyons maintenant la question de financement des plans d’action départementaux. Il est clair que le budget actuel ne pourra financer l’ensemble des actions sectorielles prévues. La réalité, il faudrait ou bien augmenter le budget, ou bien étirer les actions sur des délais plus longs.

Augmenter le budget de 40% pour le mettre au niveau de 200 Mrds de Gourdes. Cette augmentation n’est pas hors de portée d’Haïti. Il faudrait explorer d’autres bassins fiscaux et/ou réduire certaines subventions comme l’a recommandé le FMI dans le dernier accord signé avec le gouvernement haïtien. Ces mesures ne seraient pas de tout repos. Sans de solides explications, elles ne seraient pas comprises. Quand bien même, il y aurait de bons arguments, elles seraient exploitées « politiquement », par l’opposition à l’actuelle administration. Jusqu’à date, la perception de la caravane est plutôt mitigée, avec un fort penchant vers le négatif si on se réfère aux médias de la Capitale. Même si la caravane est porteuse d’espoir, l’opposition à PHTK, à Jovenel Moïse et le scepticisme actuel de l’haïtien ne lui permettraient pas de saisir l’opportunité  qu’elle offre et son rôle catalyseur dans le processus de développement participatif, intégral, endogène et durable du pays.

Même en maintenant le budget actuel, avec une bonne organisation, un renforcement effectif des structures déconcentrées, décentralisées de l’Etat et des collectivités locales et l’application stricte  de la stratégie de la caravane du changement, facilitant l’imbrication intra-sectorielle des actions, leur articulation intersectorielle et leur intégration à l’action gouvernementale pour maximiser leurs effets et impacts sur la qualité de vie du peuple, la mise en application partielle des plans d’action départementaux à partir de la reconduction de l’actuel budget pourrait déboucher sur au moins 30% des résultats escomptés. Les effets et impacts ne seraient pas aussi importants que si toutes les actions sectorielles des plans d’action étaient mises en œuvre dans leur intégralité. Toutefois, 30% des résultats escomptés feraient une grande différence par rapport à la situation actuelle. Il faut noter, en cas de maintien du budget actuel, il faudrait étirer les actions sectorielles sur des délais plus longs qui dépasseraient le mandat de l'actuelle administration, sans pour autant tuer le rêve.

                        C.      Et si le rêve devient réalité ?

Pour le seul mois de février 2018, il a été rapporté le départ de 13000 jeunes haïtiens  vers le Chili, selon Clarens Renois citant le Miami Herald[4]. Daniel Supplice, interrogé par kesner Pharel, a rapporté que les jeunes qui laissent le pays sont de la classe moyenne basse, très peu ont atteint l’âge de 30 ans. C’est donc la crème du pays qui s’en va ; de plus la majorité  de ces jeunes sont plutôt formés.  Ils partent à la recherche d’un mieux-être, d’un rêve, d’un emploi qu’ils ne trouvent pas  dans leur pays. J’ai encore à l’esprit  ce jeune informaticien et étudiant finissant en droit pour qui j’ai entamé des démarches pour un petit job. Lorsque le processus était sur le point d’aboutir, ses parents m’ont appris qu’il a été au Chili, parce que fatigué d’attendre un hypothétique job. Cette histoire c’est celle de ces centaines de jeunes qui laissent chaque jour le pays. Alors  que faire pour les stopper ?

La caravane du changement semble vouloir répondre à cette interrogation. Avec la possibilité de créer plus 12,000,000 de personnes-mois de travail dans les divers axes retenus par secteur,  soit  250,000 emplois lors de sa mise en œuvre prévue sur 4 ans, elle pourrait absorber la grande majorité de ces jeunes. Dans l’analyse qui est faite  en relation avec l’emploi, le secteur des travaux publics vient en première position, suivi du secteur agricole dans le cadre des actions en cours et prévues.

Quand on analyse les projections d’emplois par département, l’Ouest vient en première position avec 42807 emplois, l’Artibonite avec  de 40716, le Nord avec 27722, le Nord-Ouest avec 23,765, le Sud avec 22,839 emplois, etc. Sans compter la possibilité de création d’emplois dans les 340 entreprises de toutes sortes  prévues et destinées en priorité aux jeunes entrepreneurs, avec des avantages incitatifs au niveau des banques, et les emplois qui seront créés dans l’agriculture, le tourisme, l’agro-industrie. Ces emplois permanents pourraient avoisiner le chiffre de 400,000 durant la période d’exploitation des ouvrages mis en place, des entreprises créées.

L’administration actuelle doit coûte que coûte trouver les moyens pour la mise en œuvre des actions sectorielles dans le cadre de la caravane du changement, en rectifiant le budget actuel tout en expliquant le bien-fondé de cette rectification, en proposant un autre budget plus consistant par département durant les exercices à venir, en cherchant les moyens pour financer ce nouveau budget (i) par l’identification et l'exploitation de nouveaux bassins fiscaux, (ii) par la recherche de financement auprès des bailleurs internationaux, quitte pour cela à faire un pacte avec la communauté internationale plutôt réticente par rapport à la caravane, (iii) par l’incitation de l’investissement privé tant haïtien qu’étranger dans des domaines bien précis  prévus dans le cadre de la caravane, (iv) par une lutte acharnée contre la corruption , (v) par une gestion optimum des ressources disponibles et à rechercher, et (vi) par une gouvernance optimale au niveau de l'Etat et des collectivités territoriales.

Pour vivre en Haïti, malgré les difficultés actuelles, malgré la misère qui tenaille le ventre d’une frange importante de la population, il faut avoir de l’espoir. C’est le moment de se poser cette question: et si le rêve projeté par la caravane du changement devient réalité ? Pourquoi pas ? Personne ne croyait au retour de l’Armée d’Haïti ; maintenant le Haut Etat-major est en place. Il en a été  de même pour les Etats Généraux Sectoriels de la Nation, dont le lancement a été mille fois promis, mille fois repoussé ; maintenant le Comité de Pilotage est en place.

Alors… il faut garder l’espoir des lendemains meilleurs pour Haïti dans le cadre d’une entente nationale. Malheureusement, l’Agr Michel William, qui s’est tant battu pour le secteur agricole et qui commençait à jeter un regard plus positif sur la stratégie de la caravane du changement (voir sa dernière interview avec la Télé Galaxie), ne verra même pas l’amorce de ce processus d’union entre nous. Paix à son âme si tourmentée ces derniers temps ! Que nos leaders d’opinions, Jean Monard Metellus, Gary Pierre-Paul-Charles, Valéry Numa… se documentent sur ces processus en cours pour nous aider à construire cette nouvelle Haïti! En cette période du 31e anniversaire de notre Constitution et de fête de pâques, que Dieu nous vienne en aide !



[1] Source: Le Nouvelliste, Radio Kiskeya, Radio Métropole, Loop Haïti, Haiti Libre…

[4] Interview sur Télé pluriel Chaine 44-Pulsations

lundi 5 février 2018

HAÏTI : ENTRE LA MERDE DE TRUMP ET LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION, UNE TENDANCE A L’ENTENTE NATIONALE ?

HAÏTI : ENTRE LA MERDE DE TRUMP ET LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION, UNE TENDANCE A L’ENTENTE NATIONALE ?
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
4 FEVRIER 2018

Le deuxième lundi  de Janvier 2018, tel que prévu par la Constitution, le Président de la République, M.J. MOISE,  le Premier Ministre Jack Guy LAFONTANT et son gouvernement se sont présentés, ce 8 janvier 2018, devant le Parlement pour un état des lieux de la nation. Le Président en a profité pour présenter les grandes priorités de son administration pour l’année 2018, entre autre, la lutte contre la corruption. « A cet effet, le Président de la République appelle à l’unité des pouvoirs de l’État et de toutes les forces vives du pays pour lutter efficacement contre le fléau de la corruption qui constitue un obstacle majeur au développement du pays. Une lutte nécessaire d’autant plus qu’elle vise à créer plus d’opportunités à la jeunesse du pays afin de réduire les flux migratoires vers les autres pays de la région.[1]» Du 1er Janvier aux Gonaïves, jour de l’Indépendance, jusqu’au 31 janvier, le pays a vécu une période d’accalmie, troublée par deux faits  majeurs, les propos du Président Américain, Donald Trump, traitant  les pays africains et Haïti de « shithole » (trou de cue) et le rapport PETROCARIBE sur la corruption mis en débat au Sénat par le nouveau Président du Sénat, M. Joseph LAMBERT. En ce début d’année, Haïti semble trouver un point d’entente entre la merde de Trump et la lutte contre la corruption. Avant d’y arriver, passons en revue les faits saillants du mois de janvier 2018.

Faits saillants du mois de Janvier 2018

En plus de (I) la merde de Trump qui a fait un tollé mondial et (ii) le dossier PETROCARIBE, d’autres faits méritent d’être signalés : (iii) Les Elections au Parlement ont conduit au remplacement de Youri Latortue par Joseph Lambert au Sénat et  de Cholzer Chancy par Gary Bodeau à la chambre basse. (iv) Le Voyage du Président  J. Moïse en Italie où il a rencontré le  Président Italien et le Pape François ainsi que les agences de Rome, FIDA, FAO. Pour ce voyage en Italie, le Président était accompagné  de sa famille (femme et enfants), du ministre des affaires étrangères, de son chef de cabinet, des Présidents du Sénat et de la Chambre Basse. (v) la rencontre du Président avec la Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) au siège de cette institution a dissipé le malentendu entre ces deux pouvoirs d’Etat. Ainsi, au cours de ce mois de janvier 2018, les trois pouvoirs projettent une image d’entente. (vi) La campagne pour l’exclusion de  Sweet Micky aux parcours carnavalesques s’est soldée par sa non-participation officielle au carnaval de l’Indépendance des Gonaïves et à celui de Jacmel. La campagne continue pour son exclusion du carnaval national à Port-au-Prince, et Martelly prend son bâton de pèlerin pour s’expliquer au niveau de certains médias avec un clash de « joure mamman » à Caraïbes Matin avec un animateur de cette émission.  (vii) Dans le cadre de l’extension de la caravane du changement sur l’ensemble du pays à partir de 7 Février 2018, le Président Moïse a procédé à la remise de matériels lourds au niveau de certains départements comme le Centre, l’Artibonite, le Nord-Est, le Nord-Ouest et le Nord en ont reçu un certain nombre bien longtemps avant. Un calendrier prévoit la remise de ces matériels à l’ensemble des départements jusqu’au 11 Février 2018. A ce qu’il parait, à date 80% des 123 M USD de matériels sont déjà en Haïti, selon le Président. (viii) la jeune sélection féminine nationale de football, les Grenadières, s’est qualifiée pour le Mondial en France en battant le Canada par 1 but à 0, obtenant ainsi la 3e place qualificative après le Mexique et les USA. Compliments à ces jeunes  qui, au prix d’énormes sacrifices, ont fait honneur à notre pays meurtri!

La merde de Trump et la lutte contre la corruption

Maintenant concentrons-nous sur la merde de Trump et la  lutte contre la corruption. Lors d’une rencontre bipartite à la Maison Blanche, les démocrates ont rapporté aux médias les propos du président américain traitant Haïti et les pays africains de pays de merde. Ces propos ont été reprouvés mondialement. Les haïtiens ont organisé des manifestations à New-York, en Floride et en Haïti. Le Gouvernement Haïtien a convoqué le chargé d’affaire américain en Haïti. Certains partis politiques ont sorti des notes de presse assez musclés. LAVALAS et PITIT DESSALINES ont organisé des manifestations de rue. LAVALAS a instruit ses partisans de se concentrer uniquement sur les propos de Trump, tandis que PITIT DESSALINES a associé le déchoucage de Jovenel Moïse à la manifestation contre les propos de Trump. Lors de la préparation de cette manifestation, l’équipe de LAVALAS ainsi que l’avocat Michel André ont fait valoir qu’ils sont pour la conférence nationale souveraine pour régler leur différend avec le pouvoir en place qui, lui-même a parlé d’Etats Généraux Sectoriels de la nation et semble ne pas avoir trop de problème avec le concept Conférence Nationale, n’est-ce pas, Monsieur le Président ? La position jusqu’auboutiste  de déchoucage de J C MOISE semble l’affaiblir, puisque certains alliés l’ont abandonné pour cette raison.  Il n’en a cure.

Quant à la lutte contre la corruption, le Président l’a encore affirmé au Parlement, il en fait une affaire personnelle. Il veut avoir l’appui des autres pouvoirs pour lutter contre le fléau de la corruption, un obstacle majeur au développement du pays. Le rapport PETROCARIBE approfondi par trois sénateurs de l’opposition, Beauplan, Cassy et Pierre avec l’appui de Cheramy, ne plait pas au pouvoir, qui estime que le rapport est « biaisé ». L’opposition, dans sa lutte contre le pouvoir en place en fait son cheval de bataille. La grande majorité des indexés, estiment les allié du pouvoir, sont des anciens ministres de Martelly, des anciens directeurs de BMPAD liés à l’administration Martelly. La dernière résolution de PETROCARIBE engageant les anciens ministres et le directeur du BMPAD sous l’administration Privert n’a pas été analysée par la commission dirigée par Beauplan. Tous ces arguments restent très valables. La grande question, y –a-t-il corruption ou non ? Si oui, il faut sévir. Mais qui doit sévir, la justice, l’ULCC, la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA), etc.? En tout cas, le Sénat a tranché, à travers uniquement les membres du PHTK et alliés fort tard dans la nuit du 1er  Février 2018 par une résolution, transférant le dossier à la CSCCA. Ce qui est qualifié d’opération « champwel » par l’opposition politique. « C’est la mafia totale qui est au niveau du Parlement. L’un des plus grands réseaux de mafia du pays se trouve au Parlement [2]», selon Beauplan. Le fait de ne pas classer le dossier sans suite, c’est déjà une bonne chose. Les Sénateurs liés au pouvoir auraient pu demander de passer au vote contre le rapport tel qu’il est et obtenir le rejet du rapport. Cela ferait un tollé pour quelques jours et peut-être quelques mois comme c’avait été le cas pour ce qu’on a qualifié d’ONAGATE, comme pour le rapport Paul Denis sur l’administration d’Aristide. Ces deux dossiers sont classés dans les tiroirs sans suite. Pour le rapport PETROCARIBE, c’est à la CSCCA et à la Justice de lui donner suite.

Il faut profiter du momentum
De ces deux dossiers le cas de la merde de Trump qui a soulevé l’indignation des haïtiens de toutes catégories, nous avons pour une fois fait l’unanimité par rapport à un dossier stigmatisant notre pays comme c’avait été le cas pour le 4H désigné plus tard par le sigle SIDA, même si, pour des raisons politiciennes, il y a eu divergence sur la manière de répondre  à  Trump. Pour le dossier de lutte contre la corruption, dossier PETROCARIBE mis à part, il y a consensus pour lutter contre le fléau de la corruption sans une utilisation politicienne  de tel ou tel dossier. Pour une autre fois, tout le monde veut lutter contre la corruption, le pouvoir en place, l’opposition, la société civile, la société haïtienne dans son ensemble. Il faut donc profiter du momentum pour mettre de l’ordre dans nos affaires.

Conférence nationale ou états généraux sectoriels de la nation, contenu et limites ?
La position de LAVALAS et d’autres groupes, qui ont passé du déchoucage à la conférence nationale souveraine et le pouvoir qui n’aurait pas de problème avec le mot conférence nationale, c’est un autre point de consensus entre nous. Maintenant, il faudra se mettre d’accord sur le contenu et les limites de la conférence. Si la conférence nationale sera souveraine[3] comme  en Afrique, elle devra en principe tout remettre en question, même  les élections qui viennent d’être organisées à tous les niveaux. Dans ce cas, sa réussite pourrait être compromise. C’est pourquoi, dès le départ, il faudrait se mettre d’accord sur le contenu et les limites de la conférence nationale ou états généraux sectoriels de la nation ou la grande concertation nationale. Peu importe le nom qu’on lui donnera, il faudra se mettre d’accord sur quelque chose sur Haïti sans arrière-pensée politicienne.

                    Conclusion : Haïti d’abord et avant tout ou la continuation de la bataille des clans ???

En guise de conclusion, les divers documents sectoriels sur Haïti, les plans de réponse aux catastrophes qui ont frappé Haïti, le dernier document de synthèse des plans d’action départementaux pour le relèvement et le développement  portent en eux les germes d’une nouvelle Haïti capables de mobiliser les forces vives du pays  pour transformer les rapports sociaux historiques et aboutir au développement intégral, endogène et durable du pays. Ces documents disposent d’éléments susceptibles de nous aider à nous asseoir ensemble dans le cadre d’une grande concertation nationale en vue d’aboutir à cette nouvelle Haïti. La réponse à la merde de Trump et la lutte contre la corruption qui ont fait l’unanimité chez tous les haïtiens ne peuvent-elles pas être les déclencheurs de cette tendance à l’entente nationale, la seule porte de sortie pour favoriser la mise en commun de nos forces vers le développement de notre Haïti Chérie? C’est possible, seulement si la bataille pour l’entente ne vise que le relèvement et le développement d’Haïti et non la prise de pouvoir d’un clan par rapport à un autre pour satisfaire les égos d’un clan par rapport à un autre selon le modèle établi depuis 1806. Faites vos jeux chers compatriotes, « Haïti d’abord et avant tout" ou la continuation de la bataille des clans ???

dimanche 31 décembre 2017

HAITI : BILAN 2017, PERSPECTIVE 2018 : D’UN BUDGET CHETIF AUX GRANDES PERSPECTIVES DE DEVELOPPEMENT, DES DEFIS PRESQU’INSURMONTABLES ?

HAITI : BILAN 2017, PERSPECTIVE 2018 : D’UN BUDGET CHETIF AUX GRANDES PERSPECTIVES DE DEVELOPPEMENT, DES DEFIS PRESQU’INSURMONTABLES ?
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
31 DECEMBRE 2017

C’est la fin de l’année 2017, c’est le moment des bilans. Tout le monde y va de son bilan. Pour le pouvoir en place, tout sera positif, la même chose pour le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Pour l’opposition, tout sera négatif. Pour nous autres, on essaie de rester objectif, de garder l’équilibre. Nous savons que c’est un bilan annuel. Ce n’est pas en un an que le pays allait se développer, surtout «  que l’année fiscale 2017 était mal partie à cause de la nature qui n'a pas été clémente dès les premiers jours du mois d'octobre. Les résultats positifs obtenus, particulièrement dans la campagne agricole de printemps 2016, ont été quasiment bousillés par le passage du cyclone Matthew dans au moins quatre des dix départements géographiques du pays (le Grand Sud). Cette catastrophe naturelle a considérablement décapitalisé les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs pour ne citer que ceux-là. Si des actions adéquates ne sont pas menées en vue d'une recapitalisation appropriée, cette situation risque de mettre à mal la performance attendue de l'économie haïtienne en 2017[1] ». C’était la conclusion des comptes économiques de l’IHSI que nous avons adoptée pour notre « bilan 2016 et perspectives 2017[2] ». Les comptes économiques 2017 font état d’un taux de croissance du PIB de 1.2% par rapport à l’année 2016 dont le taux était de 1.5% presqu’égal au taux de croissance de la population (1.4%). Ce qui en principe traduirait une stagnation de la situation économique du pays pour ne pas dire une aggravation de la situation. Alors, quel bilan pour l’année 2017 et  quelles perspectives pour l’année 2018 ? Que peut-on espérer d’un budget aussi chétif de 144 Milliards et 200 millions de gourdes (2.3 Mrds d’USD), alors que nos voisins immédiats tablent sur des budgets de 7 Mrds d’USD (Jamaïque) et 15 Mrds d’USD (République Dominicaine)?

Avant d’essayer de trouver réponses à ces interrogations, passons en revue les faits saillants de l’année 2017 ainsi que ceux du mois de décembre 2017.  Les réponses se retrouveront dans l’analyse de la situation globale du pays eu égard à l’aspect socio-économique et à l’aspect sociopolitique pour déboucher sur des conclusions appropriées orientées vers le relèvement et le développement du pays en tenant compte de la départementalisation des actions sectorielles prévue dans le cadre de la caravane du changement et des défis plutôt insurmontables.

A.      Fait saillants de l’Année 2017 et du mois de Décembre 2017

Durant l’année 2017, Haïti, dont les indicateurs  sont au rouge par rapport aux autres pays de l’Amérique Latine et la Caraïbe (LAC), sauf en matière de sécurité globale où elle se place en première[3] position par rapport à ses voisins immédiats, Cuba, la République Dominicaine et la Jamaïque. Par rapport aux autres indicateurs un seul exemple  suffit pour une meilleure compréhension de la situation : le  faible  taux de croissance enregistré cette année de 1.2%.  Il ne saurait être autrement si on se réfère à la plupart des faits saillants de l’année 2017

En 2017, le pays est marqué par : (i) le passage de Matthew au début de l’exercice (octobre 2016) dont les dégâts sont estimés à 32% du PIB dans le PDNA de Janvier 2017, publié par le ministère de la planification et de la coopération externe (MPCE) ; (ii) les incertitudes politiques (contestations des résultats de la Présidentielle, l’accusation de blanchiment d’argent à l’encontre du Président élu) jusqu’à la prestation de serment du Président Moïse le 7 Février 2017, (iii) la mise en place plutôt laborieuse du gouvernement âprement négocié avec le Parlement pourtant allié de la nouvelle administration tout de suite après le carnaval national aux Cayes décidé « point barre »  par le Président ;  (iv) le lancement de la stratégie caravane du changement plutôt mal perçue à ses débuts mais mieux comprise eu égard aux résultats immédiats obtenus tant au niveau de la Vallée de l’Artibonite qu’au niveau de la Péninsule Sud;(v)  les manifestations de rue liées à la loi des finances 2017-2018 (Budget) qualifiée de « budget criminel » par l’opposition politique, utilisé comme prétexte pour exiger le départ du Président, et  qui se sont maintenues jusqu’en Novembre 2017 avec un certain ralentissement depuis la maladie du principal leader de l’opposition, Jean Charles Moïse ; (vi) la publication du rapport PETROCARIBE  sur la corruption indexant très majoritairement les anciens hauts responsables de l’ère Martelly et quelques entreprises dont une des entreprises de l’entrepreneur Jovenel Moïse devenu entre-temps Président de la République;( vii) la remobilisation de l’Armée d’Haïti le 18 novembre 2017 contestée par la majorité des partis de l’opposition;(viii) l’annonce de l’extension de la caravane du changement sur l’ensemble du pays à partir de 7 Février 2018 avec la possibilité de réaliser 4000 Km de route, des infrastructures scolaires, sanitaires, aéroportuaires, portuaires, agricoles et sociales (logements), etc, au cours du quinquennat et l’implication politique et financière d’une telle démarche par rapport au budget 2017-2018 et les budgets à venir.

De plus en Décembre 2017, il y a eu :
(i)                  La commémoration du 75e anniversaire de la consécration officielle d’Haïti à Notre Dame du Perpétuel Secours. Une fête grandiose qui a montré la ferveur de la foi catholique et la force de frappe de l’Eglise Catholique d’Haïti. Malheureusement, quelques semaines plus tard, un prêtre catholique de grande renommée, Joseph Simoly, trouvera la mort sous les balles assassines des bandits armés. Les bandits auraient été mis en prison.

(ii)                La visite du Président en Europe pour participer, à Paris, au sommet Planet One, rencontrer le Président Macron de la France et le Roi de Belgique, à Bruxelles,  où, une fois de plus, les déclarations du Président par rapport à la corruption au sein du Pouvoir Judiciaire (dénoncée auparavant par le Bâtonnier Me Stanley Gaston)  qui l’ « aurait forcé » à nommer des juges corrompus et la valise de la Première Dame par rapport à la petite bourse de la Reine de Belgique ont occulté l’essentiel c’est-à-dire les discussions entamées et les promesses obtenues Par M. Moïse lors de son passage en Europe et les fructueuses rencontres avec la diaspora haïtienne et les entrepreneurs étrangers. Le grand public par la presse interposée n’a retenu que les gaffes diplomatiques du couple présidentiel et la déclaration inopportune du Président. Quant au Pouvoir Judiciaire, il a pris très mal les propos du Président au point  de boycotter une invitation du Président au Palais National et d’exiger des excuses de la part de ce dernier.

(iii)               L’organisation de deux événements inédits, la rencontre des barreaux francophones en Haïti où il a été simulé un procès très intéressant pour un non initié comme moi aux affaires juridiques et la rencontre en Haïti des Parlementaires ACP (Afrique Caraïbe, Pacifique). Ces deux rencontres se sont très bien déroulées à la satisfaction des organisateurs haïtiens et de leurs invités étrangers. C’est assez positif pour notre pays de recevoir près de 1000 invités étrangers sans incidents majeurs, en dépit de l’état lamentable de la Capitale.

(iv)              Les activités festives de fin d’année avec le retour au pays de la plupart des orchestres de la diaspora  et du grand chanteur français, Charles Aznavour, si petit par la taille. Les orchestres performeront tant au niveau de la zone métropolitaine de Port-au-Prince qu’au niveau des villes de province. Ce qui dénote un certain niveau de regain d’activités culturelles en cette fin d’année liée aussi à un niveau de sécurité globalement acceptable.

(v)                Un fait saillant particulier, l’émission Ranmase de ce samedi 30 décembre 2017 a été exceptionnelle. En l’absence de son animateur vedette, Jean Mona Metellus, l’émission a été animée par un jeune, Fernando Estimé à qui nous adressons nos plus vives félicitations. Pour une fois, cette émission politique, la plus populaire  du pays, avec une écoute presque planétaire, a été plutôt technique avec sept invités dont cinq  de marque : Thomas Lalime, Etzer Emile, Azad Belfort, Lemoine Bonneau, Stanley Lucas, Peterson Benjamin Noel et Lafortune Yves. On était loin de la cacophonie habituelle antigouvernementale à partir des diatribes des membres de l’opposition encouragées par l’animateur Metellus. C’était surprenant pour les habitués de cette émission. Cette fois-ci, on avait droit à des débats certes contradictoires essentiellement sur la situation économique du pays mais tellement instructifs. Je pense que c’est l’orientation qu’il faudra désormais donner à cette émission, tout en conservant son aspect primordialement politique. Comme il n’y a pas de politique sans économie,  un zeste économique et une certaine neutralité de M. Metellus enverraient une image beaucoup plus positive de notre pays tant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’Haïti et pourraient contribuer à la stabilité politique et à l’augmentation des investissements en Haïti.

B.      Analyse de la situation Socioéconomique

L’analyse de la situation socio-économique se base essentiellement sur les résultats officiels fournis par les comptes économiques annuels de l’Institut Haïtien de  Statistique et d’informatique (IHSI), et des informations glanées çà et là au niveau des médias et de certains documents.

Bilan économique

Comme nous nous sommes interrogés  dans le bilan 2016 et perspectives 2017, le secteur agricole n’a pu refaire le même exploit en 2017 qu’en 2016[4]. C’aurait été difficile dans la conjoncture haïtienne de cette année de transition marquée par les faits marquants rapportés plus haut et surtout les impacts de Matthew tel que nous l’avons perçu en Octobre 2016[5] « Matthew aura des impacts macro-économique et social, avec un ralentissement de la croissance. Sur le plan social, l’ouragan est venu aggraver une situation déjà précaire au niveau des départements frappés, avec « une population en moyenne plus pauvre que la moyenne nationale. Par ailleurs, la forte concentration des ménages pauvres autour de la ligne de pauvreté extrême laisse présager un fort risque pour ces ménages de tomber dans la pauvreté extrême.» Insiste le document du MEF. De plus, avec les dommages et pertes enregistrés dans le secteur agricole, la situation de la sécurité alimentaire risque de s’aggraver aussi, sans oublier les risques d’exode vers Port-au-Prince, l’exacerbation « des problèmes de malnutrition et de retard de croissance des plus jeunes, ainsi que leur vulnérabilité aux maladies ». Pour atténuer  ces risques et menaces, il faudrait rapidement venir avec ce plan de réponse national avec ses trois phases, urgence, relèvement et reconstruction/ développement. Ce plan de relèvement et de reconstruction devrait mobiliser  des ressources financières substantielles tant au niveau interne qu’externe.» Ce plan est venu sous forme de la stratégie de la caravane du changement déployée dans la Péninsule Sud dont les trois départements ont été les plus touchés par Matthew et les actions sectorielles prévues dans le "plan d’action de relèvement et de développement de la Péninsule Sud" élaboré par la cellule de Pilotage de la Caravane du Changement ont pris du retard dans leur démarrage réel (mi-Aout 2017) à cause d’un déficit de communication ; ce qui fait que les effets immédiats de ces actions sectorielles ne sont pas pris en compte dans le bilan de l’IHSI, les informations n’étant pas encore disponibles.

Par conséquent, selon IHSI[6] « Comme pressenti, l’économie haïtienne n’a pas pu faire mieux en 2017 qu’en 2016. Selon les estimations préliminaires, le Produit Intérieur Brut (PIB), en volume, n’a crû que de 1.2% contre 1.5% en 2016. Ce ralentissement du rythme de croissance peut-être imputé au caractère particulier de l’exercice fiscal 2016-2017. En effet, le premier semestre de l’année fiscale 2017 a été surtout marqué par (i) le passage du cyclone Matthew (ii) la fin des turbulences électorales de 2016 (iii) le départ du gouvernement de transition et (iv) l’installation des nouvelles autorités, avec tout ce que cela suscitait en termes d’incertitudes, d’attentisme et même de changement de priorité chez les acteurs économiques tant privés que publics.»  A mon humble avis, cela aurait pu être pire avec des dégâts estimés à 32% du PIB provoqués par Matthew, les inondations périodiques dans le Nord, le passage au large de la côte Nord d’Haïti de deux ouragans de catégorie 5 (IRMA et MARIA), le cyclone politique du 12 septembre 2017 avec le budget 2017-2018 comme prétexte. 

Regardons avec IHSI, la situation au niveau sectoriel : (i) Secteur Primaire,  « La branche agricole, pour laquelle on redoutait surtout une croissance négative suite aux dégâts causés par le cyclone Matthew, a pu « garder la tête hors de l’eau » avec une progression de 0.8% de sa valeur ajoutée à prix constant, contre 3.0% en 2016. » (ii)  Secteur secondaire avec un apport significatif des industries agroalimentaires issues du secteur agricole « De leurs côtés, portées par les fabrications de produits alimentaires et de boissons (2.8%), les industries manufacturières n’ont crû que de 1.0%, à cause notamment de la chute des industries textiles (2.0%) et de celles des fabrications de papier et des activités d’impression (0.2%). Ces dernières avaient enregistré en 2016 une augmentation de 2.7%, consécutive à la forte demande liée aux campagnes électorales. L’autre branche qui a aussi contribué à la hausse du PIB en 2017 est la Construction (Bâtiments et Travaux Publics, BTP) dont la valeur ajoutée à prix constant a progressé de 0.9%. Il convient toutefois de noter que depuis l’année dernière, cette branche d’activité n’affiche plus le dynamisme dont elle faisait montre de 2011 à 2015, ce qui dénote un certain ralentissement dans le processus de reconstruction post-séisme". Pas forcément, puisque la période de transition politique n’a mis l’accent que sur les élections et non sur les aspects Bâtiments et Travaux publics. Ce qui est différent avec l’administration actuelle qui a repris certains travaux mis en veilleuse depuis la transition au cours du 4e trimestre de l’exercice écoulé et au cours du premier trimestre de l’exercice 2017-2018. (iii) Secteur tertiaire. « Pour sa part, mené par le Commerce (1.3%), les Services non marchands (0.8%) et les Transports et Communications (1.0%), le secteur tertiaire n’est pas en reste avec une croissance moyenne de 0.9% de sa valeur ajoutée ».

Si on regarde le tableau suivant, on remarquera  que les trois secteurs sont presqu’en équilibre (0.8, 1.0 et 0.9). Avec de tels taux de croissances et le taux global de PIB de 1.2 %, le processus de paupérisation s’accentue, puisque le taux de croissance de la population (1.4%)  est supérieur au taux de croissance de l’économie (1.2%).  On ne peut redresser l’économie sans une politique agressive de réduction de population pour la ramener au niveau de 1% l’an et même inférieure à 1%.  En même temps, il nous faudrait une politique économique visant des taux de croissance à deux chiffres. Ce qui nécessiterait des investissements très importants, autour de 4 Mrds d’USD/an. Le budget de 4 Mrds d’USD sera financé comment ? Un élargissement de l’assiette fiscale ? Des investissements étrangers et nationaux importants ? D’où la nécessité d’abord d’une stabilité politique durable. Nos acteurs politiques en ont-ils conscience? « La stabilité politique est le premier des biens publics » a répété à maintes reprises le Président Moïse. Quelles mesures concrètes adoptées pour convaincre les autres leaders politiques ?

Laissons la politique pour plus tard et revenons à l’économie, en particulier aux grandes composantes du PIB avec IHSI.

PIB ET SES COMPOSANTES EN SEPTEMBRE 2017

PREVISIONS ECONOMIQUES
2013
2014
2015
2016
2017
DEFINITIVES
SEMI DÉFINITIFS
ESTIMÉES
ESTIMÉES
ESTIMEES
PIB EN MILLIARDS HTG
15017
15 439
15 626
15 853
16039
Taux de croissance réel
4.2%
2.8%
1.2%
1.5%
1.2%
Secteur primaire
4.6%
-1.4%
-5.4%
3.0%
0.8%
 Secteur secondaire
9.0%
5.5%
3.2%
0.8%
1.0%
Secteur tertiaire
5.0%
3.6%
2.9%
1.2%
0.9%
Source : IHSI- Septembre 2017- Tableau reconstitué par l’Auteur de l’Article à partir des comptes économiques de l’IHSI  et le tableau de septembre 2016 du MEF

Les grandes composantes du PIB. « En ce qui concerne les grandes composantes du PIB, l’analyse de la demande globale indique que c’est surtout la Consommation finale (2.7%) suivie de l’Investissement (0.9%) qui ont tiré la croissance, puisque les exportations, en volume, ont plutôt chuté de 1.2%. La consommation finale a été surtout boostée par la hausse des transferts de la diaspora (15.4%) et l’accroissement de la masse salariale tant au niveau public (8.0%) que privé (15.5%) .

Par ailleurs, en dépit d’une certaine stabilité du taux de change (surtout à partir du mois de mai), des tensions inflationnistes ont été quand même observées dans l’économie haïtienne qui a clôturé l’année fiscale 2017 avec 15.4% d’inflation en glissement annuel contre 12.5% en 2016. On notera toutefois que les tensions inflationnistes ont été beaucoup plus prononcées du côté des produits locaux (16.0%) que des produits importés (13.3%) ».

La non prise en compte des actions sectorielles dans le cadre de la caravane par l'IHSI

Nous insistons sur le fait que les effets immédiats de la caravane du changement n’ont pas été pris en compte dans l’analyse du bilan de l’IHSI,les premières estimations de l'augmentation de la production de riz au niveau de la Vallée datent de novembre 2017 et, même là encore, ce ne sont pas des informations officielles. Voyons maintenant certains aspects de la stratégie de la caravane du changement en termes de bilan partiel. La caravane du changement, qui est une construction dynamique et collective, un mouvement participatif utilisant une méthode itérative dans l’élaboration des documents d’exécution et la mise en œuvre des politiques publiques, vise à «  mobiliser les forces vives du pays pour transformer les rapports sociaux historiques et aboutir au développement endogène et durable d’Haïti. » Elle ambitionne de favoriser une imbrication intra-sectorielle des actions, leur articulation intersectorielle et leur intégration à l’action gouvernementale en vue de maximiser leurs effets et impacts pour le bien-être des citoyens. Elle utilise deux modes opératoires : Opérations coup de poing (urgence) et Opérations Structurantes (relèvement et développement) sans compartimentage réel entre les deux. Cette nouvelle stratégie de coordination et de gouvernance privilégie une exécution déconcentrée et décentralisée des actions sectorielles. En témoignent ses interventions phares dans la Vallée de l’Artibonite et dans la Péninsule Sud d’Haïti. Ces interventions couvrent la période allant du 1er mai  au 31 décembre 2017, soit une partie de l’exercice 2016-2017  de mai à septembre 2017, et le premier trimestre de l’exercice 2017-2018, d’Octobre à décembre 2017.

Malgré les faiblesses liées au secteurs impliqués dans la caravane surtout au niveau des structures déconcentrées et décentralisées chargées de l’exécution directe des actions sectorielles en principe avec l’appui des structures centrales de ces secteurs (incompréhension du concept caravane au début, résistance au changement, manque de personnel qualifié au niveau départemental, manque de matériels lourds, manque et mauvaise habitude des opérateurs d’engins lourds, manque d’encadrement des acteurs impliqués, etc. ), les effets immédiats sont très encourageants. (i) l’amélioration de la disponibilité de l’eau au niveau des périmètres irrigués (40,000 ha Vallée de l’Artibonite, Plaine des Cayes, de Torbeck, de Cavaillon et des Nippes) par  l’amélioration des conditions de drainage ; (II) l’amélioration des conditions de circulation  en termes de traitement de routes et  pistes intercommunales et rurales, plus de 500 Km au niveau de la Vallée de l’Artibonite, du Sud, de la Grande-Anse et des Nippes, en termes d’asphaltage et de bétonnage de route et de rues aux Cayes, à  Camp-Perrin, Carrefour Méridien (environ 25 Km); (iii) la protection des villes, villages et terres agricole agricoles par le curage et l’endiguement de rivières avec des mouvements de matériaux (Maïssade, Léogane, Cayes, Cavaillons, Nippes), soit une quantité de sédiments grossiers d’environ 500,000 m3 dont 328,000 réutilisés en remblais de protection et autres;(iv) La mise à disposition des moyens de production agricole en termes de distribution de tracteurs agricoles (45 Unités), d’engrais à prix subventionnés (10,000 TM), de semences de qualité (740 TM de semences de riz TCS10 au niveau de la Vallée de l’Artibonite, d’amélioration du cheptel animal (Nippes); (v) l’augmentation de la production agricole au niveau de la Vallée particulièrement de 2.5 à 4TM à l’hectare, ce qui correspond à une augmentation d'environ 30,000 TM de riz supplémentaires globalement ; (vi) l’amélioration de la protection de l’environnement  par la mise en place de structures mécaniques (Sud)  et biologiques (Sud, Grande-Anse et Nippes) en termes de construction de méga pépinières de 4.5 M de plantules fruitières et forestières et de distribution de centaines de milliers d’essences fruitières et forestières ; (vii) l’amélioration de la qualité de vie de la population en termes de réparation d’écoles avec l’Education Nationale appuyée par le FAES (414 salles de classe réhabilitées), de cliniques mobiles,  de réparation de structure sanitaires, de traitement de gîtes larvaires avec la Sante Publique, de réparation de 66 systèmes d’adduction d’eau potable avec la DINEPA au niveau de l’ensemble de la Péninsule Sud, de mise en place de station de traitement sanitaire et d’eau potable  (Lagrange), de réparation de logements sociaux (70 Unités dont 25 totalement achevées au niveau de la Grande-Anse) avec l'EPPLS,  d’électrification rurale en termes de mise en place de réseaux intelligents à Les Irois en phase d’achèvement et de distribution de kits d’énergie solaire à prix subventionnés à Lagrange (Artibonite), à Tiburon (Sud)  et Chansolme (Nord-Ouest).  Ces interventions ont occasionné des dépenses de l’ordre de 2.5 Mrds de Gourdes et des engagements de l’ordre de 3 Mrds de Gourdes, soit au total 5. 5 Milliards de gourdes (Réf. Rapport Bilan Caravane- Mai -Décembre 2017,  CASDA 2017).

Ces effets immédiats devraient en principe améliorer la situation pour l’exercice en cours, même s’il faut prendre en compte les inquiétudes exprimées par les économistes eu égard au déficit budgétaire constaté et au financement monétaire (4 Mrds HTG en Décembre 2017)  au premier trimestre de l’exercice en cours, et aussi éviter d’autres cyclones politiques annoncés par l’opposition radicale qui vise toujours le déboulonnage de l’administration en place.

C.      L’analyse de la situation politique

On ne va pas trop s’attarder sur la situation politique  dont la plupart des faits saillants traités plus haut ont contribué à la situation économique désastreuse d’Haïti. De plus, durant tout l’exercice 2016-2017 et l’année civile 2017, les faits politiques qui dominent l’actualité ont été abondamment analysés. Cette entropie politique qui nous caractérise depuis des décennies et exacerbée ces 6 dernières années devrait constituer notre principale préoccupation, car elle engendre l’instabilité politique qui, elle, est l’ennemie de l’investissement donc du développement. Si l’on en croit les propos du Président par rapport à la stabilité politique, il doit faire de son mieux pour éviter toute parole et action pouvant nuire à la stabilité du pays. Dans le cadre des états généraux sectoriels de la nation en préparation, il doit tout faire pour avoir la participation de l’opposition radicale, entreprendre la lutte contre la corruption, tout en créant des conditions pour la stabilité gouvernementale et éviter de mettre à pied des ministres comme cela s’est passé sous l’administration de M. Martelly.  Il faut éviter aussi d’entrer en conflit avec le Parlement et le Pouvoir judiciaire, tout en luttant contre toute  tentative  de corruption au sein de l’appareil étatique et des collectivités territoriales. La décision d’étendre la caravane de changement sur l’ensemble du pays est une bonne chose en soi. Le budget actuel ne dispose pas assez de provisions pour soutenir les actions sectorielles prévues dans le cadre de cette extension de la stratégie de la caravane sur tout le pays.  Ce qui devrait déboucher sur une rectification du budget pour l’adapter aux circonstances et envisager pour l’exercice 2018-2019 sa départementalisation et son augmentation substantielle. Alors se posera la question de son financement. Avec cette mentalité haïtienne de tout obtenir du gouvernement (services d’eau, d’électricité, emplois, éducation, etc.) sans rien donner en retour, que va-t-on faire pour financer le budget rectifié et surtout les autres lois budgétaires qui suivront ? Ce sont autant de défis à relever dont on ne voit pas encore comment.

D.      Conclusions et Recommandations

L’action gouvernementale a donné les résultats analysés plus haut. Ces résultats sont loin d’être satisfaisants. La situation de pauvreté et de misère du pays risque  de s’empirer en cas de cyclones politiques, de catastrophes naturelles liées au changement climatique, à la position géographique d’Haïti sur la route des cyclones et sur les failles tectoniques. Il faut noter aussi que la stratégie caravane du changement pourra aider à faire face à certaines situations prévisibles.  En témoignent les premiers effets immédiats et son grand potentiel d’ajustement et d’amélioration.  « La mise en œuvre des différentes opérations après seulement 7 mois d’exécution montre » des signes encourageants, malgré certaines faiblesses dues à sa jeunesse et héritées du mode de fonctionnement du pays avec les résultats que l’on sait. « En effet, les résultats de certaines interventions sont visibles, notamment au niveau de la production rizicole dans la Vallée de l'Artibonite, au niveau de l'amélioration des axes routiers, du curage et d’endiguement des rivières. Le gouvernement, en guise de perspectives, mettra le cap sur la poursuite et le renforcement des interventions déjà engagées afin que toutes les activités qui étaient prévues dans ce plan soient mises en œuvre au bénéfice de la population des départements affectés et même les étendre à tout le pays en général » a conclu le rapport bilan de la CASDA relatif  à la caravane du changement.

Selon les vœux exprimés par le Président, la caravane s’étendra sur tout le pays le 7 février 2018, ce qui exigera des moyens supplémentaires pour cette extension sur les 7 autres départements non encore touchés et d’autres défis à surmonter dont la disponibilité d'engins lourds au niveau de l'ensemble des départements, au prorata des actions sectorielles départementales, de la taille des départements, des priorités communales et sections communales, etc., (Travaux publics, Agriculture, environnement, etc.) . L’administration Moïse a-t-il les moyens de sa politique?

En termes de Perspectives  pour 2018, référons nous à nouveau à l’IHSI, « Enfin, tenant compte des goulots d’étranglement spécifiques auxquels l’économie a dû faire face en 2017, toutes choses égales par ailleurs, l’année 2018 devrait être plus prometteuse. Cependant, il ne faut pas non plus perdre de vue que le pays, étant situé sur la trajectoire des cyclones, a besoin d’un plan de contingence adéquat pour atténuer considérablement l’impact distributif négatif des déréglementations climatiques. En tout cas, l’atteinte de l’objectif de 3.9% de croissance du PIB en 2018 passera, entre autres, par la relance effective et garantie des activités agricoles, la redynamisation du secteur des bâtiments et travaux publics et l’amélioration continue du climat des affaires.» Et nous ajoutons: l'amplification de certaines actions sectorielles prévues par la caravane du changement.

Aujourd’hui est le dernier jour de l’année 2017. Demain, Haïti va avoir 214 années d’existence. Les acteurs du  développement, le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire, les collectivités territoriales, la presse, la société civile, le secteur privé, la communauté internationale veulent tous voir un mieux-être pour Haïti. C’est leur souhait à tous pour ce pays. Travaillons ensemble réellement, sans arrière-pensée, pour le développement intégral, endogène et durable de ce coin de terre qui pourra redevenir, avec l’appui de tous ses fils et filles et de "ses amis" de la communauté internationale, la perle des Antilles, l’exception culturelle de la Caraïbes. Aussi disons-nous à tous et à toutes, meilleurs vœux en la patrie commune ! Que Dieu nous bénisse et bénisse notre chère Haïti!






[1] Réf.http://www.ihsi.ht/pdf/comptes_economiques_en_2016.pdf                  
[2] https://jrjean-noel.blogspot.com/2017/01/haiti-bilan-2016-perspectives-2017-le.html : HAITI : BILAN 2016, PERSPECTIVES 2017, LE SECTEUR AGRICOLE PRINCIPAL RESPONSABLE DE LA CROISSANCE DE 2016, PEUT-IL IL REFAIRE « LE MEME EXPLOIT » EN 2017?