L’ARTICULATION DE TROIS (3) PROCESSUS EN LIEN AVEC LA SECURITE ALIMENTAIRE
ET NUTRITIONNELLE (SAN) POUR LE DEVELOPPEMENT D’HAITI
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
31 MAI 2018
Aujourd’hui c’est l’ouverture dans l’aire du
champ de Mars de la 24e édition du Livres en folie. C’est un moment de
folie pour Haïti, les 159 auteurs sont là pour signer les livres, les acheteurs
aussi ont le choix sur les 1828 titres. C’est une ambiance bon enfant,
caractérisée par le sourire de l’haïtien, la familiarité, la culture haïtienne
dans tous les genres : le roman, la poésie, l’histoire, les essais,
l’audience, etc. Cette dernière journée du mois est la bienvenue après un mois
de mai plutôt mouvementé par des poches de manifestations anti-gouvernementales
sous couvert de revendications pour la réparation de routes (Cité Soleil et
zones de Frère, Pétionville), pour l’augmentation de salaire minimum (SONAPI),
pour la disparition présumée du Maire de l’Estère, retourné heureusement au
bercail depuis, pour l’inondation de certaines zones à partir des premières
pluies de Mai 2018 (Petit-Goâve, zone de Rivière Barette). L’arrêté
présidentiel relatif à la police Nationale d’Haïti (PNH), qui exige « l’approbation du Conseil supérieur de
la Police Nationale (CSPN) » en lieu et place du « simple avis du CSPN» prévu par la loi, a suscité beaucoup de
débats ; certains y voient une tentative de l’administration de « politiser la PNH » et parlent « de
velléités dictatoriales ». Egalement, le voyage du Président Jovenel
Moise à Taiwan, dont le momentum serait « mal
choisi » vu que la République Dominicaine et Burkina Faso viennent de
lâcher Taiwan au profit de la Grande Chine. L’augmentation prochaine du prix du
carburant fait aussi objet de débats. Sans
commenter ces faits d’actualité qui ont marqué le mois de Mai 2018 et qui
traduisent un malaise par rapport à la situation globale du pays, il m’est venu
l’idée, après des discussions avec le coordonnateur de la CNSA[1], de vous
entretenir sur les processus en lien avec la Sécurité alimentaire et
nutritionnelle (SAN).
Les
processus de la SAN
Actuellement, Haïti entre dans la phase de
boucler trois processus en lien avec la SAN : (i) L’actualisation du plan
national de Sécurité Alimentaire (PNSAN) décliné en 10 plans départementaux
(PDSAN), (ii) l’élaboration de la politique et stratégie nationales de
souveraineté, de sécurité alimentaire et de nutrition en Haïti (PSNSSANH), (iii)
le processus d’inscription des actions sectorielles de la caravane dans le
budget 2018-2019 et dans le budget triennal 2019-2022 après la validation des
plans d’action départementaux tant au niveau des départements[2] qu’au
niveau du gouvernement[3]. Les
trois processus, qui s’alignent sur le Plan Stratégique de développement
d’Haïti (PSDH) dont la vision est de « faire d’Haïti un pays émergent à l’horizon
2030 », contribueront nécessairement, si mis en œuvre
correctement, à cette finalité et aussi à « un taux de souveraineté
alimentaire de 88% ».
Définitions des concepts, Rappel Historique et Contenu
Dans cette partie, le lecteur est invité à
prendre connaissance des définitions ou à se les rappeler. Il sera procédé
également à un rappel historique de ces
trois processus et à une mise en exergue de certains éléments de contenu,
susceptibles d’éclairer davantage le lecteur et de le mettre dans le bain de ce
qui se fait actuellement au pays en matière de sécurité alimentaire et
nutritionnelle (SAN), en se référant aux documents appropriés pour les
définitions et les éléments de contenu.
Définitions des concepts
En 1996, il a
été adopté la définition suivante pour la sécurité alimentaire :
« La sécurité alimentaire existe lorsque tous les
êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et
économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur
permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener
une vie saine et active. La sécurité alimentaire a quatre piliers ;
disponibilité, accès, utilisation et stabilité[4] »
Quant à la sécurité
nutritionnelle, elle se définit comme suit :
« La sécurité nutritionnelle peut être définie comme
un état nutritionnel adéquat, en termes de protéines, d’énergie, de vitamines
et de minéraux, de l’ensemble des membres du ménage, et ce à tout moment [5]».
Concernant la
Souveraineté alimentaire, les définitions suivantes ont été adoptées :
« La souveraineté alimentaire est le droit des
peuples de définir leurs propres politiques en matière d’alimentation et
d’agriculture, de protéger et de réglementer la production et le commerce
agricoles intérieurs afin de réaliser leurs objectifs de développement durable,
de déterminer dans quelle mesure ils veulent être autonomes [et] de limiter le
dumping des produits sur leurs marchés[6] »
La PSNSSANH a
adapté cette définition :« Le droit
des peuples à définir leurs propres politiques et stratégies durables pour la
production, la distribution et la consommation d'aliments et de réglementer la
production et le commerce agricoles intérieurs qui garantissent le droit à
l'alimentation en faveur de toute la population, en se basant sur la moyenne et
la petite production, respectant leurs propres cultures et la diversité des
pratiques paysannes de production agricole, de commercialisation et de gestion
des espaces ruraux, dans lequel la femme joue un rôIe fondamental. La
souveraineté alimentaire garantit la sécurité alimentaire et nutritionnelle[7] ».
« La Caravane du
changement se veut une stratégie transformatrice tant de l’État que de la
société haïtienne. Elle vise donc à mobiliser les forces vives d’Haïti pour
transformer les rapports sociaux historiques et aboutir au développement
endogène et durable de notre pays. [8]».
« Elle ambitionne de favoriser l’imbrication intra-sectorielle des
actions, leur articulation intersectorielle dans le cadre de l’action
gouvernementale afin de maximiser leurs effets et impacts sur la qualité de vie
du peuple haïtien ».
Rappel Historique et Contenu
PNSAN. 1996-2018
Une première version du Plan
National de Sécurité Alimentaire (PNSA) a été élaborée en
1996 juste avant le Sommet mondial sur
l’alimentation. Une autre version, visualisée comme une actualisation du
Plan National de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (PNSAN), a
vu le jour en 2010 après le tremblement de terre et est perçue comme « un mécanisme d’implémentation des
choix des politiques nationales pour le
développement économique et social,
inscrits dans le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP). Il
rejoint les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), surtout celui
visant de réduire de moitié jusqu’à l’horizon 2015 le nombre de personnes
souffrant de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Cet objectif est
repris et adapté par le GRULAC à travers le GT-2025 qui prône : « l’éradication
de la faim dans la
Région Amérique Latine et Caraïbes en 2025 » C’est un défi majeur pour tous les
gouvernements, en particulier ceux en situation de sous-développement et
classés parmi les PMA comme Haïti[9].
Actuellement, le
PNSAN est en phase de réactualisation. Ce processus est en cours depuis 2015.
Il est articulé, à partir d’une démarche participative et inclusive axée, entre
autres, sur un principe directeur, «
la production nationale d’abord », partant des communes en passant par
les départements jusqu’au niveau national, autour de 3 catégories de documents,
les plans communaux (PCSAN), les plans départementaux (PDSAN) et le plan
nationale (PNSAN). Ce qui devrait se traduire par 30 plans communaux, 10 plans
départementaux et un plan national. Malheureusement, on devrait se contenter de
quelques plans communaux faute de temps, des 10 plans départementaux et du plan
national. Le mois de juin devrait couronner la fin du processus d’élaboration
et de validation.
La PSNSSANH, qui « est une condition sine qua none pour orienter la mise en œuvre
d’interventions (mesures et Programmes Nationaux) à même de déverrouiller le
potentiel économique et humain de la nation sur lesquels la vision d’un pays
émergeant pourra être atteinte », tourne autour de 4 axes (i) Axe
Politique traitant des questions de l’environnement dans lequel évolue la souveraineté et sécurité alimentaires et la nutrition ; (ii) Axe Opérationnel, traitant « des biens et services dont la
population a besoin, en temps normal et en situation d’urgence suite à un choc,
pour l’atteinte de la souveraineté et sécurité alimentaires et la nutrition » ;
(iii) Axe Institutionnel traitant « du
renforcement des institutions et des capacités nationales nécessaire à la bonne
mise en œuvre de la PSNSSANH », et (iv) Axe
Transversal traitant « des
questions transversales tels que l’aménagement du territoire, le genre et la résilience ».
« La finalisation
de la PSNSSANH a été accélérée par la nécessité d’institutionnaliser les
actions SSAN de la Caravane du Changement et d’aligner ces actions sur les
Objectifs de Développement Durables, en particulier l’ODD 2 « Faim Zéro ».
Caravane du Changement.2017-2018
Les premiers documents de cette
nouvelle stratégie innovante et globalisante
remontent à Mars 2017, Programme d’aménagement dans la Vallée de
l’Artibonite, la première version de la note conceptuelle, et l’opération coup de poing au niveau de la
Vallée. Ce qui a permis le lancement des premières opérations dans le cadre de
la caravane le 1er Mai 2017 dans la Vallée de l'Artibonite.
De cette date à aujourd’hui, il a été élaboré, entre autres, le document de
synthèse des plans d’action départementaux. Actuellement la caravane, dont le
premier objectif se formule ainsi : « Réaliser les actions
visant la refondation de l’Haïti de demain, plus équitable, fondée sur le
droit, le partage, la solidarité, l'éducation, le respect de l'environnement et
le culte du bien commun, avec accent particulier sur la sécurité alimentaire et
nutritionnelle dans ses quatre (4) dimensions, disponibilité, accessibilité,
sécurité alimentaire et nutritionnelle et stabilité »,
s’étend sur l’ensemble
du pays à partir d’une approche multisectorielle basée sur l’utilisation des
directions déconcentrées et décentralisés des secteurs. Les 17 axes
d’intervention sont en harmonie partiellement avec la PSNSSANH et englobent les
axes d’intervention retenus dans les PDSAN départementaux.
« En tant que
stratégie, elle prend forme et se renforce au fur et à mesure qu’elle se
développe. Tout en étant ferme dans ce qui définit ses objectifs, elle reste
flexible et souple dans la mise en place de ses moyens d’action, car elle peut
éveiller des consciences, elle peut contribuer à redéfinir les besoins et,
élargir la distance entre les moyens et les aspirations qu’elle aura elle-même
créées, tous les groupes d’une société n’évoluant pas au même rythme[12] ».
L’articulation des trois processus
de la SAN
Les trois processus évoqués plus haut ont
démarré à des dates différentes. Au départ en 1996, le PNSAN, qui s’était
aligné au document stratégique de l’Etat en vigueur à l’époque, s’est vite
collé au document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de
la pauvreté (DSNCRP), qui va se transformer, après le tremblement de terre de
2010, en plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti
(PARDNH) et en 2012 en plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH)
poursuivant l’objectif de faire d’Haïti un pays émergent en 2030. Les deux autres processus, le
PSNSSANH 2012 et la Caravane 2017, vont faire la même chose en s’alignant sur
le PSDH, les ODD, les politiques et stratégies sectorielles, pour l’atteinte de
cette vision de pays émergent. Avec le mot d’ordre de l’administration actuelle
de « continuer, corriger et
Innover[13] »,
il n’a pas été difficile d’articuler les trois processus. Ce qui fait que les
actions entreprises dans l’un ou l’autre processus seront bénéfiques aux trois
et à Haïti.
Toutefois, « L’atteinte
de la vision du PSDH nécessite une rupture avec les politiques commerciales, le
profil tarifaire et la politique budgétaire actuelles qui sont les sources
mêmes de la pauvreté, de la faim et de la malnutrition affectant la majorité de
la population du pays », Selon la PSNSSANH. « D’un point de vue opérationnel, la PSNSSANH se traduit par 35
Mesures et 25 Programmes Nationaux, qui, si mis en œuvre de façon coordonnée et
concertée sur l’ensemble du territoire, sont à même de permettre au pays
d’atteindre les Objectifs du PSDH, du Développement Durable (ODD), de la
souveraineté et sécurité alimentaires et de la nutrition ». D’où la
nécessité d’une imbrication intra-sectorielle des actions d’urgence, de
relèvement et de développement, de leur articulation intersectorielle et de
leur intégration à l’action gouvernementale pour maximiser leurs effets et
impacts sur la vie du peuple haïtien, comme l’ambitionne la caravane du
changement.
Le principe de continuité de l’Etat
et le développement d’Haïti
Au risque de nous répéter, ces trois processus,
la PSNSSANH et le PNSAN en phase de validation, la Caravane du Changement en
phase de mise en œuvre, avec les résultats encourageants déjà enregistrés,
exécutés et à exécuter dans le cadre d’une
imbrication intra sectorielle des actions avec la participation de l’ensemble des acteurs d’un
secteur, articulés d’un secteur à un autre
dans le cadre d’une bonne intégration à l’action gouvernementale,
devraient grandement contribuer, selon le principe de continuité de l’Etat,
comme cela a été le cas pour le barrage hydro électrique de Péligre, à l’émergence
d’Haïti à l’horizon 2030 et à l’autosuffisance alimentaire avec un taux de
souveraineté alimentaire de 88%. Pour
cela, les partis politiques qui aspirent à diriger le pays et ceux-là qui sont
actuellement au pouvoir, devront placer l’intérêt national au premier plan et s’arranger,
dans le cadre d’une grande concertation nationale[14]
et selon toujours le principe de continuité de l’Etat, de continuer les actions de
développement entreprises, de les corriger au besoin et d’aboutir à cette bonne
gouvernance, la seule porte de sortie pour le développement du pays. Est-ce
trop lourd pour les épaules des héritiers de Jean-Jacques Dessalines le Grand?
Sommes-nous devenus trop nains par une sorte de dégénérescence mentale pour
nous dépasser et refaire le Congrès de l’Arcahaie, cette fois-ci, pour gagner la
bataille du développement et l’indépendance économique ?
[1] Commission National de Sécurité alimentaire
[2] Les plans d’action départementaux ont été l’objet de validation dans
des séances organisées par les Délégués appuyés par la cellule de pilotage de la
caravane (La CASDA)
[3] Compte rendu la retraite
gouvernementale 11-12 Mai 2018 organisée par le MPCE et la CASDA-
[4] Sommet
Mondial de l’Alimentation 1996
[5] IFPRI (1995)
[6] Forum
mondial sur la souveraineté alimentaire à Sélingué en 2007
[7] PSNSSANH 2018
[8] Notre conceptuelle de la caravane du changement.
Transformer l’Etat pour transformer la société- Version Avril 2018
[9] Réf. PNSAN 2010-2025 MARNDR 2010.
[10] Riz, huile, farine, maïs,
haricot.
[11] CDES, 2016.
[12] Note conceptuelle de la Caravane du Changement. Version Avril 2018.
[13] Discours de campagne du Président Jovenel Moise.
[14] Pourquoi pas les Etats Généraux Sectoriels de la Nation (EGSN) ?