HAITI : LE PRESIDENT PRIVERT PASSE EN
FORCE, MAIS…
JEAN-ROBERT JEAN-NOEL
31 JUILLET 2016
L’assemblée nationale (AN) est encore en
continuation. La dernière tentative de
reprise de cette assemblée nationale s’est une fois de plus, une fois de trop,
soldée par un échec. Cette fois-ci, c’est le groupe proche de PHTK à la Chambre
Basse qui a infirmé le quorum. Après cet ultime échec, la situation globale et
électorale a connu une accélération : (i) le
Président Privert a convoqué le peuple en ses comices ; (ii) les
inscriptions pour le renouvellement du tiers du Sénat se sont soldées par
plus d’une centaine de postulants à
travers la République pour 10 postes à pourvoir ; (iii) le Sénat a
finalement confirmé Ronald LARECHE comme président tout en renouvelant son
bureau avec l’élection du brouillant Sénateur BENOIT à la vice-présidence ;
(iv) le Sénat a donné décharge aux Sénateurs Riché ANDRIS et Carlos LEBON,
contrairement à ce qui se dit, sur la base d’un dossier de la Cour Supérieur
des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) ; (v) les maires élus
dans le cadre des élections du 25 octobre 2015 sont installés, (vi) l’insécurité est montée d’un
cran, l’assassinat de policiers, de simples citoyens et de citoyens connus
par des gens circulant à moto; (vii) la commission sénatoriale a repris du
service au niveau des médias par la voie de son président, M. Y. LATORTUE ;
(viii) le gouvernement a identifié les sources nationales (55 M USD) de financement des nouvelles élections ; (ix) le
ministre Yves Romain BASTIEN a fait le
dépôt du budget 2016-2017 de 121.9 Mrds
HTG au Parlement, avec « 75% du budget consacré aux
salaires » critique M. Sassine
de l’ADIH, même si , jusqu’à date, le Parlement ne s’est pas encore penché sur
le budget rectifié de 2015-2016, et (x) la gourde a franchi le cap de 65 HTG
pour 1 USD au marché parallèle, plongeant le pays dans une misère encore plus
noire avec maintenant le titre du pays le plus pauvre du monde, selon une étude
de Wall Street Journal basée sur des données de la Banque Mondiale, rapportée
par Daly Valet (Ref. http://www.montraykreyol.org/article/haiti-classee-comme-le-pays-le-plus-pauvre-du-monde
), etc.
La
décision du Président de convoquer le peuple en ses comices a pris tout le
monde au dépourvu : la communauté internationale semble accuser le coup et
se range derrière cette décision (tout au moins en a pris note) sans pour
autant revenir sur sa décision de ne plus financer le processus électoral ;
l’opposition politique est restée sans une réaction proportionnelle ; le
parlement est divisé en pour et contre, etc. Cette décision du Président
Privert, même controversée, constitue une sorte de catalyseur du processus électoral
et de la situation politique en général.
Ce passage en force rend-il inutiles les
tergiversations de l’opposition parlementaire par rapport au maintien ou non du
Président Privert au pouvoir, et permet-il d’aboutir aux élections du 9 Octobre
2016?
Un président légitime ou qui se veut légitime
On dirait que cette décision a sonné le glas de
l’opposition parlementaire. D’un coup, on a cette impression que l’Assemblée
Nationale en continuation n’est plus nécessaire si ce n’est que de confirmer M.
Privert à son poste. L’élection du bureau de Sénat semble être liée à cette
décision du Président Privert. D’ailleurs, le Président conteste l’adjectif de
facto collé à son titre depuis le 14 Juin 2016. Lors de sa prise de parole à
l’Anse à Veau pour la fête patronale de cette ville, il a catégoriquement
rejeté ce qualificatif et s’estime légitime puisque issu du Parlement dont il
faisait partie depuis son élection comme premier sénateur des Nippes. Tant que
le Parlement ne prend pas une décision contraire par rapport à son vote du 14
Février 2016 lui ayant permis d’accéder
au pouvoir suprême, il demeure un président légitime ou qui se veut légitime. C’est
sa façon à lui de justifier sa présence à cet endroit qui nous tient lieu de
Palais National depuis le tremblement de terre du 12 Janvier 2010. De toute
manière, ce n’est pas ce Parlement-là qui l’empêcherait d’y siéger.
Comme un coq ayant reçu « yon Kout ‘t
zepon »
En effet, depuis sa décision de convoquer le
peuple en ses comices, l’opposition parlementaire et l’opposition politique
semblent être désorientées. On ne sait pas si ce qui se passe en Turquie avec
le coup d’Etat manqué contre le président Erdogan de ce grand pays, la porte d’entrée
de l’Europe à partir de l’Asie (Moyen Orient), a une quelconque influence sur
la situation haïtienne. Les représailles de ce président contre les auteurs du
coup d’Etat et autres institutions (l’armée, la presse, etc.) font peut-être
craindre la même chose pour le Parlement Haïtien (Réf. https://web.facebook.com/daly.valet/posts/1075082679252923
). On n’est certes pas encore là, on n’arrivera peut-être jamais à cette
extrémité, mais on a cette désagréable impression que le Parlement est un peu
perdu comme un coq ayant reçu « yon Kout ‘t zepon ». Le choix du
parlement se résumerait, selon ma compréhension de la situation depuis cette
décision, à abandonner la bataille anti-Privert et le maintenir tout simplement
à son poste dans le cadre d’une assemblée nationale en continuation de façade.
L’élection à la présidence du Sénat de M. LARECHE enlève à l’opposition
parlementaire la présidence de l’assemblée nationale, assurée depuis l’élection
de Privert au pouvoir suprême par M. CHANCY, vice-président de l’AN et membre
du Parti Ayiti An Aksyon (AAA), le parti du sénateur Latortue, en opposition ouverte au président de la
République. Maintenant, M.LARECHE, proche du Président du pays, présidera désormais
l’AN avec beaucoup plus de latitude pour l’orienter dans le sens de l’Exécutif. C’est un pion important sur l’échiquier
politique ; c’est un atout majeur pour l’Exécutif dans cette conjoncture
politique où chacun déplace ses pions avec prudence et intelligence. Jusqu’à
présent, la balance semble se pencher du côté de l’Exécutif qui en moins de
trois (3) mois a pu avoir à son actif la reconstruction du pont de la route 9,
à Cité Soleil, rétablissant à ce niveau la circulation entre le Sud et le Nord
de la zone métropolitaine, et espérant que les gens ne vont plus arracher les
boulons pour aller les revendre, vous vous en souvenez ? (Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2016/04/haiti-un-challenge-la-hauteur-de-la.html
).
Rompre avec cette habitude « d’enquête se
poursuit »
De l’autre côté, le sénateur Latortue, qui paraissait fléchir sa
position par rapport à la reprise de l’AN en continuation bien avant la
décision du Président de convoquer le peuple en ses comices, semble recentrer sa
stratégie sur la commission sénatoriale d’éthique et anti-corruption en
occupant l’espace médiatique, portant des estocades aux uns et aux autres avec
le souci de paraitre comme l’homme qui veut rompre avec cette habitude
« d’enquête se poursuit ». En ce mois de Juillet 2016, certaines
personnalités comme Salim Soukar, ancien directeur de Cabinet du Premier Ministre
Lamothe, Jean Max Bellerive, ancien Premier Ministre/ Ministre de la
planification, actuel Directeur de Cabinet du Président d’Haïti, sont cités
comme des personnalités qui auraient bénéficié des pots de vin dans le cadre
des contrats liés à PETROCARIBE et autres. Ce qui les a poussés à se défendre
du bec et des ongles au niveau des médias, essayant de rétablir la vérité, leur
vérité. C’est leur droit le plus entier. Les explications fournies par ces
messieurs, surtout JM Bellerive à Radio Vision 2000, vont à l’encontre de ce
qui se trouverait dans les dossiers de la commission sénatoriale. Il estime que
cet acharnement s’apparenterait à une tentative de salir l’image de quelqu’un
qui a plutôt bien servi son pays. En tout cas, aux dernières nouvelles, la
commission semble vouloir s’attaquer à de plus gros morceaux encore. Attendons
voir.
Entre temps, le processus électoral suit son
petit bonhomme de chemin. Les fonds pour l’organisation des élections sont
disponibles, tout moins le ministre des finances sait exactement où les trouver,
la Douane, la Banque nationale de crédit, les moulins d’Haïti, etc. Toutefois,
le grand public pense que les coûts de 55 M USD sont trop élevés et pas assez
détaillés. Le Conseil Electoral (CEP), qui a invité quelques cadres de son
homologue dominicain, continue son travail d’épuration de l’appareil
électoral. Il a révoqué le président du bureau électoral départemental (BED) de
l’Artibonite, M. St Hilien et fourni hebdomadairement des informations sur
l’avancement du processus. A ce rythme, il est fort probable qu’ils arriveront
à organiser les élections en Octobre 2016 comme programmé. Pour cela, il faudra
que le gouvernement arrive à bien exécuter sa part de contrat, le financement
du processus, le contrôle de la question sécuritaire, l’apaisement social, la
recherche d’une forme d’entente politique entre haïtiens, etc.
Il faut s’entendre, c’est la planche de
salut pour Haïti!
Cette entente politique est, à mon humble avis,
un préalable à l’organisation de bonnes et inclusives élections sans trop de
heurt et de casse en octobre 2016. Le Sénateur Benoit incite le Président de la
République à rencontrer tout le monde, Jean Bertrand Aristide, René Préval,
Michel Martelly, les partis politiques, la société civile, le secteur privé.
C’est un impératif si le Président voudra vraiment organiser de bonnes et
inclusives élections. La perception c’est que le pouvoir actuel travaille pour
l’ancienne opposition à Martelly. Un ministre avait même déclaré que c’est
légitime qu’il occupe une fonction ministérielle pour avoir combattu Martelly.
Son poste de ministre est donc son butin de guerre. Ce genre de discours m’a
personnellement dérangé. Faire opposition systématique à un pouvoir élu,
contrarier tous ses plans sans tenir compte si c’est bon ou mauvais pour le
pays, le pousser dans ses derniers retranchements par des manifestations
violentes, négocier la fin de son mandat et assauter le pouvoir sans passer par la voie élective,
ce n’est pas une bonne stratégie à appliquer dans un système démocratique. Et
personne ne me fera avaler ça comme mode opératoire en démocratie. De là à
croire que le pouvoir en place est tout acquis à la cause de cette ancienne
opposition, il n’y a qu’un pas. Le grand public et les observateurs avertis ont
vite fait de le franchir. Peut-on
espérer des élections honnêtes avec un pouvoir partisan ou perçu comme
tel ? Ce qu’on avait reproché à Martelly. On le reprochera à Privert s’il
ne se décide pas à chercher une entente avec l’actuelle opposition, en
particulier avec l’équipe Martelly et consorts (Réf. http://jrjean-noel.blogspot.com/2016/07/haiti-le-president-privert-peut-nous.html
). Le passage en force opéré par le président peut déboucher sur des élections,
mais ne résoudra pas la crise de manière définitive sinon la différer à nouveau,
nous en sommes certains. Alors passer en force, oui, mais il faut s’entendre,
c’est la planche de salut pour Haïti.