HAITI, DIALOGUE POLITIQUE SUR FOND DE
KIDNAPPING ET DE L’INSECURITE
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
1er
FEVRIER 2020
L’année 2019 s’est achevée sur une accalmie politique sur fond de
kidnapping, qui avait pris de l’ampleur durant la 2e moitié du mois
de Décembre. C’était une année d’ouragan politique qui s’est traduit par un
taux de croissance négatif (-1.2%)[1]
selon le FMI, (-2%) selon le grand argentier du pays, Joseph JOUTHE, qui prévoit
un taux de croissance du PIB de (0.2%)[2]
pour 2020 contrairement à la Banque Mondiale qui prévoit une décroissance de
(-1.4%).
Après la constatation de la caducité du Parlement par le Président
Jovenel Moïse, la révocation de Me Claudy Gassant comme Directeur de l’ULCC
juste après une journée porte ouverte applaudie par le Président lui-même, les
bandits se font de plus en plus arrogants, tant au niveau de Martissant que de
Carrefour Pèye et au niveau de la Croix-des-Bouquets, au point que la
Police ait décidé, en fin de compte, d’émettre
des avis de recherche contre des grands barons les plus connus des gangs.
Le mois de Janvier 2020 a vu une augmentation du kidnapping et de
l’insécurité se traduisant par des crimes odieux et spectaculaires (19
personnes tuées par balles dont 4 policiers dans la zone Métropolitaine et
plusieurs autres à travers le pays, selon une organisation des droits humains
(CJLAP). Quant au kidnapping, il s’oriente, ces derniers jours, vers des religieux, 3 prêtres et une
religieuse kidnappés, selon Luko Désir de Radio Télé Eclair, Emission du 31 Janvier 2020.
Il faut signaler la libération de ces religieux aux dernières nouvelles, contre
rançons ou pas (?)
C’est dans ce contexte que le Comité Haïtien d’Initiative Patriotique (CHIP)
a lancé, le 29 Janvier 2020, le dialogue inter-haïtien, à la Nonciature
apostolique, avec l’appui du Bureau Intégré des Nations unies Pour Haïti (BINUH)
et de l’OEA, dont l’objectif est d’aboutir à un accord politique pour sortir le
pays de la crise.
Il faut noter que, dès le début de l’année 2020, le 1er
Janvier, le Président J. Moïse n’a pu se rendre aux Gonaïves, défié par
l’opposition politique. La célébration officielle de la date de l’indépendance
d’Haïti a dû se faire au Palais National. Le Président en a profité pour
inviter ses opposants au dialogue comme il le fait à chaque prise de parole
publique depuis plus d’un an. Parallèlement, l’opposition a transformé en
manifestation anti-gouvernementale les funérailles d’un militant politique aux Gonaïves. Il faut signaler que les
bandits de Savien avaient pris des dispositions pour perturber la circulation
vers le grand Nord du pays au niveau de Carrefour Pèye dès le 30 Décembre 2019
jusqu’au 2 Janvier 2020. Ce qui a empêché la plupart des originaires du grand
Nord de s’y rendre, pour se ressourcer, dans leurs villes et villages à la
faveur des fêtes de fin d’année et du nouvel an.
Le Président au four et au moulin
Durant le mois de Janvier 2020, le Président de la République, J. Moïse,
(i) a globalement repris le contrôle du pays, (ii) a effectué un certain nombre
de visites dans le grand Sud et dans le grand Nord, inaugurant la mini centrale
solaire de Tiburon, inspectant les travaux d’avancement de l’Aéroport des Cayes
(agrandissement piste d’atterrissage), inaugurant le centre semencier du
Nord-Est, inspectant les travaux de route de liaison Vallières-Mombin Crochu
(percée pour la première fois) où il a déclaré « ne pas avoir un boulevard
devant lui » comme on se plait à le dire après le constat de la caducité
du Parlement et qu’il voudrait entamer le dialogue avec ses opposants pour
sortir le pays de la crise, (iii) a continué le « dialogue communautaire »
initié en Décembre 2019, cette fois-ci au niveau de Kenskoff où il a déclaré,
entre autre, que « c’est fini la transition » et a invité ses opposants
à « aller aux élections »[3].
Le Parlement « caduc » ou « dysfonctionnel »
Dans un autre registre, le constat, le 13 Janvier 2020, de la caducité
du Parlement, lui a valu des démêlés judiciaires avec les 9 sénateurs, élus
dans les élections législatives de 2015, et qui estiment que, selon le décret
électoral de 2014, leur mandat ne prendrait fin qu’en 2022 contrairement au
Palais National qui croit que,
Constitution à l’appui, le mandat de ces sénateurs a pris fin le 13 Janvier
2020. Quant au Conseil Electoral Provisoire (CEP), sollicité dans le cadre de
ce conflit par les Sénateurs déchus, il s’est déclaré incompétent[4].
Le parlement est donc réduit à 10 Sénateurs présidés par le Sénateur
Sildor du Sud, la Chambre des Députés étant arrivée à son terme le 2e
lundi de Janvier 2020. Le Parlement est donc « caduc », selon le
pouvoir en place,
« dysfonctionnel », selon certains parlementaires. Question
sémantique et de gaspillage d’énergies. Le parlement n’a pas fonctionné depuis
son badigeonnage par des matières fécales par des partisans des Sénateurs de
l’opposition et des scènes dignes d’un film de cowboy animées par deux
Sénateurs proches du parti au pouvoir, dont l’un a blessé, « par
accident » selon le mot du Sénateur Dumont, un partisan et un journaliste-photographe,
et l’autre, l’arme au poing, menaçait les partisans de l’opposition qui le
chahutaient.
De fait, le Parlement était déjà
dysfonctionnel à cause des questions de rivalités politiques responsables, en
grande partie, de la situation actuelle du pays, aggravée par l’ouragan
politique dû aux trois moments de « Peyilok » de 2019 et, un peu plus
tôt, des événements découlant des émeutes des 6,7 et 8 Juillet 2018, liées à
l’augmentation ratée des cours du carburant. Cette subvention des produits
pétroliers par l’Etat constitue un manque à gagner et une contrainte au
financement des activités de développement pour le pays. Tôt ou tard, il
faudrait y remédier et ne plus en faire une thématique politique. Il y va du
fonctionnement normal du pays perturbé depuis des années par la question du
carburant contrairement à d’autres pays de la
région qui ont résolu ce problème.
Le dialogue inter haïtien à la Nonciature Apostolique
Par rapport
au dialogue en cours pour sortir le pays de la crise politique à la Nonciature
apostolique, voici le compte rendu du Journal Le Nouvelliste par rapport à la
première journée : « Trois signataires de l’accord de Marriott sur cinq,
à savoir Mache kontre, la société civile, le Bloc démocratique, et les
signataires de l’accord de Kinam ont pris part à la première journée du
dialogue politique. Des partis politiques signataires d’aucun accord comme le
RDNP, KONA, INIFOS et Palmiste y ont participé aussi. Pour le Palais national
il y avait Rénald Lubérice, secrétaire général du Conseil des ministres, Jessy
Ménos et Jude Charles Faustin, conseiller du président de la République.
Figuraient également la Fédération protestante, la Conférence des évêques de
l’Eglise catholique, entre autres ». « La cheffe du Bureau
intégré des Nations unies pour Haïti (BINUH), Helen La Lime, le représentant de
l’OEA et le représentant du Vatican ont participé à l’ouverture des
négociations, mais n’ont pas participé aux discussions, ont fait savoir au
Nouvelliste plusieurs sources ayant pris part à la rencontre ».« À
l’issue de cette première journée de discussions, sont formulées des propositions
qui vont dans le sens d’un accord politique même si celles-ci ne sont pas
identiques. Tous les participants sont pour trouver un accord politique », a rapporté
au Nouvelliste le professeur Victor Benoît du Bloc démocratique, signataire de
l’accord de Marriott.
La 2e journée s’est
achoppée[5], selon les médias, sur la
démission du Chef de l’Etat ou la réduction de son mandat et la formation du
gouvernement. Les débats auraient étaient très houleux : les représentants
de la présidence et les représentants de l’accord de Kinam étaient en face de
ceux de l’accord de Marriott. Ce qui est normal. Il ne pouvait pas être
autrement. En fin de compte, ils se sont rabattus sur la feuille de route du
prochain gouvernement, laissant de côté les sujets qui fâchent et espérant
déboucher sur « un accord ou un
miracle », selon les propos de certains acteurs sous couvert de l'anonymat,
a rapporté le Journal Le Nouvelliste
sous la plume de Robenson Geffrard.
Selon
un tweet de R. Geffrard @robbygeff , « 12
heures de discussions entre les acteurs politiques à la Nonciature apostolique !
Les acteurs sont déjà d’accord sur la formation d’un gouvernement. Ils
négocient maintenant sur la réduction du mandat de Jovenel Moïse, selon un
membre de la société civile qui participe aux négociations. »
Le
miracle n’a pas eu lieu. Le dialogue est un échec. La présidence n’a pas
accepté la réduction du mandat du Président Jovenel Moïse, selon le Nouvelliste :
« Après trois longues journées de négociations, les acteurs politiques
haïtiens n’ont pas pu arriver à un accord. Une solution concertée de sortie de
crise n’est pas pour demain. C'est sur l'impossibilité de s'entendre sur la
question de la réduction du mandat du président de la République, que les
participants ont constaté leur désaccord aux environs de 2 heures du matin,
samedi 1er février après trois journées de négociations politiques à la
Nonciature apostolique[6] ». En tout cas, si on lit entre les
lignes les extraits du communiqué du Gouvernement et de celui du « Core
Group », rapportés par Le Nouvelliste, les portes ne sont pas totalement
fermées pour déboucher sur un accord dans le cadre d’un éventuel autre round de
négociations.
Nécessité d'un second Round de négociations
C’était
une bonne chose de s’asseoir ensemble dans une conjoncture aussi difficile. Quand
on voit la tournure que prennent le kidnapping et l’arrogance des bandits, il
faudrait rapidement que les politiques se mettent d’accord sur quelque chose
pour Haïti et non pour leur clan respectif, avec ce leitmotive : Haïti d’Abord et Avant Tout. Les
accusations qui veulent faire croire que les deux camps alimentent la situation
d’insécurité et de kidnapping, devraient leur permettre de s’entendre pour
montrer qu’ils n’y sont pas impliqués et qu’ils veulent à tout prix sortir le
pays de cet enfer, « aucun sacrifice n’est trop grand pour Haïti »,crient-ils
à longueur de journée. Prouvez-le !
L’opposition
politique s’insurge contre cet état de fait et programme une manifestation pour
le 7 Février 2020, le jour du 3e anniversaire de la prise de pouvoir par
Jovenel Moïse. En voilà une occasion, une opportunité même, pour tout le monde
de se mettre ensemble contre ces bandits qui rendent le pays invivable, au lieu
de s’accuser mutuellement d’entretenir cette situation qui nuit surtout au
peuple haïtien. Il ne faudrait pas que ce soit un prétexte pour une reprise des
manifestations anti-Jovenel Moïse vers une autre forme de « peyilok ».
Ce serait dommage !
J’avais
terminé mon « bilan de l’année 2019 et perspectives 2020 [7]» sur la nécessaire et
indispensable concertation entre nous. Les discussions entre la plupart des
acteurs politiques à la Nonciature Apostolique ont été en soi un bon début. Il
faudrait rapidement reprogrammer un second round de négociations pour déboucher
coûte que coûte sur un accord politique[8], ce serait le plus beau cadeau que nos
politiciens pourraient offrir au peuple haïtien
et à notre pays en ce début d’année 2020, où le coronavirus menace la planète
entière.
[8] Qui prendrait en compte les
recommandations de ce « Bilan 2019
et Perspectives 2020 », en totalité ou en partie.
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