HAITI: BILAN 2015, PERSPECTIVES 2016, DE
MARTELLY A L'EXACERBATION DE LA BATAILLE
DES CLANS OU A UNE ENTENTE POUR LE DÉVELOPPEMENT(?)
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
16 JANVIER 2016
Le mois de Décembre 2015 et le début de Janvier
2016 ressemblent à ce qui s’est passé à la même époque il y a un an avec
quelques légères différences. « La
commission d’évaluation électorale » a remis son rapport comme « la
commission consultative présidentielle » ; mais ses recommandations
n’ont pas été totalement prises en compte par le Président Martelly comme
l’année dernière. Le peuple, qui a été convoqué en ses comices sans succès pour
le 2e tour de la présidentielle, le 27 décembre 2016, est
re-convoqué par le Président Martelly pour le 24 Janvier 2016 sur fond de
démission au sein du CEP. La rentrée parlementaire (branche Chambre des
Députés) se fait le dimanche 10 Janvier
2015, tandis que le Sénat a fait sa rentrée le 11 Janvier 2016. Cette rentrée
et surtout l’élection du président du Sénat, M. Privert, et du président de la Chambre
des Députés, M. Chancy, font émerger une nouvelle donne politique. L’opposition,
constituée de l’ensemble des candidats arrivés après Jovenel Moise, le candidat
du pouvoir, et du « Front de refus » (table rase et transition),
programme des manifestations de rue contre la rentrée parlement (sans succès)
et en réponse à la Présidentielle du 24 Janvier. La situation politique qui
prévalait l’année dernière et qui s’est perpétuée tout au long de l’année 2015
connait une éclaircie due à un retour d’un certain équilibre des trois pouvoirs
de l’Etat. Cette situation politique a influé sur tout le reste, en particulier
sur l’économie du pays. D’où le titre de cet article : « Haïti, bilan 2015 et perspectives
2016, de Martelly à la continuité de la bataille des clans ou à une entente
pour le développement(?)».
Cet article s’attardera sur le Bilan 2014-2015
avec des clins d’œil sur le bilan de
Martelly en matière sociopolitique et socioéconomique, dégagera les
perspectives 2016 en matière sociopolitique et économique, et se terminera sur
des conclusions et recommandations appropriées
A. BILAN
2014-2015 ET CLINS D’ŒIL SUR L’ADMINISTRATION MARTELLY
La vision de Martelly
selon le document « le courage de changer »
Comme l’année dernière,
rappelons la vision de Martelly avant sa prise de fonction. Cette vision
exprimée dans « le courage de changer » est axée sur : (i) La
Relance de la production agricole nationale, (ii) la Sécurité des personnes et
des biens, (iii) l’Education et la formation pour tous, (iv) Replacer Haïti sur
la carte du monde, (v) Tourisme et culture, (vi) Santé préventive et soins pour
tous, (vii) Dynamiser l’économie et le secteur privé. (Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2011/04/inite-et-martelly-ou-le-changement-dans.html ). Selon le bilan de l’année 2013-2014 (réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2014/12/haiti-bilan-2014-perspectives-2015-du.html), « cette vision s’est exprimée
dans l’énoncé de politique générale du Premier Ministre Conille et appliquée
dans celui du Premier Ministre Lamothe dans son programme axé sur les cinq
(E) : Education, Emploi, Etat de droit, Environnement, et Energie. Ce
programme est lui-même ancré dans le Plan d’Action pour le Relèvement et le
Développement National d’Haïti (PARDNH), transformé en Plan Stratégique de
Développement d’Haïti (PSDH). Il faut noter que le programme de Martelly
était estimé à 15 Mrds USD, soit un montant annuel d’environ 3 Mrds USD. Il
faut souligner que le budget annuel durant la période Martelly s’est
rapproché de ce montant et est toujours mis en œuvre en retard à cause des
divergences politiques avec le Parlement ». Il a été de même pour
l’exercice 2014-2015 sous étude, en termes de montant (2.7 Mrds d’USD) et,
comme il n’est resté qu’un embryon du Parlement avec 10 Sénateurs dont deux
candidats à la présidence, on ne peut pas imputer le retard dans les
décaissements à des querelles avec le Parlement pour l’exercice écoulé.
A1. LA
SITUATION SOCIO POLITIQUE 2014-2015
Comme signalé à l’introduction de cet article,
la situation politique vécue au cours de ce mois de Décembre 2015 et début de
Janvier n’est pas tellement différente de celle des autres mois de l’année si
ce n’est cette lueur d’espoir avec la rentrée parlementaire de la 50e
législature en janvier 2016 qui marque
un retour à un jeu d’équilibre entre les trois pouvoirs d’Etat, tout au moins
théoriquement.
Une Entropie Politique persistante
L’année 2015 a prolongé
l’année 2014 sur le plan politique, les manifestions de rue ont été une
constante, sauf au moment où le Conseil électoral Provisoire inspiré de
l’article 289 de la Constitution a lancé le processus d’inscription. Cette
mesure a eu pour effets de déstabiliser l’opposition politique qui a décidé,
contre toute attente, d’aller aux élections en ordre dispersé. C’était le calme
avant la tempête. Tout le processus d’inscription, de rejet de candidats à tous
les niveaux s’est fait plutôt dans le calme avec quelques incidents graves et
sporadiques jusqu’aux élections parlementaires du 9 aout 2015 et les élections
du 25 Octobre 2015. De 9 aout 2015 jusqu’à date, la tempête politique a
renforcé cette entropie politique qui a caractérisé le pouvoir de l’administration Martelly, surtout
à partir de 2012. C’est une entropie politique persistante qui a influé tous
les aspects de la vie nationale.
A2. SITUATION
POLITIQUE SOUS L’ADMINISTRATION MARTELLY
Pour comprendre 2015 et 2016, il faut remonter à la
prise de pouvoir de Martelly en Mai 2011. Au début, on avait cette impression
que l’équipe de Martelly ne comprenait rien à rien. Elle a sous-estimé la
puissance du Parlement dans le rouage de la gouvernance du pays. Avec
seulement, trois députés, l’administration Martelly pensait pouvoir appliquer
sa vision « le courage de
changer », en imposant les choses au parlement. Il faut souligner
aussi que la façon d’agir de l’équipe rappelait plus la manière des Duvalier
qu’autre chose. Ce qui a fait dire au Sénateur Lambert que Martelly agit « comme un éléphant dans un magasin de
porcelaine ». Toujours est-il que l’administration a dû se contenter
du gouvernement de Bellerive jusqu’en octobre 2011 après deux tentatives
d’imposer deux premiers ministres, Rouzier et Gousse.
La ratification du Premier Ministre Conille était plus
perçue comme une action de la communauté internationale qu’un choix de
Martelly. La preuve c’est qu’après six mois d’une collaboration plutôt
conflictuelle, le Président a mis à pied
le PM Conille et l’a remplacé en mai 2012 par son ami Laurent Lamothe qui était
le ministre des affaires étrangères de Conille. C’est Lamothe qui va appliquer
la vision de Martelly. De mai 2012 jusqu’à son départ en décembre 2014, le
couple Martelly-Lamothe a fonctionné à plein régime après avoir constitué une
certaine majorité au parlement, en particulier au niveau de la chambre basse.
Sur le plan politique, cette administration a pris la
décision controversée de publier la constitution amendée, la mise en place d’un
conseil électoral permanent tel que le veut la constitution amendée. Devant une
opposition tout azimut, l’administration Martelly a dû mettre en place trois
conseils électoraux provisoires. Cette opposition s’est renforcée au fil des
événements jusqu’à renverser le PM Lamothe à la faveur des querelles intestines
au sein du pouvoir (Palais National, Primature, etc.) et malgré les tentatives
de Dialogue (El Rancho et autres réunions dans des grands hôtels de
Pétionville). C’est pendant cette période que notre pays a connu cette entropie politique. Avec le remplacement
de Lamothe par Evans Paul, l’entropie politique, qui a persisté et s’est
renforcée sous l’administration Martelly-Paul, a influencé les actions de développement du
pays et, en particulier, la situation socioéconomique tant au niveau macro,
méso et microéconomique.
A3. LA SITUATION ECONOMIQUE ET FINANCIERE 2014-2015 ET
CLINS D’ŒIL SUR L'ADMINISTRATION MARTELLY
L’analyse de la situation économique et
financière de 2014-2015 se référera aux prévisions budgétaires et aux résultats
en termes macroéconomique et microéconomique.
A3.1. Les prévisions financières 2014-2015
Deux aspects seront pris en compte en
termes de prévisions financières : (i) la situation économique projetée et
(ii) la performance de l’économie
La
situation économique projetée en 2014-2015
Le Projet de loi de finances 2014-2015 (Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2014/07/haiti-football-gogo-beaucoup-de-bonnes.html ). Le
projet de loi de finances 2014-2015, non voté par le Sénat comme pour
l’exercice précédent mais mis en œuvre par le GOH à partir du 1er Octobre
2014, a fixé le montant global du budget à 122.7 milliards de gourdes (122.7
Mrds HTG ou 2.7 Mrds USD). Le budget se répartit comme suit : le secteur
économique (44.3%), le secteur politique (18.8%), le secteur socioculturel
(27.8%), et autres dépenses (9.1%) dont 4.1% pour le service de la dette
externe. Les hypothèses de départ visent un taux de croissance du PIB de 4.6%,
un taux de change en adéquation avec le taux de croissance, un taux d’inflation
de 7.5%. Le taux de croissance de 4,6% du PIB, « sera
supporté par les secteurs de l’agriculture +2,5%, de l’industrie +6 % et de la
construction +8% » (Réf. Le Nouvelliste du 22/07/2014). Dans le
budget rectificatif, le taux de croissance a été revu à la baisse à 3.5%, le
taux d’inflation à 6%, etc.
Selon Michel Soukar
dans le « Bilan 2015 » : « Un pays que l’on disait ouvert aux
affaires (open for business) trébuche à cause de l’insécurité, de la violence,
de l’instabilité politique et de la mauvaise gouvernance. En début d’année
fiscale 2014-2015, les prévisions économiques tablaient sur un taux de
croissance du PIB de 3.5%, un taux d’inflation de 6 à 8% en rythme annuel et un
taux de change oscillant entre 48 et 50 gourdes pour un dollar américain. Sans
doute, ces prévisions n’avaient pas tenu compte de facteurs internes comme la
sécheresse, les manifestations politiques, les grèves et de facteurs externes
comme la baisse du prix du baril de pétrole sur le marché international et la
raréfaction de l’aide externe à Haïti ».
La
performance de l’économie en 2015
« L’économie haïtienne a pâti en 2015 de la
morosité qui a caractérisé l'environnement sociopolitique du pays ainsi que des
déréglementations climatiques marquées par une sécheresse relativement rude.
Cette situation se traduit par un ralentissement du rythme de croissance du
Produit Intérieur Brut (PIB) qui, selon les estimations préliminaires, a
enregistré une hausse, en volume, de 1.7% en 2015, contre 2.8% en 2014. La
décélération a été observée dans la quasi-totalité des branches d'activité qui
ont affiché des accroissements moins prononcés que ceux de l’année dernière ».
Pour
les secteurs soutenant la croissance, il faut souligner, « l'Agriculture a grandement subi les effets distributifs négatifs
des régions qui ont été très touchées par la sécheresse, provoquant ainsi une
chute, en termes réels, de 3.5% de la valeur ajoutée agricole. Les industries manufacturières sont
parmi les branches d'activité qui ont le plus contribué à la croissance du PIB
en 2015 avec une hausse de 4.5%, supérieure à celle de l'année dernière (2.7%).
Viennent ensuite la Construction (Bâtiments et Travaux Publics) et la branche
Commerce Restaurant et Hôtel qui ont augmenté chacune de 2.3% et 3.5%, même
s'il faut noter que leurs performances étaient meilleures l'année dernière avec
des taux de croissance respectifs de 7.9% et 4.2% ».
Toujours
selon les comptes économiques : « Du
point de vue de la demande interne, malgré les effets néfastes de l'inflation,
la consommation finale totale a progressé en volume de 1.1 %, bénéficiant
notamment de la hausse, en valeur courante, de 11% des envois de fonds des
travailleurs de la diaspora et de
l'accroissement de 22% des traitements et salaires dans l'Administration Publique. L'investissement global, de son
côté, a crû, en termes réels de 3.3%, particulièrement grâce au renchérissement
de l'investissement direct étranger (5.3%)
et à certaines autres initiatives
des secteurs public et privé. Pour ce
qui a trait à la demande externe, en dépit de l'incertitude qui a marqué
l'année fiscale 2015, les exportations haïtiennes se sont mieux comportées
qu’en 2014 avec une augmentation, à prix constant de 4.6%, contre 4.5%
précédemment ».
Enfin,
les comptes économiques fournissent les
informations suivantes sur la consommation et l’inflation : « En ce qui concerne l'évolution des
prix à la consommation, l'année fiscale 2015 s'est terminée avec 11.3%
d'inflation en glissement annuel, un taux nettement supérieur à l'objectif de
6% qui était fixé dans le budget rectificatif de 2014-2015. Cette accélération
des prix est consécutive, entre autres, à la rareté des produits locaux sur le
marché et à la décote de la gourde par rapport au dollar américain » qui
évolue dans une fourchette de 55 à 60 HTG pour 1 USD. « L’indice des prix a augmenté de 17% », selon Wayne
Camard, représentant du FMI en Haïti.
A3.2.
CLINS D’ŒIL SUR LA VISION DE MARTELLY ET SON APPLICATION
Les sept axes de la
vision et leur niveau d’application en termes de perception : (i) La Relance de
la production agricole nationale, (ii) la Sécurité des personnes et des biens,
(iii) l’Education et la formation pour tous, (iv) Replacer Haïti sur la carte
du monde, (v) Tourisme et culture, (vi) Santé préventive et soins pour tous,
(vii) Dynamiser l’économie et le secteur privé,
(i) La Relance de la production agricole nationale fait l’objet de plusieurs documents élaborés par le ministère de
l’agriculture, dont « le programme triennal de relance agricole
(2013-2016). Des actions intéressantes sont menées en matière de réforme
institutionnelle, la création de nouvelles directions et d’unités au sein du
ministère de l’agriculture, la mise à la retraite de certains anciens, le
recrutement de jeunes cadres ; en matière de mise en valeur agricole, des
efforts sont consentis tant du point de vue de l’agriculture familiale (
subvention engrais, crédit, voucher, assurance), que de l’agriculture à
caractère commercial ( accompagnement des entrepreneurs agricoles à travers
l’Unité de promotion des investissements privés dans le secteur agricole
(UPISA). Toutefois les résultats obtenus sont en dent de scie. Ce qui est
normal par rapport au montant du budget alloué au secteur (5-7%), sauf pour
l’exercice 2015-2016 (9.7%) en tant que « locomotive de la
croissance ». Il faut noter que (i) les décaissements se font toujours en
retard et ne correspondent pas à l’année agricole, (ii) une grande instabilité
institutionnelle s’est installée au sein du secteur depuis la prise de pouvoir
de Martelly (6 ministres en 5 ans).
(ii) La Sécurité des personnes et des biens. Tout le long de la durée de cette administration, il y a eu des efforts
soutenus pour sécuriser les personnes et les biens. Malheureusement, les résultats
ont évolué en fonction de la crise politique permanente qui a caractérisé cette
administration. En période de manifestations de rue, le taux d’insécurité
(morts par balles, biens saccagés, voitures incendiées) suit la courbe
ascendante. En période normale c’est l’inverse. Les résultats sont au-dessus de
la moyenne, grâce à des efforts de la Police Nationale. Avec la remise en route
de l’Armée à la fin du mandat, peut-être
que cela va aller s’améliorant.
(iii) L’Education et la formation pour tous. Malgré l’instabilité institutionnelle (4 ministres en 5 ans), cette administration a toujours accordé
beaucoup d’importance à l’éducation. On peut reprocher beaucoup de choses à
cette administration mais pas sa volonté d’accorder une place prépondérante à
l’éducation. Tous les ministres qui se sont succédé à ce poste ont fait des
efforts pour améliorer la situation. Comme je l’ai écrit dans le bilan de
l’année dernière, « pour le dernier
en date, M. Nesmy Manigat, il m’a personnellement impressionné par son
ouverture d’esprit et son courage. Non seulement, il a continué le travail de
ses prédécesseurs, mais il l’a grandement amélioré en posant la problématique
de la qualité de l’Education. On a accusé ce gouvernement d’utiliser les fonds
de la Diaspora à des fins d’enrichissement illicite. Mais personne n’a pu
prouver jusqu’ici ces faits. L’avenir justifiera si oui ou non, les fonds de la
Diaspora ont été dilapidés par cette administration ou mal utilisés ».
(iv) Replacer Haïti sur la carte du monde. A
mon humble avis, les résultats obtenus sont plutôt acceptables.
L’administration a « bien vendu Haïti » à l’extérieur. Malgré la
crise politique, les autorités ont pu attirer les investissements privés dans
plusieurs secteurs, en particulier dans le Tourisme et l’agriculture. Il faut
aussi signale les divers voyages effectués par les hautes autorités du pays,
les fonctions occupées au niveau régional, les démarches effectuées au niveau
des gouvernements étrangers, le slogan « Haïti is open for
business », autant d’actions de cette administration qui témoignent des
efforts consentis pour replacer Haïti sur la carte du monde. Certes, on
reproche à cette administration de gaspiller de l’argent dans des
« voyages inutiles ». Peut-être qu’il y eu gaspillage, mais on ne
peut pas dire qu’elle n’a pas obtenu de résultats en termes d’organisation de diverses activités
internationales en Haïti. Il faut signaler enfin, la réhabilitation de
l’Aéroport International de Port-au-Prince, la mise en service de l’aéroport
international du Cap, l’initiation de la construction de l’aéroport
international des Cayes, de l’Ile à Vache, de l’aéroport de Jérémie, d’autres
actions achevées et en cours pour replacer notre pays sur la carte du monde.
(v) Tourisme et culture. Si cette
administration peut s’enorgueillir de quelque chose, ce seront le Tourisme et
la Culture. A ce niveau, on peut tout simplement parler de réussite. Durant
toute la durée du mandat, il a été procédé à un ensemble d’activités
culturelles et touristiques. Par exemple, les périodes carnavalesques ont été
des moments extraordinaires de communion et de démonstration de notre riche
culture en dépit des critiques de l’opposition politique. Ces moments ont
favorisé grandement le tourisme intérieur et la venue de touristes étrangers et
de la Diaspora haïtienne. Le travail au niveau de ce secteur est tout
simplement fantastique tant au niveau de la grande terre qu’au niveau des îles.
Mme Stéphanie Villedrouin, ministre du Tourisme, fait l’unanimité par son
travail, sa compétence et sa détermination. Selon les observateurs avertis, le
nombre de chambres d’hôtel a plus que doublé sous cette administration. En tout
cas, cette administration a vu l’ouverture de l’hôtel Oasis, de Servotel,
de Best Western, l’agrandissement de Caribe Convention Center, la rénovation de
Kinam, la présence de la prestigieuse chaine
d’hôtel Mariott en Haïti, à
Port-au-Prince et au Cap-Haïtien. Sans compter les divers investissements
privés dans les villes de province dans l’hôtellerie.
(vi) Santé préventive et soins pour tous. Ce secteur n’a pas connu d’incertitude institutionnelle, la même
ministre durant toute la durée du mandat. Là encore, c’est un des secteurs où
l’on peut parler de réussite, tout au moins en matière de construction
d’hôpitaux, de centres de santé, de dispensaires. Certes en matière de santé
préventive et de soins pour tous, on est encore loin. Mais les éléments de base
sont là. Il suffit de bien les agencer, les renforcer et de les étendre.
L’opposition politique peut reprocher à Mme Duperval son accointance avec la
Première Dame, Sophia Martelly, on ne peut dire qu’elle n’a pas bien fait son
travail. Ceci explique peut-être cela.
(vii) Dynamiser l’économie et le secteur privé. Rappelons que le secteur économique se compose des ministères de
l’Economie, de la Planification, du Commerce et de l’Industrie, des Travaux
publics, de l’Agriculture, de l’Environnement, et du Tourisme. Ce secteur
a toujours bénéficié d’une part
importante du budget national (40-50%). L’administration Martelly a appliqué la
même politique budgétaire que les administrations passées. D’un autre côté,
cette administration n’a pas réussi sur le plan environnemental. Elle a
redynamisé le ministère du commerce, en accordant une place prépondérante à
l’entreprenariat, l’initiation de la mise en place des « Micro
Parcs » et autres mécanismes, et a donné des résultats en dents de scie en
agriculture, et plus qu’acceptables en matière touristique, etc. Les mesures
prises au niveau de la plupart de ces ministères du secteur économique ont
incité le secteur privé à investir dans l’économie haïtienne. Quant au MTPTC,
durant toute la durée de cette administration et malgré les difficultés de
toutes sortes, il a plutôt bien tiré son épingle du jeu si l’on excepte le cas
de l’énergie électrique qui est un défi à relever par la prochaine
administration. Ces résultats sont dus aussi à la présence de l’Ing. J.
Rousseau à la tête du ministère des Travaux publics durant toute
l’administration Martelly. En général, c’est le premier secteur contribuant à
la croissance et à l’emploi. Il faut noter que, depuis la prise de pouvoir de
cette administration, si l’emploi n’a pas été l’objet de politique systématique
(non documenté et même négligé), la croissance économique a toujours été au
rendez-vous, très certainement en deçà des prévisions et pas suffisante pour nous
sortir de la pauvreté, avec un taux de croissance de la population de 1.5 %/an.
La plus faible croissance
de cette administration
Rappelons les taux de
croissance du PIB obtenus par l’administration Martelly : 2011
(5.5%) avec un apport de l’administration Préval ; 2012
(2.9%) : une année de catastrophes naturelles ; 2013
(4.2%) : une année plutôt
normale ; 2014 (2.8%) : une année de
catastrophe politique ; 2015 (1.7%) :
la plus faible croissance de cette administration en une année électorale,
de persistance de l’entropie politique
et de grande sécheresse. Ces résultats sont, à mon humble avis, plutôt
acceptables quand on se réfère à la vulnérabilité du pays en matière
environnementale (changement climatique et autres) et surtout à cette crise
politique qui a été une constante de l’administration Martelly.
Normalement, à la lumière
de ces résultats, on devrait changer le titre du document de vision. C’aurait
été mieux de le titrer « le courage
de continuer » en lieu et place de « le
courage de changer ». En effet, en matière d’actions de développement,
Martelly a continué les actions entreprises par le Président Préval. Certes,
son administration a son propre actif ; mais il a surtout appliqué le
principe de continuité de l’Etat. Même son comportement comme Chef de l’Etat, c’est
une combinaison de Jean Claude Duvalier, d’Aristide et de Préval : la
tendance dictatoriale et fastueuse de Duvalier, la tendance à trop parler
d’Aristide, le « naje pou soti » et « le koule anbayo » de
Préval. Martelly a su utiliser le système à son avantage et placer ses pions
dans tous les rouages, le Pouvoir Exécutif y incluse la Primature, le Pouvoir
Législatif, le pouvoir Judiciaire, la Banque centrale, la BNC, le système de
sécurité (Police et l’Armée), et la Communauté Internationale. En attendant le
24 janvier 2016, il s’est positionné comme l’homme fort du pays. Pourra-t-il
résister au poids d’une telle combinaison de charges ? Le séisme politique
claironné par l’opposition, s’il a lieu, détermine si sa force est herculéenne
ou ne représente qu’un château de carte.
B. PERSPECTIVES 2016
La rentrée parlementaire change la donne
politique
Sur
le plan politique, la rentrée parlementaire tant au niveau de la Chambre basse
que du Sénat, et les élections au niveau du Parlement changent totalement la donne
politique. Le nouvel interlocuteur qu’est le Parlement va peser très lourd dans
les décisions politiques. C’est le rééquilibrage au niveau des trois pouvoirs
de l’Etat, tout au moins sur le plan formel. La mosaïque que constitue le
Parlement reflète la configuration politique du pays, certes avec un certain
avantage pour l’équipe « Tet Kalé », qui a su apprendre des leçons du
passé et placer ses pions au sein du Parlement,
en faisant des alliances naturelles avec des partis de même tendance, et
ceci bien avant les élections controversées du 9 et du 25 octobre 2015.
L’élection du Député Cholzer Chancy (Ayiti An Aksyon) comme président de la
Chambre basse et de Jocelerm Privert (Lavalas) à la Chambre haute, deux hommes
modérés, traduit la tendance à la modération, à la conciliation, au dialogue et
à l’entente dont le pays a besoin. C’est la meilleure chose qui pourrait
arriver au pays dans cette conjoncture difficile et incertaine. En cas de
vacance probable à la présidence en février au cas où la présidentielle
n’aurait pas lieu le 24 janvier, on aurait plus de chance de trouver une
solution à l’amiable au niveau du Parlement pour la mise en place du
gouvernement provisoire de transition dont le mandat serait d’évaluer le
processus électoral, de l’achever et d’initier le dialogue politique entre
haïtiens sans exclusive. Pas de place pour les extrêmes, tout se règlerait au
centre.
Un
budget citoyen ( ?)
Sur
le plan économique, l’enveloppe budgétaire de 122.6 Mrds HTG (2.30 Mrds USD),
soit une augmentation de 11.8% par rapport au budget rectificatif 2014-2015, vise un taux de croissance de 3.6 % de
l’économie réelle. Il faut souligner que : (i) « les dépenses courantes seront de 58.3 milliards de
gourdes, les dépenses en personnel, en biens et services augmenteront
respectivement de 12.3 % et de 15.3 % ; (ii) les dépenses de capital
seront de 64.3 milliards de gourdes soit une augmentation de 8.1 % par rapport
à l’année précédente ; (iii) les investissements les plus importants se
feront dans les infrastructures agricoles et dans le secteur de la construction
afin de soutenir la croissance ; (iv) les ressources courantes sont
projetées à 77.2 milliards de gourdes soit une augmentation de 26.9 % par rapport
à l’année fiscale précédente,(v) le financement interne est impératif, car les
dons et emprunts seront réduits de 20 % ». D’où la nécessité de
faire appel (i) « au sens civique
des citoyens et des entreprises pour s’acquitter de leurs redevances fiscales
afin de générer des revenus destinés au financement du développement national
et à l’amélioration des services publics », et (ii) « à l’engagement citoyen dans la mise
en œuvre des politiques publiques » et… des « entreprises à conjuguer leurs efforts afin de tirer le maximum
de profit provenant de l’amélioration du cadre des affaires».(Réf.http://www.mef.gouv.ht/index.phppage=D%C3%A9tails%20de%20l%27actualit%C3%A9&id_article=416).
L’économie
et la responsabilité citoyenne de la classe politique
Par
rapport à sa mise en application durant les premiers mois, l’enveloppe
budgétaire aura du mal à permettre à l’économie d’atteindre ses objectifs,
d’autant que l’économie retourne à ses démons
inflationnistes à deux chiffres depuis septembre 2015, et d’autant que la plupart des mesures qui devraient
permettre de financer le budget ont dû être mises en veilleuse pour ne pas
aggraver la situation politique. Le taux de change a franchi le cap de 55 HTG
pour 1 USD avec une tendance haussière vers 60 HTG pour 1 USD. Le panier de la
ménagère (17% d’augmentation en 2015) s’en ressent et les familles les plus vulnérables ont du
mal à joindre les deux bouts. En outre, la classe paysanne, qui a été durement
frappée par la sécheresse, fait face maintenant à un fléau, des insectes qui
attaquent le petit mil et tout ce qui lui est associé. Ce qui affecte encore
davantage notre économie anémiée et au bord de l’effondrement. Avec une
exploitation malsaine de la situation économique par les politiciens s’accusant
mutuellement d’en être la cause, Haïti pourrait connaitre des moments de turbulences
susceptibles d’aggraver davantage la situation globale de notre pays. Pour une
fois, nos politiciens devraient faire preuve de modération tant au niveau du
langage qu’au niveau des actions politiques à mener sur le terrain pour ne pas
mettre le feu aux poudres. C’est leur responsabilité citoyenne.
C.
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
Martelly
a eu le mérite de projeter une vision « le
courage de changer » qui s’est transformée en « le courage de continuer » par son comportement et ses
actions qui rappellent étrangement ceux de Duvalier, d’Aristide et de Préval,
ses trois prédécesseurs. Il a, en ce sens, appliqué le principe de continuité
de l’Etat avec du bon, du moins bon et du mauvais. A mon humble avis, Martelly
n’a pas échoué comme l’opposition politique veut le faire croire. Un musicien
dans l’arène politique ne pouvait pas faire mieux, d’autant que, dès le départ,
il a été attaqué de toutes parts comme « un vagabond »,
« un usurpateur », « un éléphant dans un magasin de
porcelaine ». Il faut souligner que son incompréhension du système
politique haïtien découlant de la Constitution de 1987, son langage grivois de
Sweet Micky, son côté artiste lui ont joué de mauvais tours. Malgré son côté
plutôt sympathique et bon enfant, sa volonté de bien faire, l’opposition
politique ne lui a jamais fait confiance, en particulier à cause de son
entourage immédiat et ses fréquentations. Il a dû très certainement traverser
des moments difficiles, très difficiles face à son entourage immédiat et à ses
irréductibles adversaires politiques.
Pourtant,
si on analyse ses réalisations en comparaison par rapport à ce qu’il a hérité
du 12 janvier 2010, on ne peut pas parler d’échec mais de résultats mitigés. Il
ne faut pas nous voiler la face par la perception de la corruption, qui a été
beaucoup plus forte sous Martelly qu’avant, mais qui demeure une constante de
la vie politique haïtienne, pour affirmer qu’ « il n’a rien
foutu ». Certes, il aurait pu faire mieux avec les moyens dont il
disposait avec une gouvernance tournée vers Haïti, en lieu et place d’une
gouvernance tournée vers la satisfaction de son clan. Malheureusement, la
politique clanique a été la plus forte et les actions de développement ont
couté beaucoup plus chères au pays qu’au paravent. Si sur le plan économique,
le pays a connu une période de croissance positive même inférieure aux
prévisions, les effets de la croissance ont été beaucoup plus au bénéfice des
nantis que des démunis. Ce qui a permis à l’opposition politique d’ébranler le
pouvoir de Martelly, mais n’a pu
l’empêcher de terminer son mandat comme Préval et de pouvoir amorcer une
continuité à travers ses pions placés dans tout le système étatique haïtien
comme ses prédécesseurs, et mieux que ces prédécesseurs, en tissant des
relations « basées sur des intérêts » avec la plupart des grands de
la communauté internationale.
L’économie
a toujours crû sous Martelly même avec une répartition non équitable des effets
de la croissance. Sur le plan politique, le pays est divisé et au bord du
gouffre. Le parlement devient l’un des éléments clé de la donne politique. Il
nous faut faire preuve d’intelligence pour ne pas enfoncer davantage notre pays
dans le désarroi. Il faudrait agir comme les politiciens vénézuéliens qui ont
su se sacrifier pour sauver leur pays de la déroute économique. Sans quoi, « l'incertitude se poursuit avec le nouvel exercice fiscal
2015-2016 dont le premier trimestre a été surtout dominé par des turbulences
post-électorales, handicapant du coup le bon fonctionnement des agents
économiques. Cette situation, si elle perdure, risque d'hypothéquer l'objectif
de croissance de 3.6% du PIB, fixé pour l'année fiscale 2016 ».
En termes de recommandations, il serait
capital de :
(i) Faire tous les sacrifices nécessaires pour
éviter au pays cet avenir sombre qui se profile à l’horizon, en évitant coûte
que coûte cette bataille des clans sans grandeur qui nous a conduit à ce
« kafou danjiré » pour répéter le journaliste chevronné, Marvel Dandin ;
(ii) Trouver une entente entre nous pour
achever en beauté le processus électoral et éviter une crise majeure au pays
qui se terminerait comme en 2004 ;
(iii) Se tourner vers le Parlement qui est le
parfait reflet de la classe politique actuelle pour enclencher le processus de
résolution de la crise haïtienne permanente de manière globale.
Ainsi avec la fin du mandat de Martelly,
Haïti amorcerait un virage à 90 degré vers une courbe de croissance ascendante
et de développement équitable et durable au bénéfice de toutes les composantes
de la société sans exclusive. Toutefois, sommes-nous assez grands pour des
sacrifices pour Haïti au détriment de nos clans et de nos petits intérêts
mesquins et individuels?