IMPACT DE L’INSECURITE SUR LE PAYS, LE CAS DE
LA VALLEE DE L’ARTIBONITE
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
22 MAI 2019
L’article du mois d’avril a été consacré à l’insécurité au niveau de
l’ensemble du pays. Dans l’article du jour, on en reparlera, mais en nous attardant
sur le cas de l’Artibonite, qui influe sur l’ensemble du pays.
Comme nous l’avons démontré dans notre dernier texte[1],
l’insécurité affecte l’ensemble des activités économiques du pays. Elle découle
de l’instabilité globale du pays, en particulier de la situation politique. En
effet, la crise politique haïtienne est
multiforme. Elle se renouvelle de crise en crise, au point de devenir quelque
chose de permanent, dont la solution réside dans le changement du système qui a
atteint ses limites, selon l’économiste Fritz Jean.
Bien avant de nous concentrer sur l’Artibonite, passons en revue les
discours de la Mairesse de l’Arcahaie et du Président de la République à
l’occasion du 216 anniversaire du drapeau ce 18 Mai 2019, tout en nous appuyant
sur l’interview de Fritz Jean[2]
avec Marie Lucie Bonhomme[3],
invité du jour, Vision 2000 du 20 Mai 2019.
Le discours de la Mairesse de
l’Arcahaie, elle a dit tout
haut ce que tout le monde pense tout bas, elle a abordé la question de
l’insécurité, de la vie chère, de la
mauvaise gouvernance en s’adressant directement au Président de la République,
garant de la bonne marche de l’Etat, avec obligation de résultats et lui
conseille d’entreprendre des actions concrètes au lieu de continuer à faire des promesses ; elle s’en est
prise au Parlement qui ne joue pas son rôle de contrôle, qui s’immisce dans les
affaires gouvernementales en nommant des ministres au sein du gouvernement ;
elle s’en est prise à l’opposition politique ; elle considère que ces
hautes autorités de l’Etat ne comprennent rien à rien au symbolisme du drapeau,
car ces autorités ne font que souiller le drapeau par leurs agissements. Le drapeau,
qui est l’essence même de la nation haïtienne. Elle croit dur comme fer que le
drapeau porte en lui la solution au problème du pays et propose au Président de
la République d’utiliser la Ville de l’Arcahaie pour l’organisation du vrai
dialogue national pour sortir le pays de la situation de chaos actuel. Le
discours est de bonne facture, assez profond, avec une allure « titidienne »
très poussée, dans la forme et dans le fond.
Le discours du Président de la
République insiste sur le
dialogue politique, la seule voie de sortie de la situation actuelle du pays,
sur la nécessité pour le Parlement de ratifier le Premier Ministre Lapin afin
que le pays puisse avoir accès à des fonds pour réaliser certains projets, dont
l’éducation, l’énergie électrique dans les petites villes et le bassin de
Port-au-Prince (prêt de 150 M USD de la
coopération taïwanaise). Dans la partie improvisée du discours, le
Président a dénoncé la question de monopole dont un petit groupe en a le
contrôle. C’est une sorte d’appel à l’aide pour casser ce monopole, un vrai cri
de désespoir et d’impuissance face aux véritables maitres du système, qui le
tient sous perfusion. Ce système dont le Président Moise se considère comme
« un accident » est le principal responsable du chaos actuel du pays.
Fritz Jean considère le Président, qui a crié au secours à l’Arcahaie,
comme un homme aux abois, un otage et un prisonnier du système. Ce système
cristallise la criminalisation de la gestion étatique, ce qui se traduit par
une sorte de banditisme généralisé, dont Savien au niveau de la Vallée de
l’Artibonite et Nouailles au niveau de la Croix-des-Bouquets restent des
exemples les plus frappants où les bandits rançonnent les producteurs à Savien
et les artistes à Nouailles. Sur un plan plus général, la plupart des
entreprises haïtiennes sont en faillite, à cause de la situation d’insécurité
et du taux de change.
Le Cas de la Vallée de
l’Artibonite
La Vallée de l’Artibonite est dominée par un périmètre de 32,000 ha.
C’est le plus grand périmètre irrigué du pays. Ce périmètre produit chaque
année entre 70,000 et 150,000 tonnes de riz et favorise la création de plus de
150,000 emplois permanents et plus de 200,000 emplois temporaires. La partie la
plus importante du périmètre irrigué est comprise entre le Fleuve Artibonite au
Sud, la route nationale no 1 à l’Ouest, la rivière de l’Estère à l’Est et au
Nord. Cette partie qui représente environ 50% du périmètre irrigué, est sous le
contrôle et/ou l’influence des bandits dont les actions ralentissent
considérablement les activités agricoles et autres. Les planteurs éprouvent
beaucoup de difficultés à emblaver correctement leurs parcelles, en plus des
difficultés inhérentes à l’agriculture irriguée (manque d’eau en saison sèche,
de crédit, d’intrants agricoles,
problèmes de drainage en saison pluvieuse), ils sont obligés de négocier
avec les bandits. Les blocs de production mis en place dans le cadre de la
caravane du changement, en processus de transformation en coopératives,
subissent l’influence négative de ces bandits. Il faut noter que ces bandits
avaient l’habitude de confisquer les matériels et moyens mis à disposition de
ces coopératives, parfois avec la complicité de certains responsables de
coopératives. Ce qui se traduit par des confiscations des semences, des
engrais, des matériels roulants, etc. Qui pis est, certains bandits s’arrogent même
le droit de récolter à la place des vrais producteurs et planteurs, ou du moins
d’exiger de ces derniers une part de leur récolte. Ces cas sont monnaie courante
au niveau de la Vallée, en particulier au niveau de la zone sous étude.
En fonction de ce qui précède, on constate un net ralentissement des
activités agricoles en particulier et en général un ralentissement des activités de toutes
sortes économiques et sociales. A cause de la situation qui prévaut dans cette
zone, certaines écoles sont fermées depuis plus d’un an, beaucoup d’habitants de Savien ont abandonné cette localité, la route menant vers Petite Rivière,
qui traverse Savien, Markesse, est en grande partie abandonnée et n’est
fréquentée que par certains motocyclistes, les boutiques ont fermé leurs
portes, la quantité de parcelles cultivées est visiblement réduite
(proportion ? Nécessité d’une étude). De plus, les bandits font des
incursions sporadiques et régulières sur la route nationale No1 pour kidnapper
des camions de marchandises (produits alimentaires, fers, ciments, etc.) qu’ils
redistribuent à la population pour être revendus à des prix défiant toute
concurrence ; rançonner les automobilistes et souvent les kidnapper ou
saisir leurs véhicules récupérables contre rançons. Il faut noter que, pour
aller à Petite Rivière de l’Artibonite, les véhicules de transport public, les
automobilistes sont obligés d’éviter Carrefour Peye et de choisir la Route
Pont-Sondé Mirebalais et traverser le Fleuve au niveau du barrage de Canneau
pour y accéder, ce qui est en train d’abimer la berge gauche du canal maitre
rive droite, ce qui aura des conséquences graves sur l’alimentation en eau d’irrigation
prochainement si rien n’est fait.
La liaison de route
Petite-Rivière-Marchand Dessalines est très peu fréquentée, ou négociée avec
les bandits à chaque utilisation.
L’organisme de développement de la Vallée (ODVA) est tout le temps sous la
menace des bandits. Cette institution fonctionne au ralenti. Les actions
programmées par cette Institution étatique, par la coopération taïwannaise qui
collabore avec l’ODVA, par les projets comme PROGEBA, par les entreprises
privées, par les ONG au niveau de la zone se font de manière sporadique et au
petit bonheur. Pour réaliser le peu d’actions programmées, il a fallu souvent
« négocier » avec les bandits. C’est une situation vraiment intenable
qui aura des conséquences sur la production agricole de la Vallée et la
production agricole en général et qui agira sur la situation de la sécurité
alimentaire!
Carrefour Peye-Villa, une zone dangereuse
Entre Carrefour Peye et Villa, on relève les incursions sporadiques et
régulières des bandits. Cette zone est devenue très dangereuse. La semaine dernière, les bandits ont pris l'Ing Norgaisse
de l’ODVA, il en a été de même pour l'Ing Dupiton de l’Ecole de droit des
Gonaïves ; le vendredi 17 Mai 2019, c'était mon tour, Ing Jr JEAN-NOEL,
heureusement, ils ne m’ont rien pris contrairement aux autres cas enregistrés.
La station de Gaz de Carrefour Peye a dû
fermer ses portes sous la pression des bandits, le trafic est journellement
perturbé comme ce vendredi 17 Mai 2019. Il aurait fallu une réaction sérieuse.
La PNH l’a fait en reprenant la ville de Petite Rivière prise d’assaut par les
bandits en avril dernier. Mais, jusqu’à date, certaines parties de la Vallée
restent sous le contrôle des bandits, en particulier le tronçon Carrefour
Peye-Villa, dont l’occupation sporadique par les bandits perturbe les activités
économiques sur une bonne partie du pays.
La réaction exemplaire du secteur
privé des Gonaïves
Il ne faut pas oublier que
l'Artibonite est en liaison directe avec 5 départements. Et Gonaïves vient de
cracher son ras le bol par rapport à l'insécurité. En effet, la réaction du secteur privé aux
Gonaïves contre l’insécurité, deux jours de grève et une journée de marche
pacifique traduit le ras de bol de la population par rapport à la situation
globale du pays. Gonaïves a indiqué la voie aux autres villes face à cette
situation d’insécurité entretenue, en grande partie, par nos politiciens. La
dégringolade de la gourde par rapport au
dollar américain[4] (1
USD=90.5 et 92.5 HTG), couplée à l’insécurité, influe considérablement sur la
vie économique du pays et alimente la pauvreté. Non seulement, la faim nous
tenaille, on ne voit pas encore le bout du tunnel. Certes, le système haïtien
est à bout de souffle, mais, comme l’a fait remarquer Fritz Jean, on est dans
ce flou entre la fin d’un système qui ne veut pas mourir et le début d’un autre
système qui ne veut pas naitre. Selon Fritz Jean, on est entre deux mondes
celui qui est en train de mourir, celui qui est en train de naitre, une sorte
de zone d’ombre entre chien et loup.
Par rapport à cette insécurité qui gangrène le pays, l'administration du Président Moïse a intérêt à réagir vite et
bien. La plaisanterie a trop duré. Que cela cesse!
« Jovenel Moise passera dans l’histoire comme celui qui est
responsable de cette situation »
Pour conclure, Il faudrait (i) rompre, selon Fritz Jean,
avec cet Etat prisonnier, contrôlé par 4
groupes d’intérêts économiques, une sorte de mafia qui contrôle l’ensemble des
activités économiques du pays et qui influence la politique à sa guise, (ii)
rompre avec la situation de violence actuelle, (iv) rompre avec la gestion chaotique de l’Etat.
Si dialogue il y aura, il faudrait définir d’abord le contenu du
dialogue, on ne peut laisser 4 opérateurs décider de ce qui doit se faire dans
ce pays. Cette situation est à la base de la faillite de la plupart des entreprises
car elle influe sur la question d’insécurité et du taux de change. Le business devient extrêmement précaire en
Haïti, si l’on se réfère à la frilosité d’un secteur privé composé de quelques petits opérateurs autour de 3 à 4 millions
d’USD, et dominé par les 4 grands opérateurs qui ont le monopole de l’économie et qui décident de la politique du pays. Une
sorte de relation mafieuse au niveau du pays régulée par des gangs armés à la
solde de certains opérateurs économiques et politiques. C’est la débandade au
niveau de l’organisation de l’Etat. C’est une situation de chaos et Jovenel Moise passera dans l’histoire comme
celui qui est responsable de cette situation même si elle est l’aboutissement
de tout un processus démarré bien longtemps avant l’accession du Président
Moïse au pouvoir, a conclu Fritz Jean, économiste, ex gouverneur de la
Banque de la République d’Haïti (BRH) et ex-Premier Ministre nommé et non
ratifié par le Parlement sous l’administration du gouvernement de transition
dirigée par le Sénateur Jocelerme Privert.
[1] INSECURITE. QUE CELA CESSE! https://jrjean-noel.blogspot.com/2019/04/haiti-insecurite-que-cela-cesse.html
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