HAITI : COMBINAISON D’OPTIONS DE DÉVELOPPEMENT, LE DERNIER COMBAT DE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE HAITIENNE
Jean Robert JEAN-NOEL
25 avril 2010
Jean Robert JEAN-NOEL
25 avril 2010
En 2003, j’avais développé une thèse un peu farfelue pour démontrer à mes amis découragés que notre chère Haïti ne pourra pas périr. Cette thèse était basée sur quatre options de développement : l’option haïtienne, l’option dominicaine, l’option régionale et l’option internationale. J’en avais fait un article qui a connu un certain succès à l’époque (avril 2004), « Combinaison d’options de développement, la porte de sortie pour Haïti ? » (Réf. Le Nouvelliste, et www.jrjean-noel.blogspot.com , avril 2008).
Depuis 2004, c’est la combinaison d’options de développement qui est en application avec la présence des troupes étrangères dans le pays. En témoignent le cadre de coopération intérimaire (CCI) sous les gouvernements de Latortue et d’Alexis, le document stratégique national pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP) sous les gouvernements d’Alexis, de Pierre-Louis et de Bellerive, et le plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti (PARDNH) sous le gouvernement de Bellerive et très certainement sous les gouvernements à venir jusqu’en 2030 où Haïti deviendra ce « pays émergeant » et « moderne » selon la vision de l’actuel Gouvernement.
La « souveraineté limitée » ou contrôlée
En effet, depuis 2004, la communauté internationale (CI), sous l’obédience de la Banque mondiale, s’est associée avec les gouvernements haïtiens pour produire les cadres de coopération en tenant compte de leurs points de vue. A ces exercices ont participé, à coté des experts étrangers, les cadres haïtiens de l’administration publique, de la société civile et du secteur privé, avec en prime un certain niveau de validation nationale dans certains cas. Il faut noter et souligner que ces documents sont produits selon les modèles conformes aux « exigences de la communauté internationale et surtout des bailleurs de fonds ». C’est ce que j’appelle la combinaison d’options de développement.
Alors que la combinaison d’options de développement se reflète dans ces cadres de coopération dont les projets/programme s’exécutent à travers des unités de coordination de projets (UCP) créées au sein des structures étatiques, des organisations non gouvernementales (ONG) et des agences de coopération internationale (ACI), les bailleurs de fonds ont mis en place toute une structure de contrôle interne et externe pour s’assurer de limiter la corruption et d’obtenir des résultats, tout ceci doublé d’un ensemble de conditionnalités les unes plus contraignantes que les autres. Ces conditionnalités sont très souvent à la base des retards enregistrés dans la mise en œuvre des projets et programmes et, dans certains cas, des échecs criants enregistrés. C’est l’ère de la « souveraineté limitée » pour répéter le mot du Président Boniface Alexandre.
L’arme de la corruption
Malgré le contrôle exercé par les bailleurs et les efforts du GOH pour la mise en place et le renforcement des structures haïtiennes de contrôle de la corruption, l’ULCC, l’UCREF, la commission nationale des marchés publics (CNMP), la Cours Supérieure des Comptes et des Contentieux administratifs (CSCCA), Haïti occupe toujours les dernières places dans les derniers classements de transparency international. A force de nous répéter que nous sommes corrompus et nous d’utiliser l’arme de corruption contre nos adversaires politiques, et le plus souvent sans preuve, la perception a fini par devenir réalité. J’ai sorti trois articles sur l’indice de perception de la corruption pour demander aux haïtiens de ne pas utiliser le mot corruption sans preuve. Au contraire, on ne fait que cela. Rappelez-vous les 197 M USD : c’est la remise sur pied du CNE, c’est en partie l’augmentation de la production agricole en 2009 de 45% à 53% (CNSA), soit un poids de 8% dans la croissance de 2.9% du PIB de 2009 (MEF). Pourtant, malgré le rapport illustré fourni au Parlement, ces 197 M USD ont été utilisés par le Senat pour renvoyer la Première Ministre, Mme Pierre-Louis. Les leaders politiques utilisent ces 197 M USD pour taxer le GOH de corrompu. Quant à la communauté internationale, elle sait très bien que son argent est plutôt « bien géré » par les UCP et les ACI. Le peu qui passe directement par le GOH a, depuis 2004, plutôt eu une gestion acceptable aux yeux de la CI qui, à travers le FMI, délivre des certificats de satisfécit au GOH, au point de procéder à l’annulation de plus d’un milliard de la dette d’Haïti en juin 2009. Pourtant, lors du voyage du Président Préval à Washington (mars 2010), il y a eu toute une orchestration autour de la corruption au sein du GOH au point qu’il a du se défendre du bec et des ongles par rapport à cette perception. Cette orchestration n’était pas innocente. Elle visait, à mon avis, à forcer la main au GOH pour accepter des mécanismes inédits dans le cadre du nouveau cadre de coopération exigé par la reconstruction, une sorte de grignotement sur la souveraineté déjà limitée de l’Etat d’Haïti.
« La tutelle consacrée »
Avec ce nouveau cadre de coopération d’environ 34 milliards d’USD, le PARDNH 2010-2030, pour lequel les bailleurs se sont engagés lors de la conférence de reconstruction de New York (31 mars 2010) à hauteur de 9.9 milliards d’USD sur 10 ans, les deux parties, le Gouvernement Haïtien (GOH) et la Communauté internationale (CI) se sont donnés deux outils inédits jusqu’ici en Haïti : la commission intérimaire de reconstruction d’Haïti (CIRH) coprésidée par l’ex-Président, Bill Clinton, l’Envoyé Spécial du Secrétaire Général de l’ONU, et le Premier Ministre, Jean Max Bellerive, et le fonds fiduciaire multi-bailleurs (FFMB) sous la responsabilité de la Banque Mondiale (BM). Cette fois-ci, les deux parties ne sont pas seulement liées par des accords internationaux ratifiés par le Parlement mais la combinaison d’options de développement est consacrée par la fameuse loi prolongeant l’état d’urgence de 18 mois et votée séparément par les deux chambres. C’est la « tutelle consacrée » selon certains. D’où les réactions nationalistes de l’opposition accusant le pouvoir de « vendre le pays » et les explications des gouvernants se défendant d’être sous tutelle. D’ailleurs, le Président n’a-t-il pas le droit de véto consacré par cette même loi ? Donc peut-être pas tutelle totale mais souveraineté encore plus limitée qu’avant.
En tout cas, de la « souveraineté limitée » à la « tutelle consacrée », il est clair que le pouvoir ne pouvait pas grand-chose face à cette puissance de la communauté internationale qui a promis 9.9 milliards d’USD et qui avec patience a tissé sa toile d’araignée pour nous amener à cette extrémité depuis des années. Rappelez-vous les divers accords d’ajustement structurel (Marc Bazin, in Le Nouvelliste). Au point que la plupart d’entre nous condamnant publiquement cette occupation, l’acceptent en privé ; il suffit d’écouter la réaction du peuple pour comprendre notre niveau de déchéance par rapport à certaines valeurs inculquées par nos pères fondateurs. De toute manière, à ce stade, être sous tutelle ou pas, cette reconstruction se fera avec ou sans nous, car la CI ne pourra plus se permettre d’échouer cette fois-ci. Faut-il laisser faire pareil ou se battre pour qu’elle ne soit pas que physique et/ou saupoudrage ?
Les actions à entreprendre
Le PARDNH renferme des éléments théoriques pour éviter cela : la refondation territoriale, la refondation économique, la refondation sociale et la refondation institutionnelle. Et puis, il y a ce document « Haïti Demain » produit par le comité interministériel à l’aménagement du territoire (CIAT) qui favoriserait une mise en œuvre harmonieuse du PARDNH. Il en est de même pour le document du secteur Privé, le plan stratégique de sauvetage national (PSSN), le document de la FONHDIIAC. Prenons l’exemple du plan d’investissement du ministère de l’agriculture (environ 800 M USD) qui est partie prenante du PARDNH mais qui demeure essentiellement haïtien et qui, du 22 au 24 avril 2010, a été l’objet de validation dans le cadre d’un débat national. Pour les grandes réalisations physiques, elles pourront être fournies clé en main au GOH selon le modèle de TAIWAN. En témoignent la route Cayes-Port-à-Piment, les stadium de Gonaïves, de St-Marc et du Cap-Haïtien, ce sont des réalisations clé en main de la Firme Taïwanaise, OECC. Cependant on peut penser les choses physiques, les concevoir avec l’étranger même s’il les exécute. Par contre, pour le soft, on peut influencer les choses à notre manière et déboucher sur l’essentiel, l’éducation, la santé, etc. A nous de jouer à l’intelligent! Il ne faut pas non plus l’accaparement de tout par un petit groupe, un petit clan. Nous parlons ici de cette intelligence collective qui nous avait permis d’arracher notre indépendance le 1er janvier 1804. C’est cet exploit qu’il faudra renouveler.
En guise de conclusion, je reprends, en y ajoutant quelques nuances, mes conclusions d’avril 2004. « C’est l’occasion pour nous autres haïtiens sans exclusive qui maîtrisons la question et le terrain et qui sommes conscients de la situation catastrophique héritée de nos deux cents (200) ans de manque de développement et de ce terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010, de saisir cette opportunité en faisant taire nos intérêts mesquins, en plaçant la question nationale au centre des débats, en défendant nos points de vue face à l’international et en imposant de manière intelligente notre option de développement à la leur comme on a commencé à le faire dans le PDNA et le PARDNH.
Dans cette nouvelle conjoncture, c’est notre option de développement combinée avec celle de la communauté internationale qui nous ouvrira la porte du salut. Comme l’a dit George Michel, face à l’occupant, Haïti a toujours gagné la bataille politique. Faisons en sorte que cette fois-ci la victoire débouche sur le développement intégral de notre pays pour que le citoyen haïtien compétitif puisse évoluer correctement au sein de son organisation et dans son environnement naturel régénéré et équipé d’infrastructures indispensables avec des moyens économiques et financiers suffisants et grâce à une gouvernance politique responsable et incitatrice. Tout un programme, n’est-ce pas ? »
Ce programme pourrait intégrer le PARDNH lors de sa mise en œuvre durant ces 20 prochaines années et surtout durant les 18 prochains mois.
Alors, Haïtiennes et Haïtiens au sein de l’appareil étatique, de la société civile, du secteur privé et des collectivités territoriales, de la diaspora, conspirons pour une refondation d’Haïti à la mesure de nos ambitions et surtout des ambitions de nos pères fondateurs. Ne soyons pas seulement « intelligents individuellement », comme me disait un ami étranger, mais aussi et surtout collectivement. Cette intelligence collective haïtienne a été imbattable avec des analphabètes en 1803 face à l’adversité des puissances de l’époque, elle le sera encore plus en 2010 avec des haïtiens bien formés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, et, cette fois-ci, avec l’appui de la communauté internationale. Avec la combinaison d’options de développement comme choix imposé et/ou accepté, la refondation de l’Etat d’Haïti passe nécessairement par l’intelligence collective haïtienne. C’est le passage obligé pour la réussite de ce dernier et long combat pour le développement durable d’Haïti. Etes-vous prêts ? Alors à l’assaut ! Sa Ki…