HAITI, LE VRAI DEBAT (?)
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
9 OCTOBRE 2016
Revu le 14 OCTOBRE 2016
Haïti était en mode élection. La campagne électorale battait son plein. Les candidats sillonnaient le pays pour vendre leur programme. Les meetings se faisaient pour la plupart dans une atmosphère d’intolérance. Normal, puisqu’on est en Haïti ! Cela ne devrait pas. Le pays était en mode débat aussi. Télé Soleil s’est concentré sur les sénatoriales. D’autres médias sur la présidentielle avec l’aide de la société civile et du secteur privé. Un premier débat a opposé Edmonde Supplice Beauzile, Jean-Henry Céant, Jude Célestin, Jean-Charles Moïse et Jovenel Moïse, les candidats les plus en vus, moins Mme Maryse Narcisse de LAVALAS. L’arrêt 168-13 du 23 septembre 2013, qui dénationalise les dominicains d’ascendance haïtienne en majeure partie, et qui, 3 ans plus tard, est encore objet de débat et n’apporte pas de solution à ce problème d’apatridie malgré certaines mesures adoptées par le gouvernement dominicain face à la levée de boucliers au niveau international. Ajoutée à tout cela, la décision du Pdt Obama de reprendre le rapatriement des haïtiens non en règle avec l’immigration américaine. Les dispositions prises par l’administration Privert pour recevoir les rapatriés haïtiens attendent d’être mises en application. Le débat autour de la loi sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme aboutit au vote du Sénat après celui de la chambre basse. Le festival avorté des homosexuels, « le Massimadi » (massissi, madivine, des mots tabous dans le langage des biens pensants haïtiens), a été l’objet d’un débat intense sur l’homosexualité en Haïti, a failli couter son poste au commissaire Danton Léger et fait percevoir cette décision rapportée de l’administration actuelle comme une prise de position en faveur des homosexuels. Jean Charles Moïse et Jude Célestin avec son alliance avec Eric Jean-Baptiste ont fait du départ de la MINUSTAH un thème de campagne, ce qui a poussé le Président Privert à proposer à l’assemblée annuelle des Nations Unies le départ de la MINUSTAH d’Haïti pour 2017. Enfin, le grand débat c’est aussi et surtout autour du passage du cyclone Matthew de catégorie 4 sur l’échelle Saphir-Simson qui en compte 5 et la vulnérabilité d’Haïti avec son bilan partiel très lourd et le renvoi des élections sine die. D’où le titre de notre article : «Haïti, le vrai débat?»
Le bilan partiel du passage de Matthew
Le journaliste/politicien, Clarens Renois, a rapporté un bilan partiel du passage de Matthew en Haïti sur Facebook en ces termes : « véritable catastrophe pour Haïti. Le dernier bilan partiel : 122 morts, 2 disparus et 91 blessés, 115.000 familles sinistrées, 500 maisons complètement détruites, 25.000 fortement endommagées. Il faut ajouter les 178 établissements scolaires endommagés sans compter les fermes et plantations ravagées. Les dégâts sont énormes, les pertes inimaginables. Le sud et la Grand-Anse sont balayés. Le pays est meurtri, malade au cœur et au corps... ».
Selon le Figaro, un journal Français : « Le dernier bilan établi à partir des chiffres fournis par les équipes de la Protection civile sur le terrain s'élève précisément à 877 morts, mais l'agence centrale, qui met plus de temps à rassembler les informations, parle pour le moment de 271 morts et de 61.500 sans-abri. Le gouvernement avait évalué jeudi à 350.000 le nombre de sinistrés ayant besoin d'une aide immédiate ».
Les premières images sur le grand Sud montrent la dévastation de la région sous les rafales et les bourrasques de plus de 200 km/h et des pluies diluviennes de plus de 300 mm. Les arbres sont déracinés, la couverture végétale et forestière au niveau de cette région s’est pratiquement envolée comme les toits de la majorité des maisons en tôles. Valery Numa a expliqué que la zone de Camp-Perrin est totalement dévastée, églises, hôtels, maisons, arbres, plantations, bétails. D’autres sources ont parlé de possibilité de famine dans les prochains jours. Les Nippes et la région des palmes ont subi de sérieux dégâts matériels. Pour le grand Sud, le pont sur la rivière La Digue à l’entrée de Petit Goâve est coupé, le pont sur la ravine du Sud également. Les routes menant sur la côte sud de torbeck à Tiburon en passant par Port Salut, les Coteaux, Roche à Bateau, Port-à-Piment, Chardonnières, les Anglais, cette petite ville sur laquelle l’œil de Mathieu a touché terre à 7 h AM, ce 4 Octobre 2016, sont gravement endommagées. Il faut rappeler que la route nationale desservant cette sous-région côtoie la mer et est traversée par de nombreuses rivières. De l’autre côté, de Camp-Perrin à les Irois en passant par Roseaux, Jérémie, Dame Marie, Anse-D’Ainault, etc., la route en construction jusqu’à Jérémie, la route en terre prolongée jusqu’à les Irois, subissent les mêmes assauts avec la seule différence, elle est moins exposée aux marées hautes mais aux éboulements/glissements de terrains. La communication téléphonique étant encore coupée au niveau de certaines zones, on a une idée très partielle de l’ampleur des dégâts et des pertes (évaluation en cours au niveau des départements touchés).
On sait que l’Ouest à l’Est et au nord de Port-au-Prince n’a pas été très exposé, exception de Kenscoff si l’on en croit au bilan partiel présenté par le maire de cette ville. Mais les rafales de vent, l’abondante pluie (environ 250 mm en 24 heures, selon Agr. PG LAFONTANT) ont causé des dégâts à partir de la chute des arbres et des inondations au niveau de toutes les villes (chutes d’arbres), en particulier à Tabarre, Cité Soleil , Croix-des-Bouquets, Ganthier, Thomazeau (inondations) ; par contre l’Ile de la Gonâve a été durement frappée parce que très exposée.
Pour l’Artibonite, selon Télé Papillon, c’est la marée haute qui a provoqué des dégâts au niveau du Warf des Gonaïves. Les zones situées au niveau de la mer, qui sont habituellement inondées, le sont à nouveau, mais rien de grave. Par contre au niveau de Coridon, les marais salants sont inondés en partie.
Pour le Nord-Ouest, très exposé à Matthew, la situation était assez inquiétante au niveau de Baie de Henne, Bonbadopolis, Môle Saint Nicolas, Ile de La Tortue, Port-de-Paix, Saint Louis du Nord, Anse-à-Foleur, des villes côtières subissant les assauts de la mer, de la pluie et du vent. Mais, jusqu’à date, les informations font état d’une situation préoccupante. En tout cas, aucune commune mesure par rapport au grand Sud.
LE VRAI DEBAT, C’EST HAÏTI
Le vrai débat est maintenant sur Haïti. 2016 avec Matthew est plus catastrophique que 1954 avec Hazel. Que faire pour éviter une autre catastrophe plus grave dans les 60 prochaines années?
Un pays vulnérable à tous les points de vue
Haïti est un pays vulnérable à tous les points de vue, les ressources humaines exposées à des problèmes de santé avec une espérance de vie autour de 60 ans, pas bien éduquées avec une fuite énorme des cerveaux, mal organisées socialement, vivant dans un environnement physique dégradé et insalubre et mal aménagé, dans des infrastructures non normalisées et insuffisantes, avec une économie rachitique malgré des ressources en sous-sol estimée à plus de 100 trillions de USD et gangrénée de corruption, et dans un système politique non adapté organisé autour d’une gouvernance au petit bonheur tant au niveau national, déconcentré et décentralisé (?). En résumé, (i) la capital humain sans soins adéquats, (ii) le capital social non organisé, (iii) le capital environnemental vulnérable et non aménagé, (iv) le capital infrastructurel non normalisé et très insuffisant, (v) le capital économique/financier rachitique et (vi) le capital politique galvaudé et prédateur.
Notre vulnérabilité à la base des dégâts et pertes subis
On comprend pourquoi les menaces et les risques sont si grands quand une catastrophe naturelle survient, en particulier, tremblement de terre et cyclones. En effet, Haïti a connu de grands cyclones qui ont marqué les esprits, Inès, Flora, David, Gordon, Jeanne 2004 (destruction de la ville des Gonaïves, 3000 morts), les 4 cyclones de 2008, Gonaïves, une fois de plus très gravement endommagée avec moins de pertes en vies humaines, environ 700 morts cette fois-ci). Ce ne sont pas des ouragans pour la grande majorité. Très souvent, c’étaient des tempêtes tropicales. Si ma mémoire est bonne, Matthew est le seul cyclone de catégorie 4 ayant traversé Haïti. Les autres étaient de catégorie inférieure ou étaient tout simplement des tempêtes. C’est notre vulnérabilité qui est à la base des dégâts et pertes subis.
Les leçons tirées
Pour la plupart, on a tiré des leçons qui nous sont utiles, même dans le cas actuel. Certes, le bilan est partiel et déjà très lourd. On a enregistré beaucoup de pertes matérielles, mais de moins en moins de pertes en vies humaines. Gonaïves se développe différemment au niveau des plateaux et des piedmonts, les maisons sont à étage, le réseau de drainage est plus dense, les drains de ceinture sont de plus grande capacité, la rivière La Quinte a une capacité 10 fois supérieure, Pont Mapou et Pont Gaudin ont été reconstruits pour favoriser l’écoulement de 1000 m3/s, les berges ont été renforcées, très certainement pas assez, mais elles tiennent jusqu’à présent. Des interventions ont été éparpillées sur les 70000 ha du bassin versant, trop minimes certes, mais réalisées quand même. Des solutions ont été proposées par une équipe de techniciens haïtiens des ministères de l’agriculture, de l’environnement, des travaux publics, de l’intérieur, coordonnée par Ing Jean-Robert JEAN-NOEL, et partiellement appliquées par manque de volonté politique. Elles peuvent servir de modèle pour d’autres régions du pays (Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2009/06/haiti-gonaives-des-solutions-la-mesure.html ). La Direction des infrastructures agricoles du ministère de l’agriculture a répliqué partiellement ce modèle sur la Ville de Cabaret, de Jacmel, de Léogane avec un certain succès car certaines composantes essentielles n’ont pas été prises en compte faute de moyens financiers et de manque de volonté politique (vision et planification). Il faut aller au-delà de ces cas d’espèces, tenir compte des petites expériences réussies liées à la mise en défens, l’exploitation des forêts énergétiques dans certaines zones du pays (Nippes, Sud), la mise en place des retenues collinaires et leur exploitation, la généralisation des cas de réussite au niveau d’une commune, d’un département, d’une région et du pays. D’où la nécessité de se départir de la politique politicienne.
La prédominance de la politique politicienne
Depuis la mort de Dessalines, les politiciens ne font que se battre pour la prise du pouvoir personnel. La plupart, plutôt minime, imprégnés de la notion pays, ont lié leurs intérêts personnels ou de clans à ceux du pays. Ce qui nous a donné des moments de développement. Mais, comme les intérêts des clans ont été toujours plus importants que ceux du pays, il s’ensuit un mal développement du pays qui tire insuffisamment encore profit en matière touristique de la politique de fortification initiée par Dessalines, continuée par Christophe et Pétion et clôturée par Boyer. La construction de certains ouvrages utiles comme des ponts sous le gouvernement d’Hyppolite, d’institutions financières sous Salomon, de développement urbain sous le Gouvernement d’Antoine Simon, de gouvernance sous l’occupation américaine (centralisation), réorganisation de l’armée, mise en place d’infrastructures de gouvernance, Palais National, palais des ministères, palais judiciaire, conception et mis en place des grands ouvrages de développement d’électricité, barrages d’irrigation, politique de développement urbain et routier (Estimé, Magloire, Duvalier) adoquinage de rues au niveau des grandes et petites villes et application partielle des divers plans de développement avec l’appui de la communauté internationale (Duvalier Fils, Aristide, Préval, les divers gouvernements de transition, Martelly ). Il faut noter que, ces derniers temps, Haïti a été victime de l’exacerbation de la bataille des clans avec la mise en application de slogans politiques, transformés à la va-vite en des programmes politiques non liés, en grande partie, aux plans existants et mal appliqués une fois nos politiciens au pouvoir. C’est un peu le cas pour ces élections interrompues, en termes de programmes s’entend (nécessité de combiner ces divers programmes en un seul pour Haïti par celui qui aurait gagné). Quant aux divers plans de développement depuis la démocratisation, Haïti est sur le papier un pays développé, mais la réalité est un mal développement, un non développement, dû en particulier à une absence et/ou manque d’application des rares politiques publiques clairement définies.
EN GUISE DE CONCLUSION
Heureusement, il existe dans les tiroirs plusieurs documents qui, une fois remaniés, adaptés, combinés avec certains éléments de programmes de nos prétendants actuels au pouvoir suprême et adoptés par l’ensemble des acteurs du développement, devraient contribuer au développement harmonieux du pays. Pour cela, il faudrait suspendre la bataille des clans, organiser la grande concertation nationale avec pour finalité le vrai plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH) basé sur les objectifs de développement durable (ODD 2016-2030), sur les cinq (5) châteaux d'eau du pays et sur les six (6) capitaux, et sa mise en application par les gouvernements successifs sur une période de 25 ans et plus.
Pour y arriver, il faudra commencer par prendre conscience de cette grande vulnérabilité du pays qui vient d’être mise à nue par le passage de Matthew. Les départements affectés par cette catastrophe nécessitent un traitement à trois niveaux : urgence, relèvement et développement. Parallèlement, il faut continuer avec le processus électoral en identifiant les endroits où placer les bureaux électoraux et les centres de vote dans les départements affectés, ne serait-ce que sous des tentes.
Pour la partie d’urgence du plan d’une durée de six (6) mois, il faudrait (i) des kits de première nécessité (pain, bonbon, fruit, fromage, eau, boite de sardine, nourriture crue pour une quinzaine de jours au moins, flash, allumette, etc.), (ii) le retour des déplacés dans leur résidence ou de l’endroit qui y tient lieu, (iii) une évaluation exacte de la situation, (iv) la réparation des voies de communication (routes, pistes), (v) le rétablissement des communications téléphoniques, (vi) l’auto réparation des maisonnettes moyennant mise à disposition de matériaux et de matériels (tôles, bois, clous, marteaux, etc.), (vii) la réparation et curage des systèmes d’irrigation et remise en eau, (viii) la mise à disposition des kits de semences, des kits médicaux si nécessaire et cliniques mobiles,(ix) les études pour réparation et réhabilitation des infrastructures (écoles, dispensaires, centres de santé, hôpitaux, églises, etc.) ; la mise en place de certaines actions sous forme d’essais. Certaines recommandations faites au Gouvernement de Transition Alexandre-Latortue lors du passage de Jeanne aux Gonaïves en 2004 peuvent être appliquées et adaptées aux circonstances actuelles (réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2008/09/inondation-aux-gonaives-et-autres-zones.html ). Pour cette phase, il faudra au minimum créer 400,000 Personnes-mois (P-M) de travail durant 4 mois, Ce qui correspond grosso modo à 64,000,000.00 USD
Pour la partie relèvement du plan d’environ 18 mois, la finalisation des études et du plan de développement de la région affectée et/ou du département affecté, la recherche de financement, la reconstruction des infrastructures pour résister à un cyclone de catégorie 5 et un tremblement de niveau 9, la finalisation du vrai plan stratégique de développement national (PSDH) axé sur les ODD, sur les pôles de croissance et de développement au niveau des cinq (5) châteaux d'eau du pays, selon le modèle esquissé par le ministère de l’agriculture, et sur les six capitaux (humain, social, environnemental, infrastructurel, économique/financier et politique/gouvernance).
Pour la partie Développement du PSDH, les études complémentaires du plan global, les recherches et les exploitations minières, les études spécifiques, la généralisation de certaines actions mises en œuvre à titre d’essais durant les périodes d’urgence et de relèvement, surtout en termes de construction des grands ouvrages de développement (Ports, Aéroport, routes, barrages, irrigation, retenues collinaires, plantation, pêche et aquaculture ), la déconcentration administrative, la décentralisation (gouvernance au niveau national et local), le développement de cinq (5) pôles de croissance et de développement au niveau des cinq (5) châteaux d'eau du pays.
9 OCTOBRE 2016
Revu le 14 OCTOBRE 2016
Haïti était en mode élection. La campagne électorale battait son plein. Les candidats sillonnaient le pays pour vendre leur programme. Les meetings se faisaient pour la plupart dans une atmosphère d’intolérance. Normal, puisqu’on est en Haïti ! Cela ne devrait pas. Le pays était en mode débat aussi. Télé Soleil s’est concentré sur les sénatoriales. D’autres médias sur la présidentielle avec l’aide de la société civile et du secteur privé. Un premier débat a opposé Edmonde Supplice Beauzile, Jean-Henry Céant, Jude Célestin, Jean-Charles Moïse et Jovenel Moïse, les candidats les plus en vus, moins Mme Maryse Narcisse de LAVALAS. L’arrêt 168-13 du 23 septembre 2013, qui dénationalise les dominicains d’ascendance haïtienne en majeure partie, et qui, 3 ans plus tard, est encore objet de débat et n’apporte pas de solution à ce problème d’apatridie malgré certaines mesures adoptées par le gouvernement dominicain face à la levée de boucliers au niveau international. Ajoutée à tout cela, la décision du Pdt Obama de reprendre le rapatriement des haïtiens non en règle avec l’immigration américaine. Les dispositions prises par l’administration Privert pour recevoir les rapatriés haïtiens attendent d’être mises en application. Le débat autour de la loi sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme aboutit au vote du Sénat après celui de la chambre basse. Le festival avorté des homosexuels, « le Massimadi » (massissi, madivine, des mots tabous dans le langage des biens pensants haïtiens), a été l’objet d’un débat intense sur l’homosexualité en Haïti, a failli couter son poste au commissaire Danton Léger et fait percevoir cette décision rapportée de l’administration actuelle comme une prise de position en faveur des homosexuels. Jean Charles Moïse et Jude Célestin avec son alliance avec Eric Jean-Baptiste ont fait du départ de la MINUSTAH un thème de campagne, ce qui a poussé le Président Privert à proposer à l’assemblée annuelle des Nations Unies le départ de la MINUSTAH d’Haïti pour 2017. Enfin, le grand débat c’est aussi et surtout autour du passage du cyclone Matthew de catégorie 4 sur l’échelle Saphir-Simson qui en compte 5 et la vulnérabilité d’Haïti avec son bilan partiel très lourd et le renvoi des élections sine die. D’où le titre de notre article : «Haïti, le vrai débat?»
Le bilan partiel du passage de Matthew
Le journaliste/politicien, Clarens Renois, a rapporté un bilan partiel du passage de Matthew en Haïti sur Facebook en ces termes : « véritable catastrophe pour Haïti. Le dernier bilan partiel : 122 morts, 2 disparus et 91 blessés, 115.000 familles sinistrées, 500 maisons complètement détruites, 25.000 fortement endommagées. Il faut ajouter les 178 établissements scolaires endommagés sans compter les fermes et plantations ravagées. Les dégâts sont énormes, les pertes inimaginables. Le sud et la Grand-Anse sont balayés. Le pays est meurtri, malade au cœur et au corps... ».
Selon le Figaro, un journal Français : « Le dernier bilan établi à partir des chiffres fournis par les équipes de la Protection civile sur le terrain s'élève précisément à 877 morts, mais l'agence centrale, qui met plus de temps à rassembler les informations, parle pour le moment de 271 morts et de 61.500 sans-abri. Le gouvernement avait évalué jeudi à 350.000 le nombre de sinistrés ayant besoin d'une aide immédiate ».
Les premières images sur le grand Sud montrent la dévastation de la région sous les rafales et les bourrasques de plus de 200 km/h et des pluies diluviennes de plus de 300 mm. Les arbres sont déracinés, la couverture végétale et forestière au niveau de cette région s’est pratiquement envolée comme les toits de la majorité des maisons en tôles. Valery Numa a expliqué que la zone de Camp-Perrin est totalement dévastée, églises, hôtels, maisons, arbres, plantations, bétails. D’autres sources ont parlé de possibilité de famine dans les prochains jours. Les Nippes et la région des palmes ont subi de sérieux dégâts matériels. Pour le grand Sud, le pont sur la rivière La Digue à l’entrée de Petit Goâve est coupé, le pont sur la ravine du Sud également. Les routes menant sur la côte sud de torbeck à Tiburon en passant par Port Salut, les Coteaux, Roche à Bateau, Port-à-Piment, Chardonnières, les Anglais, cette petite ville sur laquelle l’œil de Mathieu a touché terre à 7 h AM, ce 4 Octobre 2016, sont gravement endommagées. Il faut rappeler que la route nationale desservant cette sous-région côtoie la mer et est traversée par de nombreuses rivières. De l’autre côté, de Camp-Perrin à les Irois en passant par Roseaux, Jérémie, Dame Marie, Anse-D’Ainault, etc., la route en construction jusqu’à Jérémie, la route en terre prolongée jusqu’à les Irois, subissent les mêmes assauts avec la seule différence, elle est moins exposée aux marées hautes mais aux éboulements/glissements de terrains. La communication téléphonique étant encore coupée au niveau de certaines zones, on a une idée très partielle de l’ampleur des dégâts et des pertes (évaluation en cours au niveau des départements touchés).
On sait que l’Ouest à l’Est et au nord de Port-au-Prince n’a pas été très exposé, exception de Kenscoff si l’on en croit au bilan partiel présenté par le maire de cette ville. Mais les rafales de vent, l’abondante pluie (environ 250 mm en 24 heures, selon Agr. PG LAFONTANT) ont causé des dégâts à partir de la chute des arbres et des inondations au niveau de toutes les villes (chutes d’arbres), en particulier à Tabarre, Cité Soleil , Croix-des-Bouquets, Ganthier, Thomazeau (inondations) ; par contre l’Ile de la Gonâve a été durement frappée parce que très exposée.
Pour l’Artibonite, selon Télé Papillon, c’est la marée haute qui a provoqué des dégâts au niveau du Warf des Gonaïves. Les zones situées au niveau de la mer, qui sont habituellement inondées, le sont à nouveau, mais rien de grave. Par contre au niveau de Coridon, les marais salants sont inondés en partie.
Pour le Nord-Ouest, très exposé à Matthew, la situation était assez inquiétante au niveau de Baie de Henne, Bonbadopolis, Môle Saint Nicolas, Ile de La Tortue, Port-de-Paix, Saint Louis du Nord, Anse-à-Foleur, des villes côtières subissant les assauts de la mer, de la pluie et du vent. Mais, jusqu’à date, les informations font état d’une situation préoccupante. En tout cas, aucune commune mesure par rapport au grand Sud.
LE VRAI DEBAT, C’EST HAÏTI
Le vrai débat est maintenant sur Haïti. 2016 avec Matthew est plus catastrophique que 1954 avec Hazel. Que faire pour éviter une autre catastrophe plus grave dans les 60 prochaines années?
Un pays vulnérable à tous les points de vue
Haïti est un pays vulnérable à tous les points de vue, les ressources humaines exposées à des problèmes de santé avec une espérance de vie autour de 60 ans, pas bien éduquées avec une fuite énorme des cerveaux, mal organisées socialement, vivant dans un environnement physique dégradé et insalubre et mal aménagé, dans des infrastructures non normalisées et insuffisantes, avec une économie rachitique malgré des ressources en sous-sol estimée à plus de 100 trillions de USD et gangrénée de corruption, et dans un système politique non adapté organisé autour d’une gouvernance au petit bonheur tant au niveau national, déconcentré et décentralisé (?). En résumé, (i) la capital humain sans soins adéquats, (ii) le capital social non organisé, (iii) le capital environnemental vulnérable et non aménagé, (iv) le capital infrastructurel non normalisé et très insuffisant, (v) le capital économique/financier rachitique et (vi) le capital politique galvaudé et prédateur.
Notre vulnérabilité à la base des dégâts et pertes subis
On comprend pourquoi les menaces et les risques sont si grands quand une catastrophe naturelle survient, en particulier, tremblement de terre et cyclones. En effet, Haïti a connu de grands cyclones qui ont marqué les esprits, Inès, Flora, David, Gordon, Jeanne 2004 (destruction de la ville des Gonaïves, 3000 morts), les 4 cyclones de 2008, Gonaïves, une fois de plus très gravement endommagée avec moins de pertes en vies humaines, environ 700 morts cette fois-ci). Ce ne sont pas des ouragans pour la grande majorité. Très souvent, c’étaient des tempêtes tropicales. Si ma mémoire est bonne, Matthew est le seul cyclone de catégorie 4 ayant traversé Haïti. Les autres étaient de catégorie inférieure ou étaient tout simplement des tempêtes. C’est notre vulnérabilité qui est à la base des dégâts et pertes subis.
Les leçons tirées
Pour la plupart, on a tiré des leçons qui nous sont utiles, même dans le cas actuel. Certes, le bilan est partiel et déjà très lourd. On a enregistré beaucoup de pertes matérielles, mais de moins en moins de pertes en vies humaines. Gonaïves se développe différemment au niveau des plateaux et des piedmonts, les maisons sont à étage, le réseau de drainage est plus dense, les drains de ceinture sont de plus grande capacité, la rivière La Quinte a une capacité 10 fois supérieure, Pont Mapou et Pont Gaudin ont été reconstruits pour favoriser l’écoulement de 1000 m3/s, les berges ont été renforcées, très certainement pas assez, mais elles tiennent jusqu’à présent. Des interventions ont été éparpillées sur les 70000 ha du bassin versant, trop minimes certes, mais réalisées quand même. Des solutions ont été proposées par une équipe de techniciens haïtiens des ministères de l’agriculture, de l’environnement, des travaux publics, de l’intérieur, coordonnée par Ing Jean-Robert JEAN-NOEL, et partiellement appliquées par manque de volonté politique. Elles peuvent servir de modèle pour d’autres régions du pays (Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2009/06/haiti-gonaives-des-solutions-la-mesure.html ). La Direction des infrastructures agricoles du ministère de l’agriculture a répliqué partiellement ce modèle sur la Ville de Cabaret, de Jacmel, de Léogane avec un certain succès car certaines composantes essentielles n’ont pas été prises en compte faute de moyens financiers et de manque de volonté politique (vision et planification). Il faut aller au-delà de ces cas d’espèces, tenir compte des petites expériences réussies liées à la mise en défens, l’exploitation des forêts énergétiques dans certaines zones du pays (Nippes, Sud), la mise en place des retenues collinaires et leur exploitation, la généralisation des cas de réussite au niveau d’une commune, d’un département, d’une région et du pays. D’où la nécessité de se départir de la politique politicienne.
La prédominance de la politique politicienne
Depuis la mort de Dessalines, les politiciens ne font que se battre pour la prise du pouvoir personnel. La plupart, plutôt minime, imprégnés de la notion pays, ont lié leurs intérêts personnels ou de clans à ceux du pays. Ce qui nous a donné des moments de développement. Mais, comme les intérêts des clans ont été toujours plus importants que ceux du pays, il s’ensuit un mal développement du pays qui tire insuffisamment encore profit en matière touristique de la politique de fortification initiée par Dessalines, continuée par Christophe et Pétion et clôturée par Boyer. La construction de certains ouvrages utiles comme des ponts sous le gouvernement d’Hyppolite, d’institutions financières sous Salomon, de développement urbain sous le Gouvernement d’Antoine Simon, de gouvernance sous l’occupation américaine (centralisation), réorganisation de l’armée, mise en place d’infrastructures de gouvernance, Palais National, palais des ministères, palais judiciaire, conception et mis en place des grands ouvrages de développement d’électricité, barrages d’irrigation, politique de développement urbain et routier (Estimé, Magloire, Duvalier) adoquinage de rues au niveau des grandes et petites villes et application partielle des divers plans de développement avec l’appui de la communauté internationale (Duvalier Fils, Aristide, Préval, les divers gouvernements de transition, Martelly ). Il faut noter que, ces derniers temps, Haïti a été victime de l’exacerbation de la bataille des clans avec la mise en application de slogans politiques, transformés à la va-vite en des programmes politiques non liés, en grande partie, aux plans existants et mal appliqués une fois nos politiciens au pouvoir. C’est un peu le cas pour ces élections interrompues, en termes de programmes s’entend (nécessité de combiner ces divers programmes en un seul pour Haïti par celui qui aurait gagné). Quant aux divers plans de développement depuis la démocratisation, Haïti est sur le papier un pays développé, mais la réalité est un mal développement, un non développement, dû en particulier à une absence et/ou manque d’application des rares politiques publiques clairement définies.
EN GUISE DE CONCLUSION
Heureusement, il existe dans les tiroirs plusieurs documents qui, une fois remaniés, adaptés, combinés avec certains éléments de programmes de nos prétendants actuels au pouvoir suprême et adoptés par l’ensemble des acteurs du développement, devraient contribuer au développement harmonieux du pays. Pour cela, il faudrait suspendre la bataille des clans, organiser la grande concertation nationale avec pour finalité le vrai plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH) basé sur les objectifs de développement durable (ODD 2016-2030), sur les cinq (5) châteaux d'eau du pays et sur les six (6) capitaux, et sa mise en application par les gouvernements successifs sur une période de 25 ans et plus.
Pour y arriver, il faudra commencer par prendre conscience de cette grande vulnérabilité du pays qui vient d’être mise à nue par le passage de Matthew. Les départements affectés par cette catastrophe nécessitent un traitement à trois niveaux : urgence, relèvement et développement. Parallèlement, il faut continuer avec le processus électoral en identifiant les endroits où placer les bureaux électoraux et les centres de vote dans les départements affectés, ne serait-ce que sous des tentes.
Pour la partie d’urgence du plan d’une durée de six (6) mois, il faudrait (i) des kits de première nécessité (pain, bonbon, fruit, fromage, eau, boite de sardine, nourriture crue pour une quinzaine de jours au moins, flash, allumette, etc.), (ii) le retour des déplacés dans leur résidence ou de l’endroit qui y tient lieu, (iii) une évaluation exacte de la situation, (iv) la réparation des voies de communication (routes, pistes), (v) le rétablissement des communications téléphoniques, (vi) l’auto réparation des maisonnettes moyennant mise à disposition de matériaux et de matériels (tôles, bois, clous, marteaux, etc.), (vii) la réparation et curage des systèmes d’irrigation et remise en eau, (viii) la mise à disposition des kits de semences, des kits médicaux si nécessaire et cliniques mobiles,(ix) les études pour réparation et réhabilitation des infrastructures (écoles, dispensaires, centres de santé, hôpitaux, églises, etc.) ; la mise en place de certaines actions sous forme d’essais. Certaines recommandations faites au Gouvernement de Transition Alexandre-Latortue lors du passage de Jeanne aux Gonaïves en 2004 peuvent être appliquées et adaptées aux circonstances actuelles (réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2008/09/inondation-aux-gonaives-et-autres-zones.html ). Pour cette phase, il faudra au minimum créer 400,000 Personnes-mois (P-M) de travail durant 4 mois, Ce qui correspond grosso modo
Pour la partie relèvement du plan d’environ 18 mois, la finalisation des études et du plan de développement de la région affectée et/ou du département affecté, la recherche de financement, la reconstruction des infrastructures pour résister à un cyclone de catégorie 5 et un tremblement de niveau 9, la finalisation du vrai plan stratégique de développement national (PSDH) axé sur les ODD, sur les pôles de croissance et de développement au niveau des cinq (5) châteaux d'eau du pays, selon le modèle esquissé par le ministère de l’agriculture, et sur les six capitaux (humain, social, environnemental, infrastructurel, économique/financier et politique/gouvernance).
Pour la partie Développement du PSDH, les études complémentaires du plan global, les recherches et les exploitations minières, les études spécifiques, la généralisation de certaines actions mises en œuvre à titre d’essais durant les périodes d’urgence et de relèvement, surtout en termes de construction des grands ouvrages de développement (Ports, Aéroport, routes, barrages, irrigation, retenues collinaires, plantation, pêche et aquaculture ), la déconcentration administrative, la décentralisation (gouvernance au niveau national et local), le développement de cinq (5) pôles de croissance et de développement au niveau des cinq (5) châteaux d'eau du pays.