HAÏTI ET LE MONDE A LA CROISEE DES CHEMINS (48) : CRISES GÉOPOLITIQUES, DÉSORDRE ÉCONOMIQUE ET QUÊTE DE STABILITÉ
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
5 DECEMBRE 2024
L’année 2024 illustre un monde en profonde mutation, marqué par des crises géopolitiques majeures, des tensions économiques et des défis humanitaires sans précédent. Les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, ainsi que les bouleversements politiques aux États-Unis, redéfinissent les équilibres internationaux dans un contexte de grande incertitude. Haïti, déjà plongée dans une crise économique et sécuritaire sans précédent, ressent directement les effets de ces dynamiques mondiales. Plus que jamais, l’interconnexion des crises révèle la fragilité de nombreux pays, et l’avenir d’Haïti dépend autant de décisions locales que de la coopération internationale. Cet article analyse les grandes crises mondiales actuelles, les défis spécifiques auxquels Haïti est confrontée et les perspectives pour un avenir incertain.
1. La situation mondiale : des crises géopolitiques aux tensions économiques
Le conflit en Ukraine reste l’un des foyers majeurs d’instabilité mondiale en 2024. Après plus de deux ans de guerre, le mois de novembre a vu une escalade significative des hostilités, notamment à l’Est, où les forces russes ont intensifié leurs frappes contre les infrastructures stratégiques ukrainiennes. La région de Kursk, bien que située sur le territoire russe, a également subi des attaques de drones ukrainiens, ciblant des dépôts d’armes et des installations logistiques. Les conséquences humanitaires sont alarmantes : plus de 10 millions de personnes en Ukraine dépendent de l’aide humanitaire pour survivre, selon l’ONU. L’approche de l’hiver aggrave les besoins en abris, en énergie et en nourriture.
D’un point de vue économique, la guerre a un impact mondial. L’Ukraine, autrefois surnommée le grenier de l’Europe, a vu sa production céréalière chuter de plus de 40 % en raison de la destruction des terres agricoles et du blocus des ports de la mer Noire. Cette situation a engendré une hausse des prix des céréales sur les marchés mondiaux, affectant de manière disproportionnée les pays en développement, dont Haïti, qui dépend largement des importations. De plus, les sanctions économiques imposées à la Russie ont contribué à des perturbations sur les marchés de l’énergie, le pétrole atteignant 95 dollars le baril en novembre, tandis que les prix du gaz naturel en Europe ont bondi de 20 % par rapport à l’année précédente.
Dans le même temps, le Moyen-Orient est en proie à une escalade des tensions. La guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée par l’offensive surprise du Hamas en octobre 2023, a entraîné des répliques militaires massives dans la bande de Gaza, faisant plus de 30 000 morts, principalement parmi les civils, selon les données du ministère de la Santé palestinien et d’autres sources. Le Hezbollah, basé au Liban, malgré le dernier cessez-le-feu obtenu grâce à des concessions vis-à-vis du premier ministre Israélien, et certains groupes pro-iraniens ont également intensifié leurs attaques contre Israël, et les rebelles syriens, qui ont profité de la situation pour mettre à mal le régime syrien, transforment le conflit en une crise régionale aux implications géopolitiques profondes. Ces hostilités ont exacerbé l’instabilité politique au Liban et aggravé la situation des réfugiés syriens, qui représentent déjà l’une des populations les plus vulnérables au monde.
Les États-Unis, traditionnellement considérés comme un acteur stabilisateur sur la scène mondiale, traversent également une période d’incertitude sous la nouvelle administration de Donald Trump. Le retour de Trump à la présidence, après une élection marquée par des polarisations internes, suscite des inquiétudes à l’échelle mondiale. Ses choix pour les postes clés de son cabinet, notamment au département d’État, au département de la Justice et au Pentagone, laissent présager un repositionnement stratégique des États-Unis, avec un retrait potentiel de certains engagements internationaux, dont éventuellement ceux vis-à-vis de l’OTAN et autres. Les premières mesures annoncées incluent une réduction significative de l’aide bilatérale aux pays en développement, une décision qui affectera directement Haïti, déjà dépendante de cette assistance pour financer des programmes sociaux et sécuritaires.
Sur le plan économique, les États-Unis font face à des défis structurels, notamment une dette publique dépassant les 35 000 milliards de dollars. Cette situation limite leur capacité à maintenir leur rôle traditionnel de bailleur de fonds dans les crises humanitaires internationales, ce qui pourrait aggraver les vulnérabilités des nations en crise, notamment Haïti.
2. La situation en Haïti : effondrement économique et chaos sécuritaire
Sur le front intérieur, Haïti continue de sombrer dans une crise sans précédent. Le remplacement de Garry Conille par Didier Fils-Aimé au poste de Premier ministre, bien qu’accueilli comme une tentative de stabilisation politique, n’a pas permis d’enrayer la dégradation des conditions de vie. Le nouveau gouvernement hérite d’une économie en chute libre : Haïti est en récession pour la sixième année consécutive, avec une contraction estimée à 3,5 % en 2024 par la Banque mondiale. L’inflation, qui dépasse 40 %, rend les biens essentiels inaccessibles pour une grande partie de la population, tandis que 70 % des Haïtiens vivent dans une pauvreté extrême.
La situation sécuritaire est tout aussi alarmante. Les gangs armés contrôlent une grande partie de la capitale (+80%), Port-au-Prince, et de nombreuses zones rurales, notamment dans le Bas-Artibonite. Ces groupes criminels, responsables de plus de 1 200 kidnappings depuis le début de l’année selon le CARDH, imposent un climat de terreur qui paralyse les activités économiques et sociales. Les récents sabotages, comme les tirs sur les lignes électriques et aériennes, ont provoqué la suspension des vols internationaux, isolant davantage le pays et réduisant les perspectives de relance économique.
Les efforts des forces kényanes, déployées dans le cadre d’une mission internationale pour soutenir les autorités haïtiennes, peinent à produire des résultats tangibles. Bien que leur présence ait apporté un certain espoir, leur efficacité est entravée par le manque de coordination avec les forces locales et la complexité du terrain.
Sur le plan international, Haïti a reçu l’attention du président français Emmanuel Macron, qui a traité les politiciens haïtiens de cons et a appelé à une mobilisation accrue pour résoudre la crise. Cependant, les appels à l’action n’ont pas encore été traduits en initiatives concrètes, et la communauté internationale semble hésitante face à l’ampleur des défis.
3. Conclusion et perspectives : redéfinir un avenir incertain
Haïti et le monde sont à un tournant décisif. Les crises géopolitiques, économiques et sécuritaires révèlent des vulnérabilités systémiques qui exigent des réponses globales et concertées. Pour Haïti, les priorités doivent inclure une action immédiate pour restaurer la sécurité et répondre aux besoins humanitaires, mais également des réformes structurelles à long terme pour relancer l’économie et renforcer la gouvernance.
Au niveau mondial, la communauté internationale doit repenser ses approches face aux conflits prolongés et aux crises humanitaires. Les grandes puissances, comme les États-Unis, doivent jouer un rôle plus proactif en combinant diplomatie, aide au développement et mécanismes de prévention des conflits. De plus, des solutions innovantes, telles qu’un plan Marshall pour les pays les plus touchés, pourraient offrir une lueur d’espoir pour des nations comme Haïti.
L’avenir d’Haïti dépend non seulement de ses propres choix, mais aussi de la capacité du monde à reconnaître que la stabilité de chaque région est essentielle à la stabilité globale. En ce sens, Haïti pourrait devenir un symbole de la solidarité internationale ou, à défaut, un exemple des dangers de l’indifférence collective.
Annexe : Références
Organisation des Nations unies (ONU), rapport sur la situation humanitaire en Ukraine, novembre 2024.
Banque mondiale, rapport économique pour Haïti, octobre 2024.
Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), indices des prix alimentaires, novembre 2024.
Ministère de la Santé palestinien, statistiques des victimes à Gaza, novembre 2024.
Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), rapport sur les budgets militaires mondiaux, 2024.
Observatoire haïtien des droits humains (CARDH), rapport sur l’insécurité en Haïti, 2024.