HAITI:"JOVENEL MOISE
NE PEUT PAS ETRE PRESIDENT"
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
28 NOVEMBRE 2015
L'État islamique (EI) met le
monde à feu et à sang: les attentats de Paris (130 morts), les attentats au
Liban, au Mali, en Tunisie. Tout ceci, à la veille de la COP21 (21e Conférence des
Parties de la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques)
qui aura lieu à Paris du 30 novembre au
11 décembre 2015, avec la participation
des principaux Chefs d'Etat du monde dont M. Obama des USA. En Haïti, la
zone métropolitaine de Port-au-Prince s'enflamme, compte ses morts et ses blessés
(3 morts à date dont 1 policier et des blessés dont 2 candidats à la présidence)
et le reste du pays est globalement calme et dans l'expectative, suite (i) aux
résultats préliminaires; (ii) à la vérification des vote au niveau du centre de
tabulation obtenue par Maryse Narcisse contestant sa 4e position et un autre
candidat contestant le nombre de votes qui lui est attribué par le CEP, à
noter que cette vérification résulte du
jugement en leur faveur par le bureau du contentieux électoral national (BCEN) et
confirme les suspicions de fraudes
massives et d'irrégularités dans le processus électoral, et (iii) aux résultats
définitifs des élections du 25 octobre 2015 conduisant à l'élection des maires
(un seul tour), des députés et sénateurs (2e tour), et à un deuxième tour controversé
de la présidentielle prévu pour le 27 décembre 2015 entre Jovenel Moïse, candidat
du pouvoir en place, et Jude Célestin, l'un des contestataires du Groupe des
huit candidats, le G8, qui exige l'exclusion du candidat du pouvoir de la
course électorale prétendument être l'unique bénéficiaire des fraudes massives.
Maryse Narcisse et les partisans de la
table rase ou Front du refus également.
Cette alliance de l'opposition
contre le candidat J. Moise peut-elle l'empêcher de devenir président, soit par
son exclusion de la course électorale, soit par sa défaite au deuxième tour, si
deuxième tour il y en aura? Avant d'essayer de répondre à cette double
interrogation, voyons certains faits saillants du mois de novembre 2015.
A. FAITS
SAILLANTS DU MOIS DE NOVEMBRE 2014
Le pape de la
sécurité alimentaire en Haïti, Garry Mathieu , est décédé à 50 ans
Quelle qu'en soit la réponse
à cette double question, la situation du pays se complique davantage
(politique/économie). Nos politiciens ne se rendent même compte. Le dollar a
tendance à déraper par rapport à la gourde. L'inflation aussi. Malgré les
pluies, la situation de la sécurité alimentaire pour les prochains six mois ne
s'annonce pas rose. Justement, le pape de la sécurité alimentaire en Haïti, le
fameux agronome, Pierre Garry Mathieu est décédé à New York, Manhattan, le 22
novembre 2015, à l'âge de 50ans. Le coordonnateur de la commission nationale de
la sécurité alimentaire (CNSA) est foudroyé par un cancer du pancréas qui ne
lui a laissé aucune chance. Haïti, la tourmentée, pleure l'un de ses plus beaux
esprits après la disparition de l'Agr Henriot Nader. Le ministère de
l'Agriculture pleure l'un de ses fleurons, car la CNSA est sous la tutelle du
Ministre de l'Agriculture.
L'étude de la
Banque interaméricaine de développement (BID) sur le secteur agricole, une
vraie découverte
Justement, le Ministère de
l'agriculture, des ressources naturelles et du développement rural (MARNDR) et
la BID ont organisé un atelier de restitution et de complémentarité sur une
étude du secteur agricole, du 18 au 20 novembre 2015, avec la participation
d'une cinquantaine de cadres du MARNDR (structures centrale, déconcentrée, et
décentralisée), de la BID, du secteur privé (petit et gros), du Comité
interministériel de l'aménagement du territoire (CIAT). "L'Etude exhaustive
et stratégique du secteur agricole et des investissements publics requis pour
son développement", menée de main de maitre par CIRAD-FRANCE, a fait un diagnostic très
sérieux et sans complaisance de la situation du secteur agricole par
rapport à la situation globale du pays et la situation internationale.
L'atelier s'est réalisé en six grands moments, (i) Présentation succincte des
15 chapitres du document; (ii) Présentation des trois (3) scénarii, a) le statu
quo actuel fait de saupoudrage qui pourrait être qualifié d'Etat ONG, b) un
Etat fort à la manière de Rwanda, d'Ethiopie,
d'Equateur, de Bolivie, et de Venezuela, c) un Etat incitateur,
régulateur combinant les éléments prometteurs
des deux premiers et ses éléments propres (l'idéal quoi !); (iii) Organisation
Atelier-Restitution, un double atelier-restitution sur des questions clés sur
lesquelles ont réfléchi quatre groupes: le secteur privé, le MARNDR central, le
MARNDR déconcentré, le Groupe en appui au Parlement, réfléchissant sur des propositions thématiques et des mesures de politiques publiques et leur
viabilité environnementale, socio-économique, financière, institutionnelle et
politique et le financement des ces
mesures, ces réflexions de groupes seront versées dans le dossier; (iv)
Présentation en profondeur de certains chapitres du document tard dans la
soirée comme la macro économie/ la croissance économique (PIB/HAB 1960-2014), le
flux financier, gouverner l'agriculture haïtienne autrement; ce qu'il y a à
retenir, entre autres, cette économie rentière/humanitaire ne peut favoriser le
développement du pays car " là où il y a beaucoup d'aide publique au
développement (APD), il y a moins d'investissements privés", selon un des
intervenants; (v) Une belle séance de commentaires et d'échanges sur l'atelier
et l'étude en question avec accent sur des thématiques importantes, le foncier,
la réforme du MARNDR, le fonctionnement des structures déconcentrées, en
particulier les bureaux agricoles communaux, etc.; (vi) La clôture de
l'Atelier par Gilles Damais de la BID qui
voit dans cette étude, une aide en vue de mieux définir la politique publique
du secteur agricole, tandis le Directeur Général du MARNDR, Edie Charles, voit dans
l'étude du CIRAD, "un nouvel éclairage sur les décisions à notre
portée". Cet atelier a permis de jeter un regard neuf sur le secteur
agricole à partir des données existantes et mises en relation par le CIRAD, une
vraie découverte.
B- PLACE A LA
SITUATION POLITIQUE
Et maintenant, plein feu sur la situation politique haïtienne et la
déchéance morale qui en découle. Mais tout de même une lueur d'espoir pour
garder le moral, rester positif et ne pas sombrer.
L'exclusion de Jovenel Moise de la
course électorale
Au cours de ce mois de novembre 2015, le Conseil Electoral provisoire
(CEP), a donné les résultats préliminaires et définitifs des élections du 25 Octobre 2015, le pays s'enflamme et le
sang a coulé une fois de plus. Les maires, les députés, les sénateurs sont élus
ou sont en contestation. Au niveau de la présidence, tous les principaux
candidats, y inclus Jude Celestin arrivé en 2e position (25.27%), contestent la
première position (32.81%) de Jovenel
MOISE, le candidat du pouvoir, l'accusant d'être l'unique bénéficiaire des
fraudes électorales. Mis à part FANMI LAVALAS
et un autre candidat à la présidence,
qui ont choisi la voie légale de contestation, les autres candidats choisissent
les manifestions de rue comme mode de contestation; FANMI LAVALAS aussi, donc
il joue sur les deux tableaux. Les manifestations séparées dans un premier temps
se sont vite transformées en des
manifestions regroupées, incluant tout le monde, le groupe des huit candidats
(le G8), LAVALAS et les partisans de la table rase ou Front du refus (
transition), et exigeant l'exclusion de Jovenel MOISE de la course électorale,
très certainement en souvenir des élections de 2010 où cette stratégie a
favorisé le candidat MARTELLY, actuel président d'Haïti.
... l'ampleur des fraudes
malheureusement profitables à tous
Suite aux plaintes déposées pour vérification de la sincérités du vote et
l'exclusion pure et simple de Jovenel Moïse de la course électorale par devant
le BCED qui s'est déclaré incompétent et le BCEN qui a tranché pour la
vérification du vote et non pour l'exclusion de Jovenel Moise, il s'est révélé
que 100% de l'échantillon vérifié sont soit frauduleux, soit irréguliers. Devant
l'ampleur des fraudes et irrégularités malheureusement profitables à tous ou,
tout au moins, à l'ensemble des principaux candidats, incluant Jovenel Moïse,
le G8 et Maryse Narcisse, le CEP a
décidé, après l'élimination de certains votes, de poursuivre le processus
électoral qui ne reste qu'une étape, le 2e tour de la présidentielle entre J.
Moise et J. Celestin, et les collectivités territoriales (Conseils des sections
communales ou CASEC), le 27 décembre 2015.
Mettre dehors tous les fraudeurs...ou
sauver le processus, un vrai choix cornélien
Cette décision du CEP de poursuivre avec la processus a indisposé les
puristes, ce qui est normal car contraire au décret électoral qui prévoit des
sanctions contre les fraudeurs. Selon toute logique, il aurait fallu exclure la
majorité des candidats et à tous les niveaux; car s'il y a fraudes au niveau de
la présidentielle, à plus forte raison, il y en a au niveau de l'ensemble du processus (maires,
députés et sénateurs). Mettre dehors tous les fraudeurs équivaudrait à
l'annulation pure et simple de l'ensemble du processus. Légalement, c'est ce
qui aurait dû être fait, mais politiquement, les contestataires, excepté le
Front du Refus qui est pour la table rase (annulation des élections, renvoi du
CEP, de Martelly et son administration), semblent opter soit pour l'exclusion
de Jovenel Moise, soit pour l'annulation de la
présidentielle, soit pour la nomination de l'un des trois candidats qui
viennent après Jovenel Moise, mais pas pour l'annulation de l'ensemble du
processus. Pour la présidentielle, tout le monde a déclaré l'avoir gagnée.
D'autant que une firme brésilienne a
déclaré, selon un sondage effectué à la sortie des urnes, le 25 octobre, Jovenel
Moise serait en 4e position avec seulement 6.5% des votes exprimés, Célestin
étant premier, J C Moise en deuxième et M. Narcisse en 3e position. Ce qui est
venu mettre de l'eau au moulin de ceux-là qui veulent l'exclusion du candidat
du pouvoir. Mais le CEP a choisi de violer son propre décret pour sauver le
processus électoral, un vrai choix cornélien, en dépit des protestions des uns et
de l'incompréhension des autres.
Une sorte de fatalité!
Comme à leurs habitudes, nos politiciens se mettent ensemble en général
contre quelque chose et jamais pour Haïti, la lutte pour le pouvoir, la
bataille des clans étant plus importante que tout le reste. Le pouvoir en place
parle de continuité pour renforcer les acquis, corriger les erreurs et
permettre à Haïti de continuer à aller de l'avant. L'opposition veut sauver
Haïti des griffes de ce "pouvoir corrompu" qui n'a rien foutu si ce
n'est qu'amplifier la corruption en faveur de son clan. Mais, quant il s'agit
de se mettre ensemble pour aller aux élections et faire échec à ce pouvoir,
elle y va en ordre dispersé. Elle a accusé tout l'appareil d'Etat de se liguer
en faveur de Jovenel Moise, mais ne prend aucune disposition jusqu'à date pour faire
échec au pouvoir en place si ce n'est l'organisation de manifestations de rue,
la même stratégie durant tout le mandat de Martelly. L'administration et le CEP
sont accusés de "fraudes massives", de "coup d'Etat électoral"
en faveur du candidat du pouvoir. Quand on regarde de manière objective, tout
le monde a fraudé comme l'a fait remarqué l'Ex Senateur Lambert, battu à plate
couture aux sénatoriales dans le Sud-Est, qui a eu l'élégance de reconnaitre sa
défaite. Selon l'ex-ministre de l'intérieur, Réginald Delva, parmi les votes
annulés par le CEP, "8% sont attribuables au candidat du pouvoir",
donc par déduction 92% aux autres. C'est bien triste de voir un pays recourir à
des élections frauduleuses pour renouveler son personnel politique. Et qui pis
est, nous sommes obligés de faire avec cette situation. Une sorte de fatalité!
Et les honnêtes gens comme Henry Bazin
(paix à son âme) sont partis sans avoir vu leur modèle de sérieux, d'honnêteté,
d'amour profond pour Haïti se généraliser et triompher!
Alors que faire?
Les cas de figure
Le CEP a tranché en quelque sorte. Puisque tout le monde a fraudé, on maintient
le cap vers la finalisation du processus électoral avec des "élections honnêtes,
démocratiques et inclusives". Jovenel sera opposé à Jude le 27 décembre
2015. La campagne pour le 2e tour de la présidentielle est ouverte le 26
novembre et prendra fin le 22 décembre 2015. Donc c'est la poursuite du
processus sans aucune autre forme de
procès.
L'opposition semble opter jusqu'à présent pour les manifestations de rue
au lieu de faire bloc derrière Jude Célestin en vue de canaliser toute
l'énergie de ses partisans et sympathisants vers un seul but, gagner le second
tour des élections; car mathématiquement elle est en mesure de le faire. "Cette option est impossible",
selon un observateur averti de la politique haïtienne. "Si Jude choisit d'aller au second tour, il
sera lâché par ses pairs et aura du mal à battre Jovenel", a-t-il
ajouté avec une confiance aveugle dans ses prévisions.
Au cas où Jude Célestin désisterait, on suppose que Jean Charles Moise
ferait la même chose et Maryse Narcisse, ne faisant pas partie du G8,
n'hésiterait pas à affronter seule Jovenel Moise, confiante en la force
lavalassienne (?). "Elle serait
battue, crierait au scandale et rejoindrait les autres dans les manifestations
de rue", a poursuivi mon observateur averti.
Les principaux candidats désisteraient, mais, comme en 2000 face à Aristide,
un des "petits candidats" à la
manière du pasteur Dumas J. Arnold, accepterait le pari d'affronter J. Moise
qui gagnerait sans coup férir le 2e tour. Ce sera la crise assurée tout le long
de son mandat jusqu'à sa chute avant l'heure comme en 2004.
L'opposition ferait bloc, intensifierait les manifestations, l'économie
deviendrait de plus en plus anémiée, le peuple ayant faim se mêlerait de la
partie, Martelly partirait dans le désordre. Ce sera la transition qui n'en
finirait pas avec le wait and see de la communauté internationale et tout ce que
cela comporte de retour en arrière (2004), mais cette fois-ci sans les
Alexandre, les Latortue (trop vieux) et surtout sans Ricot Bazin (décédé), qui,
on l'a reconnu un peu tard, ont fait du bon travail, en renforçant l'arsenal
législatif du pays (environ 60 décrets et autres actes législatifs) donc
initiation de la réforme de l'Etat, en permettant à l'économie de renouer avec
la croissance (taux de croissance positif, augmentation de la réserve de
change, réduction de l'inflation, taux de change stabilisé), et en organisant
des élections acceptables en 2006.
"Jovenel Moise ne peut pas être
président, en tout cas pas cette fois-ci".
En nous basant sur ces hypothèses (ces cas de figure), il est plutôt
difficile pour Jovenel Moise de devenir président, à moins que l'opposition s'entête
à ne pas parler d'une seule voix. En fait, ce qu'elle veut par dessus
tout, c'est éviter coûte que coûte la
continuité de Martelly à travers J. Moise. Elle n'a pas un problème particulier
avec la personne de Jovenel qui est plutôt un gars sympathique avec un discours
apaisant et rassembleur, mais elle veut à tout prix évincer cet
"usurpateur de Martelly", ce "vagabond"qui a osé entrer
dans l'arène politique "comme un éléphant dans un magasin de
porcelaine". En tout cas, à mon humble avis, la meilleure stratégie pour
barrer la route à Martelly, c'est de participer au second tour de la
présidentielle à travers Jude Célestin et
de manière vraiment unie, en s'organisant pour contrôler les fraudes et en
évitant de frauder (mais il faut faire vite). Ainsi, en cas de fraudes massives
du pouvoir, même gagnant, le candidat du pouvoir serait exclu si le CEP
applique, cette fois-ci à la lettre et sans état d'âme, le décret électoral.
Et, comme le souhaite l'ex-sénateur Annacacis Jean Hector, "Jovenel Moise ne peut pas être président, en tout cas pas cette fois-ci". A moins qu'il y
ait une entente entre Jovenel et les autres candidats pour partager le pouvoir
ou, à la manière de Balaguer et de Pena Gomes, pour se succéder l'un l'autre ou
les uns les autres. N'est-ce Clarens Renoit et Paul Gustave Magloire? Cette
entente suivie d'une grande concertation
nationale pour "bâtir ensemble la
nouvelle Haïti et la rendre possible" (Lucien Borges de TeleGinin
et Valérie Numa de Vision 2000) étonnerait le monde et redonnerait espoir au
pays, aux honnêtes gens qui souffrent de cette déchéance, de cette descente aux
enfers. Faut rester positif et garder le moral pour ne pas sombrer dans la
dépression collective. N'est-ce pas, Messieurs et Dames? Que Dieu bénisse Haïti!!!