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samedi 31 octobre 2020

COVID-19 : HAITI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS(8), L’ENTROPIE POLITIQUE ET LE KIDNAPPING, « GARDER NOTRE BOUSSOLE »

 

COVID-19 : HAITI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS(8), L’ENTROPIE POLITIQUE ET LE KIDNAPPING, « GARDER NOTRE BOUSSOLE »

JEAN-ROBERT JEAN-NOEL

31 OCTOBRE 2020

Dans la chronique du mois dernier[1], j’ai poussé une sorte de cri de désespoir par rapport à la situation de l’entropie politique, d’insécurité, de kidnapping, et de la peur panique qui s’empare  la famille haïtienne. J’ai demandé à nos politiciens de trouver un terrain d’entente pour sauver ce qui peut encore l’être de notre pays. Tous mes écrits depuis plus de quinze ans sont orientés dans le sens de la nécessité de la grande concertation nationale inclusive. Les mots entente, dialogue, grande concertation, conférence nationale souveraine, semi-souveraine, inclusion, inclusive (et j’en passe) sont légion dans mes textes d’analyse. Pourtant, ce qui nous caractérise, c’est l’entropie politique, la division, la polarisation. On dirait qu’on a fait école, quand on regarde ce qui se passe  actuellement aux USA, la plus grande puissance économique mondiale, la plus grande démocratie, à la veille de la présidentielle du 3 Novembre 2020, en pleine 2e vague de la pandémie mondiale, dans ce grand pays et surtout en Europe, le coronavirus.  D’où le titre de la chronique du mois d’Octobre 2020 : COVID-19 : HAITI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS(8), L’ENTROPIE POLITIQUE ET LE KIDNAPPING, « GARDER NOTRE BOUSSOLE ».

Dans cette chronique, on aurait pu se concentrer sur une seule thématique, le kidnapping, car durant tout ce mois d’Octobre, le kidnapping a fait rage et les kidnappeurs ont pris la parole à la radio pour justifier leurs forfaits. Comme le kidnapping est lié à la situation d’entropie politique (langage violent, manifestions de rue, division au sein des partis politiques de l’opposition, au sein de la Police Nationale), comme l’étranger s’est imposé comme « un grand électeur » dans la vie politique haïtienne depuis ces dernières années, il est difficile de passer sous silence ce qui se passe aux USA, et son impact éventuel sur notre situation de peuple, et, enfin, comme le coronavirus rebondit aux USA et en Europe, et même si, en Haïti, on a l’impression que cette pandémie semble ne plus nous concerner directement, on ne peut s’empêcher de la regarder à travers le prisme mondial.

A.      LE CORONAVIRUS DANS LE MONDE, EN PARTICULIER AUX USA ET EN EUROPE

Selon le NOVEL CORONAVIRUS MAP[3],  la situation de la pandémie se présente au niveau mondial plutôt mal à l’approche de la saison d’Hiver en Amérique et en Europe, dont certains pays ont recours à nouveau au reconfinement total ou partiel. Au 30 Octobre 2020, on relève 45,304,036 de cas confirmés depuis le début de la pandémie, 1,184,565 cas de mortalité et 30,298,786 cas de récupération. Les USA sont toujours en tête avec 8,982,804 cas de contamination, 229,096 cas de mortalité et 3,554,336 cas de récupération, suivis de l’Inde (Asie), du  Brésil (AMSUD), et de la Russie (Eurasie). L’Europe et les USA font face à une 2e vague de cette pandémie.

« Le pays est préparé si jamais il y aurait une recrudescence de la maladie »

Comme Haïti est en quelque sorte liée à l’Europe à travers l’Union Européenne et surtout avec les USA, elle subit d’une manière ou d’une autre les impacts de cette pandémie, qui, si elle s’aggrave au niveau de ces pays, dont la plupart sont nos partenaires de longue date , elle pourra avoir des conséquences désastreuses pour notre pays, mais pas en termes de propagation de l’épidémie au niveau du pays qui enregistre, au 30 Octobre 2020, 9,057 cas de contamination, 232 cas de mortalité et 7,429 cas de récupération. D’ailleurs selon Dr Pape rapporté par Le Nouvelliste[4] : « le pays est préparé si jamais il y aurait une recrudescence de la maladie. Il se dit toutefois très inquiet du nombre des Haïtiens qui arrivent de la République dominicaine et qui sont testés positifs au PCR, précise que le pays dispose de 41 centres de prise en charge avec 1 350 lits qui peuvent être doublés et même triplés au besoin. Aujourd’hui, il y a dans le pays vingt et un générateurs d’oxygènedix laboratoires pouvant faire des tests, trente-quatre points de prélèvement et trois cents équipes prédisposées à aller investiguer les contacts sur le terrain. Docteur Pape fait état de plus de 625 000 médecins et infirmiers formés dans la prise en charge des personnes atteintes du coronavirus. »

              La situation électorale aux USA, Joe Biden mène la dance mais rien n’est joué

D’un autre côté, malgré un record de + 99,000 cas de contamination en 24 heures (30 Octobre 2020), les USA sont en plein dans le processus de vote pour la présidentielle du 3 Novembre 2020, c’est une société polarisée par un Trump faisant le choix délibéré de la suprématie blanche, refusant de condamner les actes reprochés aux policiers blancs vis-à-vis des noirs, incitant ses partisans à en découdre. Des poches de violences, des émeutes par-ci, par-là, on est en pleine entropie politique doublée d’un racisme primaire. Les gens votent par anticipation plus par peur qu’autre chose. Au 31 Octobre, plus de 90, 000,000 électeurs ont déjà voté dont la majorité par lettres, selon la chaine américaine CNN, et représentent, à 3 jours du 3 Novembre, 66% des votants de 2016.  Joe Biden mène toujours dans les sondages, même si le débat du 22 Octobre était beaucoup plus calme, avec un accent particulier sur le thème Covid-19. Si Joe Biden est prêt à accepter le verdict des urnes, Trump n’accepterait que la victoire ; tout autre verdict serait entaché de fraudes, selon lui, et il pourrait lâcher ses sbires dans la rue, « à la manière haïtienne », pour répéter le quotidien haïtien Le Nouvelliste[5]. Comme la Constitution américaine dispose de plusieurs failles, Trump pourrait s’engouffrer dans une  ou plusieurs failles pour rester au pouvoir contre vents et marées. Avec une  Cour Suprême complètement acquise à la cause républicaine,  en cas de vote serré comme pour Bush Fils et Al Gore (Présidentielle 2000), Trump pourrait l’emporter par devant cette  Cour. Pour l’emporter, Joe Biden devra gagner non seulement les votes populaires, mais aussi ceux des grands électeurs avec une large marge. Voici un tableau de la situation au 28 octobre 2020, selon Microsoft News.

Un simple coup d’œil permet de voir que la situation est globalement en faveur des « démocrates » en bleu, mais rien n’est joué car les états en mauve peuvent basculer dans n’importe quel camp aux moindres petites erreurs de la part d’un candidat ou d’un autre. Dans un état, comme le Texas, la différence n’est pas assez significative entre les démocrates et les républicains. Le suspens persistera jusqu’au dernier moment, même si les marges sont beaucoup plus confortables du cote des démocrates qu’en 2016 où Hilary Clinton a perdu la présidentielle en dépit du verdict des votes populaires (3 millions en plus de Trump). C’est aussi la réalité de la démocratie à l’américaine. En tout cas, quelle qu’en soit l’issue de cette présidentielle américaine, elle influera sur la situation haïtienne.

B.      LA SITUATION HAÏTIENNE EN TERMES D’ENTROPIE POLITIQUE ET DU KIDNAPPING

En général, la situation haïtienne est régulée par la politique. Quand il y a une éclaircie politique, le pays offre l’image d’une certaine paix. Dans le cas contraire, ce sont les troubles politiques ou tout au moins à caractère politique. En Haïti, quand la politique s’en mêle, c’est l’anarchie, l’entropie. L’insécurité prend le relai et le kidnapping, qui a eu ses lettres de créance en Haïti depuis Septembre 2004 à la faveur de « l’opération Bagdad », montre d’un cran sur l’échelle de l’insécurité globale. La Police Nationale d’Haïti (PNH), en charge du combat contre l’insécurité, le banditisme, les gangs, est inféodée de bandits, au point que la plupart des kidnappings sont l’œuvre des kidnappeurs déguisés en policiers, ce qui fait que, quand on voit une patrouille de policiers, on ne sait pas si on est en sécurité ou si on est en danger. Malgré tout, si l’on en croit le Premier Ministre Jouthe, « si on n’avait pas la PNH, les cas de kidnapping seraient multipliés par 100 ». En ce sens, il a peut-être raison, dans certaines zones chaudes comme  Village de Dieu, Cité Soleil, Sainte Philomène, Carrefour Marassa, Croix-des–Missions, Croix-des-Bouquets, Ganthier, à chaque intervention de la PNH pour appréhender quelques bandits et démanteler des gangs au niveau de ces zones, l’accalmie revient automatiquement, et les armes se tuent pour un bout de temps. Malheureusement, les interventions de la PNH sont sporadiques faute de moyens. Il faut noter que les gangs sont, au vu de leurs multiples démonstrations publiques et sur les réseaux sociaux, de loin mieux équipés que la PNH. Ils sont financés par nos politiciens des deux camps, par nos hommes d’affaires ; ils se sont autofinancés à partir des kidnappings où ils réclament, pour libérer leurs victimes, jusqu’à 2 M d’USD. C’est inouï !  

C’est dans cette ambiance délétère qu’évolue la société haïtienne de l’intérieur, la peur au ventre, prête à prendre des risques pour échapper à cette galère, à cette descente aux enfers, surtout les jeunes et les pauvres qui vivent dans des quartiers chauds ou dans des zones défavorisés. L’insécurité est certes plus élevée dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, mais ce qui s’est passé dans les sections communales de Saint-Louis du Nord, avec l’incendie de centaines de maisons, l’assassinat des personnes, prouve, s’il en était besoin, que l’insécurité est partout à travers le pays. Le phénomène du banditisme est métastasé, même si le foyer principal reste la zone métropolitaine de Port-au-Prince où se concentre la majorité de la population ; c’est aussi le centre de tout; c’est là également où l’on trouve le peu de services publics dont dispose le pays, la majorité des industries, des banques et l’essentiel  de nos hommes et femmes politiques se battant pour accéder au pouvoir politique par tous les moyens, sans égard pour la souffrance du peuple qu’ils utilisent comme des chairs à canon à des fins de « krazebrize », au lieu de chercher un terrain d’entente pour sauver ce qui peut encore l’être.

C.       L’ESPOIR D’UNE ENTENTE INTER HAÏTIENNE MINIMALE

Au cours de ce mois d’Octobre 2020, le Président de la République s’est  adressé au moins en deux fois directement au peuple, (i) à l’occasion de la mort de son père et (ii) ce vendredi 30 Octobre 2020. Dans les deux cas, il a sollicité un dialogue franc avec l’opposition politique dans son ensemble. Une partie de l’opposition a occupé le béton le 17 Octobre 2020 (Port-au-Prince), sans aucune comparaison avec les manifestations antérieures (17 Octobre 2018 et 2019). Jean Charles Moïse a fait bande à part (Cap-Haitien) et a dénoncé ses pairs de l’opposition. C’est la division au sein de l’opposition.

Edmonde Suplice Bauzile a rétorqué un peu plus tard et a mis les points sur les i par rapport à JC Moïse qu’elle a qualifié de « primaire », de « complexé »,  de « corrompu », d’ « assassin ». Kelly C Bastien est aussi accusé d’avoir pris contact avec le PHTK sans l’aval de ses pairs. Il s’est défendu du bec et des ongles (Radio Vision 2000) après un long moment de silence, et, dans son intervention, on a relevé  une division profonde au sein de cette opposition. L’ex sénateur Desras, ancien président du Sénat, a donné le coup de grâce à l’opposition en dénonçant, sur les ondes de Makik 9,  les manœuvres les plus méprisables de certains membres de l’opposition  qui, au moment de « peyilok » se sont acoquinés avec un gros commerçant pour laisser passer des containers bloqués, moyennant une grosse compensation. Il a dénoncé la plupart des politiciens qui sont en contact avec le Président Moïse, qui ont en poche des « premiers ministrables » proposés à ce dernier et qui l’accusent de menteur lorsqu’il a déclaré être en contact avec eux. Bref, lui qui a accusé le Président de disposer dans son jardin d’Agritrans d’une piste pour débarquer de la drogue, se dit être en contact avec lui et prêt à entamer le dialogue avec M. Moïse.  André Michel, qui s’est défendu par rapport aux déclarations de Bastien et de Desras, semble assouplir ses positions par rapport à un dialogue éventuel avec le Chef de l’Etat. En tout cas, il serait prêt en tant que démocrate à répondre à un appel téléphonique du Président, pour discuter de son départ.

M. J. Moïse aimerait trouver une entente minimale pour réformer la constitution, organiser le référendum pour l’adoption ou non de la nouvelle constitution et organiser les élections, soit sous l’égide de la nouvelle constitution ou l’ancienne. Il voudrait être la dernière transition, demande à ses opposants d’aller aux élections pour accéder au pouvoir et s’est engagé à ne pas être candidat aux prochaines elections. Comme l’a fait remarquer Radio Métropole, l’étau semble se desserrer ; le dialogue n’est plus un tabou. Il faudrait trouver une date pour le début du dialogue.

Il faut noter que lors de sa dernière intervention[6], M. Moïse a fourni beaucoup d’informations sur l’état d’avancement des projets énergétiques (un luxe de détails), d’irrigation à partir des pompes solaires, du barrage Marion, du barrage de La Tannerie; des chantiers de routes pour désenclaver des zones de production pour les connecter aux marchés ; il a abordé la question d’insécurité et des mesures adoptées et inscrites dans le budget 2020-2021 ; il a apporté des précisions sur le référendum, sur la réforme de la constitution avec la mise en place d’un comité consultatif indépendant[7] présidé par l’ancien Président provisoire, Me Boniface Alexandre. Ce comité rédigera le projet de la nouvelle constitution avant de la mettre en débat, de la soumettre, après, à l’approbation ou non du peuple au Printemps 2021, avant l’organisation des élections.

              Nervosité du marché des changes et intervention de la BRH

Entre temps, le taux de change semble se stabiliser autour de 62 gourdes pour 1 USD depuis plus d’une semaine. Si l’on en croit Pierre Montès, c’est une sorte d’équilibre entre les 100 gourdes réclamées par le secteur de la sous-traitance et autres, et les 25 gourdes réclamées par le peuple et l’économiste Dr Eddy Labossière. Il faut remarquer que, la semaine dernière, le marché traduit une certaine nervosité, la rareté du dollar a provoqué une hausse sur le marché parallèle, ce qui a poussé deux amis à s’en procurer à 75 gourdes pour 1 USD ; et la UNIBANK a mis des personnes sur une liste d’attente avant de leur permettre de transférer des montants importants sur l’extérieur à un taux de 65 gourdes pour 1 USD, un taux nettement supérieur au taux de référence de la BRH. Et cette dernière d’expliquer : « En vue de contenir la hausse du taux de change, la BRH a injecté 12,000,000.00 de dollars américains sur le marché des changes ce Mercredi 28 Octobre 2020. Ce montant est réparti sur le marché selon les conditions fixées par la Banque Centrale. » (Réf. @Brhhaiti sur Tweeter).

D.      EN GUISE DE CONCLUSION « NOUS DEVONS GARDER NOTRE BOUSSOLE » 

Enfin, par rapport à la situation décrite plus haut, malgré cette insécurité liée à l’entropie politique qui caractérise le pays ces derniers temps, il est encourageant que, dans cette tourmente, on décèle une certaine lueur d’espoir, une certaine volonté de dialoguer, donc de se mettre ensemble pour Haïti. C’est pourquoi, je m’appuie sur deux femmes d’âge mûr, pour conclure cette chronique du mois d’Octobre 2020. Il s’agit de notre grand-mère nationale, Mme Odette Roy Fombrun (103 ans) et notre militante politique et historienne,  Mme Suzy Castor Pierre Charles interviewée par Mme Clesca sur son parcours de vie.

Mme Fombrun dans une sorte de lettre d’adieu à la nation[8] : « J’affirme aussi qu’il faut que chacun s’élève à la hauteur de vrai citoyen en acceptant de faire des sacrifices personnels en faveur du pays, de la stabilité politique et économique, du retour à la voie constitutionnelle et au renforcement des institutions. Il est impératif d’arrêter cette descente aux enfers en ayant chacun de nous l’humilité de reconnaître que, seuls, ni en petits groupes dispersés, nous ne pouvons rien ; qu’aucun de nous ne détient la solution idéale pour remettre le pays sur les rails de la paix et du développement. Qu’il faut le « tèt ansanm » ! Ce n’est plus le moment de penser «peyi lòk», renversement de gouvernance ou décisions unilatérales d’autorités. L’histoire nous a prouvé à maintes reprises qu’elles sont toutes des options qui ont échoué et plongé le pays et les citoyens dans la misère. La sagesse et l’amour du pays nous imposent de travailler ensemble à freiner la violence et la destruction inadmissible de nos institutions, de nos valeurs morales et civiques, de notre intelligentsia, de notre patrimoine historique et culturel pour entamer enfin, avec honnêteté, les échanges constructifs indispensables. …Il nous faut nous accorder ! Il vous faut vous accorder sur des options de sagesse pour un avenir constructif et inclusif ! »

Et Mme Castor de conclure[9] : « J’ai une foi incommensurable dans les Haïtiens. Pour que ce pays avance, l’éducation et la formation sont indispensables. Ainsi, malgré les pires moments que nous sommes en train de vivre comme maintenant, nous devons garder notre boussole ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[2] idem 1

[3] https://infographics.channelnewsasia.com/covid-19/map.html , avec une évolution d’heure en heure.

mercredi 30 septembre 2020

COVID-19 HAITI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS (7), L’ENTROPIE POLITIQUE, L’INSECURITE, UNE GOURDE FORTE ET LA PEUR.

 

COVID-19 HAITI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS (7), L’ENTROPIE POLITIQUE, L’INSECURITE, UNE GOURDE FORTE ET LA PEUR.

JEAN-ROBERT JEAN-NOEL

30 SEPTEMBRE 2020

REVU LE 1ER OCTOBRE 2020

J’ai terminé ma chronique du mois d’Aout 2020, en suggérant au pays de choisir le chemin du dialogue, par l’amélioration de la proposition de Gabriel Fortuné[1]. Je reste persuadé que la crise haïtienne ne pourra se résoudre que par une grande entente inter haïtienne inclusive. Une fois, sur un sujet controversé qui a occupé l’actualité durant un mois, j’avais suggéré une négociation entre nous. Un ami est entré dans une colère noire et m’a répondu : « négociation entre qui et qui ?». Je me gardais de répondre, car, pour moi, la réponse était évidente : entre nous.

Il est clair que l'haïtien est trop manichéen pour discuter de quoi que ce soit, surtout en matière politique. Depuis 1806, le pays est en crise. Le résultat est ce qu’il est aujourd’hui, le seul PMA de l’hémisphère occidental. Tous ses indicateurs sont au rouge, parce que nous nous battons pour nos clans respectifs et jamais pour Haïti. Les mots clés de notre histoire de peuple sont révolution, guerre civile, révolte, division, polarisation, radicalisation. Nous nous mettons d’accord uniquement contre quelque chose ou contre quelqu’un, au point qu’il m’était venu à l’idée de proposer un « complot positif pour Haïti[2] » dans deux chroniques différentes[3]après des événements pouvant nous rallier autour de la situation de notre pays.

Comme pour le tremblement de terre de 2010, même le coronavirus ne nous a pas permis de nous mettre d’accord sur une stratégie commune, sur une entente entre nous pour Haïti. Nous avons cette fâcheuse habitude de ramener tout au plan politique et de tout mesurer à l’aune de la politique politicienne. Heureusement, pour une raison ou une autre, d’ailleurs inexplicable scientifiquement, cette pandémie mondiale ne nous a pas trop affectés. Depuis le cas no 1 du 19 mars  jusqu’à ce constat  de 0 cas enregistré ce  27 septembre 2020,  Haïti a enregistré au total: 8,740 cas confirmés, 227 morts, 6,757 cas récupérés. Le monde[4] a enregistré  au 29 septembre 2020,  33, 469,217 cas confirmés, 1, 003,791 morts et 23, 151,154 cas récupérés. Et les USA sont toujours en tête, ce qui en fait un thème de campagne, favorisant une avance significative de Joe Biden (48%) par rapport à Donald Trump (41%), selon un sondage national de New York Times, et permettant à Biden de dominer le premier débat télévisé du 29 septembre 2020 face à Trump, 60% et 28%, selon un sondage à chaud de la chaine américaine CNN. Dépendant des résultats de la présidentielle américaine, le 3 novembre 2020, les lignes vont bouger sur l’échiquier politique haïtien et auront un impact certain sur notre situation de peuple.

En ce mois de septembre 2020, notre situation de peuple est encore plus alarmante qu’avant, surtout en pleine entropie politique où le langage de division, des menaces de chambardement, de violence et de haine prédomine. En plus d’avoir faim, nous avons peur, une peur panique liée à des assassinats spectaculaires[5] découlant de la polarisation encore plus marquée des acteurs politiques, de l’insécurité globale et de leurs effets socioéconomiques sur notre pays avec une gourde de plus en plus forte. Durant ce mois de septembre 2020, en plus de l’appréciation continue de la gourde par rapport au dollar, trois événements majeurs ont focalisé tous les esprits :

(i)         L’assassinat spectaculaire de Me Dorval le 28 Aout 2020 a occupé l’actualité. Les parents  du défunt ont dû, vu la tendance à  la récupération politique de cette mort violente, organiser des funérailles intimes du Docteur en droit, Monferrier Dorval, Bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince. Ses pairs, ses étudiants en droit et ses amis ont dû se contenter de manifestations de rue et de prises de parole  dans les médias, et lors de la messe de requiem à l’Eglise Saint de Pierre de Pétionville, dont l’oraison funèbre de Me Gousse[6], l’homélie de Mgr Dumas, etc.;

 

(ii)        Les actions spectaculaires de Fantom 509, un groupe de bandits issus de la Police Nationale d’Haïti (PNH), qui avait déjà fait parler la poudre, en brulant le cabinet de Me Madistin lors des débats sur la nécessité ou non de créer un syndicat au sein de la PNH, en brulant les stands de Carnaval au Champs de Mars, et an attaquant Radio Caraïbes et le quartier Général de l’Armée d’Haïti ; ils ont remis cela la 2e semaine du mois de septembre 2020, en brulant environ une trentaine de véhicules immatriculés Service de l’Etat (SE), des bureaux  de l’Etat, Office National d’Identification (ONI) et  du Fonds d’Assistances Economiques et Sociales (FAES) qui a perdu une dizaine de véhicules à l’état neuf, tout simplement pour exiger la libération de leurs frères d’armes, dont les 4 policiers du corps (UDMO), accusés de négligence dans la surveillance de la maison de Me Dorval vandalisée et souillée, et Pascal Alexandre, un policier, membre du syndicat, suspecté d’avoir participé à certains actes de banditisme. En tout cas, Fantom 509 a eu gain de cause. Les policiers en question sont libérés et Pascal Alexandre a été accueilli comme un héros par une frange de la population métropolitaine en liesse et par quelques membres toujours encagoulés de Fantom 509.

 

(iii)       La publication d’un arrêté présidentiel de nomination[7] controversée[8] et l’investiture, au Palais National et sans l’aval de la Cour des Cassations, d’un Conseil Electoral Provisoire (CEP) de 9 membres issus d’organisations non prévues par la Constitution pour la plupart, et suscitant beaucoup de réactions négatives au sein de la société haïtienne, dont celle de Me Madistin qui y voit la mise en place d’un « Etat voyou et délinquant[9]», et celle de Me Gousse qui qualifie l’arrêté,  dont la mission est d’organiser un référendum pour la mise en place d’une nouvelle constitution et d’organiser les élections, « d’illégal et d’inconstitutionnel», sans évoquer les positions les plus tranchées de l’ensemble des acteurs de l’opposition politique, de la Société civile organisée, et celle du parti PHTK par la voix de son représentant, Liné Baltazar, qui recommande la recherche préalable d’un consensus ; il a rappelé les actes législatifs en relation avec les élections pris par le président Martelly et qui ont été retirés jusqu’à l’obtention d’un minimum de consensus en vue des élections de 2015.


La monnaie américaine en chute libre et la gourde en hausse 

Il faut signaler qu’à côté de ces faits saillants qui ont défrayé la chronique, la dégringolade du dollar par rapport à la gourde en est un fait marquant. C’est la chute libre de la monnaie américaine. Le graphe de Pierre Montès, PHD en génie de son état, est très parlant. D’Août 2018, tout de suite après les émeutes des 6,7 et 8 Juillets 2018, à Août 2020, la gourde qui s’échangeait à environ 68 G pour 1 USD a monté la rampe jusqu’à atteindre officiellement 122 G pour 1 USD et plus de 125 G pour 1 USD sur le marché parallèle. Cette même gourde a provoqué une chute brutale du dollar en un peu plus d’un mois pour passer de 122 G à environ 70 G pour 1 USD.

Cette chute spectaculaire a fait beaucoup plus d’heureux dans un camp que dans l’autre. Les employés du secteur publique et du secteur privé (environ 300,000), ayant des salaires en gourde jubilent, tandis que les industriels orientés vers l’exportation  crient aux désastres, interpellent l’administration en place sur de possibles faillites et menacent d’une éventuelle hécatombe au niveau de l’industrie de la sous-traitance, comme cela s’est produit quelques années auparavant en République Dominicaine, alors que l’économiste Labossière pense qu’il faudrait maintenir la pression pour ramener le taux de change à sa valeur réelle autour de 60-40 G pour 1 dollar et pourquoi pas à 25 G pour 1 USD ?. Il pense que la Banque Centrale devrait prendre ses responsabilités dans le cadre d’une politique monétaire axée sur les fondamentaux de l’économie haïtienne et non sur les spéculations orchestrées par les banques commerciales. Un ensemble de notes publiées par ce dernier sur Facebook et sur Twitter vont en ce sens. Tout en étant loin d’être un économiste, je penche pour cette solution qui empêcherait la reconstitution de la bulle spéculative liée à la tendance haussière du dollar qui s’est réduite comme une peau de chagrin durant cette période d’un mois et quelques jours et cela continue.

En tout cas, même si l’inflation est encore importante, on remarque une baisse assez significative sur certains produits de première nécessité. Puisse cela continuer sur l’ensemble des produits de base entrant dans le panier de la ménagère. Dans le Programme de Relance Post-COVID (PREPOC 2020-2023) en préparation qui s’articule autour: 1) de la diversification de l’économie et accélération de la croissance ; 2) du développement des services d’infrastructures de base et énergétiques ; 3) du  soutien aux petites et moyennes entreprises et à la création d’emplois ; 4) du développement du capital humain et de l’inclusion sociale ; 5) du renforcement de la résilience aux chocs naturels ; et 6) du renforcement de la sécurité intérieure et de l’État de droit, il faudrait que l’administration actuelle jette les bases d’une politique monétaire allant en ce sens et que le cadre budgétaire y relatif en soit imprégné.

La lettre de Cadrage budgétaire 2020-2021

Selon Le Nouvelliste sous la plume de Robenson Alphonse[10], « L’administration Moïse/ Jouthe, très optimiste, table sur une sortie de la récession économique au cours de l’exercice 2020-2021. Le taux de croissance du PIB devrait faire un bond pour atteindre 2,4 %, contre -2,9 % par rapport à l’exercice 2019-2020, a indiqué le Premier ministre Joseph Jouthe dans la lettre de cadrage du budget 2020-2021 qui fait d’autres projections. À la fin du prochain exercice 2020-2021, l’inflation estimée en glissement annuel est à 27,3 %. La projection de recettes fiscales est de 100 milliards de gourdes. La pression fiscale sera de 6.5% en raison de l’élargissement de la base des comptes nationaux de l’IHSI et des émissions nettes de trésorerie à 10 milliards de gourdes sont prévues, ce qui constitue « un niveau de financement monétaire compatible aux objectifs de stabilisation du cadre macroéconomique », selon cette lettre de cadrage qui souligne que pour « atteindre l’objectif de croissance, le gouvernement opte pour une politique de diversification et de transformation structurelle de l’économie haïtienne visant à soutenir la base productive et à créer des emplois sans toutefois négliger l’aspect de mitigation de chocs pour les groupes vulnérables ».

          « Vers 25 gourdes pour un dollar ? »


« Le scenario de la gourde forte n’est pas pris en compte dans la lettre de cadrage », selon Frantz Duval du Nouvelliste[11]. 2.4% de croissance en pleine année électorale, 27.3% d’inflation malgré la baisse de certains produits de base due à la chute du dollar, 6.5% de pression fiscale contrairement aux années précédentes autour de 10 à 13% (prévision et la réalité si situe entre 7-10%), 100 Mrds de gourdes de recettes fiscales, une nette augmentation par rapport l’exercice 2019 et 2020, comment expliquer ces prévisions de l’administration actuelle dans la lettre de cadrage? L’administration croit-elle vraiment dans le renforcement de la gourde? Ce sont les questions que se posent les observateurs avisés comme Nesmy Manigat[12], Frantz Duval et autres. En tout cas, Dr Labossière, consultant de la BRH  et du MEF (?), président de l’association des économistes haïtiens, persiste, signe et croit que l’équilibre pourrait s’établir autour de 25 G pour 1 USD. En attendant, « Le dollar qui s’échangeait pour plus de 120 gourdes le 17 août 2020 ne vaut plus ce 28 septembre que 67 gourdes 50 dans les banques et autour de 60 gourdes hors des banques.», toujours selon un éditorial de Frantz Duval, intitulé, «Vers 25 gourdes pour un dollar... Que dit la BRH? »

 

Aux dernières nouvelles, le 30 septembre 2020, le taux de change est de 62 G à l’achat et 64 G à la vente, le budget adopté en conseil des ministres pour l’exercice 2020-2021 est de 254,704,000,001 G, et le contrat d’énergie électrique entre l’Etat et Général Electric est approuvé par la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif(CSC/CA) en dépit du différend entre cette institution, le MTPTC et Palais National (un bon point pour notre pays)

        

Et nous avons peur ! Entendez-vous donc pour nous sortir de là !


 La situation politique tendue décrite plus haut  et qui est une constante de notre histoire de peuple est la principale responsable de nos malheurs. Mis à part le 18 mai 1803, où nous nous fumes mis d’accord pour réaliser la seule révolution d’esclaves réussie de l’histoire mondiale moderne, nous avons pris un malin plaisir à nous détruire, en inventant la notion de « crise permanente » depuis le 17 octobre 1806, par l’assassinat crapuleux de notre père fondateur, Jean Jacques Dessalines, le Grand.

Depuis, nous sommes devenus des nains rongés par la division dont le seul et unique objectif demeure l’accession au pouvoir au bénéfice de nos clans respectifs et au détriment de ce coin de terre obtenu au prix du sang versé.

Haïti agonise à cause de cette entropie politique qui mange ses fils et filles les plus qualifiés. C’est la déroute de l’intelligence, le règne de l’impunité, l’apologie de la médiocratie, l’ôte toi que je m’y mette. Sans projet, sans programme, sans plan pour nous sortir de là de manière définitive. On dirait qu’on se complait dans cette descente aux enfers et qu’on y trouve du plaisir jouissif à détruire l’autre, à se détruire et à détruire ce coin de terre qui nous a été légué.

C’est tellement triste ! En plus de favoriser le pouvoir parallèle, réel et occulte des gangs, des bandits au niveau de l’ensemble  du pays, nuisant considérablement à la libre circulation des personnes et des biens, le peu d’institutions qui nous restent n’arrivent même pas à s’entendre, à cause de la prédominance de notre manichéisme,  sur un simple contrat selon les règles de l’art, à instituer correctement une entité vitale pour la démocratisation du pays. L’institution en charge de notre sécurité est inféodée de bandits qui brulent, qui détruisent, et les autres gangs qui gangrènent la République en profitent pour nous voler, nous piller, nous violer et nous tuer de manière spectaculaire dans la rue et chez nous.

Et nous avons peur ! Entendez-vous donc pour nous sortir de là !!!



[7] https://lenouvelliste.com/article/221140/jovenel-moise-nomme-un-cep-pour-organiser-les-elections-et-un-referendum-pour-une-nouvelle-constitution