HAÏTI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS 53 : LA POLITIQUE TARIFAIRE DE TRUMP, LA
GUERRE SINO-AMERICAINE ET HAÏTI : LA CRISE S’AGGRAVE
JEAN-ROBERT
JEAN-NOEL
30 AVRIL 2025
Alors qu’avril s’achève dans un climat mondial tendu, Haïti semble plus que
jamais prise dans un engrenage tragique où les conflits géopolitiques se mêlent
aux dérives internes. Tandis que la guerre commerciale entre la Chine et les
États-Unis atteint une intensité sans précédent, les conflits armés persistent
en Ukraine et à Gaza, et la scène haïtienne continue de s’enliser dans une
spirale de violence et de désintégration politique.
Cette chronique propose un double regard : d’abord, sur les lignes de
fracture internationales qui redessinent les équilibres mondiaux ; ensuite, sur
les répercussions concrètes pour Haïti, de plus en plus reléguée dans les
angles morts de la solidarité internationale.
Une guerre
économique aux conséquences globales
Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a relancé une politique
tarifaire agressive contre la Chine. JEAN-ROBERT JEAN-NOEL TV y a consacré un
ensemble de vidéos explicatives sur YOUTUB. En avril 2025, les droits de douane
sur les importations chinoises ont atteint un niveau record de 145 %, dans ce
que Washington qualifie de « guerre commerciale réciproque ». Pékin a
immédiatement riposté, mais l’impact se fait sentir bien au-delà des deux
capitales.
L’économie chinoise est entrée en contraction, avec un indice PMI
manufacturier tombé à 49, son plus bas niveau depuis 2023. En Chine, près de
neuf millions d’emplois manufacturiers sont désormais menacés. Aux États-Unis,
les ménages subissent une hausse moyenne de 1 243 dollars de dépenses liées aux
taxes douanières. Les analystes du FMI anticipent une baisse de 1 % du PIB
américain, et de 3,5 % pour la Chine d’ici la fin de l’année¹.
Cette confrontation économique a des effets collatéraux sur l’ensemble des
marchés mondiaux, y compris sur les pays les plus vulnérables, qui subissent
les contrecoups d’une instabilité commerciale persistante et d’un
affaiblissement du multilatéralisme.
Gaza, Ukraine
: crises humanitaires à répétition
Alors que les projecteurs médiatiques se concentrent sur les rivalités de
grandes puissances, les conflits armés ne faiblissent pas. À Gaza, la situation
a basculé dans l’horreur. Depuis deux mois, un blocus total a transformé
l’enclave en cauchemar humanitaire : plus de 5,4 millions de personnes sont en
insécurité alimentaire aiguë, dont 6 000 dans une phase « catastrophique »
selon le Programme Alimentaire Mondial. Les prix ont explosé : un sac de farine
se vend aujourd’hui 100 dollars. Et malgré les appels de l’ONU, près de 3 000
camions de l’UNRWA restent bloqués aux frontières².
En Ukraine, la guerre se poursuit dans une forme d’absurde banalisation.
Fin avril, Moscou a décrété un cessez-le-feu unilatéral de 48 heures, suscitant
plus de scepticisme que d’espoir³. À cette violence s’ajoute une perte
symbolique majeure : la mort du pape François, figure morale d’envergure
mondiale. Elle laisse un vide spirituel dans un monde qui semble de plus en
plus privé de repères éthiques.
Le Canada à la
croisée des chemins
Dans ce paysage mondial incertain, les élections fédérales canadiennes
d’avril 2025 ont constitué un autre tournant. Le Parti libéral de Mark Carney a
remporté 168 sièges, manquant de peu la majorité absolue estimée à 173. La
défaite de Pierre Poilievre dans sa propre circonscription a surpris, mais
témoigne d’un électorat polarisé, influencé par les tensions commerciales avec
Washington et les débats sur l’immigration⁴. Le Canada, partenaire clef
d’Haïti, se retrouve dans une posture politique nouvelle, mais encore
incertaine quant à ses priorités diplomatiques régionales.
Haïti :
l’abandon international sur fond de chaos intérieur
Pendant que les puissances redéfinissent leurs équilibres, Haïti s’enfonce
dans le silence assourdissant de la désintégration. Le Conseil Présidentiel de
Transition, mis en place en 2024(tout juste un an), peine à gouverner. Les
décisions manquent de transparence et d’efficacité. Le pays, sans gouvernement
effectif, est à la merci d’une violence de plus en plus organisée.
La Mission de Sécurité Multinationale (MSS), placée sous l’égide des
Nations unies, s’enlise. Seuls 416 soldats kényans ont été déployés sur les 2
500 promis, et moins de 20 % du budget de 600 millions de dollars est
actuellement financé⁵. Pire encore, la mission semble cantonnée à des zones
symboliques – palais national, aéroport – sans impact réel sur les quartiers
contrôlés par les gangs.
La République des gangs
Dans l’espace laissé vacant par l’État, les gangs se sont imposés comme
puissance de facto. À Port-au-Prince, ils taxent désormais l’eau potable – 80 %
de la ville dépend des camions-citernes – et interceptent jusqu’à 30 % de
l’aide humanitaire. Dans le Centre et l’Artibonite, leur emprise sur des villes
comme Mirebalais a provoqué l’effondrement de la production agricole, avec une
baisse de 70 % des récoltes de riz, et une flambée des prix de 340 % en un an⁶.
Leur financement est transnational : en 2024, plus de 1,2 million de
dollars ont été perçus en rançons, et près de 90 % des armes saisies
proviennent des États-Unis, via la Floride. On estime leur budget annuel à plus
de 500 millions de dollars. Les réseaux sociaux sont leur principal outil de
propagande et de recrutement. Des vidéos diffusées sur TikTok ou WhatsApp
servent à enrôler les jeunes : 15 % des 50 000 membres actifs des gangs sont
des enfants⁷.
Haïti,
orpheline du monde ?
La communauté internationale semble avoir tourné la tête. Absorbés par les
crises sino-américaines, les États-Unis ont réduit leur aide bilatérale à Haïti
de 62 % depuis 2023. L’Union européenne, quant à elle, consacre 73 % de son
budget humanitaire à l’Ukraine⁸. La diplomatie caribéenne est atone, et le
Brésil, autrefois actif dans la région, reste silencieux.
Pendant ce temps, les Haïtiens se mobilisent, protestent, résistent. Le 31
mars, deux religieuses ont été assassinées à Mirebalais – un choc national. Les
églises, les écoles, les hôpitaux sont ciblés. Et pourtant, dans les rues, des
milliers de manifestants réclament encore un retour à l’ordre, une rupture avec
l’impunité, un espoir.
Une urgence
humanitaire et morale
Haïti n’est pas seulement un pays en crise : elle est un révélateur. De
l’indifférence des grandes puissances. Du recul du droit international. De la
faillite morale d’un ordre mondial incapable de répondre à la souffrance des
plus vulnérables.
Alors que le monde est à la croisée des chemins, Haïti incarne ce que nous
risquons de perdre si nous renonçons à la solidarité, à la justice, à la
responsabilité collective. Ce ne sont pas seulement des institutions à
reconstruire : c’est un tissu social, une dignité nationale, une humanité
partagée.
Notes
- FMI – Rapport économique régional sur
les Amériques, avril 2025.
- Programme Alimentaire Mondial (PAM),
communiqué du 26 avril 2025.
- Al
Jazeera, "Russia declares unilateral ceasefire in Ukraine", 28
avril 2025.
- CBC News, résultats électoraux
fédéraux, 28 avril 2025.
- ONU – Briefing sur la Mission MSS,
avril 2025.
- Observatoire Agricole Haïtien,
rapport du 15 mars 2025.
- Human
Rights Watch, "Haïti : jeunesse en otage", rapport 2025.
- Commission Européenne – DG ECHO,
budget humanitaire 2025.