HAITI: LES SCENARII SUR LE TAPIS
APRES LES ELECTIONS DU 9 AOUT 2015
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
31 AOUT 2015
Tout le long de ce mois d'Août 2015, l'actualité haïtienne a été dominée
par les résultats des élections législatives du 9 Aout. Bien avant la publication des résultats, le
Conseil Electoral Provisoire (CEP) a été
accusé d'avoir failli à sa mission. En effet, le processus a été entaché
d'irrégularités. Le CEP était accusé d'avoir favorisé les partis proches du
pouvoir dans la livraison des mandats
aux mandataires des partis politiques. Au jour J, les mandataires ont été les
plus nombreux dans les bureaux et centres de vote que les électeurs. Selon les
observateurs, ils ont été pour beaucoup dans les irrégularités relevées. De
plus, certains candidats se sont arrangés pour rendre la situation intenable.
Ils sont arrivés à perturber le processus dans plusieurs centres de vote
(54/1508) et à pousser le CEP à mettre hors course une quinzaine d'entre
eux, à programmer la reprise du processus
dans plusieurs villes du pays, à ne pouvoir déclarer l'élection d'un quelconque
sénateur au premier tour. De plus, les tendances en lien avec les résultats
préliminaires sont en faveur des partis proches du pouvoir comme PHTK,
BOUCLIER, VERITE, KID, AAA. Ce qui crée une situation de malaise. Alors, quels
sont les scénarii sur le tapis? Avant d'y arriver, attardons-nous un peu sur
les faits saillants du mois, passons en revue tout le processus jusqu'aux
réactions des principaux acteurs, et terminons avec les scenarii.
Les faits saillants du mois
d'Août 2015
La CARIFIESTA, durant une semaine, a permis la fraternisation des pays de
la Caraïbe en Haïti. C'était la fête de la culture caribéenne. Elle était riche
en couleur comme le carnaval des
fleurs qui n'a pas eu lieu cette année.
La CARIFIESTA a été l'occasion pour le Gouvernement de nous faire revivre le
Congrès du Bois Caïman, à Bois Caïman même, avec la promesse de la construction
d'un mémorial sur ce site pour matérialiser
cet événement qui ouvrit la porte à la
libération de notre pays par rapport au système esclavagiste.
C'est le processus d'élaboration du budget 2015-2016 avec le secteur agricole
comme locomotive de la croissance. On
caresse l'espoir que, cette fois-ci, il sera mis au moins 10% du budget
national à la disposition du secteur agricole. Sans quoi, il n'aura pas la capacité
de jouer son nouveau rôle de "locomotive de la croissance", à moins
que cela veuille dire autre chose dans l'esprit des décideurs. Rappelons que
notre pays traverse une période de sécheresse depuis environ trois ans et
qu'une telle disposition budgétaire aiderait énormément le secteur agricole et
le pays tout entier.
Pour comble de malheur ou de bonheur un autre phénomène naturel vient de frapper
Haïti, ce 28 aout 2015, le cyclone Erika. Le passage de ce phénomène a causé
quelques dégâts (une dozaine de blesses, Route nationale No 1 coupée, ravage au niveau des plantations),
mais a donné un second souffle au pays, car Erika a versé assez d'eau sur Haïti
atténuant un peu les effets de la sécheresse. Espérons qu'Erika favorisera une
pluviosité plus ou moins acceptable durant la 2e moitié de la saison cyclonique
(Septembre-Novembre 2015), favorisant ainsi la réussite de la campagne
d'automne et surtout celle d'Hiver.
Il faut noter que cette deuxième
moitié de la période cyclonique
correspond à la période électorale. Il serait intéressant que le secteur
agricole encourage les parties prenantes du secteur à profiter de la
probabilité de cette bonne pluviosité pour relancer l'agriculture dans le pays.
Ainsi, nos politiciens, qui jusqu'à présent ne proposent pas grand 'chose pour
sortir le pays de sa crise permanente, pourraient continuer à en découdre soit
pour annuler les élections du 9 aout,
soit pour la continuation du processus,
avec l'espoir de pouvoir donner à manger au peuple (même partiellement) après
leur accession à ce pouvoir tant convoité.
Le processus électoral
Revenons sur ce qui s'est passé le 9 Aout. Voici ce que j'ai écrit sur FB
tout de suite après la déclaration des autorités électorales et politiques. Je le reproduis
textuellement:
"Le 1er Tour des Législatives haïtiennes /appréciation à chaud"
"Aujourd'hui, 9 Aout 2015,
Haïti a connu une journée électorale assez mouvementée, en particulier à cause
des mandats qui n'ont pas été remis a la plupart des partis politiques à temps.
Il en manquait 300,000 mandats sur 800,000 jusqu'à samedi 8 Aout 2015. On a
appris plus tard par le CEP que quelqu'un du système l'a sciemment saboté dans
l'intention de nuire au processus électoral."
"Ce n'était pas le seul
obstacle au processus. Des gens mal intentionnés auraient
voulu voir le processus se disloquer et ont agi en conséquence au niveau de
certains centres de vote. D'autres ont utilisé toutes sortes de stratagèmes
pour arriver à leur fin."
"Heureusement, une grande
majorité voulait de ces élections et n'ont pas hésité à faire leur devoir
civique, comme moi qui ai appelé le 8830 de DIGICEL pour savoir ou aller voter
vers 2h 30 de l'après midi au Centre de vote (CV), Lycée Jacques 1er de la
Croix-des-Bouquets et au bureau de vote (BIV # 46).Mon devoir accompli, je suis
revenu tranquillement à la maison. Le vote aurait été beaucoup plus
significatif en province qu' a la Capitale. Les élections ont bien eu lieu."
"J'ai appris plus tard que
54 CV/1508 (4%) ont du suspendre les opérations de vote avant l'heure, une majorité
dans l'Ouest suivi de l'Artibonite, les deux départements les plus peuples; que
la mairie de Limbe a été incendiée; qu'une personne a été tuée selon le
gouvernement, 3 ou 4, selon Radio Métropole; que , peut être dans 10 jours, on
aurait les résultats de ces élections après que les procès verbaux aient été
acheminés et traités au niveau du centre de tabulation. Tout ca n'est qu'un
bilan partiel."
"On attend les résultats
pour voir comment nos hommes politiques vont réagir et si ces élections ont valu
la peine d'être réalisées ce 9 aout 2015. Que les meilleurs gagnent!" JR JEAN-NOEL
C'était ma réaction à chaud. Je me suis trompé en parlant "de grande
majorité"; le taux de participation officielle , selon le CEP, est de 18% au niveau national, il est de
8% dans la zone métropolitaine. Ceux-là qui qualifient de "mascarade"
ces élections parlent d'un taux de participation inférieur à 10% et ils
demandent tout simplement l'annulation de cette mascarade. Quant à celui qui a
été accusé, il a par la suite accusé le Président du CEP d'avoir menti. Par
rapport aux réactions de nos hommes politiques, je ne pense qu'il ait valu la
peine d'organiser ces élections qui nous divisent encore davantage. Analysons
les résultats et leurs conséquences.
Les résultats et leurs conséquences
Tout était pratiquement calme le lendemain du vote. Les choses allaient se gâter
lorsque le CEP a donné les résultats, le 20 Août 2015. D'ailleurs, mis à part
certains députés qui sont élus au premier tour, le CEP n'a jamais dit qui va au
second tour parmi les candidats au Sénat. En fonction de nos connaissances du
système, nous avons déduit que tel ou tel candidat va au second tour. Le CEP a
parlé de reprise des élections dans plusieurs communes du pays où il avait du
désordre. Par conséquent, il ne peut pas avoir d' élus dans ces communes ni au
niveau des départements concernés.
Après ces annonces, Les Irois,
Aquin, une partie du Sud Est ont donné le ton en brisant, en mettant le
feu, en bloquant la circulation et l'accès à certaines zones et localités. Dans la
nuit du 26 Août 2015,les tirs sporadiques ont réveillé tout le monde, et j'ai pu
remarquer, au matin, qu'on a mis des pneus enflammés dans les rues durant la
nuit, tant à Croix-des-Bouquets qu'à Tabarre. Toute la dernière semaine du mois
a été émaillée de manifestations de rue
de LAVALAS et d'autres candidats frustrés par rapport aux résultats contre le CEP et pour l'annulation des
élections du 9 Août 2015. C'est à se demander, par rapport à cette situation
d'incertitudes faites de violences, de vie chère, de malaise électoral, de contestations émaillées d'incidents
malheureux au bureau de contentieux électoral départemental (BCED), en
attendant de porter les contestations au niveau du bureau de contentieux
électoral national ( BCEN), et d'alliances électoralistes de ceux qui sont en
position inférieure contre ceux qui sont
en tête et contre le CEP, qu'est-ce va se passer?
Les réactions
Mis à part les partis qui ont une certaine avance, le CEP est sur la
sellette condamné à revoir sa copie par la grande majorité. Les candidats qui
se sentent lésés se sont ligués contre ceux-là qui ont une avance et contre le
CEP accusé de favoritisme. D'autant que, à bien analyser les tendances des
votes, les partis proches du pouvoir sont en avance par rapport aux autres, mais
il faut noter que les votes reflètent les impressions d'avant le 9 Août, et les
sondages qui les avaient précédés à quelques différences prêtes. Les partis les
plus agressifs sont les plus en vue comme PHTK, VERITE, BOUCLIER. Mais, il faut
le remarquer, tout le monde a trouvé un petit quelque chose. Comme ce sont les
partis proches du pouvoir qui mènent la danse, les autres ont crié au scandale
et à la magouille. Donc, selon eux, il faudra annuler le 1er tour, organiser
les élections générales le 26 octobre, renvoyer le CEP, renvoyer
l'administration Martelly, et mettre en place un gouvernement de transition. Un
petit groupe est pour la reprise des élections dans les communes où il y avait du grabuge. Ce sont ses options qui
sont proposées par nos politiciens. Pour les organismes des droits humains, il
faut faire évaluer le processus par une commission indépendante, prendre les
sanctions contre les fauteurs de troubles en appliquant strictement le décret
électoral. Pour la communauté internationale, certes il y a eu des
irrégularités, des saccages de centres de vote, mais le processus est jusqu'ici
acceptable. Quels sont "les scénarii sur le tapis après les élections du 9
août 2015"?
Les scenarii sur le tapis
La reprise des élections au
niveau des communes où il y a eu des turbulences politiques avant les résultats définitifs parait une option assez raisonnable, parallèlement
aux corrections à apporter au processus. Ce scénario ne plairait naturellement
pas à l'ensemble des candidats qui ne sont pas en position de force.
L'annulation de ce 1er tour au
profit des élections générales le 25 octobre. Ce scénario couperait court à toutes les manifestations de rue actuelles
pour donner lieu à d'autres manifestations organisées, cette fois-ci, par
ceux-là qui avaient une avance, par les partis proches du pouvoir et par le
pouvoir lui-même. Quelles seraient les réactions des organismes des droits
humains et de la communauté internationale?
La remise en question du
processus dans son ensemble. Cette remise en question
provoquerait probablement un grand
chambardement, remettant en cause la fragile stabilité issue des négociations
qui ont débouché sur le choix d'Evans Paul comme Premier Ministre. Elle
pourrait même déboucher sur la mise à pied du Président Martelly et de son
administration. Ce qui arrangerait certains de nos politiciens qui tenteraient "une
percée louverturienne" pour ne pas rester trop longtemps "en réserve
de la République". Ce serait un moindre mal si on arrivait là, à une
transition à la manière de Gérard Latortue et Boniface Alexance, soit un retour
en arrière de 11 ans. Ce qui nous
attristerait encore plus, ce serait tenter cette aventure qui, à cause de nos
divisions et nos turpitudes de peuple, déboucherait sur une perte de souveraineté
totale 100 ans après l'occupation
américaine de 1915.
Ce serait de l'inconscience de la part de nos politiciens engagés pour la
grande majorité dans la bataille électorale pour défendre leurs propres intérêts
et ceux de leur clan au détriment de ceux de notre pays. Alors, pour Haïti
d'abord et avant tout, trouvons ensemble la bonne option pour terminer en
beauté ces "foutues élections". De toute manière, il y aura des gagnants
et des perdants, c'est le principe même de la démocratie. Pensez-y mesdames et
messieurs!!!
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