SEPT
(7) HEURES D’EMBOUTEILLAGE POUR ÉCOUTER, OBSERVER ET MIEUX APPREHENDER NOTRE
SITUATION ACTUELLE
JEAN-ROBERT
JEAN-NOEL
10
AVRIL 2014
Ce vendredi 4 avril
2014, j’ai vécu une aventure ahurissante en Haïti. De 2.45 h pm à 9.46 Pm, j’ai
été pris dans un embouteillage monstre sur une vingtaine de kilomètres de
Delmas 31 (Delmas) à Duval 24 (Croix-des-Bouquets).D’où le titre de mon
article : « Sept (7) heures d’embouteillage pour écouter et observer
et mieux appréhender notre situation actuelle ». Certes, être pris dans un
embouteillage de sept heures est plus que contrariant, mais que de choses on
apprend en écoutant et en observant pour mieux expliquer notre situation de
peuple !
« Gouvernement de couverture, de petits copains,
la militarisation du gouvernement »…
Lorsqu’on est dans
un embouteillage, on s’ennuie, on s’énerve, on s’amuse avec son téléphone
potable, on écoute de la musique, on envoie des SMS, on en profite pour faire
certains coups de fil utiles (socialisation et professionnalisme), et on
réfléchit aussi. Bref, on s’arrange comme on peut pour tuer le temps.
J’ai passé en revue
certaines stations de radio, Radio Caraïbes, radio Vision 2000, radio Scoop Fm,
etc. En fin de compte, je me suis arrêté sur Radio Scoop FM de 3h à 5h PM, sur
Vision 2000 de 5h à 6h PM et sur radio Métropole de 6h à 9h 45 PM.
J’ai appris que les
partis politiques de l’opposition et
même ceux-là qui ont pris part aux pourparlers inter-haïtiens sont généralement
défavorables au « gouvernement d’ouverture et d’efficacité » mis en
place dans le cadre de l’accord du 14 mars 2014. Il faut le signaler en passant
que ce gouvernement est mis en place dans les délais impartis contrairement au
Sénat qui n’a pas voté les amendements de la loi électorale de 2013 comme l’a fait la veille la Chambre Base. Ce
gouvernement est qualifié de tous les noms sauf d’ouverture. « Gouvernement
de couverture », « gouvernement de petits copains », « la
militarisation du gouvernement » avec la présence de beaucoup d’anciens
militaires, etc.
Le débat entre André Michel du MOPOD et Sauveur
Pierre-Etienne de l’OPL
Me André Miche a
essayé de faire croire sur Scoop FM, « Haïti en débats », que tous
les partis politiques qui ont paraphé l’accord Del Rancho sont automatiquement
des alliés du pouvoir en place. Il a affirmé que la bourgeoisie traditionnelle
aurait décidé lors d’une rencontre de ne financer aucune personne et aucun
parti de tendance peuple et/ou de classe moyenne. Pour faire face à cette
stratégie de la bourgeoisie traditionnelle
qui ne représenterait que 3% de la population, les 97% restant devraient
financer avec ses maigres moyens le
MOPOD et ses alliés aux nouvelles élections prévues à la fin de cette année.
Garry Pierre-Paul-
Charles, le principal animateur de l’émission, a rétorqué qu’il connait des
gens de cette bourgeoisie traditionnelle qui financent des œuvres sociales en
relation avec le peuple et la classe moyenne (l’exemple de la
Croix-des-Bouquets). Selon lui, c’est peut-être une frange de cette bourgeoisie
proche du pouvoir en place qui aurait pris cette décision. Ce ne serait pas
l’ensemble. Ce qu’a récusé Me Michel en affirmant que c’est l’exception qui
confirme la règle. Il a insinué en bon avocat que l’exception qu’a introduite
Garry n’a fait que confirmer l’information qu’il a donnée.
Quant à Sauveur
Pierre-Etienne, Président de l’OPL, appelé à la rescousse par G.
Pierre-Paul-Charles, il a balayé d’un revers de main la théorie de Me Michel en
utilisant l’approche de l’interpénétration des classes sociales, en faisant
appel à une série de théories en relation avec la sociologie politique pour
démentir Me Michel et démontrer que la bourgeoisie ne saurait en aucun cas
faire ce choix pour la bonne et simple raison qu’elle cherche toujours à
utiliser les pouvoirs en place pour
régler ses affaires. Un tel choix serait suicidaire.
Un gouvernement HIMO pour affronter les difficultés
actuelles et futures…
Les émissions de
nouvelles de Vision 2000 et de Radio Métropole ont confirmé le rejet du « gouvernement
d’ouverture et d’efficacité » par la totalité des partis politiques qui
n’en n’ont pas fait parti. C’est un gouvernement de 23 ministres et 19
secrétaires d’Etat avec le retour très remarqué de Mme Marie-Carmelle
Jean-Marie au ministère de l’Economie et des Finances. Certains ont vu du
gaspillage de l’argent de l’Etat, alors que le Pouvoir en place aurait du
mettre en place un gouvernement d’austérité. D’autres s’interrogent sur la
capacité de ce gouvernement à faire face à toutes les difficultés. De toute
manière, c’est un gouvernement HIMO pour affronter ces difficultés actuelles et
futures : la sécheresse, l’insécurité alimentaire (600,000 personnes en
insécurité alimentaire aigue selon le PAM), la vie chère, le chômage, le manque
de financement interne et externe, la dépréciation de la gourde qui a franchi
le cap de 45 HTG pour 1 USD, le manque de financement de la campagne agricole
de Printemps alors que la campagne d’hiver n’aurait réussi qu’à 50/60%, les
inondations de certaines zone liées aux premières pluies d’avril 2014, la
gestion de la saison pluvieuse et de la saison cyclonique, l’organisation des
élections, les manifestations de l’opposition, l’hostilité du Sénat, le
détention préventive prolongée, etc. Malgré tout, les nouveaux arrivants au
gouvernement promettent de faire de leur mieux pour satisfaire la confiance
placée en eux par le Président Martelly et le Premier Ministre Lamothe.
L’Embouteillage
Enfermé dans mon
micro climat de ma vieille Terracan (Hyundai) et regardant les 3 lignes de
voitures montant et les passants qui ont décidé de laisser les tap-tap
(transport en commun) pour continuer à pied à travers cette boue asséchée se
transformant en une poussière couleur d’argile blond sale, ma voiture est
dépassée par des centaines de gens qui marchaient et des motocyclettes qui se
faufilaient à travers les lignes de voitures. Tous ces gens sont du peuple et
de la classe moyenne pauvre, des étudiants sac au dos qui se distinguaient
parfois difficilement de certains travailleurs utilisant les mêmes sacs mais
ayant en main une truelle, une pelle, un niveau de maçon. Souvent, j’ai fait du
surplace durant plus d’une trentaine de minutes, malgré la présence de certains
policiers à visage recouvert de cache-nez et en uniforme. De temps à autre des sirènes
vrombissaient, la police, les ambulances ou les véhicules officiels qui
franchissaient en montant la seule ligne descendante, les véhicules qui
suivaient ceux de la Police. D’autres voitures laissaient l’embouteillage pour
les suivre un moment et gagner quelques mètres. Des motos aussi faisaient la
même chose. J’ai bravé un peu la poussière en descendant ma vitre gauche pour
entendre le son de la rue. Je l’ai vite remontée pour observer de l’intérieur
de ma voiture ce qui se passait dehors. Il y a tout sur cette grande artère
construite après 1995 (Super Market, Parc Industriel, Restaurants, boutiques,
magasins de matériaux de construction, stations d’essence, etc.). Que de progrès
en moins de 20 ans ! Entre temps, le soleil descendit à l’horizon et de
plus en plus de gens marchaient, les pieds recouverts de poussière. Ils
marchèrent vite et décidés comme s’ils avaient peur du noir qui s’annonçait.
Je regardais l’horloge de la voiture. Elle marquait 7h PM.
C’est l’heure de la musique sur Métropole. Juan Manuel Nova animait. Je
constatai que je n’ai parcouru que les ¾ de ma route. Là je profitai du passage
d’une voiture de la police pour faire un peu de désordre. Cela m’a permis de
gagner 1km. Je me faufilai dans un espace à peine plus grand que ma voiture. Un
camarade m’a laissé entrer dans une des deux lignes. Et je me disais,
« alors mon pote plus de désordre, tu vas suivre le rythme normal de
l’embouteillage ». Une dame bien élancée, assez grande comme je les aime,
doublait ma voiture. Elle marchait d’un pas décidé et pourtant avec une grâce
de reine malgré son quart de talon. De dos elle était parfaite, un corsage vert
pâle prolongé par un pantalon noir et sa valise noir pendait à l’épaule droite.
Elle disparaissait dans le noir quelques mètres plus loin. J’étais un peu
nostalgique de cette belle image. J’avançais lentement. Je me disais qu’à ce
rythme je vais arriver à 8.30 PM à la maison. Entre temps, j’ai du appeler ma
femme qui vit à Georgia, USA, à partir de mon téléphone portable
pour lui dire qu’aussitôt arrivé à la maison je la rappellerai. Je lui ai
expliqué l’aventure que j’étais en train de vivre. Un bruit de musique sur ma
droite m’interpella. Deux jeunes avec
des pantalons au ras de derrière dansaient à tue tête sur un rythme que
je ne connais pas. Ils étaient heureux sous cette lumière un peu blafarde qui
déchirait le noir. Je regardais à nouveau l’horloge. Il était 9h PM. Il m’a
fallu trente minutes de plus pour arriver sur le pont de Tabarre. Je me disais
qu’à ce rythme j’arriverais à 10 H Pm à la maison si je devais suivre le
parcours normal.
C’est à ce moment
que je me souvenais de cette petite route découpée qui pourrait m’emmener à la
maison. Lorsque j’ai laissé le pont, je me faufilais à droite jusqu’à atteindre
cette petite route. Si l’entrée de la route est normale, dans la zone habitée
qu’elle traverse, elle fait à peine 4 m de large, tortueuse, boueuse, avec des
trous par endroits. Les phares de ma
voiture déchiraient la noirceur. Il n’y avait pas âme qui vive. Je suivais la
route plus par instinct que par raison. Lorsque j’étais Directeur de Cabinet du
Premier ministre Latortue, mon chauffeur et mes gardes de corps l’empruntaient
des dizaines de fois. Mais jamais je l’avais empruntée seul. Nécessité
obligeait, je conduisais avec prudence mais à un rythme au moins 50 fois supérieur
par rapport au rythme qui m’’etais
imposé quelques heures plus tôt. C’est à
ce moment-là que je me suis rendu compte qu’il pleuvait à petites gouttes depuis
au moins une trentaine de minutes. En tout cas, je n’étais pas trop loin de
chez moi. Et j’avais cette sensation de sécurité accompagné de radio Métropole
qui passait le journal « dènié ralé » ; ils ont pratiquement
repris les grands titres traités dans le Journal de 6h PM. D’un coup, je me
retrouvais devant cette grande barrière crème. J’ai poussé un ouf de
soulagement lorsque le garçon a ouvert la barrière. Il était 9h 46 pm. J’aurais
pu faire un voyage aller-retour Port-au-Prince-New-York, pensai-je! Mais que de
choses j’ai pu observer en 7 heures d’embouteillage!
Qu’est-ce qui nous étonne… ?
En conclusion,
certes nous vivons dans une zone métropolitaine infernale qui s’étend de plus
en plus à l’horizontale et qui a la densité de population la plus forte au km2
de notre pays (Réf. http://lesmeilleurstextes.blogspot.com/2014/04/le-metropolocentrisme.html)
, certes nous n’avons pas assez de route, certes notre service de circulation
est défaillant, certes nous sommes des égoïstes, des indisciplinés, mais un
peuple discipliné qui respecterait les lois de la circulation même sans la
présence suffisante des policiers aurait franchi cette vingtaine de km en moins
de 7 heures de temps. Comme nous nous battons pour tout et même pour des
broutilles, le résultat est là. C’est plutôt mental. Nous ne cédons pas un
pouce de terrain à l’autre ; résultat : le terrain est mal occupé
donc mal géré. Qu’est-ce qui nous étonne donc par rapport à la situation
actuelle de notre pays? Reformatons les nouvelles générations pour sauver notre
pays. C’est peut-être cela qui motive, de manière inconsciente ou consciente,
un groupe privé et le Gouvernement, à organiser cette semaine parallèlement « la
semaine de la finance » avec le
Group Croissance en mettant un accent particulier sur la finance
municipale (décentralisation), et surtout « les assises sur la qualité de l’éducation »
avec le ministère de l’Education nationale. Et le nouveau ministre de l’Education,
M. Nesmy Manigat, de nous sortir ce
proverbe africain : « Pour qu’un enfant grandisse, il faut tout
un village ». Sommes-nous, enfin, en train de reformater correctement ce
village Haïti? Peut-être pas correctement, mais, en tout cas, la voie de l’éducation
choisie est incontestablement la
meilleure !